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Décisions

CJCE, 19 janvier 1982, n° 8-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Becker

Défendeur :

Finanzamt Münster-Innenstadt

CJCE n° 8-81

19 janvier 1982

LA COUR,

1. Par ordonnance du 27 novembre 1980, parvenue à la Cour le 14 janvier 1981, le Finanzgericht Munster a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 13, partie b, alinéa d), point 1, de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1), en vue de déterminer si cette disposition peut être considérée comme directement applicable en République fédérale d'Allemagne depuis le 1er janvier 1979, à défaut, par cet Etat membre, d'avoir pris dans les délais les mesures nécessaires en vue d'en assurer l'exécution.

Sur les antécédents du litige

2. Il y a lieu de rappeler que la 6e directive a été arrêtée le 17 mai 1977 et qu'aux termes de son article 1, les Etats membres devaient prendre, au plus tard pour le 1er janvier 1978, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires en vue d'adapter leur régime de taxe sur la valeur ajoutée aux exigences de la directive. Plusieurs Etats membres, dont la République fédérale d'Allemagne, n'ayant pas été en mesure d'effectuer en temps utile les adaptations nécessaires, le Conseil a, par la 9 directive, 78-583, du 26 juin 1978, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO L 194, p. 16), prorogé au 1er janvier 1979, en faveur de ces Etats membres, le délai fixé par l'article 1 de la 6e directive.

3. C'est seulement par la loi du 26 novembre 1979 (Bundesgesetzblatt I, p. 1953), et avec effet au 1er janvier 1980, que la République fédérale d'Allemagne a assuré l'exécution de la 6e directive.

4. Il résulte de l'ordonnance de renvoi que la requérante au principal, qui exerce la profession de négociateur indépendant de crédits, a, dans ses déclarations mensuelles au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires pour la période allant de mars à juin 1979, demandé l'exonération de la taxe pour ses opérations, en faisant valoir que la 6e directive, dont l'article 13 b d) 1 oblige les Etats membres à exonérer de la taxe sur la valeur ajoutée, entre autres, l'octroi et la négociation de crédits, faisait déjà partie du droit national depuis le 1er janvier 1979.

5. Il apparaît du dossier que la requérante a informé le Finanzamt du montant de son chiffre d'affaires et des taxes versées en amont, tout en invoquant en sa faveur l'exonération prévue par l'article 13 b d) 1 de la directive. En conséquence, elle a chaque fois déclaré un montant " 0 " en ce qui concerne le montant de la taxe due et la déduction des taxes versées en amont.

6. Le Finanzamt n'a pas accepté ces déclarations et, dans les avis provisoires de paiement pour les mois en question, a assujetti d'office, conformément à la législation nationale non encore modifiée, les opérations de la demanderesse à la taxe sur le chiffre d'affaires, avec déduction des taxes payées en amont.

7. C'est contre ces avis d'imposition que la demanderesse a formé, après le rejet de sa réclamation, un recours devant le Finanzgericht, à l'appui duquel elle invoque la disposition citée de la directive.

8. Le finanzamt s'est défendu devant la Finanzgericht en faisant valoir qu'à l'époque considérée, la 6e directive n'avait pas encore été mise en œuvre en République fédérale d'Allemagne. Il a exposé, au surplus, que, selon une conception qui serait partagée par tous les Etats membres, l'article 13 b ne saurait être considéré comme créant un droit directement applicable, étant donné que cette disposition réserverait un pouvoir d'appréciation aux Etats membres.

9. C'est en vue de trancher ce litige que le Finanzgericht a posé à la Cour une question libéllée en ces termes :

" la disposition relative à l'exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires pour des opérations de négociation de crédits prévue au titre x, article 13, partie b, alinéa d), point 1, de la sixième directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (77-388-CEE) - est-elle directement applicable en République fédérale d'Allemagne depuis le 1 janvier 1979 ? "

10. La requérante au principal ne s'est pas fait représenter dans la procédure devant la Cour. Sa thèse a été appuyée par la Commission, qui a soumis à la Cour une argumentation destinée à établir que le bénéfice de l'article 13 b d) 1 de la 6e directive pourrait être réclamé par les particuliers.

11. Par contre, l'Administration défenderesse et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne ont développé un ensemble d'arguments destinés à démontrer que la disposition litigieuse ne saurait être invoquée pendant la période - à savoir l'année fiscale 1979 - ou les dispositions d'exécution appropriées n'avaient pas encore été mises en vigueur en République fédérale d'Allemagne. Le même point de vue a été défendu par le Gouvernement de la République française.

Sur le fond

12. L'Administration défenderesse, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et le Gouvernement de la République française ne contestent pas que les dispositions de directives puissent être invoquées dans certaines circonstances, par des particuliers, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, mais soutiennent qu'un tel effet ne saurait être reconnu à la disposition en cause dans le litige au principal.

13. Selon le Gouvernement français, les directives en matière fiscale tendent à une harmonisation progressive des divers systèmes fiscaux nationaux, mais non à la substitution à ceux-ci d'un régime fiscal communautaire. Tel serait également le cas de la 6e directive, qui comporterait un ensemble de dispositions dont les "conditions" d'application sont laissées, dans une large mesure, à la discrétion des Etats membres. Les options ouvertes aux Etats membres dans cette directive étant particulièrement nombreuses, le Gouvernement français estime que la directive n'est pas, dans son ensemble, susceptible d'avoir des effets quelconques dans les Etats membres avant l'adoption des mesures législatives nationales appropriées.

14. En tout cas, et cette opinion est partagée par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, aucun effet direct ne saurait être reconnu aux dispositions de l'article 13, compte tenu de la marge d'appréciation, des facultés et options que cet article comporte.

15. L'Administration défenderesse, appuyée par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, attire, au surplus, l'attention sur la cohérence du système d'imposition visé par la directive et, plus particulièrement, sur les problèmes résultant de l'enchaînement des impositions, caractéristique de la taxe sur la valeur ajoutée. L'Administration considère qu'il n'est pas possible d'isoler de son contexte une exonération, comme celle de l'article 13 b d) 1, sans perturber l'ensemble du mécanisme du système fiscal en question.

16. En présence de ces arguments, il convient d'examiner le problème posé au niveau tant de la directive même qu'à celui du régime fiscal concerné, à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à l'effet des directives.

Quant à l'effet des directives en général

17. Aux termes de l'article 189, alinéa 3, du traité la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.

18. Il apparaît de ce texte que les Etats destinataires sont tenus, en vertu de la directive, d'une obligation de résultat, qui doit être exécutée à l'échéance du délai fixé par la directive même.

19. Il en découle que, dans tous les cas où une directive est correctement mise en œuvre, ses effets atteignent les particuliers par l'intermédiaire des mesures d'application prises par l'Etat membre concerné (arrêt du 6. 5. 1980, Commission/Belgique, 102-79, Recueil p. 1473).

20. Par contre, des problèmes particuliers se posent au cas où un Etat membre n'a pas correctement exécuté une directive et, plus spécialement, dans le cas où les dispositions d'une directive sont restées inexécutées à l'expiration du délai fixé pour sa mise en œuvre.

21. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour et, en dernier lieu, de l'arrêt du 5 avril 1979 (Ratti, 148-78, Recueil p. 1629), que si, en vertu des dispositions de l'article 189, les règlements sont directement applicables et, par conséquent, par leur nature susceptibles de produire des effets directs, il n'en résulte pas que d'autres catégories d'actes visés par cet article ne peuvent jamais produire d'effets analogues.

22. Il serait en effet incompatible avec le caractère contraignant que l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation qu'elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées.

23. Particulièrement dans les cas où les autorités communautaires auraient, par voie de directive, obligé les Etats membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de le prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire.

24. En conséquence, l'Etat membre qui n'a pas pris, dans les délais, les mesures d'exécution imposées par la directive, ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu'elle comporte.

25. Ainsi, dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées à défaut de mesures d'application prises dans les délais, à l'encontre de toute disposition nationale non-conforme à la directive, ou encore en tant qu'elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'Etat.

26. La question du Finanzgericht vise à savoir si un tel caractère peut être reconnu à l'article 13 b d) 1 de la directive, aux termes duquel les Etats membres exonèrent, dans les "conditions" qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels :... d) les opérations suivantes : 1. L'octroi et la négociation de crédits...

Quant au système de la directive et au contexte

27. Considérée en elle-même, et pour autant qu'elle détermine la prestation exonérée et le bénéficiaire de l'exonération, cette disposition est suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge. Toutefois, il reste à examiner si le droit à l'exonération qu'elle confère peut être considéré comme inconditionnel, compte tenu du système général de la directive et du contexte de l'article 13, ainsi que des particularités du régime fiscal dans le cadre duquel l'exonération doit s'appliquer.

28. En ce qui concerne le système général de la directive, il y a lieu d'examiner, en premier lieu, l'argument tiré de la circonstance que la disposition visée par la juridiction nationale fait partie intégrante d'une directive d'harmonisation qui réserve aux Etats membres, à divers égards, une marge d'appréciation comportant des facultés et des options.

29. Si la sixième directive comporte indéniablement, pour les Etats membres, une marge d'appréciation plus ou moins importante pour la mise en œuvre de certaines de ses dispositions, on ne saurait, pour autant, refuser aux particuliers le droit d'invoquer celles des dispositions qui, compte tenu de leur objet propre, sont susceptibles d'être détachées de l'ensemble et appliquées comme telles. Cette garantie minimale, en faveur des justiciables lésés par l'inexécution de la directive, découle du caractère contraignant de l'obligation imposée aux Etats membres par l'article 189, alinéa 3, du traité. Cette obligation serait privée de toute efficacité s'il était permis aux Etats membres d'annuler, par leur carence, jusqu'aux effets qu'en vertu de leur contenu certaines dispositions d'une directive sont susceptibles de produire.

30. On ne saurait dès lors invoquer le caractère général de la directive en cause, ou la latitude qu'elle laisse par ailleurs aux Etats membres, pour denier tout effet à celles des dispositions qui, compte tenu de leur objet, sont susceptibles d'être utilement invoquées en justice en dépit du fait que la directive n'a pas été exécutée dans son ensemble.

31. Quant au contexte de l'article 13, l'Administration défenderesse, appuyée par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et le Gouvernement français, attiré plus particulièrement l'attention sur la marge d'appréciation réservée aux Etats membres par la formule introductive de la partie b de cet article, où il est précisé que l'exonération est accordée par les Etats membres dans les "conditions" qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels. Il est exposé que, compte tenu de ces dispositions, les clauses d'exonération de l'article 13 ne seraient pas inconditionnelles ; elles ne sauraient donc être invoquées avant que les "conditions" mentionnées aient été déterminées.

32. Il convient de faire remarquer à ce sujet, en tout premier lieu, que les "conditions" mentionnées ne portent en aucune manière sur la définition du contenu de l'exonération prévue.

33. D'une part, les "conditions" mentionnées sont destinées à assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues. Un Etat membre ne saurait opposer, à un contribuable qui est en mesure d'établir que sa situation fiscale relève effectivement d'une des catégories d'exonération énoncées par la directive, le manque d'avoir pris les dispositions destinées, précisément, à faciliter l'application de cette même exonération.

34. D'autre part, les "conditions" visent les mesures destinées à prévenir les fraudes, l'évasion fiscale et les abus éventuels. Un Etat membre qui se trouve en défaut d'avoir pris les précautions nécessaires à cet effet ne saurait invoquer sa propre omission pour refuser à un contribuable le bénéfice d'une exonération à laquelle celui-ci peut légitimement prétendre en vertu de la directive, d'autant plus que rien n'empêche cet Etat de recourir à défaut de dispositions spécifiques à la matière, à toutes dispositions applicables de sa législation fiscale générale destinée à combattre les fraudes.

35. Il apparaît donc que l'argument tiré de la phrase introductive de l'article 13 b doit être écarté.

36. L'Administration défenderesse, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et le Gouvernement français font valoir en outre contre l'invocabilité de la disposition en cause, la partie c de l'article 13, libellée en ces termes : " Options. Les Etats membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation : ... b) des opérations visées sous b sous d), ... Les Etats membres peuvent restreindre la portée du droit d'option ; ils déterminent les modalités de son exercice ".

37. Le Gouvernement allemand souligne que l'option prévue par cette disposition serait " réservée aux Etats membres " et que la République fédérale d'Allemagne n'aurait fait usage de cette faculté que dans l'article 9 de la loi d'exécution. Il ne serait pas admissible d'anticiper sur cette option légale. Compte tenu de cette faculté, réservée aux Etats membres, et de la possibilité qu'elle comporte, en outre, de restreindre la porte du droit d'option et d'en déterminer les modalités, la disposition invoquée par la requérante au principal ne saurait être considérée comme une règle inconditionnelle.

38. Cette argumentation repose sur une appréciation erronée de la portée de l'article 13 c. En vertu de la faculté ouverte par cette disposition, les Etats membres peuvent donner, aux bénéficiaires des exonérations prévues par la directive, la possibilité de renoncer à l'exonération, soit dans tous les cas, soit dans certaines limites, soit encore sous certaines modalités. Il importe cependant de souligner que, selon la disposition citée, dans le cas où l'Etat membre fait usage de cette faculté, l'exercice de l'option ouverte dans ces conditions appartient au seul contribuable et non à l'Etat.

39. Il en résulte que l'article 13 c ne confère nullement aux Etats membres la faculté de conditionner ou de restreindre, de quelque manière que ce soit, les exonérations prévues par la partie b ; il réserve simplement aux Etats la faculté d'ouvrir, dans une mesure plus ou moins large, aux bénéficiaires de ces exonérations, la possibilité d'opter eux-mêmes pour la taxation, s'ils estiment que tel est leur intérêt.

40. Il apparaît, dès lors, que la disposition invoquée par l'administration défenderesse et le Gouvernement allemand, pour démontrer le caractère conditionnel de l'exonération, est sans pertinence à la situation d'un contribuable qui a manifesté la volonté de bénéficier de l'exonération prévue par la directive, étant donne que l'expression de cette volonté exclut nécessairement l'exercice du droit d'option envisage par l'article 13 c.

Quant au système de la taxe sur la valeur ajoutée

41. L'Administration défenderesse, appuyée par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, développe en détail divers arguments contre l'invocabilité de l'article 13 b d) 1, tirés des particularités du système fiscal en cause, à savoir l'enchaînement typique de la taxe sur la valeur ajoutée, en vertu du mécanisme du droit à déduction. Selon l'Administration, la rupture de cet enchaînement, par l'effet de l'exonération, serait susceptible de se répercuter défavorablement sur les intérêts tant du bénéficiaire même de l'exonération que des contribuables situés soit en aval, soit même en amont. Au surplus, le Finanzamt attire l'attention sur les complications que pourrait occasionner, pour l'administration fiscale, l'application des dispositions d'une directive avant toute adaptation de la législation nationale applicable.

42. Dans ce contexte, l'Administration fait valoir en premier lieu que, selon les circonstances, l'exonération prévue par la directive pourrait être défavorable pour le bénéficiaire même, chaque fois que celui-ci fournit des prestations à des assujettis qui remplissent les "conditions" de la déduction. Des désavantages pourraient également résulter pour le bénéficiaire en cas de régularisation de déductions concernant les biens d'investissement, susceptibles d'être opérées, en vertu de l'article 20 de la directive, pendant une période de cinq années. L'Administration fait état au surplus des difficultés pouvant résulter de l'application des dispositions relatives à la délivrance de factures, prévue à l'article 22, paragraphe 3, lettre b), de la directive, aux termes duquel les factures afférentes à des prestations de services imposables doivent mentionner, d'une façon distincte, le montant de la taxe sur la valeur ajoutée. Selon l'article 21, paragraphe 1, lettre c), une telle indication ferait naître, en ce qui concerne les prestations de service exonérées, une dette fiscale autonome ; la taxe due en vertu de cette disposition ne pourrait, en aucun cas, d'après l'article 17, paragraphe 2, être déduite par le bénéficiaire de la prestation en tant que taxe en amont. L'octroi de l'exonération représenterait, dès lors, un désavantage considérable pour les négociateurs de crédits qui auraient délivré des factures mentionnant le montant de la taxe.

43. L'Administration souligne tout particulièrement les perturbations provoquées par le fait qu'une exonération pourrait être réclamée a posteriori, soit en aval, soit en amont, au détriment de contribuables se trouvant en relation d'affaires avec le bénéficiaire de l'exonération.

44. A cet égard, il y a lieu de faire remarquer qu'il découle du système de la directive, d'une part, que les bénéficiaires de l'exonération, du fait qu'ils font usage de celle-ci, renoncent nécessairement au droit de faire valoir la déduction de taxes versées en amont, et, d'autre part, qu'ayant bénéficié de l'exonération, ils ne sont pas en position de pouvoir répercuter une charge quelconque en aval, de manière que les droits de tiers ne sont pas en principe susceptibles d'être affectés.

45. Il apparaît donc que les arguments tirés par l'Administration défenderesse et le Gouvernement allemand d'un trouble du jeu normal du report de la charge de la taxe sur la valeur ajoutée ne sont pas fondés, dans le cas où un contribuable a exprimé sa volonté de bénéficier de l'exonération prévue par la directive, en assumant par ailleurs les conséquences de son choix.

46. Enfin, quant à l'argument tiré par l'Administration du trouble causé par des exonérations réclamées a posteriori par des contribuables, en vertu de la directive, il y a lieu de constater que cette objection n'a pas de pertinence au cas d'un contribuable qui a revendiqué le bénéfice de l'exonération au moment de présenter sa déclaration fiscale et qui s'est abstenu, en conséquence, de facturer une taxe aux bénéficiaires de ses prestations, de manière que les droits de tiers ne sont pas affectés.

47. Pour ce qui est des inconvénients administratifs de caractère plus général qui résulteraient de l'application de l'exonération prévue par la directive, dans une situation où la législation fiscale et la pratique administrative n'étaient pas encore adaptées aux nouvelles données découlant du droit communautaire, il suffit de faire remarquer que ces difficultés, si elles devaient se présenter, seraient la conséquence du défaut, par l'Etat membre, d'avoir respecté le délai prévu pour la mise en œuvre de la directive en question. Les conséquences de cette situation doivent être assumées par l'Administration et ne sauraient être répercutées sur les contribuables qui se réclament d'une obligation précise qui incombait à l'Etat, en vertu du droit communautaire, dès le 1er janvier 1979.

48. Il résulte de ce qui précède que l'argumentation tirée du système fiscal faisant l'objet de la directive doit être, également, écartée.

49. Il y a donc lieu de répondre à la question posée que la disposition relative à l'exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires pour des opérations de négociation de crédits, prévue à l'article 13, partie b, alinéa d), point 1, de la 6e directive du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, pouvait être invoquée à partir du 1er janvier 1979, à défaut d'exécution de cette directive, par un opérateur de négociation de crédits lorsqu'il s'était abstenu de répercuter cette taxe en aval, sans que l'Etat puisse lui opposer cette inexécution.

50. Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le Gouvernement de la République française, le Conseil et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Munster par ordonnance du 27 novembre 1980, dit pour droit :

La disposition relative à l'exonération de la taxe sur le chiffre d'affaires pour des opérations de négociation de crédits, prévue à l'article 13, partie b, alinéa d), point 1, de la sixième directive 77-388 du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme - pouvait être invoquée à partir du 1er janvier 1979, à défaut d'exécution de cette directive, par un opérateur de négociation de crédits lorsqu'il s'était abstenu de répercuter cette taxe en aval, sans que l'Etat puisse lui opposer cette inexécution.