CA Paris, 1re ch. H, 22 juin 2004, n° ECOC0400263X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
RMC France (Sté), Brignolaise de béton et d'agglomérés (SARL), Unibéton (SA), Béton travaux (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Albertini, Carre-Pierrat, Mme Kamara
Conseillers :
MM. Savatier, Remenieras
Avoués :
Mes Teytaud, SCP Fisselier-Chilou-Boulay, SCP Bommart Forster
Avocats :
Mes Loraine Donnedieu de Vabres-Tranie, Lazarus, Didier
Par lettre du 5 juillet 1994, le ministre de l'Economie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques constatées sur le marché du béton prêt à l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et d'une demande de mesures conservatoires afférentes aux pratiques visées dans la saisine au fond.
Le 14 septembre 1994, le Conseil de la concurrence, statuant en commission permanente, a, par décision n° 94-MC-10, enjoint, jusqu'à la décision au fond, aux sociétés Béton de France, aux droits de laquelle vient la société RMC France, Superbéton, Béton Chantiers du Var et Société méditerranéenne de béton de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 kilomètres de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur au coût moyen variable de production tel qu'il résultait de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de leurs centrales.
Le recours formé contre cette décision a été rejeté par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 3 novembre 1994 devenu irrévocable.
Le 17 juin 1997, statuant sur la saisine au fond en formation plénière, comprenant notamment les membres de la commission permanente, le Conseil de la concurrence a, par décision n° 97-D-39, prononcé des sanctions pécuniaires à l'encontre de treize entreprises, parmi lesquelles les sociétés Béton de France, Unibéton, Béton travaux et Brignolaise de béton et d'agglomérés, en raison d'ententes se manifestant par des fixations concertées de prix, de répartition de marchés et de pratiques de prix prédateurs aux fins d'éviction de certains concurrents. Le Conseil a, en outre, ordonné la publication de la décision aux frais des entreprises.
Par arrêt du 20 octobre 1998, la Cour d'appel de Paris a rejeté les recours en annulation ou réformation formés par dix des sociétés sanctionnées. Cette décision a été rectifiée par arrêt du 24 novembre 1998.
Le 9 octobre 2001, sur le pourvoi formé par les sociétés précitées, ces arrêts ont été cassés dans toutes leurs dispositions pour violation des dispositions de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 464-1 du Code de commerce. L'affaire a été renvoyée devant la Cour d'appel de Paris autrement composée.
LA COUR,
Vu la saisine de cette cour ;
Vu les mémoires des sociétés RMC France, Unibéton, Béton travaux et Brignolaise de béton et d'agglomérés ;
Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie ;
Vu les observations du Conseil de la concurrence ;
Le Ministère public ayant été entendu en ses observations orales ;
Sur ce,
Sur la nullité de la décision :
Considérant que les requérantes poursuivent l'annulation de la décision pour non-respect du principe d'impartialité posé par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, d'une part, en raison de la participation du rapporteur et du rapporteur général au délibéré, d'autre part, parce que certains des membres du Conseil ont statué au fond après s'être prononcés sur le caractère prohibé des faits dans la procédure de mesures conservatoires ;
Considérant, en droit, que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; que cette exigence doit s'apprécier objectivement ; que cette règle est applicable au Conseil de la concurrence ;
Considérant, en l'espèce, qu'il est constant que le Conseil s'est prononcé sur la réalité des manquements, sur leur imputabilité et sur les sanctions infligées à leurs auteurs dans une composition comportant des membres ayant statué dans la procédure de mesures conservatoires, de sorte qu'ils avaient, alors, porté une appréciation sur le caractère prohibé des faits dénoncés, objets de la saisine, dont ils avaient eu à apprécier s'ils étaient suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte alors relevée ;
Qu'il est aussi constant que le rapporteur et le rapporteur général ont assisté au délibéré, de sorte que cette participation, serait-ce sans voix délibérative, dès lors que le premier, sous le contrôle du second, a procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil est saisi, est contraire au principe ci-dessus rappelé en ce que leur présence leur a permis d'exprimer sur l'affaire, devant le Conseil et en l'absence des parties, des positions sur lesquelles celles-ci n'ont pas été en mesure de répondre ;
Considérant que, prise dans des conditions irrégulières, la décision doit en conséquence être annulée ;
Sur les conséquences de cette annulation :
Considérant que si la cour d'appel tient de la combinaison des articles L. 464-8 du Code de commerce et 561 du nouveau Code de procédure civile le pouvoir de statuer en fait et en droit sur les griefs notifiés au cours de la procédure ayant donné lieu à la décision qu'elle annule, elle n'y est pas tenue ;
Considérant qu'en l'espèce, sans qu'il y ait lieu d'examiner autrement la régularité de la procédure suivie devant le Conseil avant la décision annulée, il est d'une bonne administration de renvoyer l'affaire à la connaissance du Conseil de la concurrence, dès lors que le ministre, autorité de poursuite en l'espèce, se bornant à se fonder sur les dispositions de la décision annulée pour demander la " réformation " de celle-ci, aucune qualification des faits n'est proposée à la cour et qu'il est opportun de permettre au Conseil d'examiner le mérite des critiques formées par les sociétés requérantes contre la procédure suivie, de sorte qu'il puisse y apporter la solution qu'il estimera convenable ;
Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, le fait que ce renvoi de l'affaire à l'instruction du Conseil est de nature à prolonger la procédure n'est pas, à lui seul, susceptible de caractériser une violation des dispositions de l'article 6, alinéa 1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales en ce que serait dépassé le délai raisonnable dans lequel la cause doit être entendue ; qu'il n'en serait ainsi que si, à raison de la durée de la procédure suivie, les parties se trouvaient dans l'impossibilité de présenter utilement leur défense, ce qu'au vu des éléments en sa possession la cour ne peut dès à présent déterminer ;
Considérant que le présent arrêt portant annulation des sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil vaut de plein droit titre de restitution des sommes versées par les sociétés sanctionnées entre les mains du Trésor public, lequel les restituera avec intérêt légal à compter de la signification de la présente décision, s'agissant de sommes perçues en vertu d'une décision exécutoire ;
Qu'en l'absence de détermination à ce jour du montant des frais exposés, les sommes versées à raison des publications qui ont été ordonnées seront remboursées sur présentation des justificatifs des dépenses faites, les intérêts courant à compter de la demande qui en sera présentée ;
Que ces intérêts seront capitalisés si les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil sont réunies,
Par ces motifs : Annule la décision n° 97-D-39 du 17 juin 1997 du Conseil de la concurrence ; Renvoie l'affaire devant le Conseil de la concurrence pour qu'il soit à nouveau statué ; Rappelle que le présent arrêt constitue un titre de restitution des sommes versées par les entreprises sanctionnées entre les mains du Trésor public ; Dit que ces sommes seront restituées avec intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision ; Dit que les frais de publication de la décision annulée seront remboursés aux entreprises qui les ont exposés sur présentation des justificatifs de la dépense, avec intérêts au taux légal à compter de la demande qui sera présentée ; Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil ; Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que les dépens des arrêts cassés et du présent arrêt seront laissés à la charge du Trésor public.