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Décisions

Ministre de l’Économie, 14 avril 2003, n° ECOC0400323Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Financière de Kiel

Ministre de l’Économie n° ECOC0400323Y

14 avril 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 10 mars 2003, vous avez notifié l'acquisition de la société Magice par la société Financière de Kiel dans le secteur de l'agroalimentaire.

1. Description des parties et de l'opération

Financière de Kiel est une société par actions simplifiée indirectement contrôlée par la société Industri Kapital 2000 Limited, qui est le " general partner " de différents limited partnerships qui constituent le fonds Industri Kapital 2000. La société mère ultime de la société Industri Kapital 2000 Limited est la société Industri Kapital BV (ci-après " Industri Kapital "), unique actionnaire de la société Industri Kapital Europa BV, qui est à son tour l'unique actionnaire de la société Industri Kapital International Limited, qui est à son tour l'unique actionnaire des sociétés Industri Kapital 1994 Limited, Industri Kapital 1997 Limited et Industri Kapital 2000 Limited, qui sont les sociétés de gestion des trois fonds Industri Kapital : le fonds Industri Kapital 1994, le fonds Industri Kapital 1997 et le fonds Industri Kapital 2000.

Financière de Kiel détient 100 % du capital de la société Labeyrie, qui elle-même détient des participations dans les sociétés Labeyrie Norge (100 %), Tarama SNC (100 %), Palmitou SAS (49 %), Vensy Espagne SA (100 %), Pierre Guéraçague SAS (100 %) et dans Guéradis SARL (100 %) (ci-après collectivement dénommées le " Groupe Labeyrie "). Les produits fabriqués et commercialisés par le Groupe Labeyrie sont le foie gras, le saumon fumé, la truite fumée, le caviar, les blinis, le tarama, les produits du terroir (confit de canard du Sud-Ouest, rillettes, rillettes de canard en verrine, gésiers, jambon de Bayonne, magret), les oeufs de poissons nobles, les poissons nobles et fumés, les terrines de poisson, les plats cuisinés du terroir et les terrines et rillettes du terroir. Industri Kapital a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires consolidé de 9 326 millions d'euros, dont [...] dans l'Union européenne et [>15] en France.

Magice est une société anonyme qui détient la société Blini SA, société agroalimentaire spécialisée dans la fabrication de produits frais. Les produits fabriqués par Blini sont les blinis, des spécialités traiteurs fraîches à base de produits de la mer (taramas, tzatziki au saumon, crevettes nordiques sauce cocktail et poches d'oeufs de cabillaud fumés) et des spécialités traiteurs fraîches à base de végétaux (ktipiti, tzatziki, houmous, caviar d'aubergines, guacamole et tapenades fraîches). Magice a réalisé en 2002 un chiffre d'affaires consolidé de 32,2 millions d'euros, dont [...] dans l'Union européenne et [>15] en France.

L'opération constitue une concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce, dans la mesure où il s'agit d'une prise de contrôle exclusif de Magice par Financière de Kiel. Les seuils exprimés en chiffres d'affaires mentionnés à l'article L. 430-2 du Code de commerce sont franchis, et l'opération n'est pas de dimension communautaire. Cette concentration relève ainsi du contrôle national des concentrations.

2. La définition des marchés

a) Les marchés des produits

Les parties considèrent qu'il convient de distinguer deux marchés : le marché du pain industriel et préemballé et le marché des préparations traiteurs tartinables à base de produits de la mer et à base de végétaux.

i) Le pain industriel et préemballé.

Tant Magice que Tarama (filiale du Groupe Labeyrie) fabriquent et commercialisent des blinis. Les blinis sont des crêpes de froment d'origine russe, destinées à servir de support pour la consommation, à titre d'apéritif, de produits salés ou sucrés divers, mais aussi d'accompagnement pour des entrées alimentaires spécifiques tel le saumon fumé ou le tarama.

Les parties, même si elles considèrent que le pain industriel et préemballé constitue un marché global, proposent d'opérer une segmentation (1) en fonction de l'usage et des habitudes de consommation, des prix et de la demande spécifique, entre le pain industriel et préemballé à utilisation quotidienne et le pain industriel et préemballé à connotation festive. Ce dernier segment comprendrait les pains spéciaux pour huîtres, saumon, foie gras, les blinis et les pains à usage de canapés.

Cependant, les résultats du test de marché confirment la pertinence d'une délimitation plus étroite du marché, qui comprendrait exclusivement les blinis. En effet, ces produits répondent à des demandes différentes : tandis que les blinis sont vendus dans le rayon frais, à côté des produits frais tartinables, tous les autres types de pain industriel et préemballé à connotation festive sont vendus dans le rayon boulangerie pâtisserie. Ainsi, ces produits ne se conservent pas de la même façon et ont des durées de péremption différentes. Du côté de l'offre, on observe que la plupart des fabricants de blinis produisent également des produits tartinables, et particulièrement du tarama, tandis que les fabricants des autres pains industriels et préemballés à connotation festive ne fabriquent pas ce genre de produits. Les produits sous marque de fabricant (ci-après " MDF ") sont, d'après le test de marché, sur le même marché que les produits sous marque de distributeur (ci-après " MDD ") et sous marque dédiée ou harddiscount (ci-après " MHD ") étant donné que la marque n'est pas un élément déterminant dans ce secteur et que l'écart de prix entre un produit MDF et un produit MDD ou MHD n'est que de [< 20 %] environ. On retiendra dès lors un marché des blinis, vendus sous MDF, MDD ou MHD.

ii) Les préparations traiteurs tartinables à base de produits de la mer et à base de végétaux.

Magice fabrique et commercialise des produits préparés dénommés " spécialités traiteurs " à base de produits de la mer. Tarama fabrique et commercialise du tarama, produit également commercialisé et vendu par Magice. Parmi les spécialités traiteurs à base de produits de la mer, on retrouve les oeufs de poisson, le tarama et les terrines et rillettes de poisson. Le tarama est un hors-d'œuvre à base d'oeufs de cabillaud salés et mêlés à de la crème ou de l'huile et de la chapelure. Magice fabrique également des spécialités traiteurs fraîches à base de végétaux : ktipiti, tzatziki, houmous, caviar d'aubergines, guacamole et tapenades fraîches (tapenade d'olives vertes et tapenade d'olives noires). En revanche, aucune société du Groupe Labeyrie ne fabrique des spécialités traiteurs fraîches à base de végétaux.

Les parties considèrent que même si chacune des préparations traiteurs utilise un produit de base différent de l'autre, à savoir des produits de la mer ou des végétaux, il peut être soutenu que ces préparations appartiennent à un même marché car tous ces produits tendent à remplir la même fonction aux yeux du consommateur, à savoir une fonction de produits pour apéritifs, présentent une similitude fonctionnelle, à savoir d'être des produits à tartiner et sont des produits préparés, ce qui influe sur la date de leur péremption et sur leur mode de conservation. En outre, ils sont présentés dans les mêmes espaces de commercialisation (magasins traiteurs et espaces traiteur des grandes surfaces) et sont des produits frais devant être conservés dans des espaces réfrigérés, tant dans les espaces de commercialisation que chez le consommateur. Comme pour le marché des blinis, et pour les mêmes raisons, les produits MDF doivent être considérés comme appartenant au même marché que les produits MDD ou MHD. A l'issue de l'examen de première phase, le test de marché n'a permis ni de déterminer de manière certaine si les rillettes et les terrines de poisson font partie du marché pertinent, ni de confirmer la pertinence de la distinction entre les produits tartinables à base d'oeufs de poisson et les produits tartinables à base de végétaux. En tout état de cause la question de la délimitation exacte des marchés des produits peut rester ouverte car, quelle que soit la définition des marchés, les conclusions de l'analyse demeurent inchangées.

b) Les marchés géographiques

Les parties considèrent que les marchés en cause sont de dimension supranationale car, selon elles, les coûts de transport ne sont pas excessifs, les produits ne doivent pas nécessairement être fabriqués à proximité du lieu de vente et peuvent donc circuler, la technologie de fabrication des produits concernés est basique, à la portée de tous, et il n'existe aucune barrière juridique fermant l'accès du marché français, les réglementations européennes relatives à l'étiquetage et la composition des denrées à destination de la consommation humaine étant appliquées dans tous les pays de l'Union européenne.

Cependant, et tel que l'ont confirmé les résultats du test de marché, le secteur des produits alimentaires de grande consommation est encore principalement composé de marchés de dimension nationale. Comme l'a constaté la Commission européenne, ces marchés sont encore essentiellement de dimension nationale, en raison notamment des préférences, des goûts et des habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, des variations des parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et de la présence de marques de fabricants ou de distributeurs, commercialisées uniquement au plan national (2). Les autorités françaises de concurrence ont également eu l'occasion de constater la dimension nationale des marchés de référence dans le domaine des produits alimentaires (3).

3. Sur l'analyse concurrentielle

Les parties n'ayant fourni aucune part de marché en valeur, leurs positions ainsi que celles de leurs concurrents sur les différents marchés concernés par la présente opération seront appréciées à partir des tonnages produits.

a) Sur le marché des blinis

Le tableau qui suit montre les tonnages fabriqués par les différents opérateurs ainsi que leurs parts de marché en volume (tonnage/part de marché) en 2002 :

<emplacement tableau>

Le tableau qui suit montre la répartition des ventes des sociétés Blini et Tarama (groupe Labeyrie) par grandes enseignes de la distribution et par type de marque (Marque fabricant, MDD et MHD) :

<emplacement tableau>

A la suite de la présente opération, la nouvelle entité fabriquera [40-50] % des blinis commercialisés en France. Elle commercialisera [70-80] % des blinis sous MDF face à des concurrents beaucoup moins significatifs tels que Tassos, Scandinavian et le Traiteur grec et assurera la production de [20-30] % des blinis sous MDD/MHD.

Pour ce qui est du référencement des MDF par la grande distribution, la marque BLINI est actuellement référencée dans les enseignes suivantes : [...](5) pour [10-20] % des points de vente, principalement en région parisienne. Pour leur part, les marques de Labeyrie (Labeyrie ou Prince Egor) sont référencées dans les enseignes suivantes : [...]. En outre, Blini fabrique des MHD pour les enseignes suivantes : [...]. Labeyrie fabrique des MDD pour les enseignes suivantes : [...]. Ainsi, à elles deux, les parties sont présentes, que ce soit en MDF, MDD ou MHD, dans toutes les enseignes sauf [...].

b) Sur les tartinables à base de poisson (6)

Le tableau qui suit montre les tonnages fabriqués par les différents opérateurs ainsi que leur part de marché en volume (tonnage/part de marché) en 2002, d'après les estimations fournies par les parties :

<emplacement tableau>

Suite à la concentration, et si l'on retient le marché le plus étroit possible, c'est-à-dire les tartinables à base de poisson en excluant les rillettes et les terrines de poisson, les parties fabriqueront, sur la base de leurs estimations, [20-30] % du total des produits sous MDF, [0-10] % des produits MDD/MHD et [10-20] % de l'ensemble des tartinables sans faire la distinction entre MDF et MDD/MHD. Les principaux concurrents sont Tassos, Scandinavian, Cruscana, Le Traiteur grec, Bakkavor et SIF.

La présente opération a pour résultat la création d'une position forte de la nouvelle entité sur le marché des blinis, avec la première marque nationale " Blini ", référencée à ce jour dans 5 des 13 grandes enseignes de la grande distribution, et partiellement dans une 6e enseigne, et la marque " Labeyrie ", référencée dans 10 sur 13 des grandes enseignes. Néanmoins, il convient de souligner que la marque ne joue pas un rôle important sur ce marché et que les MDD, qui ont représenté plus de 60 % des volumes de blinis commercialisés en 2002, y exercent donc une pression concurrentielle importante. Même si les parties produisent en volume près de [20-30] % des blinis commercialisés sous MDD, loin derrière Pasquier et au même niveau que Tassos, cette position doit être relativisée compte tenu de sa fragilité en raison du renouvellement annuel des contrats de fabrication des MDD. Bien que l'opération vienne renforcer la position de Blini, par l'apport de la marque Labeyrie, qui représente environ [0-10] % du marché, elle n'est pas de nature à conférer à la nouvelle entité une position dominante sur le marché du blini, sur lequel les marques de la nouvelle entité représenteront ensemble [20-30] % des volumes.

En matière de tartinables, il apparaît que l'opération ne conduit qu'à un faible chevauchement d'activité entre les parties, quelle que soit la délimitation retenue en termes de produits.

Il convient toutefois de s'interroger si l'opération, qui permet à la nouvelle entité d'élargir sa gamme de produits, ne la rend pas incontournable, ou à tout le moins ne peut lui permettre de bénéficier d'effets de gamme ou de portefeuille significatifs. En effet, Labeyrie détient une position significative sur des marchés connexes de produits de la mer tels que les saumons et les truites fumés. Par ailleurs, le test de marché montre que la grande distribution référence systématiquement au moins une marque nationale (MDF) et une MDD tant pour les blinis que pour les tartinables. En outre, " Blini " est considérée comme la première marque nationale sur ces produits et la marque " Labeyrie " dispose d'une forte notoriété.Ainsi, la nouvelle entité pourrait bénéficier d'avantages concurrentiels dus à la détention d'une gamme très large de produits (saumons et autres produits de la mer, tartinables, blinis...) dans la mesure où la négociation avec la grande distribution se fait par gamme de produits et avec le même interlocuteur. Cependant, le test de marché a montré que les marques ne jouent pas un rôle déterminant sur les marchés des blinis et des tartinables et qu'aucune marque n'est jugée incontournable, ce qu'illustre d'ailleurs le fait que Blini est absent de 7 des 13 enseignes observées et n'est présent que dans 20 % des points de vente Leclerc. La nouvelle entité sera donc confrontée à la pression concurrentielle très forte des MDD et d'autres opérateurs tels que Tassos et le Traiteur Grec, qui bien que détenant des parts de marché inférieures, fabriquent également des tartinables et des blinis, avec des marques relativement importantes. S'agissant des marchés non directement concernés par l'opération sur lesquels Labeyrie est significativement présent, on s'intéressera au saumon fumé, qui présente de forts liens de connexité avec les marchés affectés par l'opération, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si le marché se limite au saumon fumé ou s'il doit être étendu à d'autres produits voisins, tels que la truite fumée. Sur le marché le plus étroit possible du saumon fumé, Labeyrie représente [20-30] % des tonnages en volume, les données en valeur n'étant pas disponibles. Même si cette évaluation en volume a vraisemblablement pour effet de minorer la part de marché de Labeyrie, il n'apparaît pas que la position de Labeyrie sur l'un des marchés connexes aux marchés affectés par l'opération serait susceptible de lui conférer un effet de levier. On constate en outre que, antérieurement à l'opération, Labeyrie, en dépit d'un large accès au référencement, n'a pas bénéficié de tels effets de levier : la marque Labeyrie représente environ [0-10] % du marché des blinis et [0-10] % du marché des " tartinables ", en volume.

Il s'en conclut de l'ensemble de ces éléments que, postérieurement à l'opération, la nouvelle entité ne bénéficiera pas d'effets de gamme ou de portefeuille susceptibles d'avoir un effet sensible sur la concurrence.

En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

(1) Cf. décision de la Commission n° IV/M.2817, Barilla/BPL/Kamps du 25 juin 2002.

(2) Cf. notamment les décisions de la Commission n° IV/M.445, BSN/Euralim du 7 juin 1994, M.1802, Unilever/Amora-Maille du 8 mars 2000 et M.1990, Unilever/Bestfoods du 28 septembre 2000.

(3) Cf. notamment l'avis du Conseil de la concurrence n° 99-A-14 du 28 septembre 1999, BOCCRF n° 14 du 30 décembre 2000 et l'arrêté du ministre en date du 24 novembre 1999, BOCCRF n° 14 du 30 décembre 2000 concernant l'affaire Coca Cola/Orangina, la lettre du ministre du 2 août 2001, BOCCRF n° 15 du 23 octobre 2001 concernant l'affaire Granini/Joker et la lettre du ministre en date du 17 mai 2002 concernant l'affaire Panzani/Lustucru (en instance de publication).

(4) MHD Leader Price.

(5) Blini a été déréférencé par [...] en [...] et de nouveau référencé en [...].

(6) A l'exclusion des rillettes et terrines, ce qui constitue le marché le plus étroit envisageable.

Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.

Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.