CJCE, 24 octobre 1996, n° C-72/95
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Aannemersbedrijf P.K. Kraaijeveld BV e.a.
Défendeur :
Gedeputeerde Staten van Zuid-Holland
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Mancini, Murray, Sevón (rapporteur), Juges : MM. Kakouris, Kapteyn, Gulmann, Edward, Puissochet, Hirsch, Wathelet
Avocat général :
M. Elmer.
LA COUR,
1 Par arrêt du 8 mars 1995, parvenu à la Cour le 14 mars suivant, le Nederlandse Raad van State a posé, en application de l'article 177 du traité CE, quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 85-337-CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement (JO L 175, p. 40, ci-après la "directive"), et sur l'obligation, pour une juridiction nationale, d'assurer le respect d'une directive ayant effet direct, mais dont un particulier ne s'est pas prévalu.
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un recours en annulation introduit par la Aannemersbedrijf P. K. Kraaijeveld BV e.a. (ci-après "Kraaijeveld") à l'encontre de la décision du 18 mai 1993 par laquelle la députation permanente de la province de Hollande du Sud a approuvé le plan d'occupation des sols intitulé "Révision partielle des plans d'occupation des sols dans le cadre du renforcement des digues" adopté par le conseil communal de Sliedrecht en application de la Wet op de Ruimtelijke Ordening (ci-après la "loi sur l'aménagement du territoire").
La directive
3 La directive prévoit que, avant de réaliser certains travaux ou autres interventions dans le milieu naturel, il soit procédé à une évaluation des incidences qu'ils auront sur l'environnement.
4 Selon les termes des sixième, huitième, neuvième et onzième considérants:
"Considérant que l'autorisation des projets publics et privés susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ne devrait être accordée qu'après évaluation préalable des effets notables que ces projets sont susceptibles d'avoir sur l'environnement; que cette évaluation doit s'effectuer sur la base de l'information appropriée fournie par le maître d'ouvrage et éventuellement complétée par les autorités et par le public susceptibles d'être concernés par le projet;
Considérant que les projets appartenant à certaines classes ont des incidences notables sur l'environnement et que ces projets doivent en principe être soumis à une évaluation systématique;
Considérant que des projets appartenant à d'autres classes n'ont pas nécessairement des incidences notables sur l'environnement dans tous les cas et que ces projets doivent être soumis à une évaluation lorsque les États membres considèrent que leurs caractéristiques l'exigent;
Considérant que les effets d'un projet sur l'environnement doivent être évalués pour tenir compte des préoccupations visant à protéger la santé humaine, à contribuer par un meilleur environnement à la qualité de la vie, à veiller au maintien des diversités des espèces et à conserver la capacité de reproduction de l'écosystème en tant que ressource fondamentale de la vie."
5 Selon l'article 1er, paragraphe 1, de la directive:
"La présente directive concerne l'évaluation des incidences sur l'environnement des projets publics et privés susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement."
6 L'article 1er, paragraphe 2, précise ce qu'il convient d'entendre, au sens de la directive, notamment par "projet":
"* la réalisation de travaux de construction ou d'autres installations ou ouvrages,
* d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol".
7 L'article 2, paragraphe 1, précise les types de projets qui doivent faire l'objet d'une étude:
"Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences.
Ces projets sont définis à l'article 4."
8 Selon l'article 3 de la directive:
"L'évaluation des incidences sur l'environnement identifie, décrit et évalue de manière appropriée, en fonction de chaque cas particulier et conformément aux articles 4 à 11, les effets directs et indirects d'un projet sur les facteurs suivants:
* l'homme, la faune et la flore,
* le sol, l'eau, l'air, le climat et le paysage,
* l'interaction entre les facteurs visés aux premier et deuxième tirets,
* les biens matériels et le patrimoine culturel."
9 L'article 4 distingue deux types de projets. Le paragraphe 1 de cette disposition prévoit que, en principe, les projets décrits à l'annexe I de la directive doivent toujours faire l'objet d'une évaluation. En ce qui concerne les autres types de projets, l'article 4, paragraphe 2, prévoit:
"Les projets appartenant aux classes énumérées à l'annexe II sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10, lorsque les États membres considèrent que leurs caractéristiques l'exigent.
A cette fin, les États membres peuvent notamment spécifier certains types de projets à soumettre à une évaluation ou fixer des critères et/ou des seuils à retenir pour pouvoir déterminer lesquels, parmi les projets appartenant aux classes énumérées à l'annexe II, doivent faire l'objet d'une évaluation conformément aux articles 5 à 10."
10 L'annexe II énumère un certain nombre de projets, parmi lesquels:
"10. Projets d'infrastructure:
...
e) Ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau
...
12. Modifications des projets figurant à l'annexe I ainsi que projets de l'annexe I qui servent exclusivement ou essentiellement au développement et à l'essai de nouvelles méthodes ou produits et qui ne sont pas utilisés pendant plus d'un an".
11 La directive ne contient aucune disposition spécifique relative aux modifications des projets figurant à l'annexe II.
12 Enfin, la directive prévoit une information du public et la possibilité pour celui-ci d'exprimer son avis. L'article 6, paragraphe 3, de la directive dispose que les modalités de cette information et de cette consultation sont définies par les États membres, notamment quant au public concerné et à la manière de l'informer.
13 Selon l'article 12, paragraphe 1, de la directive, "Les États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer à la présente directive dans un délai de trois ans à compter de sa notification."
La réglementation néerlandaise applicable aux faits du litige au principal
14 Aux Pays-Bas, la Deltawet, du 8 mai 1958, houdende de afsluiting van de zeearmen tussen de Westerschelde en de Rotterdamse Waterweg en de versterking van de hoogwaterkering ter beveiliging van het land tegen stormvloeden (Stb. 246, loi delta portant fermeture des bras de mer reliant l'Escaut occidental au Rotterdamse Waterweg et portant consolidation du système de renversement de la marée haute en vue de protéger les terres contre les grandes marées, ci-après la "Deltawet"), prévoit notamment la construction d'ouvrages destinés à renforcer la protection contre les eaux et les marées le long du Rotterdamse Waterweg et le long de tous les cours d'eau qui communiquent avec lui [article 1er, initio et sous II, d)]. En application de cette loi, des études ont été effectuées, notamment au cours des années 1987 et 1988, par la Commission de coordination du renforcement des digues, sous la direction de la province de Hollande du Sud. Un nouveau tracé des digues dans le secteur Sliedrecht-Ouest, Sliedrecht-Centre et Sliedrecht-Est a été proposé par cette commission de coordination, approuvé par la députation permanente de la province de Hollande du Sud et arrêté, le 26 avril 1990, par le ministre des Transports et des Eaux, conformément à l'article 2, paragraphe 4, de la Deltawet. Par la suite, le conseil communal de Sliedrecht a arrêté, le 23 novembre 1992, le plan d'occupation des sols relatif à ce secteur en application de la loi sur l'aménagement du territoire.
15 La directive a été transposée aux Pays-Bas par une modification de la Wet algemene bepalingen milieuhygiëne du 13 juin 1979 (loi portant dispositions générales sur l'hygiène de l'environnement, ci-après la "loi de 1979") dont l'article 41 b, paragraphe 1, disposait, à l'époque des faits: "les activités susceptibles d'entraîner d'importantes conséquences défavorables sur l'environnement seront désignées par mesure générale d'administration. La ou les catégories de décisions que les pouvoirs publics prennent concernant de telles activités et pour la préparation desquelles une évaluation des incidences sur l'environnement devra être effectuée seront désignées par le même instrument". La loi de 1979 a elle-même été mise en œuvre par le Besluit milieu-effectrapportage du 20 mai 1987 (arrêté relatif aux évaluations des incidences sur l'environnement). L'article 2 de cet arrêté et la section C, sous 12.1, de son annexe, dans la version en vigueur à l'époque des faits, définissaient la "construction d'une digue" comme une activité au sens de l'article 41 b de la loi lorsqu'il s'agit d'une digue dont la longueur atteint ou excède 5 kilomètres et dont la section transversale atteint ou excède 250 m2. Ils qualifient également d'arrêté pour la préparation duquel une évaluation des incidences sur l'environnement doit être effectuée l'adoption d'un plan de principe ou d'un arrêté pris en application de l'article 2, paragraphes 3 et 4, de la Deltawet.
16 La loi de 1979 a été modifiée et est devenue, en 1994, la Wet milieubeheer (loi sur la gestion de l'environnement). Un nouvel arrêté d'exécution a été adopté le 4 juillet 1994, abandonnant les critères de dimension de l'ouvrage. Cet arrêté n'est toutefois pas applicable aux faits de l'affaire au principal.
La procédure devant la juridiction nationale et les questions préjudicielles
17 Kraaijeveld a contesté le plan d'occupation des sols, arrêté le 23 novembre 1992 par le conseil communal de Sliedrecht, pour ce qu'il concerne la digue de Merwede, devant la députation permanente de la province de Hollande du Sud, qui, par décision du 18 mai 1993, l'a toutefois approuvé. C'est contre cette décision que Kraaijeveld a introduit, le 20 juillet 1993, un recours en annulation devant le Nederlandse Raad van State.
18 Selon le nouveau plan, le cours d'eau auquel a accès Kraaijeveld ne sera plus en communication avec les voies navigables, ce qui porterait préjudice à l'entreprise dans la mesure où, ayant pour activité économique les travaux relatifs aux voies d'eau ("natte waterbouw"), la disparition d'un accès à une voie navigable lui serait fatale.
19 Le Nederlandse Raad van State relève qu'aucune évaluation des incidences sur l'environnement n'a été effectuée du fait qu'il ne s'agissait pas d'un ouvrage dont les dimensions atteignent les seuils fixés par la législation nationale.
20 Par arrêt du 8 mars 1995, le Nederlandse Raad van State a décidé de poser à la Cour les quatre questions préjudicielles suivantes:
"1) La notion d''ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau'qui figure à l'annexe II de la directive doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle couvre également certains types de travaux concernant une digue le long de voies navigables?
2) Compte tenu notamment des notions de 'projets'et de 'modification de projets'qui sont utilisées dans la directive, la réponse à la première question sera-t-elle différente selon qu'il s'agit:
a) de la construction d'une nouvelle digue?
b) du déplacement d'une digue existante?
c) du renforcement ou de l'élargissement d'une digue existante?
d) du remplacement d'une digue par la construction d'une nouvelle digue au même endroit, que celle-ci soit plus solide ou plus large que l'ancienne digue ou non?
e) d'une combinaison de plusieurs des hypothèses énoncées sous les quatre lettres précédentes?
3) L'article 2, paragraphe 1, et l'article 4, paragraphe 2, de la directive doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsque, dans la législation nationale de mise en œuvre de la directive, un État membre a fixé, conformément à l'article 4, paragraphe 2, des spécifications, critères ou seuils pour un projet déterminé relevant de l'annexe II mais a retenu des spécifications, critères ou seuils incorrects, ce projet doit être soumis à une évaluation des incidences sur l'environnement conformément à l'article 2, paragraphe 1, s'il est susceptible d'avoir 'des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de [sa] nature, de [ses] dimensions ou de [sa] localisation'au sens de cette disposition?
4) En cas de réponse affirmative à la troisième question, cette obligation (de soumettre le projet à une évaluation) a-t-elle effet direct, c'est-à-dire peut-elle être invoquée par un particulier devant le juge national, et doit-elle, même si elle n'a pas été, en réalité, invoquée dans le litige pendant devant le juge, néanmoins être appliquée par celui-ci?"
Sur la première question
21 Par cette question, le Nederlandse Raad van State demande si la notion d'"ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau", qui figure à l'annexe II, point 10, sous e), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe également certains types de travaux concernant une digue le long de voies navigables.
22 Compte tenu de l'expression "canalization and flood-relief works", qui figure à la version anglaise de la directive, la juridiction de renvoi estime que le projet visé sous cette rubrique de l'annexe II concerne des activités susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Elle considère dès lors que cette notion pourrait englober certains travaux concernant une digue.
23 Selon Kraaijeveld, les projets de digues fluviales sont des travaux qui tendent à modifier la fréquence des immersions des berges et des zones entourant les berges et qui, à ce titre, ont une incidence notable sur l'environnement. S'agissant de la régularisation de la gestion des voies hydrauliques, les digues n'auraient pas une valeur moindre que d'autres travaux concernant la canalisation et la régularisation de ces voies d'eau.
24 Le Gouvernement néerlandais expose qu'il existe une distinction entre des travaux relatifs à une digue et ceux de régularisation des cours d'eau ou de canalisation. Ces derniers sont réalisés dans un but de gestion des voies hydrauliques ou au profit de la navigation fluviale. Ils modifient le caractère du cours d'eau lui-même, c'est-à-dire la quantité ou la qualité de l'eau ainsi que les rives et les berges, en sorte qu'ils ont un impact considérable sur la faune et la flore aquatiques. En revanche, les travaux de renforcement des digues consistent à construire ou à exhausser des talus au moyen de sable ou d'argile. La Rivierenwet (loi sur les rivières) garantit que les travaux actuels ne portent pas atteinte au niveau de régularisation déjà atteint pour une rivière donnée. De tels travaux n'ont donc guère d'influence sur la flore et la faune d'une rivière.
25 En ce qui concerne la référence faite à la version anglaise de la directive, le Gouvernement néerlandais considère que la version néerlandaise de la directive est, à son égard, la seule version linguistique authentique. Il rappelle la jurisprudence de la Cour, selon laquelle l'élimination des divergences linguistiques par voie interprétative peut, dans certaines circonstances, aller à l'encontre du principe de sécurité juridique, dans la mesure où certains des textes concernés seraient susceptibles d'être interprétés d'une manière qui diffère du sens propre et usuel des mots (arrêt du 3 mars 1977, North Kerry Milk Products, 80-76, Rec. p. 425, point 11). Une version linguistique donnée ne pourrait donc être déterminante pour une interprétation uniforme. Les différentes versions linguistiques feraient également foi (arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283-81, Rec. p. 3415).
26 Enfin, le Gouvernement néerlandais rappelle l'objectif de la directive, à savoir créer des conditions de concurrence égales dans les différents États membres. Les travaux repris à la directive ne peuvent donc viser que les travaux qui peuvent être entrepris dans pratiquement tous les États membres et non pas ceux qui ne sont principalement effectués que dans un seul État membre, telle la construction de digues. Le Gouvernement néerlandais conclut donc que les travaux de renforcement des digues le long des cours d'eau néerlandais ne relèvent pas de la notion d'ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau.
27 Selon la Commission, la canalisation d'une rivière a une incidence inévitable sur la vitesse de son écoulement et sur le niveau des eaux. Elle peut avoir pour conséquence l'endiguement du bassin du fleuve, afin d'empêcher les inondations et d'assurer la sécurité des populations. Une digue de ce type doit donc être qualifiée de régularisation d'un cours d'eau. Par ailleurs, il convient de tenir compte de l'objectif de la directive qui porte sur les incidences que certains projets sont susceptibles d'avoir sur l'environnement, indépendamment de l'objectif social desdits projets. La construction de digues fluviales a des incidences sur l'environnement, qu'elle soit entreprise en vue d'améliorer la navigabilité d'un cours d'eau ou pour protéger les populations installées sur des territoires inondables. Des travaux relatifs à une digue fluviale qui sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement relèveraient donc de la notion d'"ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau".
28 Il convient de rappeler que, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, une interprétation d'une disposition de droit communautaire implique une comparaison de ses versions linguistiques (voir arrêt Cilfit e.a., précité, point 18). Par ailleurs, la nécessité d'une interprétation uniforme de ces versions exige, en cas de divergence entre elles, que la disposition en cause soit interprétée en fonction de l'économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 7 décembre 1995, Rockfon, C-449-93, Rec. p. I-4291, point 28).
29 En l'espèce, l'examen des différentes versions linguistiques de l'annexe II, point 10, sous e), de la directive montre que celles-ci peuvent être classées en deux catégories selon que les termes employés évoquent ou non l'idée d'inondation. En effet, les versions anglaise ("canalization and flood-relief works") et finnoise ("kanavointi- ja tulvasuojeluhankkeet") font allusion aux ouvrages de canalisation et de prévention des inondations, tandis que les versions allemande, hellénique, espagnole, française, italienne, néerlandaise et portugaise font allusion aux ouvrages de canalisation et de régularisation des cours d'eau, la version hellénique comportant en outre le terme français "canalisation" entre parenthèses, à côté du terme hellénique "***********". Quant aux versions danoise et suédoise, elles ne contiennent qu'une seule expression exprimant l'idée de régularisation des cours d'eau ("anlaeg til regulering af vandloeb", "Anlaeggningar foer reglering av vattenfloeden").
30 Face à cette divergence, il importe d'examiner l'économie générale et l'objectif de la directive. Selon l'article 1er, paragraphe 2, de la directive, il convient d'entendre par projet "la réalisation de travaux de construction ou d'autres installations ou ouvrages" ainsi que "d'autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, y compris celles destinées à l'exploitation des ressources du sol". Selon son article 2, paragraphe 1, la directive vise "les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation". L'article 3 dispose que l'évaluation des incidences sur l'environnement doit identifier, décrire et évaluer, notamment, les effets directs et indirects d'un projet sur l'homme, la faune, la flore, le sol, l'eau, l'air, le climat, le paysage, les biens matériels et le patrimoine culturel.
31 Il peut être déduit du texte de la directive que son champ d'application est étendu et son objectif très large. Cette seule observation devrait être en elle-même suffisante pour interpréter l'annexe II, point 10, sous e), de la directive comme englobant les travaux de retenue des eaux et de prévention des inondations * et donc, les travaux à des digues * même si cette précision ne ressort pas de toutes les versions linguistiques.
32 Si, ainsi que l'expose le Gouvernement néerlandais, des travaux à des digues consistent à construire ou à exhausser des talus afin de contenir le cours de l'eau et d'éviter une inondation des terres, il y a lieu de relever que même les travaux de retenue, non pas du cours d'eau courante, mais d'une quantité d'eau statique, peuvent avoir une incidence notable sur l'environnement au sens de la directive dès lors qu'ils peuvent durablement affecter la composition des sols, la faune et la flore ou encore le paysage. Il convient donc d'en déduire que ce type de travaux doit être inclus dans le champ d'application de la directive.
33 Par conséquent, l'argumentation du Gouvernement néerlandais, selon laquelle les travaux aux digues ne modifieraient pas le cours d'une voie d'eau, n'est pas fondée.
34 Enfin, l'argument du Gouvernement néerlandais, selon lequel des digues n'entreraient pas dans le champ d'application d'une directive communautaire en raison du fait qu'il s'agirait de travaux spécifiques aux Pays-Bas, n'est pas pertinent, dès lors que, ainsi qu'il vient d'être exposé, le critère d'appréciation est l'incidence notable qu'un projet est susceptible d'avoir sur l'environnement.
35 Compte tenu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que l'expression "ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau", qui figure à l'annexe II, point 10, sous e), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe également certains types de travaux concernant une digue le long de voies navigables.
Sur la deuxième question
36 Par cette question, le Nederlandse Raad van State demande si, compte tenu notamment des notions de "projets" et de "modification de projets" qui sont utilisées dans la directive, la réponse à la première question sera différente selon qu'il s'agit:
a) de la construction d'une nouvelle digue;
b) du déplacement d'une digue existante;
c) du renforcement ou de l'élargissement d'une digue existante;
d) du remplacement d'une digue par la construction d'une nouvelle digue au même endroit, que celle-ci soit plus solide ou plus large que l'ancienne;
e) d'une combinaison de plusieurs des hypothèses énoncées sous les quatre lettres précédentes.
37 Selon les termes de la directive, les modifications des projets figurant à l'annexe I sont soumises au même régime que les projets de l'annexe II et relèvent ainsi de l'article 4, paragraphe 2, de la directive. A cet égard, l'absence de toute mention relative aux modifications de projets relevant de l'annexe II est interprétée, dans les observations, de façons divergentes quant à leur inclusion dans le champ d'application de la directive. En effet, selon les Gouvernements italien et du Royaume-Uni, les modifications des projets figurant à l'annexe II relèveraient également de cette annexe, tandis que, selon le Gouvernement néerlandais et la Commission, elles n'entreraient pas dans le champ d'application de la directive. La Commission précise toutefois que ceci dépend de la signification attribuée à l'expression "modification de projet" et que, dans certains cas, des modifications peuvent être tellement importantes qu'elles constituent un nouveau projet.
38 La directive ne donnant aucune définition spécifique de la notion de "modification de projet", il y a lieu de l'interpréter à la lumière de l'économie générale et de la finalité de la directive.
39 Il a déjà été relevé, au point 31 du présent arrêt, que le champ d'application de la directive est étendu et son objectif très large. Il serait porté atteinte à cet objectif si la qualification de "modification de projet" permettait de faire échapper certains travaux ou ouvrages à l'obligation de réaliser une étude d'incidences, alors que, en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, ces travaux ou ouvrages sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
40 En outre, il y a lieu de considérer que le seul fait que la directive ne mentionne pas expressément les modifications de projets relevant de l'annexe II, au contraire des modifications de projets figurant à l'annexe I, ne permet pas d'en déduire qu'elles n'entrent pas dans le champ d'application de la directive. En effet, la distinction entre un "projet" et une "modification de projet", quant aux projets relevant de l'annexe I, concerne la différence de régime auquel ils sont soumis dans le cadre du champ d'application de la directive, alors qu'une pareille distinction quant aux projets relevant de l'annexe II concernerait le champ d'application en général de la directive.
41 Par ailleurs, dans l'arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne (C-431-92, Rec. p. I-2189, point 35), relatif à la centrale thermique de Grosskrotzenburg, la Cour a jugé que des liens avec une construction existante d'un projet d'une nouvelle tranche de 500 MW d'une centrale thermique ne privent pas ce projet de son caractère de "centrale thermique d'une puissance calorifique d'au moins 300 MW" pour le faire entrer dans la catégorie "modification des projets figurant à l'annexe I", mentionnée à l'annexe II, point 12. Dans cet arrêt, la Cour a considéré que, pour déterminer si des travaux envisagés devaient faire l'objet d'une étude d'incidences, ils devaient être examinés indépendamment de la question de savoir s'ils étaient réalisés de manière autonome, s'ils étaient adjoints à une construction préexistante ou même s'ils avaient avec celle-ci des liens fonctionnels étroits.
42 Compte tenu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l'expression "ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau", qui figure à l'annexe II, point 10, sous e), de la directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe non seulement la construction d'une nouvelle digue, mais également la modification d'une digue existante par son déplacement, son renforcement ou son élargissement, le remplacement d'une digue par la construction d'une nouvelle digue au même endroit, que celle-ci soit plus solide ou plus large que l'ancienne, ou encore une combinaison de plusieurs de ces hypothèses.
Sur les troisième et quatrième questions
43 Par ces questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, d'une part, si les articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive doivent être interprétés en ce sens que, lorsque, dans la législation nationale de mise en œuvre de la directive, un État membre a fixé, conformément à l'article 4, paragraphe 2, des spécifications, critères ou seuils pour un projet déterminé relevant de l'annexe II, mais a retenu des spécifications, critères ou seuils incorrects, ce projet doit être soumis à une évaluation des incidences sur l'environnement conformément à l'article 2, paragraphe 1, s'il est susceptible d'avoir "des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de [sa] nature, de [ses] dimensions ou de [sa] localisation" au sens de cette disposition. D'autre part, en cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi demande si cette obligation de soumettre le projet à une évaluation a un effet direct, de sorte qu'un particulier peut s'en prévaloir devant une juridiction nationale, et si le juge saisi doit en assurer le respect même lorsqu'elle n'a pas été invoquée devant lui.
44 Rappelant l'arrêt de la Cour du 2 août 1993, Commission/Espagne (C-355-90, Rec. p. I-4221), le Nederlandse Raad van State juge plausible que le pouvoir d'appréciation reconnu aux États membres par l'article 4, paragraphe 2, de la directive de fixer des spécifications, critères ou seuils soit encadré par l'expression "susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation" figurant à l'article 2, paragraphe 1.
45 Kraaijeveld et la Commission développent une argumentation semblable. La Commission précise que les spécifications, critères ou seuils fixés par les États membres sont principalement destinés à faciliter l'examen des projets afin de déterminer s'ils doivent être soumis à l'étude d'incidences, mais que l'existence de ces spécifications, critères ou seuils ne dispense pas les États membres de procéder à un examen concret du projet afin de vérifier s'il remplit les critères de l'article 2, paragraphe 1, de la directive. Toutes deux s'accordent pour considérer que le royaume des Pays-Bas n'a pas correctement exécuté son obligation de mise en œuvre de la directive dès lors que les critères de dimensions minimales déterminés par la législation nationale en matière de digues étaient fixés à un niveau tel qu'aucun des projets de digues fluviales n'y satisfaisait et que, dès lors, la totalité des projets de renforcement des digues demeurait en dehors du champ d'application de l'étude d'incidences. Kraaijeveld produit à cet égard la décision d'une juridiction néerlandaise au soutien de sa thèse.
46 En revanche, selon le Gouvernement néerlandais, le pouvoir d'appréciation des États membres n'est pas limité de façon précise par la directive. Par ailleurs, le choix des seuils de longueur et de section des digues a été fait en l'espèce en tenant compte de l'impact de ces travaux sur l'environnement. Le fait que, en pratique, la législation néerlandaise transposant la directive n'ait pas soumis nombre de projets à l'obligation d'évaluation serait dépourvu de toute signification, étant donné que ces projets n'avaient pas de conséquences nuisibles. Il considère dès lors ne pas avoir outrepassé sa marge d'appréciation en déterminant ces seuils.
47 S'agissant de l'effet direct de l'obligation de soumettre certains projets à l'étude d'incidences, le juge de renvoi considère que cette obligation peut être considérée comme résultant d'une disposition précise et inconditionnelle de la directive. Kraaijeveld ainsi que la Commission font des observations en ce sens, la Commission ajoutant par ailleurs que, dès lors que la réglementation possède un caractère procédural, elle ne laisse aucune marge de manœuvre quant au résultat à atteindre. En revanche, les Gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni considèrent que l'article 2, paragraphe 1, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 2, de la directive, n'est pas suffisamment précis ni inconditionnel pour avoir un effet direct, compte tenu de la marge d'appréciation conférée aux États membres quant à la détermination des seuils et critères ou à l'organisation de la procédure de consultation du public.
48 A cet égard, il y a lieu de rappeler que l'article 2, paragraphe 1, de la directive renvoie à l'article 4 pour la définition des projets devant être soumis à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Cet article reconnaît aux États membres, en son paragraphe 2, un certain pouvoir d'appréciation puisqu'il précise que les projets appartenant aux classes énumérées à l'annexe II sont soumis à une évaluation "lorsque les États membres considèrent que leurs caractéristiques l'exigent" et que, à cette fin, les États membres peuvent notamment spécifier certains types de projets à soumettre à une évaluation ou fixer des critères et/ou des seuils à retenir pour pouvoir déterminer quels projets doivent faire l'objet d'une évaluation.
49 L'interprétation proposée par la Commission, à savoir que l'existence de spécifications, critères et seuils ne dispenserait pas d'un examen concret de chaque projet afin de vérifier s'il remplit les critères de l'article 2, paragraphe 1, priverait l'article 4, paragraphe 2, de toute signification. En effet, un État membre n'aurait aucun intérêt à fixer des spécifications, seuils et critères si, indépendamment de ceux-ci, chaque projet devait néanmoins faire l'objet d'un examen individuel au regard des critères de l'article 2, paragraphe 1.
50 Toutefois, si l'article 4, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la directive confère aux États membres une marge d'appréciation pour spécifier certains types de projets à soumettre à une évaluation ou fixer des critères et/ou des seuils à retenir, celle-ci trouve ses limites dans l'obligation, énoncée à l'article 2, paragraphe 1, de soumettre à une étude d'incidences les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation.
51 Ainsi, statuant au sujet de la législation d'un État membre selon laquelle certaines classes entières des projets énumérés à l'annexe II étaient exclues de l'obligation d'étude d'incidences, la Cour a jugé, dans l'arrêt du 2 mai 1996, Commission/Belgique (C-133-94, non encore publié au Recueil, point 42), que les critères et/ou les seuils mentionnés à l'article 4, paragraphe 2, ont pour but de faciliter l'appréciation des caractéristiques concrètes que présente un projet en vue de déterminer s'il est soumis à l'obligation d'une évaluation et non de soustraire d'avance à cette obligation certaines classes entières des projets énumérés à l'annexe II, envisageables sur le territoire d'un État membre.
52 Dans une situation telle que celle de l'espèce, il y a lieu d'admettre que l'État membre concerné était en droit de fixer des critères de dimensions des digues pour déterminer ceux des projets relatifs aux digues qui doivent faire l'objet d'une étude d'incidences. La question de savoir si, en fixant ces critères, l'État membre a outrepassé sa marge d'appréciation ne peut être déterminée par rapport aux caractéristiques d'un seul projet. Elle dépend d'une appréciation globale des caractéristiques des projets de cette nature envisageables sur le territoire de l'État membre.
53 Ainsi, un État membre, qui fixerait les critères et/ou les seuils à un niveau tel que, en pratique, la totalité des projets relatifs aux digues serait d'avance soustraite à l'obligation d'étude d'incidences, outrepasserait la marge d'appréciation dont il dispose en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive, sauf si la totalité des projets exclus pouvait être considérée, sur la base d'une appréciation globale, comme n'étant pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
54 Enfin, s'agissant plus particulièrement de la quatrième question, il ressort de l'ordonnance de renvoi que Kraaijeveld n'a pas soulevé, dans son recours, la question de savoir si c'est à tort qu'aucune évaluation des incidences sur l'environnement n'a été effectuée. Pour y répondre, il importe donc d'examiner si la juridiction nationale, saisie dans le cadre d'un recours en annulation contre une décision d'approbation d'un plan d'occupation des sols, a l'obligation de soulever d'office la question de savoir si une évaluation des incidences sur l'environnement aurait dû être effectuée en application de l'article 2, paragraphe 1, et de l'article 4, paragraphe 2, de la directive.
55 Il convient de rappeler, tout d'abord, que l'obligation pour un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante imposée par l'article 189, troisième alinéa, du traité CE et par la directive elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 1er février 1977, Verbond van Nederlandse Ondernemingen, 51-76, Rec. p. 113, point 22, et du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 48). Cette obligation de prendre toutes mesures générales ou particulières s'impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106-89, Rec. p. I-4135, point 8).
56 S'agissant du droit pour un particulier de se prévaloir d'une directive et, pour le juge national, de la prendre en considération, la Cour a déjà jugé qu'il serait incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 reconnaît à la directive d'exclure en principe que l'obligation qu'elle impose puisse être invoquée par des personnes concernées. Particulièrement dans les cas dans lesquels les autorités communautaires auraient, par voie de directive, obligé les États membres à adopter un comportement déterminé, l'effet utile d'un tel acte se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de le prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire pour vérifier si, dans les limites de la faculté qui lui est réservée quant à la forme et aux moyens pour la mise en œuvre de la directive, le législateur national est resté dans les limites de la marge d'appréciation tracée par la directive (voir arrêt Verbond van Nederlandse Ondernemingen, précité, points 22 à 24).
57 Ensuite, il y a lieu de rappeler que, dès lors que, en vertu du droit national, les juridictions doivent soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle interne de nature contraignante, qui n'auraient pas été avancés par les parties, une telle obligation s'impose également, s'agissant des règles communautaires contraignantes (voir, notamment, arrêt du 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen, C-430-93 et C-431-93, Rec. p. I-4705, point 13).
58 Il en est de même si le droit national confère au juge la faculté d'appliquer d'office la règle de droit contraignante. En effet, il incombe aux juridictions nationales, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, d'assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l'effet direct des dispositions du droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213-89, Rec. p. I-2433, point 19, et Van Schijndel et Van Veen, précité, point 14).
59 La circonstance que, en l'espèce, les États membres disposent en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive d'une marge d'appréciation n'exclut cependant pas qu'un contrôle juridictionnel puisse être effectué afin de vérifier si les autorités nationales n'ont pas outrepassé ladite marge d'appréciation (voir, notamment, arrêt Verbond van Nederlandse Ondernemingen, précité, points 27 à 29).
60 En conséquence, dès lors que, en vertu du droit national, une juridiction a l'obligation ou la faculté de soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle interne de nature contraignante, qui n'auraient pas été avancés par les parties, il lui incombe de vérifier d'office, dans le cadre de sa compétence, si les autorités législatives ou administratives de l'État membre sont restées dans les limites de la marge d'appréciation fixée aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive et d'en tenir compte dans le cadre de l'examen du recours en annulation.
61 Dans le cas où cette marge d'appréciation est outrepassée et que, partant, les dispositions nationales doivent être écartées à cet égard, il appartient aux autorités de l'État membre, dans le cadre de leurs compétences, de prendre toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières, pour que les projets soient examinés afin de déterminer s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et, dans l'affirmative, qu'ils soient soumis à une étude d'incidences.
62 Par conséquent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que:
* L'article 4, paragraphe 2, de la directive et l'annexe II, point 10, sous e), de cette directive doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un État membre fixe des critères et/ou des seuils pour déterminer les projets relatifs aux digues à un niveau tel que, en pratique, la totalité des projets relatifs aux digues serait d'avance soustraite à l'obligation d'étude d'incidences, il outrepasse la marge d'appréciation dont il dispose en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de cette directive, sauf si la totalité des projets exclus pouvait être considérée, sur la base d'une appréciation globale, comme n'étant pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
* Dès lors que, en vertu du droit national, une juridiction a l'obligation ou la faculté de soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle interne de nature contraignante, qui n'auraient pas été avancés par les parties, il lui incombe de vérifier d'office, dans le cadre de sa compétence, si les autorités législatives ou administratives de l'État membre sont restées dans les limites de la marge d'appréciation fixée aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive et d'en tenir compte dans le cadre de l'examen du recours en annulation.
* Dans le cas où cette marge d'appréciation est outrepassée et que, partant, les dispositions nationales doivent être écartées à cet égard, il appartient aux autorités de l'État membre, dans le cadre de leurs compétences, de prendre toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières, pour que les projets soient examinés afin de déterminer s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et, dans l'affirmative, qu'ils soient soumis à une étude d'incidences.
Sur les dépens
63 Les frais exposés par les Gouvernements néerlandais, italien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Nederlandse Raad van State, par arrêt du 8 mars 1995, dit pour droit:
1) L'expression "ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau", qui figure à l'annexe II, point 10, sous e), de la directive 85-337-CEE du Conseil, du 27 juin 1985, concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe également certains types de travaux concernant une digue le long de voies navigables.
2) L'expression "ouvrages de canalisation et de régularisation de cours d'eau", qui figure à l'annexe II, point 10, sous e), de la directive 85-337, doit être interprétée en ce sens qu'elle englobe non seulement la construction d'une nouvelle digue, mais également la modification d'une digue existante par son déplacement, son renforcement ou son élargissement, le remplacement d'une digue par la construction d'une nouvelle digue au même endroit, que celle-ci soit plus solide ou plus large que l'ancienne, ou encore une combinaison de plusieurs de ces hypothèses.
3) L'article 4, paragraphe 2, de la directive 85-337 et l'annexe II, point 10, sous e), de cette directive doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un État membre fixe des critères et/ou des seuils pour déterminer les projets relatifs aux digues à un niveau tel que, en pratique, la totalité des projets relatifs aux digues serait d'avance soustraite à l'obligation d'étude d'incidences, il outrepasse la marge d'appréciation dont il dispose en vertu des articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de cette directive, sauf si la totalité des projets exclus pouvait être considérée, sur la base d'une appréciation globale, comme n'étant pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
* Dès lors que, en vertu du droit national, une juridiction a l'obligation ou la faculté de soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle interne de nature contraignante, qui n'auraient pas été avancés par les parties, il lui incombe de vérifier d'office, dans le cadre de sa compétence, si les autorités législatives ou administratives de l'État membre sont restées dans les limites de la marge d'appréciation fixée aux articles 2, paragraphe 1, et 4, paragraphe 2, de la directive et d'en tenir compte dans le cadre de l'examen du recours en annulation.
* Dans le cas où cette marge d'appréciation est outrepassée et que, partant, les dispositions nationales doivent être écartées à cet égard, il appartient aux autorités de l'État membre, dans le cadre de leurs compétences, de prendre toutes les mesures nécessaires, générales ou particulières, pour que les projets soient examinés afin de déterminer s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et, dans l'affirmative, qu'ils soient soumis à une étude d'incidences.