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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 21 septembre 2004, n° ECOC0400320X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie

Défendeur :

Spie Trindel (Sté) ; Allez et Cie (Sté) ; Rivet (Sté) ; EI-Réseaux Ouest (Sté) ; Lacombe Réseaux (Sté) ; Charentaise d'équipement électrique (Sté) ; Robin (Sté) ; Union électrique industrielle et rurale (Sté) ; LW Conseil (Sté) ; Sobeca (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Albertini

Substitut général :

M. Woirhaye

Conseillers :

MM. Maunand, Remenieras

Avoués :

SCP Narrat Peytavi, SCP Bernade-Chardin-Cheviller, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Charpentier, Utzschneider, Meyung-Marchand, Bousquet, Fourgoux, Rameau, Girerd

CA Paris n° ECOC0400320X

21 septembre 2004

Le syndicat départemental d'électrification et d'équipement rural (SDEER) de la Charente Maritime organise depuis 1986 le service d'entretien de l'éclairage public, et, à cet effet, procède tous les trois ans à un appel d'offres pour la réalisation des travaux de modernisation, d'extension et d'entretien des réseaux d'éclairage public. Il assurait également, à l'époque considérée, la maîtrise d'ouvrage pour les travaux de génie civil du réseau téléphonique, uniquement en ce qui concerne la mise en souterrain des réseaux.

Pour la période 1993/1995, l'appel d'offres a été publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics du 3 juillet 1993, la date limite de réception des offres étant fixée au 2 août 1993 et celle de la réunion de la commission d'ouverture des plis, au 4 août 1993.

Les propositions de prix devaient prendre la forme d'un rabais ou d'une majoration s'appliquant aux prix des prestations décrites dans le bordereau de prix unitaires (BPU) figurant dans le dossier d'appel d'offres. Les travaux faisant l'objet de l'appel d'offres étaient répartis en neuf lots et les entreprises avaient la possibilité de soumissionner pour plusieurs lots, à condition de faire des offres distinctes. Le montant total estimatif annuel des travaux se situait dans une fourchette allant de 25 800 000 F HT à 49 000 000 F HT. Trente deux entreprises ont présenté des offres, individuellement ou en groupement.

La commission d'examen des offres a attribué les lots 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10 aux entreprises ayant proposé le coefficient le plus faible, ces entreprises ayant toute donné satisfaction dans l'exécution de chantiers de même nature." :

- lot 1 : Spie-Trindel - Entreprise industrielle (EI),

- lot 2 : Entreprise Allez,

- lot 3 : Rivet et Entreprise industrielle,

- lot 4 : Lacombe réseaux,

- lot 5 : Sobeca,

- lot 6 : Charentaise d'équipement électrique (CEE),

- lot 7 : CEE et Electro entreprise charentaise (2EC),

- lot 9 : Entreprise Robin,

- lot 10 : Union électrique industrielle et rurale (UEIR).

Avant le lancement de l'appel d'offres, dix entreprises déjà titulaires de marchés d'électrification, les sociétés Spie-Trindel, Allez, Rivet, Entreprise industrielle (dont la dénomination actuelle est EI réseaux ouest), Lacombe réseaux, Charentaise d'équipement électrique, Robin, Union électrique industrielle et rurale, Electro entreprise charentaise (EEC), (dont la dénomination actuelle est SA 2EC), et Sobeca, ont proposé au SDEFR de procéder à l'actualisation du BPU, alors en vigueur.

Ces entreprises se sont réunies à Rochefort, les 5 et 14 octobre 1992, 11 janvier 1993, 4, 10 et 16 février 1993, 9 et 22 mars 1993, 8 et 16 juin 1993. Après avoir défini des bases de calcul communes, elles se sont réparties en deux groupes d'études, l'un spécialisé dans les travaux aériens, l'autre dans les travaux souterrains.

A l'issue de leurs études, les entreprises ont présenté des propositions au SDEER dont elles ont rencontré le directeur le 16 juin 1993. Un nouveau BPU a été élaboré par le SDEER, sensiblement différent de celui proposé par les entreprises.

Le 5 juillet 1996, la brigade inter régionale d'enquêtes de Nantes a établi un rapport sur la situation de la concurrence dans le secteur des travaux de l'électrification rurale, dans le département de la Charente Maritime en 1993.

Par lettre enregistrée le 28 août 1996, sous le n° F 899, le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de concertation entre les sociétés soumissionnaires de marchés publics, mises en œuvre dans le secteur des travaux d'électrification rurale réalisés dans ce département.

Les sociétés Spie Trindel, Allez, Rivet, Entreprise industrielle (EI), Lacombe réseaux, Sobeca, Charentaise d'équipement électrique (CEE), Electxo entreprise charentaise (EEC), Robin, Union électrique industrielle et rurale (UEIR) se sont vu notifier, sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce, les griefs suivants:

- avoir participé antérieurement à la remise des offres à une concertation, en vue de réviser le bordereau de prix unitaires, qui s'est traduite par un échange d'informations sur des éléments fondamentaux de formation des prix qui a eu pour objet et pour effet de réduire l'indépendance de leurs offres du 3 juillet 1993 pour le marché de travaux de l'électrification du département de la Charente Maritime;

- avoir participé à une concertation, préalablement au dépôt de leurs soumissions, qui a en pour objet et pour effet de coordonner leurs offres en vue de maintenir la répartition des marchés au bénéfice des titulaires antérieurs et d'empêcher ainsi la remise en cause du partage par des offres extérieures compétitives;

Il a été également fait grief aux sociétés Charentaise d'équipement électrique (CEE), Union électrique industrielle et rurale (UEIR) d'avoir trompé le maître d'œuvre sur la réalité de la concurrence de leurs offres. Cette pratique étant contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Par décision n° 04-D-04 en date du 20 février 2004, le Conseil de la concurrence a dit qu'il n'est pas établi que les sociétés Spie Trindel, Allez, Exploitation des établissements Rivet SA, Entreprise industrielle réseaux Ouest SA, Lacombe réseaux SA, Sobeca SA, SARL Charentaise d'équipement électrique (CEE) SA 2EC (Electro entreprise charentaise), Robin SA, Union électrique et rurale, (UEIR), aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Suivant déclaration déposée au greffe le 24 mars 2004, le ministre chargé de l'Economie a formé recours en réformation contre cette décision;

LA COUR,

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe le 19 avril 2004;

Vu la lettre en date du 6 mai 2004 par laquelle le Conseil de la concurrence fait connaître à la cour qu'il n'entend pas user de la faculté de présenter des observations que lui confère l'article 9 du décret du 19 octobre 1987;

Vu le mémoire déposé au greffe le 3 juin 2004, aux termes duquel la société Robin, demande à la cour de statuer ce que de droit sur la recevabilité du recours, de dire ce recours mal fondé, de confirmer la décision et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 3 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire déposé au greffe le 3 juin 2004 aux termes duquel la société EI-Réseaux-Ouest, demande à la cour de déclarer le recours mal fondé, de confirmer la décision et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les observations en réponse déposées au greffe le 3 juin 2004 aux termes desquelles l'entreprise Rivet demande à la cour de rejeter le recours et de confirmer la décision;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société LW Conseil, agissant ès qualités de liquidateur de la société 2EC, société anonyme en cours de liquidation, demande à la cour de dire le recours mal fondé, de dire que la qualification d'entente doit être écartée et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société SOBECA, demande à la cour de statuer sur la recevabilité du recours, de constater que le recours est limité au grief n° 1, de confirmer la décision et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société Spie Trindel SA, demande à la cour de dire le recours irrecevable et mal fondé et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société Allez & Cie SCS, demande à la cour de dire le recours irrecevable et mal fondé et de condamner le ministre de l'Economie au paiement de la somme de 25 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société Lacombe réseaux, demande à la cour de rejeter le recours;

Vu le mémoire déposé au greffe le 4 juin 2004 aux termes duquel la société Charentaise d'équipement électrique demande à la cour de dire le recours mal fondé, de débouter le ministre de l'Economie et de le condamner au paiement de la somme de 7 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les observations du ministère public visant au rejet du recours;

Sur ce,

Considérant que, concluant à l'irrecevabilité du recours, la société Sobeca, fait valoir qu'au mépris des dispositions de l'article 3 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, la déclaration de recours ne comporte pas la liste des pièces et documents justificatifs;

Mais considérant que le moyen est sans portée, le ministre n'ayant produit aucune pièce au soutien de son recours et la cour n'étant appelée, dans ces conditions, à statuer que sur les seules pièces du dossier du Conseil de la concurrence, lequel lui a été transmis;

Considérant qu'il résulte de l'exposé des moyens déposé au soutien du recours que le ministre chargé de l'Economie ne critique la décision déférée qu'en ce qu'elle écarte le grief notifié aux entreprises d'avoir participé, antérieurement à la remise des offres, à une concertation eu vue de réviser le bordereau de prix unitaires;

Considérant que le requérant reproche à la décision d'avoir exonéré cette pratique de toute qualification au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce, alors, selon lui, que ces entreprises ont procédé, de leur propre initiative à l'actualisation du BPU, sans mandat du maître d'œuvre, mandat dont l'on ne saurait voir la preuve dans la simple information, par elles, donnée à ce dernier ; qu'il ajoute que les entreprises ont délibérément et librement consenti à une concertation illicite, en ne se limitant pas à l'actualisation des prestations techniques insérées au bordereau, mais en fixant également les références tarifaires à partir desquelles elles entendaient définir leurs offres, étant observé qu'une étude de prix de cette nature impliquait nécessairement un échange sur les coûts; qu'il ajoute, à titre subsidiaire, que dans son arrêt du 19 janvier 2001, la cour a entendu faire de la démonstration de l'existence d'une concertation sur les majorations ou les minorations de prix pouvant être proposées par rapport à un BPU, une circonstance permettant d'exclure que les pratiques en cause puissent s'inscrire dans un mandat confié par l'acheteur et non une condition indispensable à l'incrimination d'une concertation entre entreprises portant sur l'élaboration d'une étude de prix;

Considérant qu'il importe, tout d'abord, de rappeler que le 25 août 1992 un protocole a été conclu entre l'Etat et Electricité de France relativement à l'enfouissement des lignes, que la proportion respective des travaux aériens par rapport aux travaux souterrains lesquels représentent désormais 90 % des travaux d'électrification rurale alors que leur part n'était que de 10 % auparavant; que cette situation nouvelle rendait indispensable l'actualisation du BPU établi en 1990, actualisation qui nécessitait un dialogue entre les entreprises et le maître de l'ouvrage;

Considérant que ce dialogue a eu lieu, le directeur du SDEER ayant participé le 16 juin 1993, avec l'ensemble des entreprises en cause, à une réunion à l'occasion de laquelle il a été informé de leurs travaux; qu'ainsi informé, le SDEER a élaboré son propre BPU lequel a figuré au dossier de l'appel d'offres publié le 3 juillet 1993; qu'il n'importe par conséquent que le maître de l'ouvrage n'ait pas pris l'initiative de la révision du BPU puisqu'il en a été en définitive, l'artisan, en dehors de toute "négociation ou présentation de contre-proposition", selon les propres termes de la déclaration de son directeur, M. Le Mao;

Considérant ensuite qu'aucun indice n'a été relevé de nature à établir ou à laisser présumer que les entreprises en cause ont procédé à des échanges sur leurs coûts ou sur les rabais ou majorations qu'elles envisageaient de proposer, par rapport à un BPU dont elles ignoraient encore le contenu et dont les articles arrêtés par le SDEER n'auront été portés à leur connaissance que le 3 juillet 1993; que c'est donc à bon droit que la décision déférée a écarté le grief après avoir retenu qu'aucun élément du dossier n'établissait que, sous couvert de révision du BPU, les sociétés en cause se seraient mutuellement communiqué des informations propres à chacune d'elles et susceptibles d'être utilisées à l'occasion du futur marché ;d'où il suit que le recours doit être rejeté;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, Déclare le recours recevable, Sur le fond, le rejette ; Rejette les demandes d'allocation d'indemnités de procédure, Laisse les dépens à la charge du Trésor public.