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Décisions

CJCE, 3 juillet 1974, n° 192-73

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Van Zuylen Frères

Défendeur :

Hag AG

CJCE n° 192-73

3 juillet 1974

LA COUR,

1. Attendu que, par jugement du 31 octobre 1973, parvenu au greffe le 28 décembre 1973, le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 5, 30, 36 et 85 du traité, en rapport avec le droit des marques ;

2. Attendu que la première question vise à savoir si les règles communautaires de concurrence, ou celles relatives à la libre circulation des marchandises interdisent au titulaire d'une marque jouissant de la protection légale dans un Etat membre de s'opposer à l'importation de produits qui portent légalement " la même marque " dans un autre Etat membre lorsque, à l'origine, les deux marques appartenaient au même titulaire ;

3. Qu'il ressort du dossier que le titulaire originaire, établi sur le territoire allemand, avait cédé sa marque, en ce qui concerne la Belgique, à une filiale créée et contrôlée par lui, mais devenue indépendante à la suite d'un acte de l'autorité publique ;

4. Qu'aux termes de la question, il n'existe entre les deux titulaires actuels " aucun lien juridique, financier, technique ou économique " ;

5. Que l'application de l'article 85 étant exclue dans ces conditions, la question doit être examinée au regard des seules règles relatives à la libre circulation des marchandises ;

6. Attendu que, par l'effet des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises et, en particulier, de l'article 30, sont prohibées entre Etats membres les mesures restrictives à l'importation et toutes mesures d'effet équivalent ;

7. Qu'aux termes de l'article 36, ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale ;

8. Qu'il ressort cependant de cet article même, notamment de sa deuxième phrase, autant que du contexte que, si le traité n'affecte pas l'existence des droits reconnus par la législation d'un Etat membre en matière de propriété industrielle et commerciale, l'exercice de ces droits n'en peut pas moins, selon les circonstances, être affecté par les interdictions du traité ;

9. Qu'en tant qu'il apporte une exception à l'un des principes fondamentaux du Marché commun, l'article 36 n'admet, en effet, des dérogations à la libre circulation des marchandises que dans la mesure où ces dérogations sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété ;

10. Qu'ainsi, de toute manière, l'application de la législation relative à la protection des marques protège le détenteur légitime d'une marque contre la contrefaçon de la part de personnes dépourvues de tout titre juridique;

11. Attendu que l'exercice du droit de marque est de nature à contribuer au cloisonnement des marchés et de porter ainsi atteinte à la libre circulation des marchandises entre Etats membres, d'autant plus qu'à la différence d'autres droits de propriété industrielle et commerciale il n'est pas sujet à des limitations dans le temps ;

12. Qu'on ne saurait dès lors admettre que l'exclusivité du droit de marque qui peut être la conséquence de la limitation territoriale des législations nationales soit invoquée par le détenteur d'une marque en vue d'interdire la commercialisation, dans un Etat membre, de marchandises légalement produites dans un autre Etat membre sous une marque identique, ayant la même origine ;

13. Qu'en effet, une telle interdiction, consacrant l'isolement des marches nationaux, se heurterait à l'un des buts essentiels du traité, qui tend à la fusion des marchés nationaux dans un marché unique ;

14. Que si, dans un tel marché, l'indication de l'origine d'un produit de marque est utile, l'information, à ce sujet, des consommateurs peut être assurée par des moyens autres que ceux qui porteraient atteinte à la libre circulation des marchandises ;

15. Que, des lors, le fait d'interdire la commercialisation, dans un Etat membre, d'un produit portant légalement une marque dans un autre Etat membre, au seul motif qu'une marque identique, ayant la même origine, existe dans le premier état, est incompatible avec les dispositions prévoyant la libre circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun ;

16. Attendu que, par la deuxième question, il est demandé s'il en serait de même si la commercialisation du produit de marque était effectuée non par le titulaire de la marque dans l'autre Etat membre, mais par un tiers qui a régulièrement acquis le produit dans cet état ;

17. Attendu que, si le titulaire d'une marque dans un Etat membre peut lui-même mettre en vente le produit de marque dans un autre Etat membre, il en va de même pour un tiers qui a régulièrement acquis ce produit dans le premier état ;

18. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;

19. Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions a elle soumises par le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg par jugement du 31 octobre 1973, dit pour droit :

1) Le fait d'interdire la commercialisation, dans un Etat membre, d'un produit portant légalement une marque dans un autre Etat membre, au seul motif qu'une marque identique, ayant la même origine, existe dans le premier état, est incompatible avec les dispositions prévoyant la libre circulation des marchandises à l'intérieur du Marché commun ;

2) Si le titulaire d'une marque dans un Etat membre peut, lui-même, mettre en vente le produit de marque dans un autre Etat membre, il en va de même pour un tiers qui a régulièrement acquis ce produit dans le premier état.