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Décisions

Conseil Conc., 9 novembre 2004, n° 04-D-54

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par la société Apple Computer, Inc. dans les secteurs du téléchargement de musique sur Internet et des baladeurs numériques

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Choné, par M. Lasserre, président, M. Nasse, Mmes Aubert, Perrot, vice-présidents, Mmes Behar-Touchais, Renard-Payen, MM. Bidaud, Flichy, Gauron, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-54

9 novembre 2004

Le Conseil de la concurrence (section III A),

Vu la lettre enregistrée le 28 juin 2004 sous les numéros 04/0045F et 04/0046M par laquelle la société VirginMega a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Apple Computer France et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par les sociétés VirginMega et Apple Computer France et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les sociétés VirginMega et Apple Computer France entendus lors de la séance du 19 octobre 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. Les secteurs d'activité

1. Le secteur du téléchargement payant de musique sur Internet est naissant. Aux Etats-Unis, cette activité a débuté en 2002 et représente actuellement moins de 2 % du chiffre d'affaires total de l'industrie de la musique. En France, cette proportion est voisine de 0,1 %. Toutefois, les cabinets d'étude prévoient une forte croissance du secteur dans les prochaines années. Selon les prévisions les plus optimistes, par exemple celles du cabinet Jupiter Research, la musique numérique sur Internet pourrait représenter, en 2008, 5 % des recettes du marché de la musique en Europe.

2. Ce n'est qu'en 2001 que l'industrie de la musique a pris conscience de la nécessité de protéger les titres musicaux et que sont apparus les premiers dispositifs de gestion des droits numériques (Digital Rights Manager ou DRM). A ce jour, l'immense majorité des titres musicaux téléchargés sur Internet le sont encore sur des réseaux d'échange sans redevance, dits peer-to-peer, qui utilisent le format d'encodage non sécurisé MP3. Aucun droit n'est perçu par les auteurs et les producteurs sur les titres échangés par ce moyen. Plusieurs mesures ont été prises pour lutter contre le téléchargement sans redevance et favoriser l'émergence du téléchargement payant. En France, une charte d'engagements a été signée, le 28 juillet 2004, par les principaux acteurs du secteur sous l'égide du ministre de l'Economie conduisant, par exemple, à l'envoi par les fournisseurs d'accès à Internet de messages d'avertissement aux internautes. Enfin, les pouvoirs publics cherchent à encourager l'interopérabilité des différents systèmes DRM avec l'ensemble des matériels d'écoute. Il est impossible de prévoir l'efficacité de ces mesures, mais il est vraisemblable que le téléchargement payant devra cohabiter pendant plusieurs années avec les échanges sans redevance.

3. Les baladeurs numériques sont eux aussi apparus très récemment. Les premiers baladeurs compatibles MP3 datent de la fin de l'année 1999. Apple a lancé le premier modèle de baladeur iPod en octobre 2001.

B. Les entreprises

4. La société plaignante, VirginMega, est une filiale à 100 % du groupe Lagardère (via Hachette Distribution Services). Elle ne possède aucun lien capitalistique avec le groupe britannique Virgin. Le groupe Lagardère a acquis le droit d'usage de la marque Virgin. La société plaignante gère une plate-forme de musique en ligne, qui est active sur le seul territoire français.

5. La société Apple Computer France est une filiale à 100 % de la société américaine Apple Computer, Inc., basée à Cupertino en Californie. Apple Computer France ne fait que distribuer les produits Apple en France pour le compte de sa maison mère. Elle ne dispose d'aucun accès ni d'aucune licence au logiciel DRM d'Apple, dénommé FairPlay. Le propriétaire légal de FairPlay est Apple Computer, Inc. Cette dernière société a été associée à l'ensemble de la procédure et a été entendue en séance.

C. Les pratiques dénoncées

6. Les consommateurs qui téléchargent des titres musicaux sur la plate-forme VirginMega ne peuvent pas les transférer directement sur les baladeurs numériques iPod, fabriqués et commercialisés par Apple. L'impossibilité de transfert direct provient de l'incompatibilité des DRM utilisés par la plate-forme VirginMega et les baladeurs iPod. VirginMega utilise le DRM de Microsoft, tandis que le seul DRM compatible avec l'iPod est le DRM propriétaire d'Apple, FairPlay.

7. VirginMega a demandé, dès le lancement de sa plate-forme au printemps 2004, une licence à Apple, contre le paiement d'une redevance, de manière à avoir accès à FairPlay et s'est vu opposer un refus.

8. VirginMega considère que ce refus d'accès constitue un abus de position dominante d'Apple. Selon la plaignante, Apple détient, avec son baladeur iPod, une position dominante sur le marché des baladeurs numériques sécurisés à disque dur ; selon elle, Apple détient probablement aussi, avec sa plate-forme iTunes Music Store, une position dominante sur le marché français du téléchargement payant de musique sur Internet. La saisine se fonde sur les articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité européen.

9. Accessoirement à sa saisine au fond, VirginMega demande au Conseil, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, de prononcer à l'encontre d'Apple la mesure conservatoire suivante : " accorder à la société VirginMega, et à toute entreprise qui en ferait la demande, dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, et dans des conditions économiques équitables et non discriminatoires, un accès direct à tous les éléments permettant le téléchargement et le transfert des fichiers musicaux notamment sur lecteur iPod, tels que les formats et son logiciel DRM de gestion des droits numériques ou " digital rights management" FairPlay, avec la documentation technique associée permettant à l'homme de l'art d'exploiter les systèmes et de gérer les droits pour ledit téléchargement. "

II. Discussion

10. L'article 42 du décret du 30 avril 2002 énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée ". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que si la saisine au fond est recevable et que si le Conseil ne fait pas application de l'alinéa 2 de l'article L. 462-8 du Code de commerce selon lequel : " (...) il peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

A. Sur la recevabilité de la saisine au fond

1. Sur les marchés

11. Trois secteurs sont concernés par la saisine : les dispositifs de gestion des droits numériques (DRM), les baladeurs numériques et le téléchargement de la musique en ligne.

a) Sur les dispositifs de gestion des droits numériques (DRM)

12. Les systèmes de protection DRM peuvent s'appliquer à divers types de contenu : audio, vidéo, fichiers informatiques. D'une manière générale, les offreurs sur le(s) marché(s) de DRM sont des sociétés spécialisées dans le développement des dispositifs de protection informatique. Les demandeurs sont des sociétés qui veulent commercialiser sur Internet un contenu sécurisé, c'est-à-dire associé à des droits d'usage prédéfinis donnant lieu à paiement par le consommateur final.

13. Dans le secteur de la musique, la fonction des DRM est de restreindre l'usage possible des titres téléchargés par le consommateur, conformément aux droits qui ont été négociés entre le producteur (la " maison de disques ") et le distributeur (la plate-forme de téléchargement). Les droits en question concernent principalement le nombre d'ordinateurs différents sur lesquels la musique peut être téléchargée, écoutée et copiée, le nombre de gravures sur CD des titres téléchargés et le nombre de transferts autorisés vers des baladeurs numériques.

14. Il convient de distinguer les formats d'encodage et les DRM. Il n'est pas contesté que le problème d'interopérabilité à la base de ce dossier provient des seuls DRM, et non des formats d'encodage. Le format le plus connu, apparu en 1999, est le format MP3. C'est ce format qui est utilisé pour le téléchargement sans redevance. Les trois principaux formats alternatifs sont l'AAC (lié originellement au système Dolby), le WMA utilisé par Microsoft et l'ATRAC, qui est le format propriétaire de Sony. Les plates-formes payantes utilisent un couple formé d'un format d'encodage et d'un DRM : la plate-forme d'Apple, iTunes Music Store, utilise le couple (AAC, Fairplay), celle de Sony, Sony Connect, utilise le couple (ATRAC, Open MG), et toutes les autres plates-formes payantes françaises utilisent le format WMA et le DRM de Microsoft.

15. VirginMega se déclare prête à proposer à ses clients chaque titre dans deux formats différents, voire trois. Lors de l'instruction, le président de la société Universal France a rappelé qu'à l'époque où coexistaient disques vinyle, cassettes audio et disques compacts, les disquaires devaient stocker les titres dans ces trois formats. Cette situation entraînait des surcoûts pour les disquaires, mais n'a pas empêché la distribution de la musique. L'obstacle que rencontre VirginMega ne se situe pas au niveau de l'accès au format AAC (qui n'est pas la propriété d'Apple), mais au niveau de l'accès au DRM FairPlay.

16. La société Apple a développé son propre DRM pour pouvoir vendre de la musique sur Internet, d'abord aux possesseurs d'ordinateurs Macintosh, puis aux possesseurs d'ordinateurs fonctionnant sous Windows. Aux Etats-Unis, la plate-forme iTunes Music Store a ainsi été lancée en avril 2003, uniquement pour les utilisateurs de Macintosh, et a été rendue accessible aux utilisateurs de Windows à partir d'octobre 2003. La plate-forme a été lancée le 16 juin 2004 en Allemagne, en France et au Royaume-Uni.

17. Le DRM FairPlay n'a, à ce jour, fait l'objet d'aucune licence à un tiers. Il est installé exclusivement sur le logiciel de lecture iTunes player, sur la plate-forme iTunes Music Store et sur les baladeurs iPod.

18. Les marchés pertinents de DRM n'ont pas encore été définis par la jurisprudence. La question de savoir s'il faut segmenter les marchés par type de contenu (audio, vidéo, données informatiques) et/ou par type de matériel client (baladeur, téléphone portable, personal digital assistant, etc.) n'est pas tranchée. La Commission européenne examine actuellement le rachat conjoint de la société ContentGuard, spécialisée dans les dispositifs de protection informatique, par Microsoft et Time Warner. La Commission devrait procéder, à cette occasion, à une première délimitation du ou des marché(s) de DRM.

19. Les évolutions technologiques sont très rapides dans le secteur des DRM, s'agissant notamment de la gestion de la sécurité lors des transferts vers les différentes catégories de matériels clients. Il est très difficile de prédire l'évolution de ce(s) marché(s), même à l'horizon de quelques mois.

b) Sur les baladeurs numériques

20. Il existe plusieurs types de baladeurs numériques : les baladeurs à disque dur (dont font partie tous les modèles d'iPod), les baladeurs " RAM Flash " (qui peuvent être chargés à partir d'une clé USB), les baladeurs CD compatibles MP3 et les baladeurs minidisc enregistreurs.

21. Les utilisateurs de baladeurs CD et minidisc doivent transporter la musique sur un support physique externe au baladeur lui-même et non sur une mémoire installée dans l'appareil. Cette caractéristique les distinguant nettement des baladeurs flash ou à disque dur, ils ne seront plus pris en compte dans la suite du raisonnement.

22. Le marché, hors baladeurs CD et minidisc, peut être présenté par ordre croissant de capacité de stockage et de prix, de la manière suivante :

Les baladeurs flash dont la capacité de stockage ne dépassait pas, jusqu'à une date récente, 258 millions d'octets (Mo). Ordre de grandeur de prix : de 100 à 200 euros ;

Des baladeurs à " petit disque dur ", d'une capacité variant de 1,5 Go à 5 Go. L'iPod mini d'Apple appartient à cette catégorie. Ordre de grandeur de prix : de 200 à 350 euros ;

Les baladeurs à disque dur dont la contenance varie de 20 Go à 80 Go. Les différents modèles d'iPod "classique" entrent dans cette catégorie. Ordre de grandeur de prix : de 350 à 500 euros.

23. Selon le cabinet GFK, les baladeurs avec disque dur représentent actuellement en France moins d'un tiers de la base installée. Selon le cabinet Understanding et solution, ce chiffre devrait rester stable dans les prochaines années. Autrement dit, le stock d'appareils fonctionnant aujourd'hui en France et le volume des ventes réalisées chaque mois sont deux fois plus importants pour les baladeurs sans disque dur que pour les baladeurs avec disque dur.

24. VirginMega soutient que les baladeurs à disque dur forment un marché pertinent au sens du droit de la concurrence, car la capacité de 1 Go serait une limite importante (plusieurs centaines de chansons, plus de dix heures de musique). Apple considère au contraire que cette segmentation suivant un critère technique ne correspond à aucune caractéristique avérée de la demande des consommateurs.

25. Il est difficile de prédire combien de temps la segmentation présentée au paragraphe 22 va rester valide, car la capacité des baladeurs flash augmente rapidement. Il existe déjà plusieurs modèles de baladeurs flash avec des capacités de stockage de 512 Mo (par exemple, la clé USB Key 015/00 de Philips, le baladeur MP3 Rhomba de Creative) et même de 1 Go (baladeurs IFP-799 et IFP-899 de marque iRiver). Ces baladeurs sont disponibles sur des sites français de vente en ligne.

26. Dans le segment intermédiaire des baladeurs de capacité de quelques Go, on devrait donc rapidement voir coexister des baladeurs à disque dur et des baladeurs flash. Or, ce segment a une importance particulière. Selon une étude de Jupiter Research, 77 % des consommateurs estiment que la capacité de stockage optimale d'un baladeur est d'un millier de chansons, soit 4 Go. Cette étude a montré que 90 % des consommateurs ont moins de 1 000 chansons sur leur ordinateur.

27. La délimitation des marchés pertinents est, donc, délicate dans un contexte d'évolution rapide des technologies. Toutefois, à ce stade de l'instruction, on ne peut exclure l'existence d'un marché pertinent des baladeurs numériques à disque dur.

28. La société plaignante a proposé, dans ses dernières observations écrites et en séance, de définir un marché des baladeurs numériques à disque dur sécurisés, c'est-à-dire intégrant une protection DRM. Si un tel marché existe, son évolution est encore plus rapide que celle des baladeurs numériques à disque dur. En effet, des baladeurs numériques sécurisés, avec et sans disque dur, intégrant la dernière version du DRM de Microsoft et compatibles avec la plate-forme VirginMega, apparaissent sur le marché français et sont acquis selon un rythme élevé. Ainsi à ce stade de l'instruction, on ne peut pas exclure non plus l'existence d'un marché pertinent des baladeurs numériques sécurisés à disque dur.

c) Sur le téléchargement payant de musique en ligne

29. Il n'est pas contesté que le marché du téléchargement sur Internet est distinct de celui de la distribution physique, même si les deux concourent à l'acquisition de musique. En effet, les caractéristiques de deux circuits de distribution sont très différentes, tant du côté de la demande que de celui de l'offre, et les écarts de prix sont significatifs (de 1 à 5 pour les titres simples, de 1 à 2 pour les albums).

30. Les réseaux d'échanges, dits peer-to-peer, ne donnent lieu à aucun paiement et à aucune perception de droits. Même s'ils exercent une pression concurrentielle sur le marché du téléchargement légal, il n'est pas possible de les inclure dans le même marché pertinent.

31. Il n'est pas non plus contesté que la dimension géographique du marché du téléchargement payant est nationale. En effet, l'industrie de la musique impose aux distributeurs une segmentation par pays. Les principales maisons de disques négocient les droits avec les plates-formes sur une base nationale et leur imposent des contraintes destinées à s'assurer qu'elles ne vendent qu'à des internautes qui résident dans le pays correspondant. En France, les principaux labels viennent d'imposer que le paiement soit effectué en utilisant un numéro de compte bancaire français. De plus, les sociétés de collecte de droits d'auteur opèrent au plan national.

32. Le streaming consiste en l'écoute d'un titre qui n'est pas fixé sur l'ordinateur. En France, ce segment semble aujourd'hui négligeable car le prix d'une écoute directe est de l'ordre de 1 centime d'euro et les volumes restent limités.

33. Il est donc, en l'état actuel de l'instruction, possible d'envisager l'existence d'un marché national du téléchargement de la musique en ligne, hors réseaux d'échange et écoute directe.

2. Sur la position d'Apple sur les différents marchés concernés

a) Sur le ou les marché(s) de DRM

34. Le DRM FairPlay se trouve sur un segment spécifique du secteur des DRM, à savoir les DRM gestionnaires de contenus audio et opérant sur les baladeurs iPod. L'appréciation portée sur la position concurrentielle d'Apple dépend, donc, beaucoup de la délimitation précise du ou des marché(s) de DRM.

35. Le DRM de Microsoft WMA est lié au système d'exploitation Windows, qui est installé sur la grande majorité des ordinateurs personnels (tandis que le DRM d'Apple est indépendant de tout système d'exploitation). L'intégration de WMA au sein de Windows donne à Microsoft l'assurance que son DRM sera très largement diffusé. De plus, cette intégration rend plus difficile le piratage.

36. Le WMA de Microsoft permet à l'utilisateur de déterminer, pour chaque titre, les restrictions d'usages qui y seront attachées. FairPlay, quant à lui, comporte des droits qui ont été déterminés une fois pour toutes (sept gravures, téléchargement sur trois ordinateurs). Ce manque de souplesse peut être un inconvénient pour les producteurs qui souhaitent pouvoir décider, pour chaque titre, des droits qui lui seront associés.

37. La dernière version du DRM de Microsoft permet, contrairement à FairPlay, la mise en œuvre du modèle de l'abonnement, qui repose sur le principe de la location de la musique (l'abonné a accès à l'intégralité du catalogue de la plate-forme, tant qu'il paie son abonnement). Cette fonctionnalité est mise en œuvre aux Etats-Unis par les plates-formes Napster et Rhapsody, qui possèdent plusieurs centaines de milliers d'abonnés.

38. Alors que les anciennes versions du DRM de Windows opéraient titre par titre, Fairplay est, depuis sa création, basé sur un système de " compte " (associé à une adresse e-mail) pouvant être alimenté de diverses manières (carte de paiement, cartes prépayées). La dernière version (Microsoft DRM 10) est, comme FairPlay, basée sur la notion de compte. Microsoft a donc rattrapé son retard sur Apple de ce point de vue.

39. La Commission européenne, dans le cadre de l'examen du rachat de la société ContentGuard par Microsoft et Time Warner, a publié un communiqué de presse dans lequel elle considère que le DRM de Microsoft est déjà leader sur le ou les marché(s) de DRM et qu'il existe un risque de renforcement de la position de Microsoft et d'un éventuel biais de l'évolution des technologies vers un " standard " Microsoft.

40. Il paraît donc peu probable, au vu des éléments disponibles à ce stade de la procédure, de considérer que Apple puisse détenir un pouvoir de marché suffisant pour lui conférer une position dominante sur un ou plusieurs marchés des DRM.

b) Sur les marchés des baladeurs numériques

41. Pour apprécier le pouvoir de marché d'Apple, il semble approprié d'estimer les parts de marché en valeur sur les douze mois précédant la date de la saisine, la capacité de pratiquer un prix élevé faisant partie du pouvoir de marché. Selon les données de GFK, Apple a réalisé 25 % des ventes en valeur sur le marché des baladeurs MP3 avec et sans disque dur, durant la période allant de juin 2003 à mai 2004. Si on se restreint aux baladeurs possédant un disque dur, la part de marché en valeur est de 53 % sur la même période.

42. Si on prend en considération les seuls baladeurs numériques sécurisés équipés d'un disque dur, alors la part de marché d'Apple sur cette même période est nettement plus élevée, mais moins significative car calculée sur un marché très restreint : l'apparition de baladeurs sécurisés avec et sans disque dur intégrant le DRM de Microsoft étant récente sur le marché français. Ces appareils, dont la commercialisation débute à peine, ne représentent qu'une très faible part de la base installée, compte tenu de l'avance de l'iPod. Mais sur un marché en pleine croissance sur lequel on constate l'arrivée de nombreux concurrents, il ne serait pas légitime de considérer que les parts de marché de l'iPod à court terme préfigurent la situation de moyen terme.

43. Cette appréciation dynamique des parts de marché rend d'autant plus nécessaire la prise en compte d'autres critères pour apprécier la puissance de marché d'Apple dans le secteur des baladeurs numériques.

44. Selon une étude de Jupiter Research, le prix et la capacité de stockage ne sont pas les deux seuls paramètres de la concurrence entre baladeurs. Lorsqu'on leur demande quelle caractéristique du baladeur importe le plus pour eux, 55 % des consommateurs mentionnent une batterie rechargeable, 52 % la taille du baladeur, 49 % la capacité à se connecter à l'ordinateur, 20 % la compatibilité avec le format MP3, 7 % avec le format WMA de Microsoft et moins de 1 % avec le format AAC d'Apple.

45. Plusieurs éléments démontrent qu'Apple est soumis à une forte pression concurrentielle de la part de concurrents nombreux et puissants : Sony, Creative, Rio, iRiver, Philips, Samsung, Thomson, par exemple.

46. Ainsi, le modèle Zen Touch de Creative est présenté dans plusieurs publications comme un rival direct de l'iPod : " il ressemble furieusement à l'iPod" (Micro-Hebdo du 9 septembre 2004) ou même comme " un clone de l'iPod " (journal 20 minutes du 24 septembre 2004). Dans les deux cas, sont soulignés les propres atouts de ce nouveau modèle, notamment l'autonomie : " On aime : l'autonomie exceptionnelle " (Micro-Hebdo), " il comble une faille de l'iPod : sa batterie offre une autonomie de 24 heures en lecture, contre seulement 12 heures pour son rival. De quoi faire réfléchir " (20 minutes), et prix : " D'autant que le Zen Touch est également moins cher : 299 euros, au lieu de 349 euros. " (20 minutes).

47. La firme japonaise Sony, inventeur du " walkman ", vient de lancer en France un baladeur numérique à disque dur de 20 Go, le NW-HD1. Son autonomie est de 30 heures. Il utilise le format propriétaire de Sony (ATRAC), mais dispose d'un convertisseur qui lui permet de lire le format MP3. Il supporte le DRM de Sony, Open MG, et est compatible avec la plate-forme Sony Connect. Pour mémoire, Sony a vendu, en 25 ans, 340 millions d'unités de Walkman (y compris CD et minidisc).

48. Face à ces nouveaux modèles proposés aux consommateurs, Apple continue d'investir des sommes considérables en communication pour maintenir l'avance de l'iPod. Les dépenses publicitaires d'Apple sont de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de dollars sur le seul territoire américain. Apple a lancé le premier modèle d'iPod en octobre 2001 et propose chaque année un nouveau modèle : en juillet 2004, Apple a lancé l'iPod mini, d'une capacité de 4 Go.

49. Enfin, loin de pouvoir s'abstraire de la concurrence des nouveaux arrivants, il faut noter, qu'en juillet 2004, Apple a baissé de 25 % les prix de tous les modèles de baladeurs iPod.

50. La concurrence sur le ou les marché(s) de baladeurs numériques est, donc, très dynamique avec des baisses de prix, des nouveaux entrants et de nombreuses innovations technologiques, qui concernent l'autonomie, les dimensions, le poids, la capacité de stockage et les fonctionnalités techniques des appareils (notamment, les outils de navigation pour faciliter la recherche d'un titre). Dans ces conditions, il est particulièrement délicat d'apprécier dans quelle mesure Apple pourrait s'abstraire de la concurrence et se comporter de manière indépendante de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs finaux.

51. Toutefois, et malgré les fortes incertitudes sur la puissance des acteurs sur le marché, on ne peut exclure, à ce stade de l'instruction, que la société Apple dispose d'une position dominante sur le marché des baladeurs numériques à disque dur, le cas échéant sécurisés.

c) Sur le marché du téléchargement payant de la musique en ligne en France

52. Six acteurs principaux opèrent actuellement sur le marché français du téléchargement payant de musique sur Internet : la FNAC qui est, par ailleurs, le premier vendeur de musique physique en France ; VirginMega, filiale du groupe Lagardère et société sour du distributeur Virgin MegaStores ; l'opérateur OD2, filiale française d'une entreprise britannique qui opère "en marque blanche" de nombreuses plates-formes (MSN, Wanadoo, Tiscali Music, alapage, etc...) ; les plates-formes de Sony et d'Universal, Sony Connect et E-Compil ; la plate-forme iTunes Music Store d'Apple.

53. La part d'Apple, en volume sur le marché français du téléchargement payant, a été estimée par le rapporteur, sur la base des dernières données hebdomadaires disponibles, à environ 75 %. Tous les titres ont été comptabilisés, qu'ils aient été téléchargés de manière individuelle, dans le cadre d'un album ou d'une compilation, et payés à l'unité ou dans le cadre d'un forfait. Cette estimation est cependant fragile, car basée sur des durées courtes : la plate-forme iTunes Music Store a été lancée le 16 juin dernier, celle de Sony en juillet. La période estivale peut avoir un effet perturbateur. Le chiffre de 75 % est d'interprétation particulièrement délicate dans un marché en forte expansion où les positions respectives peuvent évoluer rapidement. Quinze semaines après son lancement, les ventes d'iTunes Music Store sont en baisse après un niveau initial élevé dans un marché global en expansion, si bien que la part de marché d'Apple diminue depuis la fin de l'été 2004.

54. Depuis le lancement de la plate-forme d'Apple en juin 2004, deux acteurs majeurs sont entrés sur le marché. La plate-forme de Sony, Sony Connect, a été lancée le 5 juillet 2004. La FNAC doit également être considérée comme un nouvel entrant sur le marché français du téléchargement, puisqu'elle a ouvert sa plateforme en propre le 18 septembre. Auparavant, le site de la FNAC était opéré par OD2, qui négociait directement les droits avec les maisons de disques. La FNAC n'est donc opérateur de musique sur Internet que depuis le mois de septembre.

55. S'agissant du coût technique d'installation d'une plate-forme de téléchargement de musique en France, la FNAC mentionne " plusieurs millions d'euros " ; Universal et Sony s'accordent sur un chiffre de l'ordre de 5 millions d'euros ; OD2 mentionne une fourchette de 20 à 80 millions de dollars (mais cette fourchette prend en compte le marché américain) ; Apple n'a pas donné de chiffre précis au niveau français (car ses serveurs sont répartis dans plusieurs pays européens). VirginMega, quant à lui, a déclaré envisager de dépenser une somme de l'ordre de 25 Meuros entre 2003 et 2007 (" date de rentabilité " prévue dans le business plan) sans donner plus d'explication. Ces chiffres, assez peu concordants, doivent être mis en regard de la taille des entreprises ou des groupes concernés (Microsoft, Apple, Sony, VirginMega filiale de Lagardère, etc...). Le coût technique d'installation d'une plate-forme ne paraît pas être un obstacle susceptible de dissuader l'entrée d'entreprises bien connues du public et disposant d'une assise financière solide.

56. Il faut également mentionner, à côté de ces nouveaux entrants effectifs, de nombreux concurrents potentiels sur le marché français du téléchargement payant de musique sur Internet.

57. Le Conseil relève, ainsi, que la chaîne musicale MTV dispose déjà de plates-formes de téléchargement en Italie, en Allemagne et en Espagne. Il paraît très vraisemblable que MTV et des médias comparables, notamment des chaînes musicales de radio ou de télévision comme NRJ et M6, puissent développer, dans un proche avenir, la même activité sur le marché français et vendre sur Internet la musique qu'ils diffusent.

58. Les sociétés issues du secteur de l'informatique, comme Microsoft (qui vient d'entrer sur le marché américain) et Real Networks (qui opère la plate-forme Rhapsody aux Etats-Unis) sont également des concurrents potentiels, même si leur entrée effective sur le marché français n'est pas probable à court terme. Le Conseil relève que la puissance de Microsoft sur les marchés des systèmes d'exploitation pour ordinateurs personnels, des lecteurs média et des DRM, ainsi que l'intégration des trois composantes (Windows, Windows Media Player et Microsoft DRM), lui confèrent un avantage concurrentiel sérieux sur le marché du téléchargement de musique.

59. Le Conseil relève également, qu'en Allemagne, AOL vend plusieurs dizaines de milliers de titres sur Internet par semaine. Les fournisseurs d'accès à Internet sont, donc, des concurrents potentiels crédibles sur le marché du téléchargement de la musique en ligne. Ils disposent d'un atout important, à savoir la facilité de l'opération de paiement de la musique, qui est réalisée par le biais du prélèvement bancaire habituel au titre de l'abonnement.

60. Enfin, les grands distributeurs ne devraient pas manquer de s'intéresser à ce secteur. Aux Etats-Unis, l'un des principaux concurrents d'Apple est Wal-Mart, leader mondial de la grande distribution, qui est entré sur le marché du téléchargement de la musique dès l'année 2003.

61. Aux Etats-Unis, la concurrence sur le marché du téléchargement est extrêmement intense avec les opérations promotionnelles de Real Networks (promotion récente à $ 0,49 par titre pendant trois semaines), l'entrée de Microsoft, la présence de Wal-Mart depuis 2003, l'annonce récente de l'arrivée du groupe britannique Virgin. Le marché américain commence, par ailleurs, à se consolider avec le rachat récent de la plate-forme MusicMatch par Yahoo! (le site Internet le plus visité selon Nielsen NetRatings) pour 160 millions de dollars.

62. La société Apple ne pratique que la vente à l'unité, à cause des limitations techniques de son DRM. Aujourd'hui, en France, seule la plate-forme E-compil d'Universal propose des forfaits mensuels (par exemple, 8 euros par mois pour 10 titres téléchargés, avec un engagement de six mois). Aux Etats-Unis, le modèle de l'abonnement, qui est pratiqué par les plates-formes Napster et Rhapsody, repose sur le principe de la location de la musique : l'abonné a accès à l'intégralité du catalogue de la plate-forme, tant qu'il paie son abonnement (cette fonctionnalité, rendue possible par le nouveau module Janus du DRM de Microsoft, permettra, dans les prochains mois, le transfert des titres sur baladeurs dans le cadre de l'abonnement). Ce modèle économique aurait représenté, en 2003, 113 millions de dollars de chiffre d'affaires, contre 158 millions de dollars pour le téléchargement permanent payé à l'unité. La vente par abonnement se développe vite et pourrait dépasser la vente à l'unité en 2008. En Europe, Jupiter Research prévoit la même tendance, mais avec du retard. Le chiffre de 70 %, qui sert souvent de référence pour la part de marché d'Apple aux Etats-Unis, ne concerne que le seul segment du téléchargement à l'unité. Sachant qu'Apple ne pratique pas l'abonnement, sa part de marché en valeur serait, aux Etats-Unis, inférieure à 40 %. La montée en puissance du modèle de l'abonnement, qui est avérée sur le marché américain, relativise la solidité de la position concurrentielle d'Apple.

63. S'agissant des avantages de l'intégration verticale dont profite Apple, il faut noter qu'en France, chaque opérateur dispose d'atouts propres. La FNAC et VirginMega profitent de synergies avec leurs magasins physiques et d'une bonne connaissance du marché français de la musique, sachant que plus de la moitié des titres vendus en France, quel que soit le circuit de distribution, sont produits par des artistes nationaux. Inversement, Apple, Universal et Sony sont moins bien placés pour connaître le marché domestique mais bénéficient de synergies provenant de l'intégration verticale avec la fabrication de matériel pour le premier, avec la production musicale pour le second et avec les deux composantes à la fois pour le dernier.

64. En résumé, le marché du téléchargement de musique en ligne est naissant. Le site iTunes Music Store n'opère en Europe que depuis le 16 juin dernier. La concurrence sur ce marché est dynamique, tant en France que dans les autres pays européens et aux Etats-Unis : de nouveaux opérateurs entrent sur le marché et il existe de nombreux concurrents potentiels ; la concurrence en prix est intense, les marges sont réduites (de l'ordre de quelques centimes d'euro par titre), de nouveaux modèles économiques apparaissent. Il est difficile d'apprécier le pouvoir de marché d'Apple dans un tel contexte. Toutefois, à ce stade de l'instruction, on ne peut exclure que la société Apple dispose, avec sa plate-forme iTunes Music Store, d'une position dominante sur le marché du téléchargement payant de musique en ligne en France.

3. Sur la pratique dénoncée et la caractérisation d'un abus

65. Dans ses observations finales, la société plaignante soutient que l'accès au DRM FairPlay est indispensable à l'exercice de l'activité d'opérateur de musique en ligne, que FairPlay est une ressource essentielle et que le refus d'accès de la part d'un opérateur dominant sur le marché connexe des baladeurs numériques sécurisés à disque dur constitue un abus.

66. La plaignante observe également que le refus d'Apple conduit à une absence d'interopérabilité des systèmes de protection des droits qui peut pénaliser les consommateurs. Le Conseil de la concurrence, sans méconnaître les inconvénients liés à l'absence de compatibilité entre logiciels et matériels pour les usagers des sites de téléchargement, ne peut que relever que des situations de ce type sont récurrentes dans les secteurs liées aux technologies de l'information, où les innovations se succèdent à un rythme élevé. Ces ajustements des marchés aux innovations ne révèlent pas nécessairement des atteintes au droit de la concurrence. Or, si le Code de commerce, notamment ses articles L. 420-4 et L. 464-1, prévoit que le Conseil prend en compte, dans une certaine mesure, l'intérêt des usagers ou des consommateurs, il ne peut le faire que si l'atteinte constatée résulte d'une pratique prohibée par le droit de la concurrence.

67. Ainsi, l'abus allégué par la saisissante et sa demande de mesure conservatoire tendant à enjoindre Apple de lui accorder une licence obligatoire pour l'accès à son DRM sont finalement fondés sur la seule notion de ressource essentielle. Pour apprécier la validité de ses demandes, il convient de rappeler la jurisprudence des autorités françaises et communautaires de concurrence en matière d'accès à une facilité essentielle et de déterminer si les conditions posées par cette jurisprudence pour caractériser la présence d'un abus sont susceptibles d'être remplies dans le présent cas.

a) La jurisprudence récente en matière d'accès à une facilité essentielle

68. Dans sa décision du 24 mars 2004 concernant l'interopérabilité du système d'exploitation Windows avec les serveurs d'administration, la Commission européenne expose, au paragraphe 585 : " Dans Magill, Commercial Solvents et Télémarketing, un des éléments constitutifs de l'abus était le risque d'élimination de la concurrence du fait du comportement de l'entreprise dominante. Dans Bronner, la Cour de justice a clairement indiqué que, pour pouvoir s'appuyer sur l'arrêt Magill, il est nécessaire de montrer que l'accès est indispensable pour opérer sur le marché, ce qui signifie qu'il n'existe pas de substitut réel ou potentiel réaliste à l'accès. "

69. Dans son arrêt Bronner du 26 novembre 1998, la Cour de justice a conclu que : " Le fait pour une entreprise de presse, qui détient une part très importante du marché des quotidiens dans un État membre et qui exploite l'unique système de portage à domicile de journaux à l'échelle nationale existant dans cet État membre, de refuser, contre une rémunération appropriée, l'accès au dit système à l'éditeur d'un quotidien concurrent qui, en raison de la faiblesse du tirage de celui-ci, ne se trouve pas en mesure de créer et d'exploiter, dans des conditions économiquement raisonnables, seul ou en collaboration avec d'autres éditeurs, son propre système de portage à domicile ne constitue pas un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CE. " Au paragraphe 43, la Cour a notamment indiqué que : " "Il est en effet constant que d'autres modes de distribution de quotidiens, tels que la distribution par la voie postale et la vente dans les magasins et kiosques, même s'ils devaient être moins avantageux pour la distribution de certains d'entre eux, existent et sont utilisés par les éditeurs de ces quotidiens. "

70. Pour appliquer la jurisprudence de la Cour de justice au cas particulier de l'interopérabilité de Windows avec les serveurs d'administration, la Commission a procédé de la manière suivante. Au paragraphe 586, elle a indiqué : " Dans ce cas, le comportement de Microsoft s'agissant de la révélation des informations d'interface [information permettant l'interopérabilité] doit être analysé au regard des deux éléments clés soulignés ci-dessus. Premièrement, Microsoft bénéficie d'une position de force extraordinaire sur le marché des systèmes d'exploitation pour les ordinateurs PC clients. Deuxièmement, l'interopérabilité avec le système d'exploitation du PC client revêt une importance concurrentielle significative sur le marché des systèmes d'exploitation des serveurs d'administration ". Pour établir ce dernier point, la Commission s'est appuyée sur diverses enquêtes auprès des acheteurs, notamment les responsables des systèmes informatiques au sein des entreprises, susceptibles de décider du choix du système d'exploitation des serveurs d'administration. Ces enquêtes ont démontré que les demandeurs, dans leur très grande majorité, accordaient une importance majeure à l'interopérabilité avec Windows. Enfin, au paragraphe 781, la Commission insiste encore sur le caractère avéré du risque d'élimination de la concurrence et sur la démonstration du lien causal entre l'évolution du marché et l'avantage de Microsoft en terme d'interopérabilité avec Windows.

71. On peut également mentionner l'arrêt de la Cour de justice du 29 avril 2004 IMS Health qui établit qu'un outil statistique d'échantillonnage destiné à permettre des études de marché peut être considéré comme une facilité essentielle. L'une des conditions, posées par la Cour pour que le refus d'octroyer une licence puisse être considéré comme abusif, est la suivante : " L'entreprise qui a demandé la licence a l'intention d'offrir, sur le marché de la fourniture des données en cause, des produits ou des services nouveaux que le titulaire du droit de propriété intellectuelle n'offre pas et pour lesquels il existe une demande potentielle de la part des consommateurs " .

72. Dans sa décision n° 03-MC-04, confirmée par l'arrêt du 12 février 2004 de la Cour d'appel de Paris, le Conseil de la concurrence n'a pas exclu, au stade des mesures conservatoires, que " le refus d'accès direct [au tronc commun du logiciel Presse 2000] opposé par les NMPP aux MLP puisse constituer une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce. " De nombreux éléments versés au dossier démontraient que l'absence d'accès au tronc commun du logiciel Presse 2000 constituait pour les MLP un handicap concurrentiel majeur, susceptible de mettre en danger leur pérennité à court terme et donc d'éliminer toute concurrence sur le marché (les MLP étant le seul opérateur alternatif aux NMPP).

73. Ainsi, au paragraphe 56 de la décision, le Conseil a indiqué que : " Par ailleurs, il apparaît que, dans l'hypothèse où les MLP ne pourraient installer leur propre système parallèlement à celui des NMPP, le défaut d'accès direct au tronc commun de Presse 2000 pourrait constituer un handicap concurrentiel de nature à compromettre leur activité. " En l'absence d'accès au tronc commun, les dépositaires de presse devaient, en effet, ressaisir manuellement des informations en provenance et à destination des marchands de journaux, ce à quoi ils s'opposaient fermement selon les documents versés au dossier de la demande de mesures conservatoires. Le Conseil s'est notamment fondé sur un courrier du syndicat national des dépositaires de presse (SNDP) qui indiquait : " Dans l'hypothèse où le déploiement à terme de ces modules nécessiterait une quelconque ressaisie du poste MLP vers Presse 2000, nous ne saurions l'accepter. "

74. Le Conseil a également relevé, au paragraphe 84, que : " Certains éditeurs se plaignent d'ailleurs de la qualité des prestations informatiques offertes par les messageries lyonnaises. Tel est le cas des éditeurs des titres " Psychologies magazine " et " Cyber Press Publishing ", qui, dans des courriers en date respectivement du 13 septembre 2002 et du 21 juin 2002, font part aux MLP de leur décision de ne plus recourir à leurs services, en invoquant, pour le premier, le regret de ne pouvoir " bénéficier d'un outil informatique performant " et pour le second, l'espoir que les MLP soient très vite en mesure " de mettre à la disposition des éditeurs un véritable outil de réglage ". Enfin, le Conseil a constaté que de nombreux titres quittaient les MLP pour rejoindre les NMPP, ce qui confirmait le caractère indispensable de l'accès et le risque d'élimination de la concurrence.

b) L'application de cette jurisprudence au cas d'espèce

75. Le caractère indispensable de l'accès à FairPlay pour le développement des plates-formes payantes de téléchargement de musique en ligne doit être apprécié au regard des trois éléments suivants : les usages actuels de la musique téléchargée, les éventuelles possibilités de contournement par les consommateurs et l'évolution de l'offre de baladeurs numériques.

Les usages actuels de la musique téléchargée

76. Les principaux usages de la musique téléchargée sont, aujourd'hui, l'écoute sur l'ordinateur (relié, le cas échéant, à des hauts-parleurs externes), le stockage et la gestion de la musique sur l'ordinateur, notamment la création de compilations personnelles, et la gravure de CD, qui peuvent ensuite être écoutés sur un baladeur CD, un autoradio ou une chaîne de salon compatibles MP3. Ces usages sont majoritaires aujourd'hui, loin devant le transfert sur baladeurs numériques.

77. Les constatations précédentes proviennent de deux études très récentes sur les habitudes actuelles de consommation de la musique numérique, l'une du cabinet Forrester, qui se fonde sur une enquête auprès des Internautes européens, l'autre du cabinet Jupiter Research, qui exploite des données américaines. Ces deux études s'accordent pour conclure que le transfert sur baladeurs est un usage encore minoritaire de la musique téléchargée.

78. L'étude de Forrester, datée du 25 août 2004, repose sur une enquête réalisée auprès de 22 907 personnes dans sept pays européens en avril et mai 2004. Il est simplement demandé aux consommateurs s'ils téléchargent régulièrement de la musique et, pour ceux qui téléchargent au moins une fois par mois, ce qu'ils font avec la musique téléchargée. Les résultats sont les suivants. Parmi les personnes qui téléchargent de la musique au moins une fois par mois (plusieurs milliers de personnes dans l'échantillon), 66 % déclarent qu'elles écoutent la musique sur leur ordinateur ; 53 % qu'elles gravent leur propres CD ; 44 % qu'elles stockent et gèrent la musique sur leur ordinateur ; 15 % qu'elles transfèrent la musique sur un baladeur numérique.

79. L'étude Jupiter Research, datée d'avril 2004, repose sur une enquête réalisée aux Etats- Unis, à laquelle 896 personnes ont répondu. A la question " Quelle est la caractéristique de la musique sur Internet la plus importante pour vous ? ", 42 % des consommateurs répondent : " Faire mes propres compilations ", 19 % répondent : " Faire des copies multiples pour les avoir en plusieurs endroits ", 16 % répondent : " Transférer la musique sur un baladeur ".

80. Les résultats des rapports de Forrester et Jupiter contredisent la thèse selon laquelle l'essentiel de la musique téléchargée sur Internet est destiné à alimenter des lecteurs portables. Cette affirmation, contrairement aux études de Jupiter et de Forrester, ne se fonde sur aucune enquête statistique. VirginMega cite, par ailleurs, les résultats d'une étude de Jupiter Research ayant consisté en 24 interviews de chefs d'entreprise du secteur de la musique en Europe. Toutefois, les réponses obtenues dans ce cadre donnent beaucoup moins d'informations sur les comportements du public que les études statistiques portant directement sur la demande. De même, si VirginMega mentionne certaines études auprès des consommateurs, qui portent sur des souhaits ou des déclarations d'intention de la part de consommateurs potentiels, ces études ne décrivent pas les comportements présents des usagers actuels des plates-formes de téléchargement.

La possibilité de contournement par la gravure

81. Le transfert sur un baladeur iPod de titres téléchargés sur VirginMega ou tout autre plate-forme est possible par l'intermédiaire d'une gravure, plus précisément par la manipulation suivante : télécharger le titre sur le site de VirginMega, le graver sur un CD, copier le titre du CD vers le disque dur de l'ordinateur en format MP3 ou AAC, par exemple à l'aide du logiciel gratuit iTunes player (cette opération est connue sous les vocables de numérisation ou de ripping) ; enfin, transférer le fichier sur l'iPod en utilisant le même logiciel.

82. Cette manipulation est légale, toutes les plates-formes autorisant au moins une gravure. Son coût financier est négligeable (de l'ordre, au maximum, de 3 centimes d'euro par titre, soit un surcoût d'environ 3 % par rapport au prix du téléchargement). Si ces opérations sont plus compliquées que le transfert direct de l'ordinateur sur le baladeur, elles sont très familières aux internautes et aux amateurs de musique. Ces derniers ont en effet une grande habitude de la gravure, comme le montrent les chiffres suivants. En 2003, les ventes de CD enregistrés ont représenté 140 millions d'unités, celles de CD vierges gravables 400 millions d'unités (sources FNAC et SNEP). On estime que les deux tiers des CD gravables vendus sont destinés à recevoir de la musique, ce qui représente le double des CD musicaux enregistrés.

83. Par ailleurs, selon une étude commandée par Universal, alors que seuls 15 % des clients de cette plate-forme avaient un baladeur en 2003, 80 % d'entre eux possédaient un graveur. Les amateurs de musique ont également une très grande habitude de l'opération de numérisation (ou ripping), puisqu'ils alimentent leur baladeur en musique, pour une très large part, à partir de leurs CD enregistrés personnels. Au total, la gravure permet donc, à court terme, de contourner relativement aisément l'absence d'interopérabilité. La FNAC a, d'ailleurs, publiquement indiqué ce moyen à ceux de ses clients qui pouvaient l'ignorer.

84. La gravure et la conversion des titres au format MP3 donnent accès non seulement aux baladeurs iPod mais aussi au très vaste ensemble des matériels d'écoute compatibles MP3 (nombreux baladeurs, lecteurs CD, de nombreuses chaînes Hi-Fi de salon...).

85. Certes, dans une optique de long terme, la manipulation précitée de contournement par la gravure pourrait se révéler inefficace, l'objet même de la musique numérique étant de s'affranchir du support physique. L'on peut donc se demander si elle ne sera pas amenée à disparaître progressivement. Il reste qu'aujourd'hui, cette manipulation correspond à une pratique extrêmement répandue.

L'apparition de nombreux baladeurs numériques avec et sans disque dur compatibles avec le DRM de Microsoft et la plate-forme VirginMega

86. La plate-forme VirginMega, comme celle de la FNAC, renvoie l'internaute désirant connaître les baladeurs compatibles vers une page du site américain de Microsoft qui présente une longue liste de baladeurs numériques compatibles avec la dernière version (version 10) du DRM de Microsoft. Ces baladeurs sont compatibles avec les plates-formes VirginMega et FnacMusic. La liste est régulièrement mise à jour, pour tenir compte de l'apparition de nouveaux baladeurs intégrant le DRM de Microsoft.

87. Parmi les baladeurs cités sur le site de Microsoft, une cinquantaine au moins est actuellement disponible sur des sites français de vente en ligne et donc accessible aux internautes français. Ces baladeurs, de marque Creative, Rio, iRiver, Samsung et Archos, couvrent toute la gamme de prix et de capacité, de la clé USB de 128 Mo au baladeur à disque dur de plusieurs dizaines de Go. 88. Le fabricant Thomson a indiqué que cinq de ses baladeurs seraient, avant la fin de l'année 2004, compatibles avec le format WMA sécurisé de Microsoft. Quant à Philips, il a déclaré : " Il est impératif de se mettre en conformité avec les sites web de ventes en ligne qui ont adopté le format WMA sécurisé ".

89. Le Conseil relève enfin qu'il n'existe aucun lien entre le fait pour un baladeur numérique d'être ou non équipé d'un disque dur et le fait d'être ou non sécurisé, c'est-à-dire de supporter un logiciel DRM, notamment la dernière version du DRM de Microsoft. Cette absence de lien technique a été indiquée, de la manière la plus nette, par Thomson et Philips dans leur réponse au questionnaire du rapporteur. Elle est confirmée par la simple observation du marché, qui démontre l'existence de nombreux modèles de baladeurs sécurisés sans disque dur. De plus, les ventes de baladeurs sans disque dur sont deux fois plus élevées que celles des baladeurs avec disque dur et ce chiffre devrait rester stable dans les prochaines années. La situation sur le marché des baladeurs à disque dur (si ce marché existe) ne contraint donc pas automatiquement la concurrence sur le marché du téléchargement payant de musique.

Sur le lien entre la part de marché du site iTunes et l'accès au DRM Fairplay d'Apple

90. Une multiplicité de caractéristiques détermine l'attractivité d'une plate-forme payante de téléchargement de musique en ligne aux yeux des consommateurs :

* le prix et plus généralement les modalités de tarification de la musique en ligne ; les morceaux peuvent être vendus à l'unité (" à la carte "), soit individuellement soit dans le cadre d'un album (ou d'une compilation de dix ou vingt titres) ;

* la facilité, la simplicité et le confort d'utilisation de la plate-forme, les fonctionnalités techniques qu'elle offre à l'internaute : téléchargement permanent, écoute gratuite d'extraits, ainsi que le nombre de gravures autorisés et le nombre de transferts sur baladeurs ; parmi ces éléments techniques figurent aussi la possibilité et la facilité du transfert sur un baladeur numérique et la richesse du choix des baladeurs numériques compatibles avec la plate-forme ;

* les caractéristiques du catalogue proposé : le nombre de titres, mais aussi la nature qualitative des titres, leur adaptation au goût du public visé, ainsi que l'animation du site, les artistes mis en avant, les opérations promotionnelles ;

* la facilité et la simplicité des moyens de paiement proposés aux clients : cartes de paiement, facturation par le biais du téléphone mobile ou de l'abonnement du fournisseur d'accès à Internet (les clients sont souvent des adolescents qui ne possèdent pas nécessairement de carte de crédit). Sur ce plan, la reconnaissance de la marque est très importante pour acquérir la confiance des consommateurs. 91. Si la hiérarchisation des facteurs précités ne fait pas l'objet d'un consensus entre les acteurs, il est acquis que la concurrence entre plates-formes est largement multidimensionnelle. De ce point de vue, on relève les différences suivantes entre Apple et ses concurrents :

* Apple a innové en affichant un tarif uniforme, donc très lisible pour les consommateurs : un prix unique pour tous les titres, indépendant de l'ancienneté et du label, fixé à un niveau psychologique : 0,99 euros en Europe, 0.99 $ aux Etats-Unis. Les prix des autres plates-formes sont souvent variables suivant les titres et les labels. Le niveau de prix d'Apple est en moyenne inférieur à celui de VirginMega, qui vend les titres à l'unité au prix de 0,99 euros ou 1,19 euros selon le label et l'ancienneté du titre. L'étude de UFC Que choisir du 22 septembre 2004 retient le prix moyen de 1,19 euros pour les titres vendus individuellement par VirginMega. Selon les réponses fournies par VirginMega aux questionnaires du rapporteur, son prix moyen par titre serait de 1,12 euros TTC. L'écart de prix entre Apple et VirginMega serait donc d'au moins 12 %. Les représentants de VirginMega ont toutefois déclaré en séance avoir aligné, au cours du mois de septembre dernier, leur politique tarifaire sur celle d'Apple ;

* Apple semble disposer d'une avance en terme de taille du catalogue mis en ligne. Les chiffres, retenus par l'étude de UFC Que Choisir du 22 septembre, sont de 700 000 titres pour Apple contre 350 000, au maximum, pour les concurrents. Toutes les plates-formes ont des accords avec les principales maisons de disques, mais Apple semble disposer d'un nombre plus élevé de titres en provenance des labels dits "indépendants". En tout état de cause, l'avance d'Apple en terme de taille du catalogue n'est que temporaire, la taille des catalogues de toutes les plates-formes devrait, selon les observateurs du marché, converger à court terme vers un million de titres ;

* Apple autorise un nombre illimité de gravures pour les titres individuels et sept gravures pour les compilations. Le nombre de gravures autorisés par e-compil et Sony Connect est respectivement un et trois. VirginMega, quant à elle, autorise au moins sept gravures pour chaque titre ;

* La plate-forme iTunes Music Store est la seule à proposer gratuitement des clips et bandes annonces en streaming (source : comparatif du Journal du Net) ;

* Apple a dépensé des sommes considérables en publicité et en communication. Il ne semble pas que les concurrents aient entrepris des dépenses équivalentes. De plus, Apple bénéficie certainement d'un effet de réseau indirect, au sens où les possesseurs d'iPod sont, toutes choses égales par ailleurs, incités à télécharger sur la plate-forme d'Apple. Par ailleurs, Apple profite d'une économie de gamme pour les coûts de publicité et de communication, ses campagnes de publicité portant souvent à la fois sur le baladeur iPod et sur la plate-forme iTunes Music Store.

92. Au total, de nombreux facteurs, autres que son interopérabilité avec les baladeurs iPod, peuvent expliquer le différentiel constaté entre les niveaux de ventes d'iTunes Music Store et des autres plates-formes.

93. S'agissant, enfin, des motifs de son refus d'accorder des licences de FairPlay à des opérateurs tiers, la société Apple expose qu'elle est amenée à modifier FairPlay à chaque fois qu'une faille de sécurité est repérée, ce qui se produit à intervalles réguliers. Elle cite certaines clauses de ses contrats avec les majors, qui impliquent, selon elle, qu'en cas de licence de FairPlay, elle serait dans l'obligation de maintenir un contrôle total sur la mise en œuvre du DRM par toutes les parties tierces qui en auraient la licence. Apple devrait consacrer des moyens humains importants pour satisfaire cette obligation contractuelle et juge plus rentable de consacrer ces moyens à la lutte contre la piraterie et à l'installation de la plate-forme iTunes Music Store dans de nouveaux pays européens.

94. De plus, Apple soutient qu'une obligation de licence impliquerait une modification de l'architecture de FairPlay (dont les caractéristiques de sécurité sont actuellement cachées en trois emplacements : le logiciel iTunes Player, la plate-forme iTunes Music Store et le baladeur iPod), ce qui fragiliserait la sécurité du dispositif.

95. Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer, à ce stade, sur la validité de ces arguments, le Conseil relève que le caractère non justifié du refus de licence, élément exigé par la jurisprudence pour caractériser un abus, n'est pas appuyé d'éléments suffisants dans la saisine du demandeur.

Sur la caractérisation suffisante d'un abus

96. La jurisprudence pose des conditions très strictes sur le caractère indispensable de l'accès à une facilité essentielle, notamment le fait qu'il ne doit pas exister de substitut réel ou potentiel réaliste. Pour que le refus d'accès puisse être considéré comme abusif, la jurisprudence exige que le risque d'élimination de la concurrence soit bien établi. Elle impose enfin l'existence démontrée d'un lien de causalité entre la position dominante et l'abus. En l'espèce, aucun de ces trois éléments n'est présent.

97. En outre, la jurisprudence communautaire et nationale précitée exige que le caractère indispensable de l'accès à une facilité essentielle soit prouvé. Or, en l'espèce, le caractère indispensable de l'accès au DRM d'Apple n'apparaît pas prouvé pour trois raisons :

* le caractère minoritaire du transfert sur baladeur dans les usages actuels de la musique téléchargée ;

* l'existence d'une possibilité simple, peu coûteuse et très courante de contournement de l'incompatibilité des DRM : la gravure sur CD ;

* l'apparition récente en France de nombreux baladeurs numériques, avec et sans disque dur, sécurisés avec le DRM de Microsoft et compatibles avec la plate-forme VirginMega.

98. Enfin, les différences d'attractivité des différentes plate-formes de téléchargement peuvent s'expliquer par de multiples éléments qui sont sans lien avec le caractère indispensable ou non de l'accès au DRM d'Apple.

99. Il est donc exclu, avec les éléments apportés par la saisine et recueillis au cours de l'instruction contradictoire menée à l'occasion de l'examen de la demande de mesure conservatoire, que le DRM FairPlay puisse être considéré, dans l'état actuel du marché, comme une facilité essentielle pour les plates-formes légales de téléchargement de musique en ligne.

100. Quant au risque d'élimination de la concurrence, il paraît très réduit, au moment où deux opérateurs majeurs (Sony Connect et Fnacmusic) viennent d'entrer sur le marché où la concurrence, notamment en prix entre les six acteurs présents, est très intense et où de nombreux concurrents potentiels sont susceptibles d'apparaître à court et moyen terme.

101. Enfin, le lien de causalité entre la position éventuellement dominante d'Apple sur le marché des baladeurs à disque dur et la situation de la concurrence sur le marché du téléchargement n'est pas établi. En effet, de multiples modèles de baladeurs, avec et sans disque dur, intégrant le DRM de Microsoft et compatibles avec la plate-forme VirginMega, apparaissent sur le marché français. Au surplus, les baladeurs à disque dur ne représentent pas la majorité des ventes de baladeurs numériques. Ils sont et resteront longtemps dominés par les baladeurs flash, qui peuvent également intégrer le DRM de Microsoft (plusieurs modèles sécurisés sont déjà disponibles en France).

102. A titre subsidiaire, on peut aussi relever que la condition posée par la Cour de justice dans l'arrêt IMS Health n'est pas non plus remplie, VirginMega n'ayant pas déclaré vouloir proposer un produit ou un service nouveau qu'Apple ne souhaiterait pas offrir et dont la commercialisation serait conditionnée à un accès au DRM d'Apple.

103. Au total, même à supposer qu'il existe un marché des baladeurs numériques sécurisés à disque dur et que la société Apple dispose d'une position dominante sur ce marché, les éléments suffisamment probants de nature à caractériser un abus ne sont pas, en l'état actuel du dossier, réunis et la saisine doit être rejetée en application L. 462-8 du Code de commerce. La demande de mesure conservatoire, qui ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond, doit donc également être rejetée par voie de conséquence.

Conclusion

104. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits dénoncés par la saisine ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants de nature à caractériser, en l'état actuel du marché, l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence au sens des dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du Traité CE. Il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

105. Le Conseil de la concurrence souligne qu'un tel rejet ne fait pas obstacle à ce que les entreprises du secteur, dans le cas où elles feraient état d'éléments nouveaux provenant de l'observation ultérieure du marché, puissent saisir utilement le Conseil.

Décision

Article 1er : La saisine enregistrée sous le numéro 04/0045 F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesure conservatoire enregistrée sous le numéro 04/0046 M est rejetée.