Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 22 septembre 2004, n° 04-14608

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Mayenne Viande (Sté), Les Fermières de l'Erve (Sté), Privileg (Sté), SNCP, Pichot, Bonet, Thomas

Défendeur :

Ernée Viandes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard (faisant fonction)

Avoués :

Me Teytaud, SCP Narrat-Peytavu, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Menard-Scelle-Millet, SCP Jobin

Avocats :

Mes Abbou, Abensour-Gibert, Massart, Delestre, Gueroult.

CA Paris n° 04-14608

22 septembre 2004

Saisi par la société Ernéé Viandes de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'abattage et de la commercialisation d'animaux de boucherie, le Conseil de la concurrence, par une décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 a :

- retenu que les sociétés Stal, Mayenne Viandes, les Fermiers de l'Erve, et Privileg ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,

- prononcé diverses sanctions pécuniaires contre ces entreprises, en particulier de 542 500 euros contre la société Mayenne Viandes et de 416 500 euros contre la société Privileg,

- ordonné aus dites sociétés de faire publier la décision dans les trois mois de la notification de cette dernière, en ses paragraphes 144 à 177 et en son dispositif, dans une édition de "Ouest France" diffusée dans le département de la Mayenne, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées.

Après avoir, le 2 septembre 2004, formé recours contre cette décision, les sociétés Mayenne Viandes et Privileg ont, suivant assignations délivrées respectivement les 3 et 6 septembre 2004 et les 6 et 7 septembre 2004, demandé la sursis à exécution tant des condamnations financières que de l'obligation de publication.

Par conclusions du 10 septembre 2004, MM. Pichot, Bonet et Thomas sont intervenus volontairement pour obtenir le sursis à exécution de la mesure de publication, susceptible selon eux d'entraîner des conséquences manifestement excessives à leur égard.

Par conclusions du 10 septembre 2004, le Syndicat national du commerce du porc (ci-après le SNCP) est également intervenu volontairement, à titre accessoire, au soutien de la demande de sursis à exécution de la mesure de publication formée par la société Mayenne Viandes et la société Ernée Viandes, cette publication portant selon lui un préjudice direct et indirect à l'intérêt collectif de la prifession qu'il représente.

Dans son mémoire déposé le 9 septembre 2004, la société Ernée Viandes a conclu au débouté des demandes des sociétés Mayenne Viandes, les fermiers de l'Erve et Privileg, leur réclamant à chacune une somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par un mémoire en réplique du 10 septembre 2004, la société Privileg a maintenu ses demandes.

Sur ce:

Attendu qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre les procédures, respectivement enrôlées sous les n° 04-14608 et n° 04-14881;

- sur la recevabilité des interventions volontaires

Attendu que les dispositions des articles 328 à 330 du nouveau Code de procédure civile, auxquelles il n'est pas dérogé par le décret du n° 97-849 du 19 octobre 1987 et qui ne sont pas incompatibles avec la nature propre du contentieux de la concurrence, sont applicables aux procédures suivies devant la cour sur les recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, y compris à celles tendant au sursis de l'exécution de ces décisions;

Attendu que l'intervention volontaire accessoire du SNCP, qui n'était pas partie à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, qui a la capacité d'ester en justice et qui agit pour la défense des intérêts professionnels attachés au commerce en gros de la viande de porc, est recevable;

Qu'il en est de même de l'intervention volontaire principale de MM. Pichot, Bonet et Thomas qui se prétendent directement lésés par la mesure de publication visée dans la demande de sursis à exécution;

- sur les demandes de sursis

Attendu qu'aux termes de l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours n'est pas suspensif mais le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité;

- sur la demande de la société Privileg:

Attendu que cette dernière indique que, postérieurement aux faits qui ont donné lieu à la décision attaquée, la société Scabev a acquis la totalité de son capital social, qui était alors détenu par la Holding Legras et MM. Jean-Pierre Thomas et Philippe Debien, et que la convention de cession contient une clause de garantie de passif selon laquelle la condamnation prononcée repose directement sur les cédants ; qu'elle fait valoir que la situation financière de ces derniers ne leur permet pas de faire face à leur participation au paiement de la sanction, de sorte que l'exécution de la décision aurait pour effet d'entraîner la liquidation judiciaire de la société Holding Legras et, partant, la mise au chômage de quatre salariés, ainsi que la liquidation personnelle des anciens associés ; qu'elle ajoute que la publication du montant de la sanction aura pour effet de détourner d'elle les propriétaires à qui elle achète des bêtes pour le faire abattre et les revendre ensuite, aggravant ainsi sa situation économique;

Mais attendu, d'une part, que la société Ernée Viandes objecte avec pertinence que la société Privileg s'abstient de communiquer le prix de cession des actifs concernés, alors que la garantie de passif versée aux débats Consiste essentiellement en une réduction du prix; qu'indépendamment de ce fait, l'ignorance du prix perçu par les cédants ne permet pas de se faire une opinion sur l'importance relative des engagements souscrits par eux au titre de la garantie de passif, étant encore souligné qu'il leur appartenait de prendre toutes les précautions utiles à cet égard; qu'au demeurant, compte tenu des conditions multiples qui l'assortissent, il ne peut être tenu pour acquis, à ce jour, que la garantie soit mise en œuvre à bref délai ; qu'enfin, si le paiement de la sanction est de nature à grever le budget des intéressés, aucun des documents produits ne démontre que ces derniers soient dans l'incapacité absolue de faire face à leurs obligations à ce titre, en particulier qu'ils soient dans l'impossibilité de recourir à des concours bancaires, les éléments comptables et les cotations de la Banque de France versés au débats ne traduisant pas une situation et une appréciation aussi négative que la société Privileg le prétend;

Attendu, d'autre part, que la publication forcée, qui procède du principe fondamental de la publicité des décisions à forme et à contenu juridictionnel n'est pas de nature à porter atteinte au crédit et à la considération de la personne visée, même en tenant compte des éléments dénoncés par la demanderesse, d'autant qu'elle a la faculté de mentionner l'existence du recours dans le texte publié ;qu'en admettant même que la publication du montant de la sanction prononcée soit de nature à altérer la confiance des fournisseurs de la société Privileg, il suffirait à cette dernière de rendre notoire la garantie de passif dont elle bénéficie pour écarter ce risque, étant encore observé que, de toute façon, la défiance qui en résulterait n'impliquerait pas nécessairement la rupture des relations commerciales mais plus certainement un réajustement des conditions de paiement;

Qu'il suit de là que la demande de la société Privileg doit être rejetée;

- sur la demande de la société Mayenne Viandes de la société Les Fermiers de l'Erve et du SNCP:

Attendu que la société Mayenne Viandes fait valoir que le montant de la sanction pécuniaire atteint 55 % de celui des salaires bruts versés annuellement par elle, qu'il représente la moitié de son actif immobilisé et qu'elle ne dispose d'aucune réserve de trésorerie ; qu'elle estime que le paiement de cette sanction l'exposera à ne plus pouvoir payer ses fournisseurs, et, un seul incident de paiement déclenchant une déclaration de risque de la part des compagnies d'assurance-crédit, à ne plus disposer d'approvisionnement à très court terme ; qu'elle estime en définitive qu'eu égard à ses autres charges, son actif disponible ne lui permet pas de faire face au passif exigible, de sorte qu'elle encourt la cessation totale de son activité; Qu'elle ajoute, avec la société Les Fermiers de l'Erve, que la publication de la décision aurait un effet désastreux sur la poursuite de leurs activités respectives au sein de la filière-viande, particulièrement dépendantes des fournisseurs, eux-mêmes sensibles à leur image de sérieux et de solidité;

Que le SNCP souligne pour sa part l'impact négatif d'une telle publication sur l'ensemble de la filière du commerce en gros de la viande de porc, causant un préjudice direct et indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente;

Mais attendu, d'une part' que les documents comptables versés aux débats par la société Mayenne Viandes révèlent une société florissante et peu endettée, capable donc de faire face au paiement de la sanction considérée, fût-ce avec quelques soutiens financiers extérieurs;

Attendu, d'autre part, qu'ainsi qu'il a déjà été vu, la publication forcée, n'est pas de nature à porter atteinte au crédit et à la considération de la personne visée, même en tenant compte des éléments dénoncés par les demandeurs, dès lors qu'il sera mentionné dans la publication que la décision fait l'objet d'un recours;

Que la demande de la société Mayenne Viandes, de la société Les Fermiers de l'Erve, et du SNCP doit donc être rejetée;

- sur la demande de MM. Pichot, Bonet et Thomas:

Attendu que ces derniers font valoir le tort que leur cause la publication des extraits de la décision, telle qu'ordonnée par le Conseil de la concurrence;

Attendu on effet que le Conseil a ordonné la publication de la décision on ses paragraphes 144 à 171, alors que figurent parmi ceux-ci les paragraphes 153, 170 et 171 qui énoncent, en termes détaillés, les charges retenues contre MM. Pichot, Bonet et Thomas personnellement pour justifier la transmission du dossier au Procureur de la République, on application de l'article L. 462-6 alinéa 2 du Code de commerce ;

Attendu que la publication de ces énonciations serait de nature à porter atteinte, de façon irréparable, à la présomption d'innocence qui bénéficie aux intéressés; que MM. Pichot, Bonet et Thomas sont donc fondés en leur demande de sursis à l'exécution de la mesure de publication, étant observé qu'il suffit pour leur donner satisfaction de retrancher les paragraphes ci-dessus mentionnés des extraits à publier;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, Joignons les procédures enrôlées sous les n° 04-14608 et n° 04-14881, Rejetons les demandes de la société Privileg et de la société Mayenne Viandes, de la société Les Fermiers de l'Erve et du SNCP tendant au sursis à exécution des sanctions pécuniaires et de la mesure de publication, Sur la demande de MM. Pichot, Bonet et Thomas, disons que, dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur les recours des sociétés Privileg, Mayenne Viandes et Les Fermiers de l'Erve, seront exclus de la publication les paragraphes 153, 170 et 171 de la décision attaquée, Déboutons la société Ernée Viandes de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Laissons à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés, hormis pour ceux de MM. Pichot, Bonet et Thomas, qui seront supportés parle Trésor Public.