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Décisions

CA Nancy, 2e ch. com., 10 mars 2004, n° 02-00650

NANCY

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SOVAB (SNC)

Défendeur :

Metareg Groupe Sidergie (SA), Segard (ès qual.), SCP Becheret-Thierry (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moureu

Conseillers :

MM. Jobert, Ruff

Avoués :

SCP Bonet-Leinster & Wisniewski, SCP Millot-Logier-Fontaine

Avocats :

Mes Hiblot, Sentex

T. com. Briey, du 6 déc. 2001

6 décembre 2001

Faits et procédure:

Par succession ininterrompue de contrats à durée déterminée, la société SOVAB a confié, à compter du 9 mai 1990, à la société Metareg, aujourd'hui en redressement judiciaire (jugement d'ouverture du 29 janvier 2003), la maintenance des pinces à souder par points du bâtiment tôlerie de son usine de Batilly.

En cours d'exécution du contrat ayant pour terme le 31 octobre 1999, la société SOVAB a, le 26 août 1999, notifié à la société Metareg un appel d'offres pour l'établissement d'un nouveau contrat de maintenance pour une durée d'un an qui a fait l'objet d'une proposition de la société Metareg en date du 27 septembre 1999.

La société SOVAB ayant fait connaître le 15 octobre 1999 à la société Metareg que sa proposition de contrat de maintenance du 27 septembre 1999 n'était pas retenue, les relations commerciales entre les parties ont pris fin le 31 octobre 1999 par la survenance du terme du contrat qu'elles avaient conclu le 1er septembre 1999, avec effet au 1er mars 1999.

Estimant que la société SOVAB avait engagé sa responsabilité pour avoir rompu brutalement leur relation commerciale, la société Metareg a assigné celle-ci en paiement de la somme de 3 200 000 F à titre de dommages et intérêts.

Le ministère de l'Economie et des Finances est intervenu volontairement à l'instance aux fins de faire constater le caractère abusif de la rupture au sens de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986.

Par jugement rendu le 6 décembre 2001, le Tribunal de commerce de Briey, considérant qu'elle avait engagé sa responsabilité envers la société Metareg, en rompant avec un simple préavis de douze jours les relations commerciales établies depuis plus de neuf années, a condamné la société SOVAB à payer à la société Metareg la somme de 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, avec exécution provisoire à concurrence de la somme de 750 000 F. Par déclaration reçue au greffe le 5 mars 2002, la société SOVAB a interjeté appel du jugement dans des conditions dont la régularité ne fait l'objet d'aucune discussion.

Selon dernières conclusions du 27 octobre 2003 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses moyens et argumentation, la société SOVAB demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de débouter la société Metareg de ses prétentions, de fixer sa créance au passif de la société Metareg à la somme de 114 336,77 euros (750 000 F), majorée des intérêts, à raison de l'exécution provisoire du jugement entrepris, et de condamner la société Metareg à lui payer la somme de 1 525 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.

Elle fait valoir que les parties étaient liées par contrats à durée déterminée de date à date; que le terme était nécessairement connu et que les contrats prenaient fin à leur échéance sans préavis à respecter; que les contrats ne prévoyaient pas de tacite reconduction ; que la durée des relations n'a pu conférer aux contrats un caractère indéterminé; qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir poursuivi ses relations commerciales avec la société Metareg au-delà du terme du dernier contrat expirant le 31 octobre 1999; que la rupture peut d'autant moins être qualifiée de brutale qu'elle est intervenue après une procédure d'appel d'offres à laquelle a répondu la société Metareg; que la société Metareg n'était pas dans un état de dépendance économique au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'avenir de la société Metareg paraissait incertain; qu'elle ne pouvait avoir la certitude que le repreneur poursuivrait les relations contractuelles; que la société Metareg a commis des manquements dans l'exécution de ses obligations découlant des contrats de maintenance de fin 1998 à 1999 (chute des performances liée à la désorganisation des équipes, interventions anormalement longues, erreurs de diagnostic, déclarations de travaux sous-quantifiés ou non effectués) comme le démontrent les compte-rendus de visite des 24 mars, 8 avril, 27 mai, 28 juin, 21 septembre et 6 octobre 1999 ; que la société Metareg a elle-même reconnu ses manquements dans le dossier qu'elle lui a présenté dans le cadre de l'appel d'offres du 26 août 1999 ; que la proposition de la société Metareg à l'appel d'offres du 26 août 1999 était bâclée et insuffisante ; que subsidiairement le préjudice allégué est manifestement exorbitant; que la durée du préavis ne saurait dépasser un mois; que l'indemnité ne pourrait concerner que la maintenance des postes à pinces et que seule la marge brute devrait être prise en compte dans l'évaluation du préjudice allégué;

Selon dernières conclusions d'appel incident du 15 décembre 2003 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et argumentation, la société Metareg, Me Didier Segard, mandataire judiciaire, pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Metareg et la SCP Becheret-Thierry, mandataire judiciaire, prise en sa qualité de représentant des créanciers de la société Metareg, ces deux derniers intervenant volontairement à la procédure, demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris sur le principe et l'infirmant sur les montants, de condamner la société SOVAB à payer à la société Metareg la somme de 487 837 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre la somme complémentaire de 4 575 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens.

Ils font valoir que la rupture au sens de l'article L. 442-6-1-5° du Code de commerce s'applique à la rupture brutale sans préavis de toutes relations commerciales établies, contractuelles ou extra-contractuelles, et bien au-delà des opérations de déréférencement; que le renouvellement sans interruption de contrats à durée déterminée engendre une relation commerciale établie qui entre dans le champ d'application de la loi du 1er juillet 1996; qu'un état de dépendance économique n'est pas une condition nécessaire à l'application des dispositions de l'article L. 442-6-1-5° ; qu'il n'a jamais été adressé à la société Metareg la moindre réclamation sur la qualité de ses prestations jusqu'à la rupture des relations contractuelles, ni une quelconque mise en demeure faisant courir le délai de quinze jours prévu par le contrat initial en cas de défaillance du co-contractant ; que les rapports de visite allégués par la société SOVAB pour justifier la rupture sont des documents strictement internes qui n'ont jamais été notifiés, ni même portés à la connaissance de la société Metareg ; qu'ils n'ont rigoureusement aucune valeur contradictoire; qu'il est exact que la société SOVAB a, le 26 août 1999, consulté trois entreprises pour la conclusion d'un contrat de maintenance des pinces à souder, initialement confiée à la société Metareg; que cependant cet appel d'offres ne précisait pas la date de prise d'effet du contrat à intervenir et ne dispensait pas la société SOVAB de notifier un préavis normal et suffisant à la société Metareg qui était liée par contrat jusqu'au 31 octobre 1999 ; que la société Metareg sur la base d'un préavis de six mois et d'une moyenne mensuelle de facturation pour les deux dernières années de 535 418 F est fondée à solliciter de la société SOVAB la somme de 487 837 euros à titre de dommages et intérêts;

Selon conclusions déposées le 15 octobre 2002 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de ses moyens et argumentation, le ministre de l'Economie, représenté par le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de Meurthe-et-Moselle, intervenant volontaire, demande à la cour de confirmer le jugement entrepris.

Il fait valoir que l'échéance du dernier contrat exécuté portant sur la période du 1er mars 1999 au 31 octobre 1999 ne pouvait constituer le terme prévisible des relations commerciales entre les parties, établies depuis près de neuf ans ; que l'appel d'offres adressé par courrier du 26 août 1999 à la société Metareg ne peut être considéré comme un préavis de rupture des relations; que le courrier adressé à la société Metareg ne contenait aucune indication explicite sur les conséquences du résultat de l'appel d'offres sur les relations établies entre les parties ; que comme l'a récemment jugé la Cour d'appel de Versailles, la sélection au moyen d'un appel d'offres de l'attributaire d'un marché ne remet nullement en cause le droit pour le précédent titulaire de bénéficier d'un préavis en rapport avec l'importance de la relation antérieure ; que la société SOVAB ne rapporte pas la preuve des prétendus manquements de la société Metareg; que l'absence de dépendance économique de la société Metareg n'est pas de nature à atténuer la responsabilité de la société SOVAB, l'exploitation abusive d'un état de dépendance économique constituant seulement une circonstance aggravante du préjudice causé par la rupture brutale; que la société SOVAB a engagé sa responsabilité pour avoir rompu brutalement ses relations avec la société Metareg, causant ainsi un trouble à l'ordre publie économique justifiant son intervention à l'instance.

Motifs et décision:

Attendu que l'article 36(5e) de l'ordonnance du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 442-6-1-5° du Code de commerce, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, dispose "qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout industriel, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels";

Que cette disposition ne fait pas de distinction entre les relations commerciales contractuellement établies et les autres et n'exige pas pour son application une exploitation abusive d'un état de dépendance économique;

Que la loi a entendu viser une situation de fait correspondant à des relations d'affaires stables, suivies et anciennes, sans égard au cadre juridique que les parties ont pu lui donner;

Qu'en l'espèce, il est constant que la société Metareg et la société SOVAB entretenaient une relation commerciale depuis mai 1990 qui s'est concrétisée par un volume d'affaires important et croissant (prestations commandées passant d'un montant de 2 764 139,42 F en 1995 à 6 551 110,57 F en 1999) et matérialisée par la conclusion successive et ininterrompue de contrats de maintenance à durée déterminée, le dernier ayant eu pour terme le 31 octobre 1999;

Que la société SOVAB, sauf à rapporter la preuve de l'inexécution par la société Metareg de ses obligations ou d'un cas de force majeure, ne pouvait légitimement rompre le 31 octobre 1999, même partiellement, sa relation stable et continue de près de 9 années avec la société Metareg sans préavis, peu important pour l'application de l'article L. 442-6-1-5° du Code de commerce que le contrat qui liait les parties, à durée déterminée et non renouvelable par tacite reconduction, ait pris fin;

Que la société SOVAB est d'autant plus mal fondée à se retrancher derrière les contrats à durée déterminée qui la liaient à la Société Metareg qu'elle avait elle-même prévu dans le contrat initial du 23 mai 1990 et l'avenant n° 1 du 17 septembre 1990 que les parties devaient se rencontrer un mois avant le terme fixé afin de décider si la durée devait être prolongée ou non;

Attendu que l'appel d'offres notifié le 26 août 1999 à la société Metareg ne précisait pas la date de prise d'effet du contrat de maintenance proposé et ne donnait aucune indication sur le sort des relations en cours entre les parties;

Que cet appel d'offres ne peut être considéré comme un préavis écrit;

Attendu que nul ne peut se créer une preuve à soi-même;

Que la société SOVAB pour justifier les prétendus manquements de la société Metareg ne peut invoquer ses rapports de visite qui n'ont jamais été notifiés à la société Metareg;

Que la société SOVAB, comme l'ont relevé fort opportunément les premiers juges, n'aurait pas manqué d'user de la faculté de résiliation contractuelle ou d'adresser à la société Metareg tout avertissement nécessaire, mise en garde ou note de service, dont elle aurait bien évidemment gardé la trace, si elle avait effectivement eu à se plaindre des prestations de l'intéressée;

Qu'il n'a pas été adressé à la société Metareg la moindre réclamation;

Que les rapports de visite et comptes-rendus versés aux débats par la société SOVAB sont d'autant moins significatifs que les forfaits accordés à la société Metareg ont connu une augmentation importante à compter de janvier 1999, passant de 178 215 F HT pour la période de janvier à décembre 1998 à 257 859 F HT pour la période de janvier à février 1999 et à 395 000 F HT pour la période de mars à octobre 1999;

Que la preuve de la faute de la société Metareg n'est pas rapportée, celle-ci ne pouvant résulter, eu égard aux développements qui précèdent, des mentions du dossier technique soumis à la société SOVAB dans le cadre de l'appel d'offres du 26 août 1999;

Que le seul fait que la société Metareg connaissait des difficultés ne pouvait nullement remettre en cause son droit de bénéficier d'un préavis en rapport avec l'ancienneté et l'importance de sa relation stable et continue de près de neuf années avec la société SOVAB;

Attendu que les relations commerciales entre les parties ont pris fin le 31 octobre 1999, au jour de l'expiration du contrat à durée déterminée conclu le 1er septembre 1999, avec effet au 1er mars 1999;

Que la société SOVAB n'ayant pas manifesté de manière claire et non ambiguë sa volonté de ne pas renouveler ce contrat, la société Metareg a pu légitimement croire jusqu'au 19 octobre 1999, date à laquelle la société SOVAB lui a fait connaître qu'elle n'avait pas été retenue à l'appel d'offre du 26 août 1999, que sa collaboration serait poursuivie au-delà du 31 octobre 1999, peut-être sous une autre forme à négocier;

Qu'un délai de douze jours était manifestement insuffisant pour permettre à la société Metareg de réorienter son activité et de maintenir son effectif salarié sans dommage;

Que la société SOVAB a engagé sa responsabilité pour avoir rompu brutalement sa relation commerciale établie avec la société Metareg sans respecter un délai de préavis suffisant et raisonnable qu'il convient d'évaluer à six mois;

Que la société Metareg est fondée à obtenir réparation du préjudice résultant des difficultés à réorienter son activité et des gains manqués pendant le temps de préavis dont elle a été privée;

Attendu qu'il est exact que la maintenance confiée à la société Metareg ne concernait pas seulement les "postes à souder" mais également les " zones complètes " et les " balancelles " et que la rupture brutale se limite à la maintenance des " postes à souder " ;

Attendu cependant qu'il n'est pas contesté que le présent litige a entraîné le déréférencement de la société Metareg auprès de l'ensemble du groupe Renault;

Que le gain manqué par la société Metareg doit être évalué à la perte de marge brute subie par la société Sovareg sur l'ensemble de ses opérations de maintenance;

Qu'il sera alloué à la société Metareg, eu égard aux éléments d'appréciation dont la cour dispose (chiffre d'affaires réalisé en 1999 : 5 133 099,33 F HT/an), une somme forfaitaire de 120 000 euros;

Attendu que la société SOVAB qui succombe principalement sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel;

Que l'équité impose de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a constaté qu'en rompant avec un simple préavis de douze jours les relations commerciales établies depuis plus de neuf années avec la société Metareg, la société SOVAB a engagé sa responsabilité; Infirme le jugement entrepris pour le surplus, sauf en ce qui concerne les dépens et l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et statuant à nouveau: Condamne la société SOVAB à payer à la société Metareg la somme de cent vingt mille euros (120 000 euros) à titre de dommages et intérêts; Condamne la société SOVAB à payer à la société Metareg la somme de quatre mille euros (4 000 euros) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel; Condamne la société SOVAB aux dépens d'appel; Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés par la SCP Millot, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.