CJCE, 19 novembre 1991, n° C-6/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Francovich, Bonifaci, Gouvernement italien, Gouvernement néerlandais, Gouvernement du Royaume-Uni, Gouvernement allemand, Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Sir Gordon Slynn, Joliet, Schockweiler, Grévisse, Kapteyn
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco, Zuleeg
Avocats :
Mes Mondin, Campesan, dal Ferro, Sedemund.
LA COUR,
1 Par ordonnances du 9 juillet et du 30 décembre 1989, parvenues à la Cour respectivement les 8 et 15 janvier 1990, la pretura di Vicenza (dans l'affaire C-6-90) et la pretura di Bassano del Grappa (dans l'affaire C-9-90) ont posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 189, troisième alinéa, du traité CEE ainsi que de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant Andrea Francovich et Danila Bonifaci e.a. (ci-après "requérants ") à la République italienne.
3 La directive 80-987 vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres. A cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement de leurs créances impayées concernant la rémunération.
4 D'après l'article 11, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive dans un délai qui est venu à expiration le 23 octobre 1983. La République italienne n'ayant pas respecté cette obligation, la Cour a constaté son manquement par arrêt du 2 février 1989, Commission/Italie (22-87, Rec. p. 143).
5 M. Francovich, partie au principal dans l'affaire C-6-90, avait travaillé pour l'entreprise "CDN Elettronica SnC" à Vicenza et n'avait reçu à ce titre que des acomptes sporadiques sur son salaire. Il a donc introduit un recours devant la pretura di Vicenza, qui a condamné l'entreprise défenderesse au paiement d'une somme d'environ 6 millions de LIT. Au cours de la phase exécutoire, l'huissier du tribunal de Vicenza a dû rédiger un procès-verbal de saisie négatif. M. Francovich a invoqué alors le droit d'obtenir de l'État italien les garanties prévues par la directive 80-987 ou, accessoirement, un dédommagement.
6 Dans l'affaire C-9-90, Mme Danila Bonifaci et trente-trois autres salariées ont introduit un recours devant la pretura di Bassano del Grappa, en indiquant qu'elles avaient travaillé en qualité de salariées pour l'entreprise "Gaia Confezioni Srl", déclarée en faillite le 5 avril 1985. Au moment de la cessation des relations de travail, les demanderesses étaient créancières d'une somme de plus de 253 millions de LIT, qui avait été admise au passif de l'entreprise mise en faillite. Plus de cinq ans après la faillite, aucune somme ne leur avait été versée et le syndic de la faillite leur avait fait savoir qu'une répartition, même partielle, en leur faveur était absolument improbable. En conséquence, les requérantes ont cité la République italienne en justice demandant, compte tenu de l'obligation qui lui incombait d'appliquer la directive 80-987 à partir du 23 octobre 1983, qu'elle soit condamnée à leur payer les créances qui leur sont dues à titre d'arriérés de salaires, au moins pour les trois dernières mensualités ou, à défaut, à leur verser un dédommagement.
7 C'est dans ce contexte que les juridictions nationales ont posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes, identiques dans les deux affaires :
"1) En vertu du droit communautaire en vigueur, le particulier qui a été lésé par l'inexécution par l'État de la directive 80-987 - inexécution constatée par arrêt de la Cour de justice - peut-il réclamer l'accomplissement par cet État des dispositions qu'elle contient, qui sont suffisamment précises et inconditionnelles en invoquant directement, à l'égard de l'État membre défaillant, la réglementation communautaire afin d'obtenir les garanties que cet État devait assurer et, de toute manière, réclamer la réparation des dommages subis en ce qui concerne les dispositions qui ne jouissent pas de cette prérogative?
2) Les dispositions combinées des articles 3 et 4 de la directive 80-987 du Conseil doivent-elles être interprétées en ce sens que, dans le cas où l'État n'a pas fait usage de la faculté d'introduire les limites visées à l'article 4, cet État est tenu de payer les droits des travailleurs salariés dans la mesure établie par l'article 3?
3) En cas de réponse négative à la question n 2, qu'il plaise à la Cour établir quelle est la garantie minimale que l'État doit assurer, en vertu de la directive 80-987, au travailleur ayant droit de manière que la part de salaire due à celui-ci puisse être considérée comme exécution de la directive elle-même ".
8 Pour un plus ample exposé des faits des affaires au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
9 La première question posée par la juridiction nationale pose deux problèmes, qu'il convient d'examiner séparément. Elle concerne, d'une part, l'effet direct des dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs et, d'autre part, l'existence et l'étendue d'une responsabilité de l'État pour des dommages découlant de la violation des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.
Sur l'effet direct des dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs
10 La première partie de la première question posée par la juridiction nationale vise à savoir si les dispositions de la directive qui définissent les droits des travailleurs doivent être interprétées en ce sens que les intéressés peuvent faire valoir ces droits à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais.
11 Selon une jurisprudence constante, l'État membre qui n'a pas pris, dans les délais, les mesures d'exécution imposées par une directive ne peut opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu'elle comporte. Ainsi, dans tous les cas où les dispositions d'une directive apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées, à défaut de mesures d'application prises dans les délais, à l'encontre de toute disposition nationale non conforme à la directive, ou encore si elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'État (arrêt du 19 janvier 1982, Becker, points 24 et 25, 8-81, Rec. p. 53).
12 Il y a donc lieu d'examiner si les dispositions de la directive 80-987 qui définissent les droits des travailleurs sont inconditionnelles et suffisamment précises. Cet examen doit porter sur trois aspects, à savoir la détermination des bénéficiaires de la garantie qu'elles prévoient, le contenu de cette garantie et, enfin, l'identité du débiteur de la garantie. A cet égard se pose notamment la question de savoir si l'État peut être tenu pour débiteur de la garantie au motif qu'il n'a pas pris, dans le délai prescrit, les mesures de transposition nécessaires.
13 En ce qui concerne, d'abord, la détermination des bénéficiaires de la garantie, il y a lieu de relever que, selon l'article 1er, paragraphe 1, la directive s'applique aux créances des travailleurs salariés résultant de contrats de travail ou de relations de travail et existant à l'égard d'employeurs qui se trouvent en état d'insolvabilité au sens de l'article 2, paragraphe 1, disposition qui précise les hypothèses dans lesquelles un employeur doit être considéré comme se trouvant en état d'insolvabilité. L'article 2, paragraphe 2, renvoie au droit national pour la détermination des notions de "travailleur salarié" et d'"employeur ". Enfin, le paragraphe 2 de l'article 1er prévoit que les États membres peuvent, à titre exceptionnel et sous certaines conditions, exclure du champ d'application de la directive certaines catégories de travailleurs énumérées dans l'annexe de la directive.
14 Ces dispositions sont suffisamment précises et inconditionnelles pour permettre au juge national de savoir si une personne doit ou non être considérée comme bénéficiaire de la directive. En effet, le juge n'a qu'à vérifier, d'une part, si l'intéressé a la condition de travailleur salarié en vertu du droit national et s'il n'est pas exclu, conformément à l'article 1er, paragraphe 2, et à son annexe I, du champ d'application de la directive (voir, en ce qui concerne les conditions requises pour une telle exclusion, les arrêts du 2 février 1989, Commission/Italie, 22-87, précité, points 18 à 23, et du 8 novembre 1990, Commission/Grèce, points 11 à 26, Rec. p. I-3931), puis, d'autre part, si on se trouve dans l'une des hypothèses d'état d'insolvabilité prévues par l'article 2 de la directive.
15 En ce qui concerne, ensuite, le contenu de la garantie, l'article 3 de la directive prévoit que doit être assuré le paiement des créances impayées résultant de contrats de travail ou de relations de travail et portant sur la rémunération afférente à la période qui se situe avant une date déterminée par l'État membre, qui, à cet égard, peut choisir entre trois possibilités, à savoir a) la date de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur; b) celle du préavis de licenciement du travailleur salarié concerné, donné en raison de l'insolvabilité de l'employeur; c) celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur ou celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail du travailleur salarié concerné, intervenue en raison de l'insolvabilité de l'employeur.
16 En fonction de ce choix, l'État membre a la faculté, en vertu de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de limiter l'obligation de paiement à des périodes de trois mois ou de huit semaines, selon le cas, calculées suivant des modalités précisées dans ledit article. Enfin, le paragraphe 3 du même article prévoit que les États membres peuvent fixer un plafond pour la garantie de paiement afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive. Lorsqu'ils font usage de cette faculté, les États membres doivent communiquer à la Commission les méthodes selon lesquelles ils fixent ce plafond. Par ailleurs, l'article 10 précise que la directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus et notamment de refuser ou de réduire l'obligation de paiement dans certaines circonstances.
17 L'article 3 de la directive laisse ainsi un choix à l'État membre pour déterminer la date à partir de laquelle la garantie du paiement des créances doit être assurée. Toutefois, ainsi qu'il découle déjà implicitement de la jurisprudence de la Cour (arrêt du 4 décembre 1986, FNV, 71-85, Rec. p. 3855; arrêt du 23 mars 1987, McDermott et Cotter, 286-85, point 15, Rec. p. 1453), la faculté, pour l'État, de choisir parmi une multiplicité de moyens possibles en vue d'atteindre le résultat prescrit par une directive n'exclut pas la possibilité, pour les particuliers, de faire valoir devant les juridictions nationales les droits dont le contenu peut être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive.
18 En l'espèce, le résultat que la directive en cause prescrit est la garantie du paiement aux travailleurs des créances impayées en cas d'insolvabilité de l'employeur. Le fait que les articles 3 et 4, paragraphes 1 et 2, accordent aux États membres une certaine marge d'appréciation en ce qui concerne les méthodes de fixation de cette garantie, et la limitation de son montant n'affecte pas le caractère précis et inconditionnel du résultat prescrit.
19 En effet, comme la Commission et les requérants l'ont relevé, il est possible de déterminer la garantie minimale prévue par la directive en se fondant sur la date dont le choix entraîne la charge la moins lourde pour l'institution de garantie. Cette date est celle de la survenance de l'insolvabilité de l'employeur, étant donné que les deux autres dates, à savoir celle du préavis de licenciement du travailleur et celle de la cessation du contrat de travail ou de la relation de travail sont, selon les conditions posées par l'article 3, nécessairement postérieures à la survenance de l'insolvabilité et délimitent donc une période plus longue, pendant laquelle le paiement de créances doit être assuré.
20 Pour ce qui est de la faculté, prévue à l'article 4, paragraphe 2, de limiter cette garantie, il y a lieu de relever qu'une telle faculté n'exclut pas que l'on puisse déterminer la garantie minimale. En effet, il résulte des termes de cet article que les États membres ont la faculté de limiter les garanties accordées aux travailleurs à certaines périodes antérieures à la date visée à l'article 3. Ces périodes sont fixées en fonction de chacune des trois dates prévues à l'article 3, de sorte qu'il est possible, en tout état de cause, de déterminer jusqu'où l'État membre aurait pu réduire la garantie prévue par la directive selon la date qu'il aurait choisie s'il avait transposé la directive.
21 Quant à l'article 4, paragraphe 3, selon lequel les États membres peuvent fixer un plafond pour la garantie de paiement afin d'éviter le versement de sommes allant au-delà de la finalité sociale de la directive et l'article 10, qui précise que la directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de prendre les mesures nécessaires en vue d'éviter des abus, il y a lieu de relever qu'un État membre ayant manqué à ses obligations de transposer une directive, ne saurait faire échec aux droits que la directive fait naître au profit des particuliers en se fondant sur la faculté de limiter le montant de la garantie qu'il aurait pu exercer au cas où il aurait pris les mesures nécessaires pour la mise en œuvre de la directive (voir, à propos d'une faculté analogue relative à la prévention d'abus dans le domaine fiscal, l'arrêt du 19 janvier 1982, Becker, point 34, 8-81, Rec. p. 53).
22 Il y a donc lieu de constater que les dispositions en cause sont inconditionnelles et suffisamment précises en ce qui concerne le contenu de la garantie.
23 En ce qui concerne, enfin, l'identité du débiteur de la garantie, l'article 5 de la directive prévoit que :
"Les États membres fixent les modalités de l'organisation, du financement et du fonctionnement des institutions de garantie en observant notamment les principes suivants :
a) le patrimoine des institutions doit être indépendant du capital d'exploitation des employeurs et être constitué de telle façon qu'il ne puisse être saisi au cours d'une procédure en cas d'insolvabilité;
b) les employeurs doivent contribuer au financement, à moins que celui-ci ne soit assuré intégralement par les pouvoirs publics;
c) l'obligation de paiement des institutions existe indépendamment de l'exécution des obligations de contribuer au financement ."
24 Il a été soutenu que, dès lors que la directive prévoit la possibilité de financement intégral des institutions de garantie par les pouvoirs publics, il serait inadmissible qu'un État membre puisse faire échec aux effets de la directive en alléguant qu'il aurait pu faire supporter une partie ou la totalité de la charge financière qui lui incombe par d'autres personnes.
25 Cette argumentation ne saurait être admise. Il ressort des termes de la directive que l'État membre est obligé d'organiser tout un système institutionnel de garantie approprié. En vertu de l'article 5, l'État membre dispose d'une grande marge d'appréciation quant à l'organisation, le fonctionnement et le financement des institutions de garantie. Il faut souligner que le fait, invoqué par la Commission, que la directive prévoit comme une possibilité, parmi d'autres, qu'un tel système soit financé intégralement par les pouvoirs publics ne saurait signifier que l'on puisse identifier l'État comme débiteur des créances impayées. L'obligation de paiement appartient aux institutions de garantie et ce n'est qu'en exerçant son pouvoir d'organiser le système de garantie que l'État peut prévoir le financement intégral des institutions de garantie par les pouvoirs publics. Dans cette hypothèse, l'État assume une obligation qui n'est pas en principe la sienne.
26 Il en résulte que, même si les dispositions en cause de la directive sont suffisamment précises et inconditionnelles en ce qui concerne la détermination des bénéficiaires de la garantie et le contenu de cette garantie, ces éléments ne sont pas suffisants pour que les particuliers puissent se prévaloir de ces dispositions devant les juridictions nationales. En effet, d'une part, ces dispositions ne précisent pas l'identité du débiteur de la garantie et, d'autre part, l'État ne saurait être considéré comme débiteur au seul motif qu'il n'a pas pris dans les délais les mesures de transposition.
27 Il y a donc lieu de répondre à la première partie de la première question que les dispositions de la directive 80-987 qui définissent les droits des travailleurs doivent être interprétées en ce sens que les intéressés ne peuvent pas faire valoir ces droits à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais.
Sur la responsabilité de l'État pour des dommages découlant de la violation des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire
28 Par la seconde partie de la première question, la juridiction nationale vise à savoir si un État membre est obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive 80-987.
29 La juridiction nationale pose ainsi le problème de l'existence et de l'étendue d'une responsabilité de l'État pour des dommages découlant de la violation des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.
30 Ce problème doit être examiné à la lumière du système général du traité et de ses principes fondamentaux.
a) Sur le principe de la responsabilité de l'État
31 Il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que le traité CEE a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s'impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d'une manière bien définie tant aux particuliers qu'aux États membres et aux institutions communautaires (voir arrêts du 5 février 1963, Van Gend en Loos, 26-62, Rec. p. 3, et du 15 juillet 1964, Costa, 6-64, Rec. p. 1141).
32 Il y a lieu de rappeler également que, ainsi qu'il découle d'une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales chargées d'appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, d'assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu'elles confèrent aux particuliers (voir, notamment, les arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, point 16, 106-77, Rec. p. 629, et du 19 juin 1990, Factortame, point 19, C-213-89, Rec. p. I-2433).
33 Il y a lieu de constater que la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu'elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n'avaient pas la possibilité d'obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre.
34 La possibilité de réparation à charge de l'État membre est particulièrement indispensable lorsque, comme en l'espèce, le plein effet des normes communautaires est subordonné à la condition d'une action de la part de l'État et que, par conséquent, les particuliers ne peuvent pas, à défaut d'une telle action, faire valoir devant les juridictions nationales les droits qui leur sont reconnus par le droit communautaire.
35 Il en résulte que le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité.
36 L'obligation, pour les États membres, de réparer ces dommages trouve également son fondement dans l'article 5 du traité, en vertu duquel les États membres sont tenus de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations qui leur incombent en vertu du droit communautaire. Or, parmi ces obligations se trouve celle d'effacer les conséquences illicites d'une violation du droit communautaire (voir, en ce qui concerne la disposition analogue de l'article 86 du traité CECA, l'arrêt du 16 décembre 1960, Humblet, 6-60, Rec. p. 1125).
37 Il résulte de tout ce qui précède que le droit communautaire impose le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables.
b) Sur les conditions de la responsabilité de l'État
38 Si la responsabilité de l'État est ainsi imposée par le droit communautaire, les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à l'origine du dommage causé.
39 Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, un État membre méconnaît l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 189, troisième alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire impose un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies.
40 La première de ces conditions est que le résultat prescrit par la directive comporte l'attribution de droits au profit de particuliers. La deuxième condition est que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive. Enfin, la troisième condition est l'existence d'un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées.
41 Ces conditions sont suffisantes pour engendrer au profit des particuliers un droit à obtenir réparation, qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire.
42 Sous cette réserve, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé. En effet, en l'absence d'une réglementation communautaire, c'est à l'ordre juridique interne de chaque État membre qu'il appartient de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la pleine sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir les arrêts suivants : du 22 janvier 1976, Russo, 60-75, Rec. p. 45; du 16 février 1976, Rewe, 33-76, Rec. p. 1989; du 7 juillet 1981, Rewe, 158-80, Rec. p. 1805).
43 Il convient de relever, en outre, que les conditions, de fond et de forme, fixées par les diverses législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation (voir, en ce qui concerne la matière analogue du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire, notamment l'arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199-82, Rec. p. 3595).
44 En l'espèce, la violation du droit communautaire de la part d'un État membre du fait de la non-transposition de la directive 80-987 dans les délais a été constatée par un arrêt de la Cour. Le résultat prescrit par cette directive comporte l'attribution aux travailleurs salariés du droit à une garantie pour le paiement de leurs créances impayées concernant la rémunération. Ainsi qu'il résulte de l'examen de la première partie de la première question, le contenu de ce droit peut être identifié sur la base des dispositions de la directive.
45 Dans ces conditions, il appartient à la juridiction nationale d'assurer, dans le cadre du droit national de la responsabilité, le droit des travailleurs à obtenir réparation des dommages qui leur auraient été causés du fait de la non-transposition de la directive.
46 Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale qu'un État membre est obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive 80-987.
Sur les deuxième et troisième questions
47 Compte tenu de la réponse à la première question préjudicielle, il n'y a pas lieu de statuer sur les deuxième et troisième questions.
Sur les dépens
48 Les frais exposés par les Gouvernements italien, du Royaume-Uni, néerlandais et allemand, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent pas faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par la pretura di Vicenza (dans l'affaire C-6-90) et la pretura di Bassano del Grappa (dans l'affaire C-9-90), respectivement, par ordonnances du 9 juillet et du 30 décembre 1989, dit pour droit :
1) Les dispositions de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur qui définissent les droits des travailleurs doivent être interprétées en ce sens que les intéressés ne peuvent pas faire valoir ces droits à l'encontre de l'État devant les juridictions nationales à défaut de mesures d'application prises dans les délais.
2) Un État membre est obligé de réparer les dommages découlant pour les particuliers de la non-transposition de la directive 80-987-CEE.