Conseil Conc., 4 novembre 2004, n° 04-D-51
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demande de mesures conservatoires présentée par la société Lastminute.com
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Kownator, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Pinot, ainsi que MM. Bidaud, Charrière-Bournazel, Honorat, Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence, (section I),
Vu la lettre enregistrée le 25 juin 2004, sous les numéros 04/0043 F et 04/0044 M, par laquelle la société Lastminute.com a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la SNCF, GL e-commerce, Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc. et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité CE ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Lastminute.com, SNCF, GL e-commerce, Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc. et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés Lastminute.com, SNCF, GL e-commerce, Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc., entendus lors de la séance du 13 octobre 2004 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. La saisine
1. La société Lastminute.com, agence de voyages en ligne, a saisi, le 25 juin 2004, le Conseil de la concurrence de l'illicéité de la création de l'entreprise commune GL-Expedia, de l'octroi de subventions croisées illicites par la SNCF à GL e-commerce, Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc. ainsi que de pratiques discriminatoires de la SNCF à l'encontre des agences de voyages en ligne.
2. Lastminute.com fait valoir que ces pratiques, qui ne permettent pas aux agences de voyages en ligne d'accéder au marché de la distribution de billets de train dans des conditions normales de concurrence, doivent être sanctionnées au titre des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et des articles 81 et 82 du traité. Cette saisine est accompagnée d'une demande de mesures conservatoires tendant à ce qu'une injonction soit faite à la SNCF, GL e-commerce, Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc. de cesser les pratiques mises en ouvre à l'encontre des agences de voyages en ligne.
B. Les entreprises
1. La société Lastminute.com
3. La filiale française du groupe britannique Lastminute.com, créée en septembre 1999, exerce exclusivement une activité de vente de voyages en ligne, notamment sur les sites internet www.lastminute.com, www.degriftour.com, www.travelprice.fr. Le 15 juin 2004, la société a ouvert un point de retrait de documents et titres de voyages, situé 66 avenue des Champs-Elysées, à Paris. En tant qu'intermédiaire indépendant, Lastminute.com achète des produits ou services à des prestataires de voyages et de loisirs pour les revendre soit isolément soit sous forme " pré-packagée ", c'est-à-dire préalablement assemblée par l'agence elle-même ou un tours-opérateur tiers. En outre, depuis juin 2003, Lastminute.com offre du " e-package " ou " package dynamique " pour la vente de voyages incluant des billets d'avion.
2. La SNCF
4. Conformément à l'article 18 alinéa 3 de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), l'établissement public et commercial a pour objet " d'exploiter, selon les principes du service public, les services de transport ferroviaire sur le réseau ferré national ".
5. Sur le marché de la distribution de billets de train, la SNCF dispose de ses propres canaux de distribution ; dès 1997, la SNCF a utilisé l'Internet d'abord à titre informationnel, puis comme canal de vente. En 2004, la SNCF réalisera un volume d'affaires prévisionnel de 5 milliards d'euros, pour l'ensemble de ses canaux de distribution (guichets et bornes libre-service des gares, centres d'appels téléphoniques " Lignes Directes ", boutiques SNCF, site www.voyages-sncf.com).
3. GL e-commerce
6. GL e-commerce, créée en août 2000, a pour objet d'étudier les opportunités de développement dans les domaines du commerce et des communautés sur Internet et de nouer des partenariats ou de gérer des participations de la SNCF dans les secteurs des voyages.
7. Depuis le 29 décembre 2000, GL e-commerce détient 100 % des parts de Voyages-sncf.com. En outre, GL e-commerce exerce une activité de prestataire de services techniques et informatiques pour les sociétés du groupe SNCF. Ainsi, GL e-commerce gère le " Core Booking Engine " (interface web permettant l'accès au système de réservation Résarail de la SNCF) mis à sa disposition par Voyages-sncf.com, sur la base duquel GL e-commerce a développé, en août 2001, le système RAVEL pour les agences de voyages en ligne agréées par la SNCF et désireuses de vendre du train en ligne.
4. Voyages-sncf.com
8. Voyages-sncf.com, société créée en juin 2000, exerce deux activités : d'une part, Voyages-sncf.com fournit les informations relatives aux horaires des trains (partie informationnelle du site) et ne perçoit à ce titre aucune rémunération ; d'autre part, depuis octobre 2000, Voyages-sncf.com distribue les produits ferroviaires de la SNCF sur Internet, moyennant le paiement d'une commission. Le 12 septembre 2001, Voyages-sncf.com a conclu un mandat de distribution avec la SNCF, avec effet rétroactif au 1er janvier 2001. Depuis janvier 2004, Voyages-sncf.com ne distribue plus que deux types de produits ferroviaires, des billets de train et des formules " train + voiture AVIS ".
9. Voyages-sncf.com a réalisé un volume d'affaires d'environ 600 millions d'euro en 2004, soit 98 % des ventes en ligne de billets de train sur le segment loisir.
5. Expedia Inc.
10. Expedia Inc., société de droit américain créée en 1996, est l'un des cinq plus grands voyagistes en ligne mondiaux. Expedia Inc. a créé le 5 septembre 2001, avec la SNCF, l'agence de voyages virtuelle GL-Expedia et a ouvert en outre, le 19 juin 2004, le site www.expedia.fr.
6. Gl-Expedia
11. L'entreprise commune GL-Expedia, créée le 5 septembre 2001 par GL e-commerce et Expedia Inc., a pour objet la commercialisation, en tant qu'agence de voyages, au travers du site localisé à l'adresse URL www.voyages-sncf.com, de tous les produits hors train (billets d'avion, locations de voitures, séjours hôteliers), les produits ferroviaires étant distribués par Voyages-sncf.com.
12. En 2004, GL-Expedia réalisera environ 6 à 7 % du volume total des ventes de voyages en ligne (hors billets de train).
C. Le secteur de la distribution de billets de train
13. La SNCF, en tant que transporteur ferroviaire, produit les billets de train, accessibles par l'intermédiaire du système central de réservation de la SNCF, Résarail, lequel comporte un inventaire, une présentation des tarifs publics ainsi que des informations relatives à la disponibilité des places. Le secteur de la distribution de billets de train comporte deux niveaux différents, la vente en gros de billets de train (niveau I), la vente au détail de billets de train (niveau II).
1. La vente en gros de billets de train
14. Sont actifs à ce niveau 15 tours-opérateurs, ayant conclu des contrats de tours-opérateurs et bénéficiant à ce titre de remise sur quantités négociées avec la SNCF (tarifs RIT), en général de l'ordre de 15 %. Sur le Net, la politique de la SNCF est de ne pas pratiquer de tarifs RIT, y compris à l'égard de sa filiale Voyages-sncf.com.
2. La vente au détail de billets de train
15. A ce niveau, tous les canaux de distribution (canaux SNCF, tours-opérateurs n'ayant pas conclu de contrat de tour-opérateur avec la SNCF, agences de voyages physiques et virtuelles) sont en concurrence. S'agissant des agences virtuelles, deux catégories peuvent être distinguées : les "pure players" (Lastminute.com, Rue du Commerce, Karavel ...) par opposition aux agences de voyages physiques, qui ont progressivement migré vers l'Internet (la SNCF, Accor, Carlson Wagon-Lits Travel...). Seules peuvent exercer une activité de distribution de billets de train en ligne, les agences de voyages agréées par la SNCF et détentrices d'une licence d'utilisation Ravel (interface web entre Résarail et le site Internet de l'agence virtuelle).
16. Le logiciel Ravel comporte trois niveaux de fonctionnalités (Ravel Classic, Ravel Premier, Ravel Web Services).
17. Avec Ravel Classic, l'internaute navigue dans un environnement SNCF durant toute la commande. L'agence décide du mode de paiement et de retrait des billets. Ravel Premier bénéficie des mêmes fonctionnalités moyennant une intégration plus approfondie de Ravel dans la page d'accueil de l'agence et, surtout, permet à l'agence de proposer des ventes croisées (offre de produits complémentaires à la suite de la réservation par l'internaute d'un billet de train). En cas d'achat d'une offre combinée (billets de train + séjour hôtelier), via Ravel Classic ou Ravel Premier, deux prix distincts afférents à chacun des produits en cause sont affichés sur le site.
18. Ravel Web Services, lancé en juin 2004, constitue le niveau de fonctionnalité le plus sophistiqué, ce logiciel permettant à l'agence d'offrir le " e-package " ou " voyage sur-mesure ". Ainsi, l'internaute choisit le trajet de train, le séjour hôtelier, les paramètres (jours et horaires de départ et de retour ...) et assemble les produits. Un tarif global est communiqué au client comprenant le prix du billet de train (tarif public), celui du séjour ainsi que la marge appliquée, le cas échéant, par l'agence ; à aucun moment, le client n'a connaissance du prix distinct de chacun des produits en cause.
D. Les pratiques alléguées
19. La société Lastminute.com dénonce trois types de pratiques anti-concurrentielles : la création prétendument anti-concurrentielle de la filiale commune, GL-Expedia, l'octroi de subventions croisées illicites par la SNCF ainsi que des pratiques anti-concurrentielles discriminatoires de la SNCF.
20. Selon la partie saisissante, GL-Expedia ne constituerait pas une entreprise commune de plein exercice ; sa création aurait été effectuée en violation des règles relatives au contrôle des concentrations. Au surplus, cet accord constituerait un " accord entre concurrents réels sur le secteur de la vente en ligne de prestations de transport et de voyage ", en contravention avec l'article 81 du traité CE.
21. La partie saisissante dénonce aussi l'octroi de subventions croisées illicites de la SNCF en faveur de Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc. Ces subventions croisées consisteraient, d'une part en l'utilisation d'une marque dérivée de celle de la SNCF pour Voyages-sncf.com, GL-Expedia et Expedia Inc, d'autre part en la mise à disposition de ressources marketing (fichier-client, publicité institutionnelle, présence de l'enseigne Voyages-sncf.com à titre exclusif sur les publicités, brochures horaires et affiches) au bénéfice de ces mêmes entités.
22. Par ailleurs, selon Lastminute.com, des pratiques anti-concurrentielles discriminatoires seraient commises par la SNCF, visant à avantager Voyages-sncf.com vis-à-vis des agences de voyages en ligne.
23. La partie saisissante dénonce, tout d'abord, l'octroi par la SNCF de conditions techniques et tarifaires discriminatoires en matière d'émission de billets, ayant pour objet l'éviction de concurrents (taux de commission plus faibles pour les agences virtuelles en comparaison des agences physiques, perte totale de commission pour les agences virtuelles en cas de retrait d'un billet de train en gare, indisponibilité de la technologie du billet électronique).
24. Lastminute.com fait état, ensuite, de discriminations concernant les offres promotionnelles de la SNCF, lesquelles ne permettraient pas aux agences de voyages en ligne d'offrir des offres combinées et ainsi de concurrencer Voyages-sncf.com et dénonce la mise à disposition exclusive de Voyages-sncf.com de certaines fonctionnalités d'accès au système de réservation de billets de train (technologie du billet électronique, indisponibilité de Ravel Web Services pour les agences exclusivement virtuelles).
25. Enfin, les agences de voyages en ligne se trouveraient dans l'impossibilité de différencier leurs tarifs de revente de billets de train, en l'absence de tarifs RIT sur le Net.
II. Discussion
A. Sur la recevabilité de la saisine au fond
1. Sur la procédure
26. Dans la lettre de transmission de la saisine, le rapporteur général avait indiqué aux parties à la présente procédure qu'elles pouvaient remettre leurs observations jusqu'au 13 septembre 2004. La partie saisissante a produit un mémoire complémentaire à sa saisine, qui a été enregistré au Conseil de la concurrence le 5 octobre 2004 et adressé aux sociétés mises en cause ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, le même jour.
27. La SNCF et GL Expédia soutiennent, par lettres déposées le 7 octobre 2004, que ce mémoire complémentaire n'est pas recevable comme ayant été déposé après la période fixée par le rapporteur général pour l'exercice des droits de la défense des sociétés mises en cause. Elles ajoutent que la remise tardive de ce mémoire les ont privées du temps utile pour préparer leur défense.
28. Comme l'a déjà relevé le Conseil de la concurrence dans ses décisions n° 01-MC-06 du 19 décembre 2001, n° 01-MC-07 du 21 décembre 2001, n° 03-D-41 du 4 août 2003 et 03-MC-03, aucune disposition du Code de commerce et du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 n'impose de délais pour la mise en état des procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence et dont l'instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d'éléments possibles sur le bien-fondé de la demande. Lorsque le rapporteur général, usant de la faculté qu'il tient de l'article 34 du décret précité, décide, en vue d'assurer une meilleure organisation du débat de fixer des délais aux parties pour le dépôt de leurs écritures, le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure, dès lors que les parties adverses ont bénéficié d'un temps suffisant pour y répondre et assurer ainsi leur défense au regard des pièces ainsi produites.
29. La Cour d'appel de Paris a, dans un arrêt du 12 février 2004 SAEM /NMPP, rappelé que " les principes inscrits à l'article 6 de la CEDH, qui sont applicables à la procédure prévue par l'article L. 464-1 du Code de commerce, doivent s'apprécier au regard de l'urgence qui la caractérise ; (...) si le rapporteur général peut fixer des délais pour la production des mémoires et des observations qu'ils provoquent en application de dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce et de l'article 34 du décret du 30 avril 2002, le dépôt d'écritures et de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait à lui seul justifier leur rejet de la procédure, dès lors que les parties ont disposé d'un temps suffisant pour y répondre ".
30. En l'espèce, le mémoire complémentaire de Lastminute.com, enregistré le 5 octobre 2004 au Conseil, a été diffusé aux parties mises en cause le même jour, soit une semaine avant la tenue de la séance fixée au 13 octobre 2004. Les sociétés mises en cause ont donc bénéficié d'un temps raisonnable pour en prendre connaissance et éventuellement produire des observations écrites. Il a été également possible à ces dernières de répliquer en séance. Le principe du contradictoire a donc été respecté, les sociétés ayant pu organiser leur défense au vu des éléments apportés par ces écritures. Il n'y a pas lieu, en conséquence, d'écarter du dossier le mémoire complémentaire du saisissant, enregistré le 7 octobre 2004.
2. Sur le fond
31. Conformément à l'article 42 du décret du 30 avril 2002 " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond est recevable et ne soit pas rejetée faute d'éléments suffisamment probants, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce, selon lequel le Conseil de la concurrence, " (...) peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".
a) Sur les marchés concernés
32. Les pratiques dénoncées ont été commises dans le secteur de la distribution de billets de train. Le marché " amont ", à savoir celui du transport de voyageurs par voie ferroviaire, est de dimension nationale et la SNCF y dispose d'un monopole.
33. S'agissant de la distribution de billets de train sur le segment loisir, l'offre émane de la SNCF qui, en tant que transporteur, produit des billets de train qui sont ensuite vendus par des intermédiaires (tours-opérateurs, agences de voyages, canaux de distribution de la SNCF) aux consommateurs finals. A ce stade de l'instruction, il n'est pas exclu que le marché national de la distribution de billets de train sur le segment loisir constitue un marché distinct et que, sur ce marché, la SNCF détienne une position dominante.
34. Selon Lastminute.com, les pratiques dénoncées dans la saisine engendreraient des effets anti-concurrentiels dans le secteur de la vente de voyages en ligne. Si la question de la définition d'un marché pertinent pour la vente de voyages en ligne est toujours ouverte en droit communautaire, les caractéristiques actuelles de ce secteur pourraient désormais attester de l'existence d'un marché distinct.
35. En premier lieu, la demande qui s'exerce sur ce marché semble spécifique. Ainsi que l'attestent divers documents produits par les sociétés mises en cause, le marché français de l' " e-tourisme " qui a désormais atteint une certaine maturité, attire des clients autonomes en vue de l'élaboration de longs voyages (avérée en cas de " e-package ") et est caractérisé par un niveau d'exigence plus élevé (en termes de prix, qualité, disponibilité, fiabilité, flexibilité, service, information...). Les agences de voyages physiques, eu égard à l'existence de contraintes spécifiques (horaires d'ouvertures, catalogue plus limité ...), ne semblent plus en mesure de pouvoir satisfaire les exigences spécifiques de cette clientèle.
36. En second lieu, du fait de l'existence de sites comparant les prix, tels que Kelkoo et de coûts fixes moindres, les agences de voyages en ligne semblent soumises à une pression concurrentielle plus forte sur les prix que les agences de voyages physiques.
37. Enfin, contrairement aux allégations des sociétés mises en cause, les auditions réalisées par la rapporteure ont fait apparaître la part très marginale du multi-canal (utilisation par les agences virtuelles d'infrastructures physiques telles que des centres d'appels téléphoniques) pour l'activité billetterie (75 % du volume d'affaires) des agences de voyages. En outre, seules certaines agences de voyages ayant transféré une partie de leurs activités sur le Net, conservent une implantation physique (par opposition aux " pure players ").
38. A ce stade de l'instruction, au vu des éléments versés au dossier, il n'est donc pas exclu que la vente de voyages en ligne constitue un marché distinct, connexe du marché de la distribution de billets de train.
b) Sur les pratiques anticoncurrentielles dénoncées
39. La filiale de la SNCF, voyages-sncf.com, mandataire exclusif de la SNCF pour la vente en ligne de produits ferroviaires, est aussi chargée de gérer les interfaces entre son site www.sncf.com et le système de réservation de la SNCF, Résarail. Elle occupe donc une position stratégique. En outre, au travers de son site, elle commercialise les produits de GL-Expedia, agence de voyages en ligne et filiale de la SNCF qui vend des offres combinant le train et d'autres prestations touristiques.
40. Les agences de voyages en ligne, concurrentes de GL Expédia qui désirent vendre des offres combinées, doivent passer par voyages-sncf.com pour acheter les produits ferroviaires nécessaires à la confection de leurs offres.
41. Il n'est pas exclu, à ce stade de l'instruction, que les pratiques dénoncées par la partie saisissante et notamment les pratiques, selon elle, discriminatoires par lesquelles la SNCF avantagerait ses filiales voyages-sncf.com et GL Expedia par rapport aux agences de voyage en ligne concurrentes, soient contraires aux dispositions des articles L. 420-1 et 420-2 du Code de commerce ainsi que des articles 81 et 82 du traité CE.
B. Sur la demande de mesures conservatoires
42. Accessoirement à sa saisine au fond, Lastminute.com demande au Conseil de la concurrence de prononcer, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires suivantes :
* Suspendre la confusion (...) entre les activités exercées en monopole par la SNCF et les activités exercées en concurrence par le partenariat qu'elle a mis en place avec Expedia et en particulier, l'utilisation des moyens marketing provenant du monopole de la SNCF, de l'usage de la marque SNCF, de l'utilisation des données clientèle collectées à l'occasion de la vente de billets de transport ferroviaire sur le site "Voyages-sncf.com", au profit de l'entreprise commune créée par la SNCF et Expedia et au profit d'Expedia ;
* Suspendre tout différentiel tarifaire en matière de commissionnement entre les agences en ligne, les agences physiques et les filiales ou départements de la SNCF agissant dans ce domaine qui ne reposeraient pas sur des contreparties objectives et dûment justifiées ;
* Enjoindre à la SNCF de mettre à la disposition de Lastminut.com (i) les mêmes fonctionnalités en matière d'accès à son système de réservation que celles dont dispose Voyages-sncf.com, en lui permettant notamment d'avoir accès à l'ensemble des tarifs, y compris les tarifs Prem's, Dernières Minute et RIT, dans des conditions techniques lui permettant de différencier ses prestations, notamment en fixant le prix de la prestation de transport et (ii) mettre à disposition de Lastminute les mêmes moyens dont elle dispose pour imprimer les billets en ligne ;
* Suspendre la vente en ligne sur le site " Voyages-sncf.com " de toute prestation de voyages combinant la vente d'un billet ferroviaire et d'une prestation de voyage tant que la mesure 3 n'est pas satisfaite, selon des conditions similaires à celles imposées par le Conseil dans sa décision n° 02-MC-03 du 27 février 2002 ".
1. Sur l'atteinte grave et immédiate à l'économie en général, au secteur de la vente de voyages en ligne et aux consommateurs
43. En premier lieu, le marché de l' " e-tourisme " est le secteur le plus dynamique de l'e-commerce en France, avec un taux de croissance de plus de 32 % par an, caractérisé par l'arrivée de nouveaux entrants (Travelocity, C-Discount, Nouvelles-Frontières, Expedia.fr). L'impact bénéfique résultant de l'arrivée de ces nouveaux entrants contribuerait, selon certains concurrents " à éduquer le consommateur " et serait ainsi " bénéfique à tout le monde ".
44. En second lieu, le volume d'affaires (0,5 % du volume d'affaires de Voyages-sncf.com) généré par les ventes d'offres combinées incluant la vente de billets de train, est très marginal en raison de la réticence du consommateur français vis-à-vis de la réservation et du paiement en ligne pour des produits dont le prix du panier moyen est relativement plus élevé que pour des billets " secs ". Compte tenu du faible volume d'affaires en cause, l'atteinte grave et immédiate au secteur de la vente de voyages en ligne n'est pas caractérisée.
2. Sur le trouble grave et immédiat à l'entreprise plaignante
45. La société Lasminute.com a elle-même fait état, dans des communiqués de presse récents, de résultats financiers en progression. C'est ainsi que l'édition du 7 septembre 2004 du Quotidien du tourisme contient le communiqué suivant : " Chez Lastminute.com, Pierre X..., directeur général, évoque une hausse de 45 % de son chiffre d'affaires tant pour les vols que pour les séjours comparés à l'été 2003 ". Par ailleurs, sur le site www.lastminute.com, sous la rubrique " résultats financiers trimestriels ", en août 2004 figurait la mention suivante, relative à l'entreprise Lastminute.com : " Une bonne croissance dans un contexte difficile ". L'atteinte grave et immédiate aux intérêts de l'entreprise n'est donc pas démontrée.
46. Enfin, s'agissant des offres combinées que la Société Lasminute.com ne pourrait proposer faute d'accès à Ravel Web Services, Lastminute.com n'a pas démontré en quoi le défaut de mise en place de Ravel Web Services était imputable à la SNCF.
47. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la demande de mesures conservatoires doit être rejetée.
Décision
Article unique : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 04/0044 M est rejetée.