CA Paris, 1re ch. H, 27 juillet 2004, n° ECOC0400311X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Germain Environnement (SARL)
Défendeur :
Office national des forêts
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Penichon, M. Le Dauphin
Avoué :
Me Teytaud
Avocats :
Mes Philippe, Chabaud.
La société Germain Environnement fabrique et commercialise du mobilier destiné principalement aux collectivités publiques pour l'aménagement de leurs espaces forestiers.
Par lettre enregistrée le 8 octobre 2003, elle a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles imputées à l'Office national des forêts (ONF).
Selon la société, l'ONF détenant le monopole de l'administration et de la gestion d'une partie importante des forêts françaises, l'existence de ce monopole et des aides octroyées par l'Etat modifierait le jeu de la concurrence et romprait l'égalité des moyens avec les entreprises sur le marché de l'équipement et de l'aménagement des forêts. Il en résulterait un abus de la part d'un opérateur en position dominante, susceptible d'être sanctionné sur le fonctionnement de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
La saisine se référait également à l'article L. 420-5 du même Code qui prohibe les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas.
Accessoirement à sa saisine au fond, la société Germain Environnement a demandé, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, l'octroi de mesures conservatoires consistant en une injonction à l'ONF de cesser ses activités commerciales de vente d'équipement et de mobilier.
Par décision n° 04-D-02 du 10 février 2004, le Conseil de la concurrence a déclaré la saisine irrecevable en ce qu'elle vise l'appréciation de la légalité des activités de l'ONF et l'application de l'article 87-1 du traité de Rome sur les aides d'Etat et rejeté les demandes pour le surplus.
Le 10 mars 2004, la société Germain Environnement a formé un recours contre cette décision et déposé un exposé des moyens par lequel elle demande à la cour de réformer la décision attaquée, de dire que les pratiques dénoncées entrent dans le champ d'application des articles L. 420-1, L. 420-2 ou L. 420-5 ou " L. 420-42 " du Code de commerce, de prendre les mesures conservatoires qui s'imposent en faisant injonction à l'ONF de cesser immédiatement ses activités de vente et commercialisation de matériel et modifié de plein air et d'équipement de forêts, d'infliger à l'ONF une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions, d'ordonner la publication de la décision à intervenir.
Par un mémoire déposé le 26 avril 2004, l'ONF demande à la cour de rejeter le recours et de condamner la société Germain Environnement à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le 10 mai 2004, le ministre chargé de l'Economie a déposé des observations écrites tendant au rejet du recours.
La société Germain Environnement a déposé le 19 mai 2004 un mémoire en réplique réitérant ses prétentions initiales et sollicitant l'allocation de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure à l'encontre de l'ONF.
A l'issue de l'audience du 15 juin 2004 au cours de laquelle les parties ont été entendues, l'affaire a été mise en délibéré pour être jugée le 27 juillet 2004 ;
Considérant qu'au soutien de son recours la société Germain Environnement invoque les règles du procès équitable et l'incrimination de l'abus de position dominante ;
Sur le droit à un procès équitable :
Considérant que la société Germain Environnement soutient qu'elle n'a pu bénéficier d'un procès équitable, dès lors que lui a été refusée la communication par l'ONF puis la CADA des documents comptables et fiscaux relatifs à l'atelier bois de l'office ;
Mais considérant qu'aucune disposition de loi du 17 juillet 1978 ne fait obligation à l'ONF de communiquer à une entreprise intervenant sur le même marché des documents internes relatifs à ses activités de droit privé soumises aux règles de la concurrence et au secret des affaires ; que cette circonstance n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la société requérante disposant avec les règles de droit commun relatives à l'administration de la preuve des moyens propres à lui procurer les éléments d'information qui apparaîtraient nécessaires au succès de ses prétentions dans le litige l'opposant à l'ONF ;
Considérant que le grief tiré d'un prétendu manquement du Conseil de la concurrence au devoir d'impartialité n'apparaît que dans le mémoire en réplique de la société Germain Environnement et est irrecevable, par application de l'article 2-3 du décret du 19 octobre 1987 dès lors qu'il n'a pas été invoqué avec l'exposé des moyens dans les deux mois de la notification de la décision du Conseil de la concurrence ;
Sur l'abus de position dominante :
Considérant que pour établir une violation par l'ONF des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, la société Germain Environnement fait valoir que l'office gère et administre 85,8 % des forêts françaises, qu'elle se trouve ainsi en position dominante pour équiper ces forêts, que les interventions de l'office dans ce secteur ne peuvent être tenues pour licites compte tenu des aides et subventions illégales qu'il reçoit de la part de l'Etat, de son statut particulier qui lui confère des avantages illégitimes, de l'interdiction qui lui serait faite d'exercer des activités commerciales ;
Mais considérant que le Conseil de la concurrence a retenu à juste titre, d'une part que l'appréciation de la légalité des interventions de l'ONF dans le secteur concurrentiel par des activités commerciales relève exclusivement de la compétence des juridictions administratives, d'autre part que le contrôle de la régularité des aides d'Etat au regard de l'article 87-1 du traité de Rome incombe à la seule Commission européenne ;
Considérant que, si le Conseil de la concurrence est en revanche compétent pour qualifier les pratiques des établissements publics industriels et commerciaux par référence aux dispositions des articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce, encore faut-il que le demandeur apporte à l'appui de sa saisine des éléments suffisamment probants ;
Considérant qu'en l'espèce, au-delà de développements sur les prérogatives de gestion du domaine forestier conférées par la loi ou diverses conventions à l'établissement public, le dossier de la société Germain Environnement ne comporte pas de pièces pouvant permettre de déterminer clairement la place de l'ONF sur le marché de référence, qui ne peut être que celui de l'équipement en mobilier des forêts françaises ; qu'à la supposer exacte, la seule circonstance que l'ONF gère 85,5 % des forêts françaises est insuffisante à démontrer sa position dominante sur le marché distinct de l'équipement ;
Considérant qu'en outre l'éventuelle exploitation abusive de la position de l'ONF sur ce marché n'est pas plus caractérisée par les seuls faits que des subventions publiques sont accordées à l'organisme et que celui-ci emploie des personnes soumises au statut de la fonction publique ; qu'il convient à cet égard de relever que la Commission européenne a déjà eu l'occasion d'examiner la question des subventions consenties à l'ONF et constaté que, non seulement celles-ci n'ont pas bénéficié à son activité commerciale, mais qu'au contraire une partie des ressources procurées à l'office par cette activité a permis de financer les activités de service public ; que l'office a également produit un compte d'exploitation de ses ateliers bois révélant l'existence d'un bénéfice net et démontrant ainsi que l'établissement n'a pas besoin de subventions pour équilibrer les comptes de son activité de vente de matériel d'équipement des forêts ; que le seul fait, pour l'ONF, de disposer pour partie d'un personnel régi par un statut particulier ne suffisant pas, à défaut de circonstances particulières non établies par la requérante, à constituer un avantage concurrentiel, le Conseil de la concurrence a justement estimé que les conditions d'une poursuite de l'instruction, de l'octroi de mesures conservatoires et du prononcé de sanctions ne sont pas réunies ; que le recours doit en conséquence être rejeté ;
Considérant que, bien que non fondé, le recours de la société Germain Environnement n'a pas été formé dans les conditions fautives et ne justifie pas l'allocation à l'ONF de dommages-intérêts pour procédure abusive ; qu'en revanche, il serait inéquitable de laisser à l'office la totalité de ses frais de procédure,
Par ces motifs : LA COUR : Déboute la société Germain Environnement de ses demandes ; Rejette le recours ; Rejette la demande de dommages-intérêts présentée par l'ONF ; Condamne la société Germain Environnement à payer à l'ONF la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la même société aux dépens, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.