CA Rennes, 3e ch. corr., 18 mars 2004, n° 03-01905
RENNES
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Conseillers :
Mmes Pigeau, Antoine
Avocats :
Mes Chevallier, Grall
Rappel de la procédure:
Le jugement:
Le Tribunal correctionnel de Morlaix, par jugement contradictoire en date du 3 juillet 2003, pour:
Facturation non conforme - vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle à l'égard de A Michel
Facturation non conforme - vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle à l'égard de B Jean-Bernard
Facturation non conforme, par personne morale, de vente de produit ou prestation de service pour une activité professionnelle à l'égard de la SA X
A renvoyé A Michel des fins de la poursuite sans peine ni dépens, en application des dispositions de l'article 470 du Code de procédure pénale; a condamné B Jean-Bernard à la peine d'amende de 3 000 euros d'amende dont 2 500 euros avec sursis; a renvoyé la SA X des fins de la poursuite sans peine ni dépens.
Les appels:
Appel a été interjeté par:
M. le Procureur de la République, le 7 juillet 2003, à titre principal, contre Monsieur A Michel, Monsieur B Jean-Bernard et la SA X.
La prévention:
Considérant qu'il est fait grief à Michel A:
- d'avoir à Morlaix, et en tout cas sur le territoire national, courant 2002 et en tout cas depuis temps non prescrit, dans le cadre d'une activité professionnelle, étant vendeur de produits ou de prestations de services, établi une facture ne comportant pas : la date de la vente ou de la prestation de service, les dénominations précises, tous rabais, remises ou ristournes chiffrables, en l'espèce dans le cadre d'accords de partenariat commercial (article L. 442-6-1, 2° du Code du commerce) contrats dits de "coopération commerciale" qui décrivent l'engagement du distributeur à fournir un avantage reçu, en ayant établi des factures dont les mentions ne permettaient pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus par la société au profit de ces fournisseurs, les produits et les quantités de produits concernés par ces services et les dates précises de résiliation de ces derniers, infraction prévue par l'article L. 441-3 al. 2, al. 3, al. 4 du Code du commerce et réprimée par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code du commerce;
Considérant qu'il est fait grief à Jean-Bernard B:
- d'avoir à Morlaix, et en tout cas sur le territoire national, courant 2002 et en tout cas depuis temps non prescrit, dans le cadre d'une activité professionnelle, étant vendeur de produits ou de prestations de services, établi une facture ne comportant pas : la date de la vente ou de la prestation de service, les dénominations précises, tous rabais, remises ou ristournes chiffrables, en l'espèce dans le cadre d'accords de partenariat commercial (article L. 442-6-1, 2° du Code du commerce) contrats dits de "coopération commerciale" qui décrivent l'engagement du distributeur à fournir un avantage reçu, en ayant établi des factures dont les mentions ne permettaient pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus par la société au profit de ces fournisseurs, les produits et les quantités de produits concernés par ces services et les dates précises de résiliation de ces derniers,
Infraction prévue par l'article L. 441-3 al. 2, al. 3, al. 4 du Code du commerce et réprimée par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code du commerce;
Considérant qu'il est fait grief à X SA:
- d'avoir à Morlaix, et en tout cas sur le territoire national, courant 2002 et en tout cas depuis temps non prescrit, dans le cadre d'une activité professionnelle, étant vendeur de produits ou de prestations de services, établi une facture ne comportant pas : la date de la vente ou de la prestation de service, les dénominations précises, tous rabais, remises ou ristournes chiffrables, en l'espèce dans le cadre d'accords de partenariat commercial (article L. 442-6-1, 2° du Code du commerce) contrats dits de "coopération commerciale" qui décrivent l'engagement du distributeur à fournir un avantage reçu, en ayant établi des factures dont les mentions ne permettaient pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus par la société au profit de ces fournisseurs, les produits et les quantités de produits concernés par ces services et les dates précises de résiliation de ces derniers,
Infraction prévue par l'article L. 441-3 al. 2, al. 3, al. 4 du Code du commerce et réprimée par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code du commerce;
En la forme:
L'appel du Ministère public est régulier et recevable en la forme.
Au fond:
Il résulte du dossier et des débats les faits suivants:
Les 4 mars et 14 mars 2002, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, (la DGCCRF) effectuait un contrôle dans le magasin exploité par SA X (magasin Y) portant sur l'application des règles de facturation prescrites par l'article L. 441-3 du Code de commerce qui prévoit que tout achat de produit ou toute prestation de service doit faire l'objet d'une facturation sur laquelle doit figurer un certain nombre de mention obligatoires (nom des parties, date de la vente, quantité, dénomination précise, prix unitaire hors TVA....).
Le contrôle mettait en évidence des anomalies concernant la facturation de la coopération commerciale avec les fournisseurs au sein du département produit frais de l'établissement, placé sous l'autorité de Jean-Bernard B.
Sur les factures relatives à la coopération commerciale convenue avec certains fournisseurs, présentées par Jean-Bernard B, la DGCCRF constatait que:
- l'objet de la facture était libellée sous des mentions qui ne permettaient pas d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus par la société au profit de ses fournisseurs;
- la nature et la quantité des produits concernés étaient libellées sous des mentions qui ne permettaient pas d'identifier avec précision la nature exacte des produits et les quantités concernées par les services rendus au profit des fournisseurs;
- la période de réalisation était libellée sous des mentions qui ne permettaient pas d'identifier avec précision les dates de réalisation des services rendus par la société au profit de ses fournisseurs.
Le 2 mai 2002, un procès-verbal était établi pour infraction aux dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce, notifié le 20 mai 2002 à Jean-Bernard B et à Michel A, Président du conseil d'administration de la SA X, représentant légal de la société.
Lors de son audition, Jean-Bernard B expliquait qu'il était employé dans l'entreprise depuis le 1er octobre 1992 et exerçait au moment du contrôle, la fonction de chef du département des produits frais. Il admettait que les périodes précises de réalisations commerciales n'étaient pas mentionnées sur les factures pour des raisons pratiques. Il reconnaissait qu'il avait en charge la négociation de la coopération commerciale, signait les contrats et les factures.
Michel A indiquait que la discussion des contrats de coopération commerciale était attribuée à Jean-Bernard B, responsable des produits frais. Il ajoutait que chaque facturation correspondait à une prestation réalisée, qu'il connaissait la réglementation mais que techniquement, elle n'était pas réalisable. Devant le tribunal, il invoquait l'existence d'une délégation de pouvoir détaillée au profit de Jean-Bernard B.
Le tribunal est entré en voie de condamnation à l'encontre de Jean-Bernard B et renvoyé Michel A et la SA X des fins de la poursuite.
Devant la cour, Jean-Bernard B indique qu'il ne conteste pas sa culpabilité. Michel A sollicite la confirmation du jugement qui a retenu l'existence d'une délégation de pouvoir au profit de son responsable des produits frais, le mettant hors de cause.
La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, partie intervenante, conclut à la réformation du jugement. Elle soutient que Michel A, en sa qualité de dirigeant de la société, responsable de la politique commerciale de l'entreprise, Jean-Bernard B auteur des factures litigieuses, intervenant exclusivement dans la négociation des contrats de coopération commerciale et ayant reçu délégation de pouvoirs, et enfin, la SA X pour le compte de laquelle l'infraction a été commise, doivent être déclarés coupables des faits reprochés.
Le Ministère public, qui a déposé des conclusions écrites, estime que la délégation de pouvoirs n'est pas valable et qu'elle ne peut exonérer Michel A de sa responsabilité. Il requiert, à titre principal, que le dirigeant de la SA X soit déclaré responsable pénal des infractions relevées. Subsidiairement, il demande que soit confirmée la déclaration de culpabilité de Jean-Bernard B. Il réclame, en tout état de cause, la condamnation de la SA X, l'infraction ayant été commise pour le compte de la personne morale.
Sur quoi
Les prévenus ne contestent pas l'infraction relevée par la DGCCRF dans son procès-verbal du 2 mai 2002.Seule la question de son imputabilité est discutée, le Ministère public contestant la délégation de pouvoirs invoquée par les prévenus et soutenant que la responsabilité pénale de la personne morale est engagée par son représentant.
* La personne physique pénalement responsable:
Le chef d'entreprise a la possibilité de se décharger de sa responsabilité pénale, sauf dans les domaines relevant de la responsabilité ultime d'un dirigeant social. La coopération commerciale, qui consiste, pour le distributeur à fournir un service commercial à son fournisseur ou producteur contre un avantage, peut être confiée à un salarié qui a en charge, les achats, le contrôle des approvisionnements, la gestion des animations promotionnelles et l'organisation d'un secteur important de l'activité de l'entreprise.
Elle ne relève en effet pas du domaine réservé du dirigeant et peut, en conséquence, être déléguée à un responsable, ayant les compétences nécessaires, au sein de l'entreprise.
En l'espèce, Jean-Bernard B était, au moment du contrôle Chef du département des produits frais au sein du magasin, depuis dix ans. Bénéficiant d'un statut de cadre, il a reçu à compter du 1er octobre 1999 une délégation lui conférant les pouvoirs nécessaires au fonctionnement du département dont il avait la charge. La délégation lui fait obligation de respecter la réglementation relative à la liberté des prix et de la concurrence et précisément celle relative aux achats et à la vente, à la facturation et aux contrats de coopération commerciale.
Elle comporte une clause par laquelle les parties conviennent que tout manquement dans ces attributions engage la responsabilité pénale du délégataire, qui l'accepte expressément par la mention "Bon pour acceptation et délégation de pouvoirs et de responsabilité"
Concomitamment à cette délégation de pouvoirs, Jean-Bernard B a bénéficié d'une augmentation de salaire conséquente.
Il est établi qu'il négociait les contrats de coopération commerciale avec les fournisseurs, les signait et établissait les factures correspondantes. Il supervisait plusieurs rayons de produits frais et avait la responsabilité de la gestion de l'ensemble du personnel affecté à ce département.
La délégation de pouvoirs donnée à Jean-Bernard B était donc possible et valable, et c'est par des motifs pertinents que le tribunal a retenu celui-ci dans les liens de la prévention et relaxé le dirigeant, Michel A des fins de la poursuites, la condamnation de l'un étant exclusive de condamnation de l'autre.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Il le sera également sur la peine, adaptée à la nature des faits et à la situation personnelle de Jean-Bernard B.
* La responsabilité de la personne morale:
En droit, l'article 121-2 du Code pénal retient la responsabilité des personnes morales dans les cas prévus par la loi pour les infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants.
Ont la qualité de représentant au sens de ce texte, les personnes pourvues de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale.
En l'espèce, il est établi que Jean-Bernard B, qui avait reçu délégation de pouvoirs notamment pour la négociation des contrats de coopération commerciale, la facturation, les achats et ventes, et avait sous sa responsabilité un secteur important du magasin et le nombreux personnel qui y travaillait, avait la compétence et l'autorité nécessaire. Agissant pour le compte de SA X qui l'employait, il a engagé la responsabilité pénale de la personne morale.
La société X sera déclarée coupable des infractions visées à la préventionet le jugement sera donc infirmé. Sur la peine, le mépris du respect de la réglementation du commerce, l'atteinte à l'ordre public économique qui en résulte justifie la condamnation de la SA X, pour le compte de laquelle l'infraction a été commise à une peine d'amende de 15 000 euros.
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de A Michel, B Jean-Bernard et de la SA X et de la partie intervenante, le ministère de l'Economie et des Finances, En la forme Reçoit l'appel du Ministère public ; Au fond Confirme le jugement en ce qu'il a: - renvoyé Michel A des fins de la poursuite, - déclaré Jean-Bernard B coupable des faits reprochés, condamné Jean-Bernard B à la peine d'amende de 3 000 euros dont 2 500 avec sursis; Constate que l'avertissement prévu à l'article 132-29 du Code pénal n'a pu être donné à Jean-Bernard B, absent, lors du prononcé de l'arrêt, Prononce la contrainte par corps à l'encontre de Jean-Bernard B, Infirme le jugement sur le surplus, et statuant à nouveau, Déclare la SA X coupable des faits qui lui sont reprochés, En répression, La condamne à une peine d'amende de 15 000 euros. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euros dont est redevable chacun des condamnés, Le tout par application des articles susvisés, des articles 800-1,749 et 750 du Code de procédure pénale.