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Décisions

CCE, 29 novembre 1974, n° 74-634

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Entente franco-japonaise concernant les roulements à billes

CCE n° 74-634

29 novembre 1974

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 85, vu le règlement nº 17-62 du Conseil du 6 février 1962 (1), et notamment ses articles 1er et 3, vu la décision prise le 14 novembre 1973 par la Commission d'engager une procédure d'office en application de l'article 3 du règlement nº 17-62, à l'égard des entreprises françaises et japonaises participant à un accord passé en 1972 et tendant à augmenter les prix d'importation en France de roulements à billes d'origine japonaise; après avoir procédé à des vérifications en application de l'article 14 du règlement nº 17/62 et entendu les intéressés, conformément à l'article 19 paragraphe 1 dudit règlement et aux dispositions du règlement nº 99-63-CEE du 25 juillet 1963 (2), vu l'avis du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes recueilli, conformément à l'article 10 du règlement nº 17-62, le 27 septembre 1974,

I. Les faits

1. Considérant que, à la suite des vérifications effectuées en France, la Commission a pu constater les faits suivants:

a) Le 16 février 1972, les producteurs japonais de roulements à billes rencontrèrent leurs homologues français au siège de la Chambre syndicale nationale de la mécanique de haute précision (ci-après Chambre syndicale) à Paris. Cette rencontre eut lieu à la demande des producteurs japonais qui avaient déjà été amené en avril 1966 à discuter de leur politique de vente en France avec leurs concurrents français. Assistaient notamment à la réunion du 16 février 1972 : du côté français, des représentants de la Chambre syndicale et des producteurs de roulements, dont les producteurs de roulements à billes suivants : SKF, Compagnie d'applications mécaniques SA, (ci-après SKF), et SNR, Société nouvelle de roulements (ci-après SNR) ; du côté japonais : des représentants de la Japan Bearing Industrial Association (ci-après Japan Association) et des quatre plus importants producteurs japonais de roulements à billes : Nippon Seiko Kaisha (ci-après NSK) ; NTN Toyo Bearing Co. Ltd. (ci-après NTN) ; Koyo Seiko Co. Ltd. (ci-après Koyo) et Fujikoshi Ltd. (ci-après Fujikoshi).

On retiendra les passages suivants du procès-verbal de cette réunion, qui a été établi par la Chambre syndicale (3):

...

M.B. ... (le porte-parole de la délégation française), demande à M.I. ... (le porte-parole de la délégation japonaise), ce que les fabricants de roulements japonais peuvent faire pour : diminuer les importations japonaises en France, augmenter les prix, contrôler ces prix.

En signalant que certaines importations transitent par l'Allemagne, la Belgique et la Hollande, il indique que les statistiques d'importation des roulements en France sont à la disposition de la délégation japonaise.

...

Les fabricants de roulements français veulent savoir si leurs homologues japonais sont décidés à augmenter leurs prix, compte tenu dé l'augmentation prévue en France, en avril prochain.

...

M.I. ..., après avoir consulté les membres de sa délégation, déclare que les quatre sociétés représentées sont d'accord pour déclarer officiellement des prix communs. Il ne peut indiquer ni l'augmentation prévue, ni le délai d'application sans une étude préalable.

...

M.I. ... après avoir consulté les membres de la délégation japonaise, reconnaît que la différence actuelle entre les prix japonais et les prix français est de 15 % ; avec l'augmentation de 5 à 6 % prévue par les fabricants français en avril prochain, cette différence passera à 20 %. Les fabricants japonais proposent d'amener le différence à 5 ou 8 %.

M.B. ... renouvelle sa question concernant un accord écrit.

M.I. ... répond qu'il prendra des contacts dès son retour au Japon et qu'il écrira à ce sujet.

M.B. ... rappelle que les constructeurs de roulements français demandent: 1. une augmentation dans l'immédiat de 15 %,

2. dans l'avenir, maintien d'une différence maximale de prix de 5 %, les prix des roulements japonais étant exprimés en francs,

3. une organisation d'un système de contrôle efficace des importations de roulements japonais en France,

4. une nouvelle rencontre franco-japonaise dans 6 mois ou dans un an pour vérifier l'application de l'accord.

La CSNMHP (Chambre syndicale) écrira une lettre à M.I. ... pour exprimer ce qui a été dit au cours de la réunion.

...

b) Par lettre du 3 mars 1972 adressée en français à la Japan Association, la Chambre syndicale a rappelé aux fabricants japonais "les deux principales préoccupations que suscite, chez les fabricants français, la politique d'exportation des producteurs japonais de roulements".

Ces préoccupations portaient, d'une part, sur le niveau des prix consentis par les producteurs japonais à leurs importateurs en France et d'autre part, sur l'augmentation des exportations japonaises de roulements à destination de la France. Sur ces deux points, la Chambre syndicale a demandé à la Japan Association que les fabricants japonais lui fassent connaître par son intermédiaire, dans une lettre à lui adresser pour le 15 mars suivant, respectivement "les mesures efficaces prises par les fabricants japonais pour remédier à cette situation de prix anormalement bas" et "les décisions concrètes mettant un terme à une telle croissance de leurs exportations...".

Le 10 mars 1972, une lettre a été adressée en anglais au nom de la Japan Association à la Chambre syndicale. Elle contenait notamment les passages suivants:

(extraits de la traduction française faite par la Chambre syndicale)

"Dès notre retour au Japon, nous avons conféré et discuté sur les mesures destinées à traduire dans les faits l'esprit de la réunion. Les décisions suivantes ont été prises par les quatre principaux fabricants japonais de roulements, qui assistaient à la session: 1. Nous avions annoncé que nous ajusterions la structure des prix et les conditions de vente des roulements japonais, afin de les aligner sur celles des fabricants français ; c'est dans ce sens que nous orienterons nos ventes sur votre marché et que nous tenterons le maximum pour ramener à 5-8 %, dans l'avenir, la différence entre les prix des fabrications locales et les nôtres. En premier lieu, nous allons prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire, si possible, à moins de 10 %, l'écart entre notre échelle de prix et le niveau des prix locaux.

2. Les prix japonais facturés vont augmenter de 10 à 12 % en dollars, à partir du 1er avril 1972.

3. Les prix de vente ne seront pas établis pour de longues périodes ; si les prix des fabricants français augmentent, les japonais les suivront. Chacun des principaux fabricants fera imprimer un catalogue de prix reflétant la politique précédente.

4. Suite à l'augmentation des prix de vente des roulements japonais, chaque fabricant publiera ce catalogue en mars ou avril.

5. Sur la base des statistiques françaises d'importation, nous apporterons une attention particulière à la limitation d'un accroissement anormal des exportations de roulements japonais sur le marché français.

...

8. Le haut personnel de direction des quatre principaux fabricants visitera votre pays au début du mois de juin et vous exposera les mesures concrètes prises sur les points mentionnés ci-dessus ; il tentera de poursuivre les discussions sur les moyens d'établir une prospérité durable pour les industries de nos deux pays."

Par lettre du 27 avril 1972 le vice-président de la Chambre syndicale a répondu notamment ce qui suit:

"Permettez-moi de vous remercier vivement de votre lettre du 10 mars 1972 dans laquelle vous indiquez les décisions prises par les principaux constructeurs japonais de roulements à la suite de notre rencontre du 16 février dernier.

Mes collègues et moi-même avons étudié avec soin les termes de votre correspondance et sommes arrivés aux conclusions suivantes: 1. Nous prenons acte de votre décision d'aligner la structure des prix et les conditions de vente de vos roulements sur celles des constructeurs français afin de réduire l'écart de ces prix sur le marché français.

2. Nous remarquons que l'augmentation de 10 à 12 % en dollars au 1er avril 1972 ne représente en réalité, compte tenu des changements de parité monétaire, qu'une faible hausse en France : 3 % au maximum. Elle ne peut être considérée que comme une première étape qui, pour atteindre le but indiqué dans le premier paragraphe de votre lettre, doit être suivie très rapidement par d'autres hausses.

3. Cette augmentation du 1er avril 1972 donne, pour les roulements japonais, des prix en yens qui seront encore sensiblement inférieurs à ceux qui étaient appliqués avant le changement des taux monétaires de décembre 1971. Une deuxième étape, à réaliser dans un délai très court, devrait amener les prix des roulements japonais au niveau qu'ils avaient avant les fluctuations monétaires. Cette étape nous paraît indispensable pour réduire l'écart avec les prix des roulements français.

4. Nous enregistrons la décision des constructeurs japonais de publier en France des tarifs répercutant la nouvelle politique des prix et nous attacherions de l'importance à ce que cette publication soit accompagnée d'un commentaire informant la clientèle des prévisions d'évolution des prix dans le courant de l'année à venir.

5. Nous prenons note de votre décision de mettre en œuvre des mesures efficaces pour corriger l'augmentation anormale de vos exportations de roulements sur le marché français. La Chambre syndicale nationale de la mécanique de haute précision vous remettra périodiquement les statistiques françaises d'importation.

...

Pour éviter tout malentendu, il serait souhaitable que les constructeurs japonais adressent à notre Chambre syndicale les tarifs qu'ils publieront à chaque réajustement des prix de vente de leurs roulements en France.

C'est avec grand plaisir que nous recevrons les représentants des quatre principaux japonais de roulements. Au cours de notre rencontre, nous espérons pouvoir constater que les mesures qu'ils ont prises se révèlent efficaces. Nous souhaitons également poursuivre les discussions sur l'établissement des dispositions à prendre dans l'avenir pour assurer un développement satisfaisant de l'industrie du roulement de nos deux pays..."

c) La réunion à laquelle il est fait allusion dans les lettres du 10 mars et du 27 avril susmentionnées, s'est tenue à Paris le 13 juin 1972. Au cours de cette réunion et à la demande du représentant de la Chambre syndicale, le représentant de la Japan Association a indiqué que les mesures concrètes prises par les fabricants japonais étaient les suivantes:

" 1. A partir du 1er avril 1972, les prix en dollars ont été augmentés de 12 % sur tous les roulements à destination de la France. Ceci donne en fait une augmentation de 5 à 7 % des prix sur le marché français. Les effets de cette mesure ne se feront sentir qu'à partir du mois de juillet.

2. Cette augmentation a été annoncée dans la presse française.

3. Les fabricants japonais mettent leurs tarifs à la disposition de la délégation française (un exemplaire de chacun de ces tarifs a été remis à la délégation française au cours de la réunion).

"

(P V, p. 3)

d) Le 26 juillet 1972, les producteurs français ont à nouveau rencontré les producteurs japonais à Paris. La discussion a essentiellement porté sur les conditions d'application des tarifs de prix en France, tarifs considérés par le représentant d'un des producteurs français comme "un moteur politique de vente" (P V, p. 2). Les producteurs français ont précisé à leurs collègues japonais que les remises étaient accordées selon deux paramètres : importance du client et nature de la production du client. Les producteurs japonais ont indiqué qu'ils utilisaient les mêmes paramètres. Cependant les producteurs français, estimant que les montants des remises accordées par les importateurs des produits japonais sont anormalement élevés, ont demandé à leurs collègues japonais de ne pas se contenter de relever les prix de leurs tarifs, mais également de contrôler les remises accordées par leurs importateurs;

2. a) considérant que le marché concerné par les faits décrits ci-dessus est le marché français des roulements à billes de type courant, à l'exclusion des autres catégories de roulements, tels les roulements à aiguilles, à rouleaux ou les roulements de types spéciaux qui, en raison de leurs caractéristiques techniques ne leur sont pas substituables ; que c'est en effet essentiellement sur ce marché que s'exerçait la concurrence des roulements japonais à l'époque des faits rapportés (courant de l'année 1972);

b) considérant que, en 1971 et en 1972, ce marché présentait les caractéristiques suivantes:

La consommation intérieure totale qui a représenté un chiffre d'affaires de 416 200 000 FF en 1971 et de 426 600 000 FF en 1972, a été couverte respectivement à raison de 52,1 % en 1971 et de 58,7 % en 1972 par la production française.

La part des importations en provenance du Japon a représenté 25,8 % en 1971 (51 500 000 FF) et 23 % en 1972 (40 700 000 FF) des importations globales de ces roulements en France, soit respectivement 12,3 % et 9,6 % de la consommation intérieure.

Les importations en provenance des 5 autres États membres de la CEE ont représenté, pour chacune de ces deux années, 39,6 % des importations globales, soit 18,7 % en 1971 et 16,2 % en 1972 de la consommation intérieure.

Les exportations de la France vers les pays de la CEE se sont élevées à 38 600 000 FF en 1971 et à 37 300 000 FF en 1972, soit respectivement 28,8 % et 30 % de l'ensemble des exportations françaises et 11,7 % et 10,2 % par rapport à la consommation française;

c) considérant que la position de SKF et de SNR sur ce marché était la suivante à cette époque:

SKF, filiale à plus de 80 % du groupe suédois SKF (Aktiebolaget Svenska Kullagerfabriken) est la plus importante société productrice de roulements à billes en France. La part de sa production dans ce pays peut être estimée à près de 60 % et la part de ses ventes est de l'ordre de 35 à 40 % du marché français.

SNR, filiale à 100 % du groupe Renault (automobiles), a une part de près de 25 % de la production nationale et de 10 % environ du marché français;

d) considérant que ces deux producteurs sont membres de la Chambre syndicale, division "roulements tous genres, à aiguilles, à billes et à rouleaux" ; que l'objet de ce syndicat, tel qu'il est stipulé à l'article 3 de ses statuts, est notamment:

"1. d'organiser un groupement d'industriels, susceptibles d'assurer à leur clientèle la garantie absolue d'une fabrication mécanique de haute précision;

2. de les représenter auprès des pouvoirs publics, de toutes administrations officielles ou privées, des chambres de commerce et autres groupements industriels ou commerciaux...

"

e) considérant que NSK, NTN, Koyo et Fujikoshi se considèrent eux-mêmes comme "les quatre principaux producteurs japonais" et qu'ils sont les membres les plus importants de la Japan Association;

f) considérant que du début 1972 à fin 1973, pour les articles représentant la plus grande partie des ventes de roulements japonais en France (roulements à billes des catégories 6 000 à 6 300 soit plus précisément 6 000, 6 004, 6 200, 6 205, 6 210, 6 305 et 6 309) ; les hausses de tarifs pratiqués en France par les producteurs japonais concernés ont été les suivantes:

un producteur a augmenté, à deux reprises, (en avril et en octobre 1972), le tarif des prix appliqués à ses distributeurs en France, ces prix subissant pendant cette période une hausse de 7 à 25 % ; un producteur a également à deux reprises (pour la période mai/décembre 1972 et janvier/octobre 1973) augmenté le tarif des prix appliqués à ses distributeurs en France de 3,3 à 8,2 % au total ; un autre producteur a, en janvier 1973, augmenté de 2,4 à 15 % le tarif des prix appliqués à ses acheteurs ; enfin un producteur, qui avait déjà procédé en décembre 1971 à une augmentation moyenne de ses tarifs de 14 %, n'a pas relevé ceux-ci pendant cette période;

II. Applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 1.

Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 1, sont incompatibles avec le Marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises, et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun;

Considérant que, dans le cas d'espèce, pour déterminer si cette disposition est applicable, il convient de replacer les faits rapportés ci-dessus au point I. 1 dans le cadre plus général des mesures qui ont été prises au Japon dans le but de contrôler les exportations de produits japonais vers la CEE soit en les limitant, soit en les réglementant du point de vue des prix, des qualités ou à tout autre égard;

Considérant, en effet, que l'on peut se trouver en présence de quatre types de mesures à apprécier différemment à cet égard:

a) les mesures qui s'insèrent dans des accords commerciaux entre la Communauté et le Japon.

Il s'agit d'actes de politique commerciale extérieure, qui échappent en tant que tels à l'application de l'article 85 du traité CEE.

b) les mesures imposées aux entreprises japonaises par les autorités de leur pays.

Ces mesures ne relèvent pas de l'application de l'article 85.

Toutefois, dans ces deux cas, l'article 85 pourrait s'appliquer aux accords et pratiques concertées qui viendraient s'y ajouter.

c) les mesures résultant d'accords ou de pratiques concertées entre entreprises qui sont simplement autorisées par les autorités japonaises sur la base de leur droit interne.

Une telle autorisation, condition de la légalité interne, ne saurait écarter l'applicabilité éventuelle de l'article 85 car elle ne modifie en rien le fait que les entreprises concernées étaient libres de ne pas contracter ledit accord ou de ne pas se livrer auxdites pratiques;

d) les mesures qui résultent uniquement d'accords, de pratiques concertées ou de décisions d'associations d'entreprises, élaborés soit unilatéralement par des entreprises japonaises, soit après concertation avec les industries européennes correspondantes.

Ces mesures de caractère privé sont également susceptibles d'être visées par l'article 85. La Commission a expressément attiré l'attention des entreprises à ce sujet, par un avis publié au Journal officiel en octobre 1972 (1);

Considérant que les faits rapportés ci-dessus ne s'insèrent pas dans un accord commercial entre la Communauté et le Japon ; qu'il ne s'agit pas davantage de mesures imposées aux entreprises japonaises par les autorités de leur pays ni même, à la connaissance de la Commission, de mesures autorisées par ces autorités ; qu'il s'agit de mesures bilatérales de caractère privé, qui n'ont donné lieu à aucune intervention gouvernementale ni du côté français ni du côté japonais;

Considérant que ces mesures sont donc susceptibles d'être visées par l'article 85 du traité CEE;

2. considérant que l'on peut retenir ce qui suit des faits décrits ci-dessus au point I:

Lors de la réunion du 16 février 1972 entre les principaux producteurs français (SKF et SNR) et japonais (NSK, NTN Koyo, Fujikoshi) de roulements à billes et leurs associations professionnelles respectives, les producteurs français ont demandé à leurs concurrents japonais un accord écrit portant principalement sur une augmentation des prix des roulements japonais importés en France dans le but de rapprocher ces prix de ceux des roulements de fabrication locale en maintenant une différence maximale de prix de 5 %. Les producteurs japonais concernés ont marqué leur accord de principe à cette demande d'augmentation sans pouvoir encore indiquer avec précision le montant exact de celle-ci ni son délai d'application.

Par lettre du 3 mars 1972 adressée à la Japan Association, la Chambre syndicale a réitéré les demandes exprimées lors de la réunion précitée.

Par lettre du 10 mars 1972 adressée à la Chambre syndicale, la Japan Association a confirmé l'accord des producteurs japonais sur le principe de l'augmentation demandée en indiquant leur intention de réduire dans l'immédiat à 10 % maximum et à l'avenir à 8 et à 5 % la différence de prix entre les roulements français et japonais.

Dans sa réponse du 27 avril 1972, le vice-président de la Chambre syndicale a pris acte au nom de ses collègues français des différentes décisions des producteurs japonais. Il a toutefois insisté sur le fait que l'augmentation de prix annoncée ne constituait qu'une première étape qui devrait être suivie très rapidement par des mesures complémentaires;

Considérant que ceci démontre que les producteurs français et japonais concernés ont, par l'intermédiaire de leurs associations professionnelles respectives, conclu un accord visant à une augmentation des prix des roulements à billes japonais importés en France dans le but de rapprocher ces prix de ceux des roulements de fabrication locale;

Considérant que, contrairement aux arguments avancés par les parties dans leur réponse à l'exposé des griefs et au cours de l'audition orale, il n'est pas indispensable, pour l'application de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE que cet accord se présente sous la forme d'une convention de droit privé, mais qu'il suffit que l'une des parties s'engage volontairement à limiter sa liberté d'action à l'égard de l'autre;

Que tel est bien le cas en l'espèce puisque, d'une part, par la lettre du 10 mars 1972 précitée, la Japan Association a notamment fait part à la Chambre syndicale des engagements pris par les producteurs japonais de hausser le prix de leurs roulements exportés en France et d'autre part, par la lettre du 27 avril 1972 susmentionnée, la Chambre syndicale a pris acte de ces engagements au nom des producteurs français;

Considérant que les parties ont contesté que cet échange de lettres constitue réellement un accord de hausse de prix;

Que, d'une part, la Japan Association et les producteurs japonais concernés prétendent que les augmentations mentionnées dans la lettre du 10 mars résultent de décisions prises unilatéralement pour des raisons d'adaptation des parités monétaires et de conjoncture économique au Japon et qu'elles sont indépendantes des demandes formulées par leurs concurrents français;

Que, d'autre part, la Chambre syndicale souligne que, si la lettre du 27 avril contient notamment une prise d'acte des décisions japonaises d'augmentation de prix, elle traduit également un désaccord sur les taux, les dates d'application, les étapes et les modalités pratiques de ces augmentations, de sorte que l'on ne pourrait voir dans cette lettre une acceptation de l'offre japonaise;

Considérant que ces explications ne sont pas convaincantes car, compte tenu des négociations qui l'ont précédé, cet échange de lettres constitue un ensemble cohérent et explicite témoignant d'un concours de volonté entre les parties sur une augmentation des prix des roulements japonais ;que, même en l'absence d'un accord détaillé sur les modalités particulières de l'augmentation de prix convenue, il ne peut être contesté qu'il y ait eu au moins accord sur le principe d'une augmentation;

Considérant que l'accord incriminé a été conclu à la suite de négociations auxquelles participaient les fabricants intéressés et leurs associations professionnelles respectives et s'est concrétisé par un échange de lettres entre ces associations professionnelles agissant au nom de leurs membres ; qu'il s'agit donc d'un accord entre entreprises au sens de l'article 85 du traité CEE;

3. Considérant que l'accord en cause, qui vise à augmenter les prix des roulements à billes japonais importés en France dans le but de rapprocher ces prix de ceux des roulements de fabrication locale, a pour objet de restreindre la concurrence à l'intérieur du Marché commun ;qu'il tend en effet à neutraliser la fonction de la concurrence en matière de prix, qui est de maintenir ceux-ci au niveau le plus bas possible;

Que cette restriction de la concurrence découlant de l'objet même de l'accord en cause, il n'est pas indispensable d'analyser ses effets concrets pour établir l'applicabilité de l'article 85 paragraphe 1 du traité CEE à son égard;

Qu'on peut toutefois constater, ainsi qu'il ressort des indications données au point I. 2. f), que la plupart des producteurs japonais parties à l'accord concerné ont effectivement augmenté leurs tarifs de prix sur le marché français;

Considérant que la restriction ainsi apportée à la concurrence est particulièrement grave en raison notamment de l'importance du chiffre d'affaires réalisé sur le marché français des roulements à billes, de la part des importations japonaises sur ce marché et de la position des entreprises en cause sur leur marché national respectif et, pour certaines d'entre elles, sur le marché mondial des roulements (voir point I. 2. b) et c));

Considérant à cet égard que les parties ont contesté l'importance de cette restriction parce qu'elle ne concernerait que les tarifs de prix, lesquels ne joueraient qu'une influence modeste dans la fixation des prix effectivement pratiqués pour les roulements à billes, à cause d'une part du pourcentage parfois considérable de remise accordé et d'autre part du fait que pour les clients les plus importants (constructeurs) les prix pratiqués sont des prix nets, négociés "âprement" et indépendamment des tarifs;

Considérant que le fait que des rabais extrêmement importants soient consentis n'altère pas le rôle des tarifs puisque c'est sur la base de ceux-ci que ces rabais sont déterminés ; que les producteurs considèrent eux-mêmes les tarifs comme "un moteur politique de vente" (cf. réunion du 26 juillet 1972, supra point I. 1. d));

Que du reste on comprendrait mal pourquoi les plus importants producteurs de roulements à billes de France et du Japon ont conclu un accord et se sont réunis trois fois au cours de l'année 1972 si ces tarifs de prix, sur lesquels ont porté principalement cet accord et ces réunions, étaient à ce point dénués d'importance;

4. Considérant que l'accord en cause est susceptible d'affecter le commerce entre États membres;

Qu'en effet la portée pratique de l'augmentation de prix visée dépend de la possibilité de la répercuter non seulement sur les roulements à billes importés directement du Japon en France, mais également sur les importations de roulements d'origine japonaise se trouvant en libre pratique dans d'autres États membres ; qu'est significatif à cet égard le fait que l'attention des producteurs japonais ait été attirée, notamment lors de la réunion du 16 février 1972, sur les importations de roulements japonais transitant par l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas (voi point I. 1. a) supra));

Que, par ailleurs, cet accord a été conclu par les principaux producteurs français dans le but de restreindre la concurrence de prix exercée en France par d'importants concurrents qui y exportent régulièrement ; qu'étant donné que cette grave restriction de la concurrence s'étend à l'ensemble du territoire français, les échanges entre la France et les autres États membres risquent de se dérouler dans des conditions autres qu'ils ne l'auraient fait en l'absence de l'accord ; que, d'ailleurs, les intéressés eux-mêmes ont souligné l'importance des échanges de roulements à billes entre la France et d'autre États membres et que cette importance ressort également des chiffres indiqués au chiffre I point 2 lettre b) ci-dessus;

5. Considérant que les conditions d'application de l'article 85 paragraphe 1 sont par conséquent réunies;

III. Inapplicabilité de l'article 85 paragraphe 3

Considérant que, aux termes de l'article 85 paragraphe 3, les dispositions du paragraphe 1 dudit article peuvent être déclarées inapplicables à tout accord et à toute pratique concertée qui contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence;

Considérant que l'accord incriminé n'a pas été notifié à la Commission ; qu'il entre dans la catégorie des ententes visées à l'article 4 paragraphe 1 du règlement nº 17 ; que, en conséquence, aussi longtemps qu'il n'a pas été notifié, une décision d'application de l'article 85 paragraphe 3 ne peut être rendue;

Que, en tout état de cause, la Commission ne voit pas en quoi cet accord pourrait entraîner les effets favorables prévus à l'article 85 paragraphe 3 et, en particulier, réserver un profit quelconque aux utilisateurs,

A arrêté la présente décision:

Article premier

L'accord conclu en 1972 par l'intermédiaire de leurs associations professionnelles respectives entre les sociétés françaises SKF, Compagnie d'applications mécaniques, SA, et SNR, Société nouvelle de roulements, et les sociétés japonaises Nippon Seiko Kaisha, NTN Toyo Bearing Kaisha, Koyo Seiko Ltd et Fujikoshi Ltd., visant à une augmentation des prix des roulements à billes d'origine japonaise sur le marché français et concrétisé notamment par les lettres du 10 mars 1972 de la Japan Bearing Industrial Association et du 27 avril 1972 de la Chambre nationale syndicale de la mécanique de haute précision, constitue une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté économique européenne.

Article 2

La présente décision est destinée aux entreprises et associations d'entreprises énumérées ci-après:

SKF, Compagnie d'applications mécaniques, SA, 1, avenue Newton, Clamart (France),

SNR, Société nouvelle de roulements, 1, rue des Usines, Annecy (France),

Chambre syndicale nationale de la mécanique de haute précision, 75, rue Baujon, Paris (France),

Nippon Seiko Kaisha, Chiyoda-Ku, Tokyo (Japon),

Koyo Seiko Co. Ltd., Minami-Ku, Osaka (Japon),

Fujikoshi Ltd, Toyama (Japon),

NTN Toyo Bearing Co. Ltd., Nishi-Ku, Osaka (Japon),

The Japan Bearing Industrial Association, Shibakoenn, Tokyo (Japon).

(1)JO nº 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

(2)JO nº 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

(3)Les procès-verbaux (PV) auxquels il est fait référence ci-après, obtenus lors des vérifications effectuées auprès des producteurs français, ont été établis en français par ces derniers et n'auraient pas été communiqués aux producteurs japonais. Toutefois les PV remis par ceux-ci à la Commission en cours de procédure ne font que confirmer le sens des extraits mentionnés.

(1)Avis relatif à l'importation de produits japonais dans la Communauté tombant sous l'application du traité de Rome (JO nº C 111 du 21.10.1972, p. 13).