Cass. com., 12 octobre 2004, n° 02-13.404
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Ronéo (SA)
Défendeur :
Madonna (ès qual.), Drôme bureau (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Bélaval
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
Me Spinosi, SCP Boré, Salve de Bruneton
LA COUR : - Statuant, tant sur le pourvoi principal formé par la société Ronéo que sur le pourvoi incident relevé par M. Madonna, ès qualités : - Attendu, selon les arrêts attaqués (Grenoble, 23 septembre 1999 et 17 janvier 2002), que suivant contrat du 22 mai 1992, la société Drôme bureau, dont l'activité consistait dans l'achat et la vente de meubles et d'équipements de bureau, s'est engagée à s'approvisionner pour 75 % au moins auprès de la société Ronéo, cette dernière s'engageant à mettre à la disposition de sa cliente un certain nombre de services ; qu'un audit financier de la société Drôme bureau a été commandé par la société Ronéo en janvier 1993 qui a révélé que l'entreprise était en difficulté ; que, le 15 mars 1993, la société Ronéo et la société Drôme bureau ont conclu un accord sur les modalités d'apurement de la créance de la société Ronéo ; que la société Drôme bureau a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 9 février et 8 juin 1994 ; que M. Madonna, désigné liquidateur, a engagé contre la société Ronéo une action en responsabilité pour soutien abusif et concurrence déloyale ;
Sur le second moyen du pourvoi principal n° 02-13.404, pris en ses diverses branches : - Attendu que la société Ronéo fait grief à l'arrêt du 23 septembre 1999 d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Drôme bureau, en redressement judiciaire, en vendant directement à des clients de cette société, alors, selon le moyen : 1°) que la concurrence déloyale repose sur un fondement délictuel ; qu'en se fondant sur le seul non-respect, par la société Ronéo, d'un accord de facturation qui la liait à la société Drôme bureau, et en ne caractérisant ainsi aucun acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 2°) qu'il n'existe aucun usage fixant à deux années de profit le préjudice subi par un distributeur du fait des actes de concurrence déloyale commis par un fournisseur non exclusif et que l'usage existant en matière d'agence commerciale n'est pas applicable au contrat de distribution ; qu'en fixant le préjudice en se référant à un usage qui n'existait pas ou qui n'était pas applicable, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) qu'en ne justifiant pas de l'existence d'un usage spécifique applicable aux actes de concurrence déloyale commis à l'occasion d'un contrat de distribution non exclusive, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que, loin de se fonder sur le non-respect par la société Ronéo d'un accord de facturation, l'arrêt retient que cette dernière a procédé à des ventes directes à des clients de la société Drôme bureau, ne se confondant pas avec un transfert de facturation ;que le moyen, pris en sa première branche, manque en fait ;
Attendu, en second lieu, que les deuxième et troisième branches du moyen sont exclusivement dirigées contre des motifs de l'arrêt dont le dispositif ne comporte aucun chef relatif à la fixation du préjudice ; d'où il suit que le moyen n'est recevable en aucune de ses branches ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal n° 02-13.404, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour dire que la société Ronéo a abusivement soutenu la société Drôme bureau, l'arrêt, après avoir relevé que l'audit financier de la société Drôme bureau commandé en janvier 1993 concluait à une probabilité de défaillance de 80 %, à d'importants problèmes de solvabilité, à l'augmentation non négligeable du montant des crédits fournisseurs, à un risque liquidatif plus élevé qu'à l'issue de l'exercice précédent et à d'importantes difficultés privant l'entreprise de rentabilité, retient que la société Ronéo a mis en place un échéancier le 15 mars 1993 pour le remboursement de sa seule créance et a consenti un moratoire à la même fin, prolongeant ainsi l'activité déficitaire de la société Drôme bureau dont elle savait par l'audit financier qu'elle n'était pas rentable et qu'elle travaillait à perte ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans préciser en quoi la situation de la société Drôme bureau était irrémédiablement compromise au moment où la société Ronéo a consenti les délais de paiement et si celle-ci le savait ou aurait dû le savoir, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et attendu qu'en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 23 septembre 1999 du chef de la responsabilité pour soutien abusif entraîne la cassation par voie de conséquence de l'arrêt du 17 janvier 2002 en ce qu'il a condamné la société Ronéo à des dommages-intérêts de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a jugé que la société Ronéo avait commis des fautes à l'encontre de la collectivité des créanciers en prolongeant, dans son seul intérêt, l'activité déficitaire de la société Drôme bureau, l'arrêt rendu entre les parties par la Cour d'appel de Grenoble le 23 septembre 1999 ; Constate l'annulation, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Ronéo à payer à M. Madonna, ès qualités, la somme de 1 845 455,42 francs, soit 281 362,31 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du soutien abusif, l'arrêt rendu entre les parties par la Cour d'appel de Grenoble le 17 janvier 2002 ; Remet la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon.