CA Orléans, ch. com., 2 septembre 2004, n° 03-01772
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Fouchard
Défendeur :
CBI (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remery
Conseillers :
Mme Magdeleine, M. Garnier
Avoués :
SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit-Desplanques-Devauchelle
Avocats :
SCP Le Metayer Caillaud Cesareo Bonhomme, SCP Wedrychowski, Associés.
Monsieur Eric Fouchard a été agent commercial de la société Corbier, spécialisée dans la vente et l'entretien de matériel de protection contre l'incendie, puis, à compter du 15 juin 1998, de la société CBI, venant aux droits de la société Corbier. Prétendant que la société CBI avait été à l'origine de la rupture des relations contractuelles au 31 août 2000, Monsieur Fouchard a assigné cette dernière en résiliation judiciaire du contrat d'agence commerciale et en paiement de diverses indemnités et commissions. La société mandante a soulevé l'incompétence du tribunal et reconventionnellement, a demandé la condamnation de son ancien agent à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ainsi qu'à l'indemniser du préjudice subi du fait de la rétention d'un stock d'extincteurs.
Par jugement du 21 mars 2003, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Blois s'est déclaré compétent, a dit que Monsieur Fouchard était responsable de la rupture du contrat et n'avait donc pas droit à l'indemnité compensatrice, débouté la société CBI de sa demande de dommages-intérêts, condamné celle-ci à payer à Monsieur Fouchard la somme de 3 778,86 euros au titre de commissions impayées, et Monsieur Fouchard à verser à la société CBI celle de 1 853,23 euros pour la rétention des extincteurs.
Monsieur Fouchard a relevé appel.
Par conclusions du 12 mai 2004, il fait valoir que:
- En vertu de l'article L. 134-4, alinéa 3 du Code de commerce, le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat, or, à défaut de précision sur le secteur géographique attribué, il incombait à la société CBI de fournir des listes de clients à prospecter, comme prévu à l'article 1er du contrat, mais les listes distribuées à compter de mai 2000 étaient inexploitables en raison de l'absence ou de la disparition des clients, ce dont il résulte que CBI, par manquement à son devoir de loyauté, a mis obstacle à la mission de son agent;
- Le retard dans le versement des commissions constitue une violation de l'obligation de rémunération et est également de nature à justifier la résiliation du contrat d'agence à l'initiative du mandant;
- L'indemnité compensatrice doit s'élever à 94 256,77 euros correspondant à deux années de commissions, à laquelle il convient d'ajouter une indemnité de préavis de 11 891,02 euros ainsi que des dommages-intérêts à hauteur de 6 653,56 euros destinés à compenser la perte de chiffre d'affaires de juin et juillet 2000, outre le montant des commissions demeurées impayées, à savoir 3 778,86 euros;
- Les éléments de preuve apportés par la société CBI, qui s'apparentent à des moyens frauduleux, eu égard au caractère douteux des attestations, ne permettent pas de démontrer l'existence de fautes ou d'actes de concurrence déloyale à la charge de Monsieur Fouchard;
- Les demandes de la société CBI sont injustifiées, en ce qui concerne tant l'allocation de dommages-intérêts, la clause de non-concurrence étant nulle comme disproportionnée, et les faits de concurrence déloyale n'étant pas établis, que l'indemnité réclamée au titre de la non-restitution ou de la rétention d'extincteurs;
Il sollicite, enfin, la condamnation de la société intimée à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Par ses écritures du 1er avril 2004, la société CBI expose que:
- Le contrat d'agence ne contient pas de disposition relative à l'obligation du mandant de fournir des listes de clients, dès lors qu'il est de l'essence de ce contrat que l'agent recherche ses propres clients pour garantir son autonomie, et si des listes ont parfois été " prêtées " aux agents commerciaux, c'est seulement pour les aider à relancer leur activité;
- Monsieur Fouchard a volontairement laissé chuter son activité à compter du 2e trimestre 2000, et ce parce qu'il visitait la clientèle pour le compte d'une autre société, LFI, animée par un ancien agent commercial de CBI, Monsieur Saget, se livrant ainsi à des actes de concurrence déloyale, ainsi qu'il résulte des attestations versées aux débats qui font ressortir la visite de Monsieur Fouchard chez des clients pour le compte de LFI, ainsi que le fait que Messieurs Saget et Fouchard ont détourné le fichier de clientèle CBI;
- Monsieur Fouchard n'a eu de cesse de chercher des prétextes pour quitter CBI et a informé ses collègues de son intention de changer d'activité et de vendre du vin ; il a rompu de lui-même le contrat en disparaissant de l'entreprise dès le mois de juillet 2000, et en se bornant à réclamer ses commissions 10 mois plus tard;
- Les commissions réclamées par l'appelant ne sont pas dues dans la mesure où elles correspondent à des affaires traitées en contravention avec les instructions de CBI, c'est-à-dire sur le secteur de collègues ou avec des clients du mandant pour lesquels il fallait un accord préalable de celui-ci, à l'exception d'une somme de 795,42 euros;
- Le préjudice subi par CBI du fait de l'inexécution fautive de son contrat par Monsieur Fouchard s'élève à la somme de 40 000 euros représentant la perte de chiffre d'affaires occasionnée par les actes déloyaux de l'agent;
- La rétention du matériel devenu obsolète et l'absence de restitution de deux extincteurs doivent être indemnisés par une somme de 5 335 euros;
Elle demande, en dernier lieu, la compensation des créances réciproques et l'allocation de la somme de 4 000 euros en remboursement de ses frais de procédure.
Sur quoi
Sur les demandes indemnitaires présentées par Monsieur Fouchard
Attendu que, selon les dispositions des articles L. 134-12 et 134-13 du Code de commerce, relatives aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, mais que cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent, ou qu'elle résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par les circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée;
Que, pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts de Monsieur Fouchard, le tribunal, après avoir relevé que la société CBI n'avait pas d'obligation de fournir des listes de clients à visiter et que le non-paiement de certaines commissions en fonction de règles internes ne constituait pas un manquement tel qu'il justifie la résiliation du contrat aux torts du mandant, a considéré que l'initiative de cessation des relations revenait à Monsieur Fouchard qui avait ainsi perdu le droit de percevoir une indemnité compensatrice et les autres sommes réclamées;
Attendu, toutefois, que par application de l'article 1184 du Code civil, les demandes en justice de Monsieur Fouchard, à elles seules, n'emportent pas rupture du contrat de la part du mandataire, et que le jugement sera infirmé de ce chef;
Qu'en vertu de l'article L. 134-4 du Code de commerce, les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat ; qu'en l'espèce le contrat d'agent commercial conclu entre les parties le 15 juin 1998 prévoit simplement à l'article 1er que " le contrat est à durée indéterminée et s'exercera sur le secteur proposé par Monsieur Billaud Guy comme étant celui dans lequel il travaille habituellement " ; que si cette disposition ne comporte effectivement aucune obligation pour la société CBI de fournir périodiquement des listes de clients à son agent, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas prouvé ni même allégué que des secteurs géographiques auraient été attribués à Monsieur Fouchard; que même si un agent commercial doit exercer son activité de manière indépendante, il revient au mandant de tout faire pour que le mandataire soit en mesure de bénéficier utilement du contrat en lui permettant de réaliser le but commun qui est de développer la clientèle et de contrôler efficacement son réseau d'agents commerciaux afin d'assurer le respect par ses membres du territoire concédé à chacun ;qu'à défaut d'attribution d'un secteur géographique à Monsieur Fouchard, la société CBI ne peut se borner à prétendre, comme l'indique une note d'information du 1er octobre 1994, " qu'il appartient aux agents commerciaux de prospecter à leur guise ", ou, selon une correspondance adressée à Monsieur Fouchard le 28 juin 2000, que " vous êtes parfaitement libre de prospecter les nouveaux clients de votre choix dans les départements de votre choix ", mais devait prendre des mesures concrètes pour permettre à son mandataire de pratiquer son activité sans empiéter sur la clientèle de ses collègues, sous peine d'asphyxier ce mandataire jusqu'à ce que rupture s'ensuive ;que tel pouvait être le cas de la fourniture de listes de clients à condition qu'elles fussent exploitables ; que l'examen des listes confiées a Monsieur Fouchard en mai 2000 pour les départements de l'Ain et de la Meuse permet de constater que les visites de Monsieur Fouchard ont été vaines, la plupart des commerçants concernés étant absents, fermés ou ayant disparu;
Attendu, en conséquence, que la société CBI a engagé sa responsabilité pour n'avoir pas mis Monsieur Fouchard en mesure d'exercer pleinement son mandat, et que le contrat litigieux sera résilié à ses torts;
Attendu, par ailleurs, que la créance d'indemnité de fin de contrat correspond au préjudice résultant de la perte pour l'avenir du droit à prospecter une clientèle déterminée et d'en tirer des ressources en percevant des commissions ; que les dommages et intérêts doivent être appréciés en fonction des commissions antérieurement perçues par l'agent commercial, de la durée de ses fonctions, et du préjudice effectivement subi ; que, si aucune disposition législative ou réglementaire ne détermine les modalités de calcul de cette indemnité, la cour dispose néanmoins des éléments suffisants, eu égard au fait que Monsieur Fouchard avait annoncé à certains collègues son intention de se lancer dans le négoce du vin et qu'il a retrouvé une activité rémunérée dès le 1er septembre 2001, pour fixer l'indemnité compensatrice de rupture à 6 mois de commissions, soit la somme de 23 500 euros, celle-ci incluant également l'incidence de la perte de chiffre d'affaires invoquée;
Que Monsieur Fouchard a cessé son activité au service de la société CBI en juillet 2000, sans avertir spécifiquement son mandant, sans respecter de préavis, et en réclamant seulement à deux reprises les 22 juin 2000 et 30 septembre 2000 le règlement de ses commissions impayées ; que par courrier du 23 avril 2001, il prenait lui-même acte de la rupture de son contrat à la date du 31 août 2000 ; qu'il n'y aura donc pas lieu à indemnité de préavis;
Sur les commissions impayées
Attendu, selon l'article L. 134-6 du Code de commerce, que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à une commission lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention;
Que la société CBI soutient qu'à l'exception d'une somme de 795,42 euros, les commissions litigieuses ne sont pas ducs en faisant référence à une note du 1er octobre 1994 qui précise que "toute nouvelle vente effectuée sans autorisation sur la clientèle des Etablissements CBI Corbier ne sera pas commissionnée"; que, cependant, hormis cette affirmation, la société intimée ne rapporte pas la preuve que les ventes incriminées entrent dans cette catégorie et que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société CBI à payer à Monsieur Fouchard la somme de 3 778,86 euros au titre des commissions impayées;
Sur la rétention du matériel
Attendu que Monsieur Fouchard a restitué avec retard le matériel de démonstration qui lui avait été confié; que contrairement à ce qu'indique la société CBI, ce matériel n'était pas neuf, puisque la fiche du "matériel non restitué" comporte pour plusieurs articles la mention "rénové" ; qu'en outre, le mandant ne peut réclamer un double remboursement pour les deux extincteurs "Delta 1000 et F2 Mono"; que le jugement mérite donc confirmation en ce qu'il a alloué à la société CBI la somme de 1 853,23 euros en réparation de la rétention des extincteurs, et ordonné la compensation des créances réciproques;
Sur les faits de concurrence déloyale imputés à Monsieur Fouchard
Attendu que la société CBI n'invoquant pas la violation par Monsieur Fouchard de la clause de non-concurrence incluse dans le contrat d'agence commerciale, il n'y a pas lieu de statuer sur la validité de cette clause;
Qu'en revanche, la société intimée reproche à son ancien agent d'avoir prospecté la clientèle pour le compte de la société LFI alors qu'il était encore lié par le contrat du 15 juin 1998, et d'avoir détourné le fichier clients au profit de cette société; que ces affirmations reposent sur quatre attestations de clients, Messieurs Merie, Paris, Pellegrin et Baudelin, qui déclarent avoir eu la visite en mai 2000 de deux agents de la société LFI, Messieurs Fouchard et Naalamene et sur le témoignage de Monsieur Naalamene, ancien agent commercial de la société CBI passé au service de la société LFI, selon lequel "Monsieur Saget (animateur de CBI) et Monsieur Fouchard travaillent ensemble depuis mai 2000. Monsieur Fouchard ayant piraté l'ensemble du fichier de la société CBI l'a confié à Monsieur Saget pour qu'il l'exploite en ma compagnie. Monsieur Fouchard avait des parts dans la société Française d'incendie (LFI) du temps où il travaillait encore aux Ets CBI ";
Mais attendu que les quatre premières attestations sont contredites par des déclarations de leurs auteurs qui reconnaissent que Monsieur Fouchard n'était pas la personne qui accompagnait Monsieur Naalamene lors de la visite qu'ils avaient reçue; que, de même, Monsieur Saget expose que les listes de clients lui ont été fournies par Monsieur Naalamene "qui les avaient conservées de l'époque où il travaillait en compagnie de Monsieur Fouchard pour les Etablissements CBI "; que trois anciens salariés de CBI, Messieurs Pascal et Patrice Roger et Madame Lebon font valoir que Monsieur Naalamene travaillait avec Monsieur Fouchard et disposait des mêmes listes de clients que lui; qu'enfin, la société CBI ne justifie pas davantage que Monsieur Fouchard aurait été associé ou salarié de la société LFI, la déclaration des revenus de Monsieur Fouchard pour l'année 2000 correspondant aux commissions versées par CBI et à son salaire en qualité de VRP de la société Girardeau à compter du 28 août 2000;
Que les attestations non probantes versées aux débats par la société CBI ne permettent donc pas de démontrer l'existence de faits précis de concurrence déloyale et que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société CBI de sa demande de dommages-intérêts;
Sur les demandes accessoires
Que la société CBI supportera les dépens de première instance et d'appel, sans que l'équité commande d'allouer aux parties une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société CBI à payer à Monsieur Fouchard la somme de 3 778,86 euros au titre des commissions impayées, et Monsieur Fouchard à verser à la société CBI celle de 1 853,23 euros pour la rétention des extincteurs, et ordonné la compensation des créances réciproques; Le confirme également en ce qu'il a retenu que Monsieur Fouchard n'avait pas exercé de concurrence déloyale à l'encontre de la société CBI et débouté celle-ci de sa demande de dommages-intérêts; L'infirme dans ses autres dispositions, et, statuant à nouveau; Dit que la société CBI est responsable de la rupture du contrat conclu avec Monsieur Fouchard le 15 juin 1998 pour n'avoir pas mis l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat, et la condamne, en conséquence, à payer à Monsieur Fouchard la somme de 23 500 euros au titre de l'indemnité compensatrice et de la perte de chiffre d'affaires; Rejette la demande d'indemnité de préavis formée par Monsieur Fouchard; Condamne la société CBI aux dépens de première instance et d'appel; Rejette les demandes des parties tendant à l'allocation de sommes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Accorde à la SCP Laval Lueger titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.