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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 8 avril 1999

RENNES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thierry

Conseillers :

Mme Gendry, M. Christien

Avoués :

Mes Bazille & Genicon, Bourges

Avocats :

Mes Chevallier, Franck.

CA Rennes n°

8 avril 1999

I- Exposé préalable

Par un arrêt du 22 janvier 1998, aux énonciations duquel il est fait référence quant à l'exposé des prétentions formulées et des moyens articulés par les parties à ce stade de la procédure, la cour:

- a déclaré illicite la clause de l'article 2.13.2 du contrat stipulant qu'en cas de résiliation du contrat de location du fait du locataire en application des clauses résolutoires ou en cas de non-respect des délais de préavis légaux, le dépôt de garantie demeurera acquis au bailleur de plein droit, à titre de clause pénale, en réparation du préjudice subi;

- a ordonné la suppression de cette clause dans les contrats de la S se rapportant à la résidence "Le J des S " sous astreinte de 500 F par jour de retard et par infraction constatée, pendant une durée de trois mois à compter de la signification du présent arrêt;

- et, avant de statuer sur les autres demandes,

- a invité les parties à conclure sur la recevabilité de l'action tendant à l'application des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et à la reconnaissance du caractère abusif des stipulations figurant aux articles 2 alinéa 4 (page 4), 2.3.4 (page 5) et 2.3.12 (page 7) du contrat de bail souscrit par M. O C le 18 septembre 1991,

- a prononcé la révocation de l'ordonnance de clôture, renvoyé la cause et les parties devant le conseiller de la mise en état,

- et a réservé les dépens.

Par acte du 4 juin 1998, la C, l'U, F ont assigné la société C en intervention forcée devant la cour.

Il est procédé à l'exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens par visa de l'assignation susvisée et des conclusions déposées:

- les 2 novembre 1998 et 10 février 1999, par la C et M O C

- les 2 juin 1998, 2 novembre 1998 et 10 février 1999, par l'U, l'association F et la C

- les 30 octobre 1998 et 18 février 1999, par la société anonyme C et la société de G L

- le 22 février 1999, par la C, M O, l'U, l'association F et la C

II - Motifs:

En raison du lien qui existe entre les deux instances suivies devant la cour, il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble et il convient par conséquent d'ordonner leur jonction.

Les conclusions en réponse signifiées le 10 février 1999 par l'U l'Association F et la C ne l'ont pas été suffisamment tôt pour permettre aux parties adverses de les examiner utilement afin d'élaborer une éventuelle réplique.

Il en est de même des deux pièces faisant l'objet du bordereau de communication de la S et de la C en date du 19 février 1999.

En effet, l'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 1999.

Ces conclusions et ces pièces seront donc écartées des débats en application des dispositions des articles 15 et 16 du nouveau Code de procédure civile.

La C et la S font valoir que, l'appartement donné à bail à M. C étant la propriété de M. V T depuis le 20 décembre 1991, ni l'une ni l'autre n'étaient parties à ce contrat de bail et n'étaient donc pas co-contractantes au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, ce qui aurait pour conséquence l'irrecevabilité de la demande tendant à l'application de ce texte.

Mais, alors qu'il est justifié de ce que, pour la période du 1er octobre 1991 au 30 juin 1992, le relevé des charges de l'appartement de M. C établi par la société de Gérance Immobilière mentionne comme propriétaire la "C il apparaît que c'est bien cette société qui, figurant comme vendeur à l'acte notarié du 20 décembre 1991 par lequel M. et Mme V T ont acquis quatre lots dont celui portant le n° 023 dans l'ensemble immobilier dénommé "Le J des S ", était déjà propriétaire de l'appartement à la date de souscription du bail, le 18 septembre 1991.

Or, la définition des clauses abusives donnée par l'article L. 132-1 du Code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 95-96 du 1er février 1995) faisant référence aux contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, et l'article L. 421-6 du même Code visant les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs, il s'ensuit que c'est à la date de la conclusion du contrat que doit être appréciée, pour l'application de ces textes, la qualité de chaque cocontractant même si, dans le cas d'un bail d'habitation, la propriété du bien se trouve transférée ultérieurement à une personne n'ayant pas la qualité du co-contractant initial.

M. O C, qui n'a déclaré aucune profession et dont il n'est pas contesté qu'il fût alors étudiant, était donc un non-professionnel à la date du contrat de bail.

Par contre, selon les extraits du registre du commerce et des sociétés versés aux débats, la société anonyme C a pour activité: " acquisition, administration, exploitation de terrains et immeubles ainsi que la participation dans toutes sociétés de construction et aménagement de zones touristiques".

Il s'agit donc d'un professionnel de l'immobilier.

La C et la S sont donc mal fondées en leur moyen d'irrecevabilité qu'elles opposent aux demandes tendant à l'application à l'espèce des dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation.

D'autre part, contrairement à ce que prétendent les deux sociétés susnommées, la production d'un ou plusieurs exemplaires de contrats de bail dans lesquels les clauses reconnues abusives ont été effectivement supprimées ne serait pas de nature à faire disparaître l'objet de l'action en suppression ouverte aux associations de consommateurs par l'article L. 421-6 du Code de la consommation car la définition de l'acte instrumentaire retenue par ce texte, à savoir, "les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs", implique nécessairement la généralité de l'objet d'une telle action dont l'intérêt subsiste tant que la preuve n'est pas rapportée d'une renonciation générale et absolue, de la part du professionnel auteur du contrat, aux clauses concernées.

Il est stipulé à l'article 2, quatrième alinéa, du contrat de bail souscrit par M. O C que " la prise de possession réelle se fera par l'entrée en jouissance fixée aux conditions particulières sous réserve formelle du départ du locataire ou occupant actuel" et qu' " en cas de non départ, le locataire ne pourra réclamer de ce fait au bailleur aucun dommage et intérêt quelconque pour quelque cause que ce soit ".

Alors que le bailleur ne pourrait être exonéré de l'obligation de délivrance instituée par l'article 1719 du Code civil qu'en prouvant un fait, tel que le fait d'un tiers, présentant les caractères de la force majeure, la clause précitée a pour effet de le décharger de toute preuve de l'impossibilité d'exécuter une obligation absolument essentielle résultant du contrat du bail et de priver ainsi le preneur de la contrepartie à sa propre obligation de s'acquitter du paiement des loyers.

Ainsi cette clause, relative à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties et aux conditions d'exécution de la convention, confère au bailleur professionnel un avantage excessif et, étant observé que, dans son courrier recommandé du 16 septembre 1991, la S demandait au futur preneur de n'apporter aux documents contractuels "aucune autre mention ni rature", elle apparaît imposée au non-professionnel par un abus de la puissance économique de la société bailleresse, pourvue de moyens financiers et commerciaux lui permettant, par son implantation dans le marché locatif immobilier, de refuser de contracter avec tout non-professionnel qui subordonnerait son consentement à la modification des clauses préétablies.

Cette clause doit donc être déclarée abusive et, en application des dispositions de l'article L. 421-6 du Code de la consommation, être supprimée dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs.

Le jugement dont appel sera, par conséquent, confirmé, étant cependant précisé que la suppression concernera uniquement la formulation présentant un caractère abusif.

Il est stipulé à l'article 2.3.4 du contrat précité que tous les embellissements ou améliorations faits partie locataire resteront acquis au bailleur sans indemnité.

Cette clause ne présente aucun caractère abusif dès lors qu'il s'agit d'une application normale des dispositions légales figurant aux articles 1730 et 1731 du Code civil ainsi qu'à l'article 7f de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Le jugement dont appel sera donc réformé en ce qu'il a déclaré cette clause abusive et ordonné sa suppression dans les contrats.

Il est stipulé à l'article 2.3.12 du contrat précité que "Le locataire devra prendre toutes précautions nécessaires pour protéger du gel les canalisations d'eau, ainsi que les compteurs, et sera dans tous les cas, tenu pour responsable des dégâts qui pourraient survenir du fait de sa négligence. Dans tous les cas, le bailleur ne sera pas responsable des dégâts causés par les eaux résultant de cas de force majeur ou par suite de gel, neige, orages, inondations, infiltrations, etc... Le locataire en fera son affaire personnelle."

Le premier juge a considéré, par des motifs qu'il convient d'adopter en application des dispositions de l'article 955 du nouveau Code de procédure civile, que les seconde et troisième phrases de cet article aboutissaient à décharger le propriétaire de son obligation de garantir au locataire la jouissance paisible des lieux loués et lui procurait un avantage excessif dépourvu de contrepartie.

En effet, cette clause a pour conséquence une exonération totale du bailleur de l'obligation qu'il tient des dispositions de l'article 1719-3° du Code civil.

Pour les mêmes motifs que ceux énoncés à propos de l'article 2, 4e alinéa, elle apparaît avoir été imposée aux non-professionnels par un abus de la puissance économique de l'autre partie, en l'espèce la C représentée par la S

Dès lors qu'il est établi que plusieurs clauses importantes des contrats de location proposés par les deux sociétés susnommées étaient illicites ou abusives, l'utilisation de ces contrats jusqu'à leur modification a nécessairement porté préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs à raison des illicéités et des abus qui ont entaché des conventions fixant les droits et obligations de personnes contraintes de recourir au bail d'habitation.

La qualité pour agir des quatre associations parties à l'instance au regard des dispositions de l'article L. 421-1 du Code de la consommation n'ayant jamais été contestée, il convient de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a alloué à chacune d'elle la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts; mais la société anonyme C qui apparaît comme le co-contractant des locataires en sera tenue in solidum avec la S qui a assuré la diffusion des contrats.

Dès lors qu'il est fait droit à la majeure partie des demandes relatives aux clauses litigieuses, la S est mal fondée en sa demande d'indemnisation d'un préjudice qui, à le supposer établi, résulte de son seul fait.

En ce qui concerne les mesures de publicité, les intimés, dans leurs diverses conclusions, n'ont fait que solliciter la confirmation du jugement, qui ordonnait sa publication et son affichage, et, concernant les décisions de la cour, se sont bornées à demander, postérieurement à l'arrêt du 22 janvier 1998, la publication et l'affichage de "l'arrêt à intervenir", c'est-à-dire du présent arrêt.

Le jugement du tribunal étant partiellement réformé, les mesures de publication et d'affichage qu'il a ordonnées ne peuvent être maintenues en l'état.

Quant à celles qui sont présentement demandées à la cour, elles n'apparaissent d'aucune utilité en raison de leur caractère fragmentaire.

La nécessité de ne pas laisser à la charge de M O C et des quatre associations l'intégralité des frais exposés par eux et non compris dans les dépens justifie les sommes qui leur ont été allouées à ce titre en première instance, mais aucune considération d'équité ne justifie en cause d'appel l'application, au profit de l'une ou l'autre des parties des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

III- Décision

La cour, statuant en suite des arrêts rendus les 14 décembre 1995, 26 septembre 1996 et 22 janvier 1998,

- Ordonne la jonction des instances inscrites au répertoire général sous les numéros 9405228 et 9804018;

- Rejette des débats

* les conclusions en réponse déposées le 10 février 1999 par l'U l'association F et la C

* les pièces communiquées par les sociétés S et C sous bordereau du 19 février 1999, à savoir une coupure de presse concernant la vente de la S et une lettre de résiliation du mandat de gérance adressée à la S par la C le 12 mai 1997;

- Réforme le jugement rendu le 26 mai 1994 par le Tribunal d'instance de Brest ce qu'il a dit que la clause figurant à l'article 2.3.4 des dispositions générales du contrat de bail a un caractère abusif et en ce qu'il a ordonné sous astreinte la suppression de cette clause;

- Statuant à nouveau de ce chef: dit que cette clause n'a pas un caractère abusif et rejette les demandes de suppression la concernant;

- Confirme ce même jugement en ce qu'il a déclaré abusives les clauses figurant aux articles 2, alinéa 4 (page 4) et 2.3.12 (page 7) du contrat de bail proposé par la C et la S se rapportant à la résidence "Le J des S ", étant précisé que cette constatation du caractère abusifs s'applique, dans le texte des articles concernés, aux stipulations par lesquelles:

* à l'article 2, alinéa 4 : La prise de possession réelle se fera sous réserve formelle du départ du locataire ou occupant actuel et : en cas de non départ, le locataire ne pourra réclamer de ce fait au bailleur aucun dommage et intérêt quelconque pour quelque cause que ce soit;

* à l'article 2.3.12 : Dans tous les cas, le bailleur ne sera pas responsable des dégâts causés par les eaux résultant de force majeure ou par suite de gel, neige, orages, inondations, infiltrations, etc... Le locataire en fera son affaire personnelle;

- Confirme le jugement en ce qu'il a ordonné la suppression de ces deux clauses sous astreinte de 500 F par jour de retard et par infraction constatée, mais étant précisé:

- que la suppression concerne tous les contrats et modèles de conventions habituellement proposés par la Cet la S ou l'une de ces deux sociétés et se rapportant à la résidence Le J des S

- que l'astreinte courra à compter de la signification du présent arrêt pendant une durée de trois mois;

Réforme le jugement en ce qu'il a ordonné l'affichage et la publication et, statuant à nouveau de ce chef:

- Dit n'y avoir lieu à affichage et publication;

- Confirme le jugement dont appel en ses autres dispositions critiquées;

- y ajoutant:

- Condamne la société in solidum avec la S au paiement de la somme de 10 000 F de dommages et intérêts à chacune des associations parties à l'instance;

- Déboute les parties de toutes demandes contraires ou supplémentaires;

- Condamne in solidum la société de G I et la société C aux dépens d'appel et admet Maître Bourges, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.