Livv
Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 2, 7 avril 1993, n° 323

POITIERS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lerner (faisant fonction)

Conseillers :

M. Andrault, Mlle Mechiche

Avoués :

SCP Musereau-Drouineau-Rosaz, SCP Paille-Thibault

Avocats :

Me Meyer, Rivaillon.

TI Sables d'Olonne, du 22 janv. 1991

22 janvier 1991

Faits et procédure

Le centre hospitalier du secteur a souscrit, auprès de la SA O concessionnaire exclusif de la publicité insérée dans les annuaires des abonnés au téléphone édités par l'Administration des PTT, un ordre d'insertion pour une publicité à paraître dans l'édition 1987 pour le départe:ment de la Vendée.

Se plaignant d'erreurs le centre hospitalier a refusé de régler la facture d'un montant de 14 372,42 F. La SA O l'a fait assigner devant le Tribunal d'instance des Sables d'Olonne pour obtenir paiement de cette somme augmentée de la clause pénale de 20 %.

Le centre hospitalier a soulevé l'incompétence du tribunal d'instance au profit du Tribunal administratif de Nantes. Par jugement du 20 février 1990 le Tribunal d'Instance des Sables d'Olonne a rejeté cette exception d'incompétence.

Par jugement du 25 mai 1990 le Tribunal d'Instance des Sables d'Olonne a ordonné la réouverture des débats afin de permettre au centre hospitalier de consulter une association de consommateurs agréée et permettre à celle-ci de décider si elle entend intervenir.

L'association I de la Vendée est intervenue aux débats.

Par jugement du 22 janvier 1991, le Tribunal d'instance des Sables d'Olonne a :

- annulé la clause restrictive de responsabilité du contrat du 24 juin 1986,

- ordonné à la SA O de supprimer la clause abusive sous astreinte de 1 000 F par jour,

- prononcé la résiliation du contrat du 24 juin 1986,

- débouté La SA Ode sa demande en paiement,

- condamné la SA O à payer à la société I la somme de 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA O a relevé appel de ce jugement et soutient :

- que le jugement du 15 mai 1990 contient une contrariété de motif et doit être réformé,

- que ce même jugement a ordonné une réouverture des débats que personne ne sollicitait, qu'il en était de même pour la réouverture des débats du 16 octobre 1990,

- que l'intervention de l'association I est irrecevable,

- que les prétentions du centre hospitalier et de l'Association I sont mal fondées, que la loi du 10 janvier 1978 ne s'applique pas en l'espèce s'agissant d'un contrat de prestation de service et non de vente, que le centre hospitalier n'a pas la qualité de consommateur

- que la clause dont la suppression est demandée a été modifiée.

La SA O demande à la cour de réformer le jugement et de :

- constater que le jugement dont appel est entaché :

* d'une contrariété de motifs,

* d'un excès de pouvoir,

* du non-respect du principe du contradictoire,

* du non-respect du principe de l'égalité des parties

- constater que la condamnation prononcée ne peut recevoir exécution en l'espèce,

- En conséquence, réformer la décision ainsi rendue et statuant à nouveau,

- constater que l'Association I ne justifie pas de sa qualité à l'action,

- constater que son intervention volontaire n'est pas conforme aux prescriptions des articles 5 et 6 de la loi du 5 janvier 2988,

- en conséquence, dire la société I irrecevable en son intervention volontaire,

- la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire la loi du 10 janvier 1978 inapplicable au contrat passé entre l'O et le centre hospitalier,

- en conséquence, dire mal fondée la demande reconventionnelle formée par le centre hospitalier,

- le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et avec lui l'Association I

Faire droit à la demande originaire de l'O ;

- En conséquence :

- condamner le centre hospitalier au paiement d'une somme de 17 246,20 F, (principal et clause pénale) augmentée des intérêts de droit courant à compter de la date de l'exploit introductif d'instance délivré par l'O,

- condamner le centre hospitalier et l'Association I à payer solidairement la somme de 10 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le centre hospitalier l'Association I forment appel incident et demandent à la cour de :

- faire droit à la demande du centre hospitalier visant à ce que la cour dise que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut l'ODA est abusive et doit être considérée, dans ces conditions, comme non écrite,

- à titre subsidiaire, dire que l'O ne peut valablement se prévaloir de cette clause en raison de sa faute lourde,

- en toute hypothèse donc, faire droit à la demande du centre hospitalier en résiliation du contrat du 24 juin 1986,

- débouter donc, toujours en toute hypothèse, la société O de sa demande en paiement et dire que le centre hospitalier peut prétendre à l'indemnisation de son préjudice ; lui donner acte de ce qu'il sollicite de ce chef l'allocation d'un franc symbolique,

- pour le surplus, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a accueilli l'intervention volontaire de l'Association I et fait droit à ses demandes fondées sur les dispositions de la loi du 5 janvier 1988 en annulant la clause limitative de responsabilité résultant du contrat du 24 juin 1986 et ordonnant sous astreinte à l'O de supprimer dans les modèles de conventions habituellement proposés aux consommateurs cette clause,

- à titre subsidiaire et dans l'hypothèse où l'ODA établirait avoir modifié ainsi qu'elle le prétend la teneur des conventions habituellement proposées aux consommateurs. d'une part, confirmer néanmoins la décision entreprise en ce qu'elle a annulé la clause restrictive de responsabilité du contrat du 24 juin 1986 et ordonné à l'O de supprimer dans les modèles de conventions sous astreinte, cette clause, mais pour les contrats antérieurement proposés aux consommateurs, d'autre part, pour ceux actuellement en vigueur, ordonner à l'O de supprimer dans les modèles de conventions habituellement proposés aux consommateurs, la clause à laquelle elle se réfère sous la même astreinte que celle précédemment prononcée.

- en toute hypothèse, condamner la société O à régler tant à l'Association I qu'au centre hospitalier une somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance et appel abusifs outre une somme identique sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le centre hospitalier et l'Association I font valoir :

- que le tribunal ne s'est pas contredit, que seul le dispositif a autorité de la chose jugée,

- que les informations erronées ou oubliées sur l'annuaire ont causé un préjudice, qu'à la demande de paiement le centre hospitalier a sollicité la résiliation du contrat ; que le centre hospitalier est recevable à soulever le caractère abusif de la clause limitative de responsabilité, que les fautes commises par l'O, ont provoqué de graves désordres qu'il y a lieu à résiliation du contrat et des dommages-intérêts, que la loi du 10 janvier 1978 est applicable à tous types de contrat, que le centre hospitalier doit être considéré en l'espèce comme un non-professionnel, qu'il y a eu faute lourde excluant toute clause limitative de responsabilité,

- que le juge était libre d'ordonner la réouverture des débats, qu'aucun moyen de procédure n'est valable, que l'action de l'I est recevable, que la société ODA devra supprimer la clause abusive.

En réponse la société O soutient :

- que la demande de dommages-intérêts du centre hospitalier est irrecevable comme étant nouvelle,

- que l'article 2 du décret du 24 mars 1978 ne vise que les contrats de vente, que le centre hospitalier est un professionnel et ne peut pas invoquer le bénéfice des clauses abusives,

- qu'il n'y a eu aucune faute lourde,

- que l'I est irrecevable à intervenir faute d'agrément et de demande initiale en dommages-intérêts, que l'O ne s'adresse qu'à des professionnels,

- que l'I demande à la cour la suppression d'une clause nouvelle sans lien avec le présent litige,

- que la clause de 1987 n'est plus en vigueur que la demande est sans objet,

- que la nouvelle clause n'est pas abusive,

- que l'O ne peut se voir reprocher aucune résistance abusive.

L'O demande de :

- constater que le jugement dont appel est entaché d'une contrariété de motifs, d'un excès de pouvoir, du non-respect du principe du contradictoire et du non-respect du principe de l'égalité des parties,

- débouter le centre hospitalier et l'Association I de leurs prétentions sur ce point,

- réformer en conséquence le jugement dont appel,

Et statuant à nouveau,

1°) dire le centre hospitalier irrecevable en sa demande d'indemnisation d'un prétendu dommage,

- le dire mal fondé en toutes ses demandes

- en conséquence, faire droit à la demande originaire de l'O en paiement du contrat conclu entre les parties,

2°) dire l'Association I irrecevable à intervenir volontairement à la procédure et en conséquence, la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- à titre subsidiaire :

- dire l'Association I irrecevable en sa demande nouvelle portant sur la suppression de la clause limitative de responsabilité actuellement contenue aux contrats proposés par l'O

- la dire mal fondé en l'ensemble de demandes

- pour le surplus adjuger à la concluante bénéfice de ses précédentes écritures,

- condamner le centre hospitalier et l'Association I en 20 000 F au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en tous les dépens de l'instance et d'appel dont distraction pour ceux qui le concernent au profit de Maître Musereau, Avoué aux offres de droit.

Une ordonnance de clôture est intervenue le 14 janvier 1993.

Motifs

Attendu que les 20 février 1990, 15 mai 1990 et 16 octobre 1990 le tribunal a rendu trois jugements avant dire droit ; que par jugement du 22 janvier 1991 il a statué au fond ; que la société O n'a relevé appel que du jugement du 22 janvier 1991 (ses déclarations au greffe de la cour des 11 et 12 mars 1991) ; que les moyens tirés des irrégularités de procédure qu'elle invoque relative aux jugements avant dire droit sont irrecevables ;

Attendu que toutes les parties ont comparu au jugement du 22 janvier 1991 ; que chacune a pu faire valoir ses moyens ; que le principe contradictoire a été respecté ; que le jugement du 15 mai 1990 ne contient dans son dispositif qu'une ordonnance de la réouverture des débats ; qu'il n'a déclaré aucune irrecevabilité que seul le jugement du 22 janvier 1991 soumis à la cour tranche l'entier litige ; qu'ayant statué sur le fond il a considéré que les actions étaient en l'état recevables;

Sur la demande du centre hospitalier

Attendu que le centre hospitalier a donné à la société O un ordre d'insertion d'une publicité dans les pages blanches et jaunes de l'annuaire des Télécommunications ; qu'il est apparu que la numérotation en pages blanches ne mentionnait pas les numéros de certains services et que l'encart des pages jaunes ne mentionnait pas la localité où était situé le centre hospitalier; qu'en réponse à la demande de paiement de la société O le centre hospitalier a sollicité la résiliation du contrat en invoquant la clause abusive de limitation de responsabilité contenue au contrat et ce par application de la loi 78-23 du 10 janvier 1978 ;

Attendu que la loi du 10 janvier 1978 relative à la protection des consommateurs contre les clauses abusives intéressent les contrats conclus "entre professionnels et non professionnels ou consommateurs" qu'un professionnel peut être considéré comme un consommateur s'il conclut un contrat dans un domaine sans rapport direct avec l'exercice de sa profession et se retrouve ainsi dans le même état d'ignorance que n'importe quel autre consommateur, et ce sans qu'il y ait à distinguer les consommateurs avertis des autres ; qu'en l'espèce le centre hospitalier a agi dans le cadre normal de sa profession pour le bénéfice de ses relations avec ses usagers ; qu'il a conclu comme n'importe quel professionnel soucieux de maintenir ses liens avec sa clientèle ; que dès lors le centre hospitalier n'a pas qualité pour invoquer la loi du 10 janvier 1978 sur les clauses abusives ;

Attendu que le centre hospitalier invoque à titre subsidiaire le dol et les fautes lourdes du débiteur qui rendent inapplicables les clauses exclusives et limitatives de responsabilité, qu'il insiste sur la gravité des fautes commises et le caractère essentiel de l'obligation ;

Attendu que la société O était tenue d'une obligation de résultat considérée comme impérative ; que toute clause contraire qui le ferait dégénérer en obligation de moyens doit être privée d'efficacité ; que dans le contrat conclu entre les parties, la parution du numéro de téléphone exact était un élément essentiel ; que dans les pages blanches de l'annuaire 1987 trois services du centre hospitalier comportaient des numéros erronés alors qu'il appartenait à la société O de vérifier avant parution l'exactitude des mentions ; que ce grave manquement rend inopposable au centre hospitalier la limitation de responsabilité dont se prévaut l'O ;

Attendu en conséquence qu'eu égard aux fautes graves commises par la société O il y a lieu à résiliation totale du contrat ; que la société O doit être déboutée de sa demande de paiement relative au contrat litigieux ;

Attendu que les numéros de téléphone erronés ont entraîné un afflux de communication au standard général du centre hospitalier et ont perturbé pendant une année le fonctionnement de ce service ; que le centre hospitalier est bien fondé à solliciter l'indemnisation de son préjudice ; qu'il lui est alloué la somme de 1 F qu'elle réclame et qui répare son préjudice ;

Sur la demande de l'Association I :

Attendu que cette association justifie par la production de la photocopie des arrêtés des 7 novembre 1986 et 5 novembre 1991 de son agrément pour exercer les actions prévues à la loi du 5 janvier 1988 ;

Attendu qu'aux termes de la loi du 5 janvier 1988 les associations de consommateurs peuvent selon l'article 5 intervenir volontairement lorsque la demande initiale a pour objet la réparation d'un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs et selon l'article 6 demander à la juridiction civile d'ordonner la suppression des clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs ;

Attendu qu'en l'espèce l'Association I agit sous forme d'intervention volontaire ; que cette intervention n'est recevable que si l'action principale est elle-même recevable ; qu'ainsi qu'il a été dit plus haut le centre hospitalier en sa qualité de professionnel n'est pas recevable à se prévaloir de la loi sur les clauses abusives qu'en outre le centre hospitalier n'était pas demandeur à une action en réparation d'un préjudice mais défendeur à une demande en paiement ; que l'association I est irrecevable à agir au titre de l'article 5 de la loi du 5 janvier 1988 ; que cette association ne peut pas se prévaloir non plus de l'article 6 qui ne concerne que l'action par voie principale ;

Attendu en conséquence que l'Association I est déclarée irrecevable, que son action est d'autant plus irrecevable que pour la première fois elle demande devant la cour la suppression de clauses nouvelles ;

Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que le jugement déféré est réformé ; que le contrat liant la société O et le centre hospitalier est résilié que la société O ne peut pas prétendre au paiement du prix de ses prestations pour des motifs autres que ceux déclarés par le tribunal ;

Attendu que la société O était partiellement fondée en son appel ; que toutefois elle conservera à sa charge les dépens d'instance et d'appel en raison de sa succombance majeure qu'aucun motif d'équité n'impose de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties ; que l'appel partiellement fondé n'était pas abusif qu'il n'y a pas lieu à dommages-intérêts pour résistance et appel abusifs ;

Par ces motifs, LA COUR, Reforme le jugement du Tribunal d'instance des Sables d'Olonne du 22 janvier 1991, Statuant à nouveau, Dit que le centre hospitalier ne peut pas se prévaloir de la loi 78-23 du 10 janvier 1978, Prononce la résiliation du contrat du 24 juin 1986 pour faute aux torts de la société O ; Déboute la société O de sa demande de paiement ; Condamne la société O à payer au centre hospitalier la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts, Déclare irrecevable l'intervention de l'Association I Dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts et à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société O aux entiers dépens d'instance et d'appel et Autorise la SCP Paille-Thibault recouvrer directement les frais dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.