Cass. crim., 22 octobre 1970, n° 69-90.850
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comité interprofessionnel des vins doux naturels
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rolland
Rapporteur :
M. Mazard
Avocats :
Mes Lyon-Caen, Jolly, George.
LA COUR : - Rejet des pourvois de l'administration des contributions indirectes et du comité interprofessionnel des vins doux naturels, parties civiles, contre un arrêt de la Cour d'appel de Lyon, en date du 14 février 1969, lequel arrêt a relaxé R (Pierre) en qualité de président directeur général de la SA X des chefs de fraude alimentaire et d'infraction au Code général des impôts, et n'a pas fait droit aux demandes des parties civiles ; La cour, attendu que préalablement à l'examen des moyens produits, il convient d'exposer qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'en avril, mai 1966, la société X à Meximieux (Ain) a importé d'Italie 923 hectolitres de vins blancs italiens désignés sous le nom de Moscato di Trani, vin de qualité produit dans une région déterminée (VQPRD) ;
Que ces vins ont été admis en France dans le cadre de la décision du 4 avril 1962 du Conseil des ministres de la Commission économique européenne, approuvant le règlement n° 24 relatif à l'application graduelle d'une organisation commune au marché vini-viticole ;
Que cette décision énoncé en son article 2 qu'a compter du 1er janvier 1962, la République française et la République italienne ouvrent à tous les Etats membres, un contingent de 150 000 hectolitres de vins de qualité (VQPRD) ;
Que l'article 3 précise que sont admis à l'importation dans le cadre des contingents institués les vins originaires d'Italie faisant l'objet de la liste annexée à l'accord franco-italien du 29 mai 1948 à condition qu'ils soient accompagnés d'un certificat d'origine délivré par l'un des organismes énumérés à l'annexe ii ;
Que le 1er juin 1966, le service de la Répression des Fraudes a effectué dans les chais de la société X trois prélèvements qui, soumis à l'analyse des laboratoires officiels de Beaune, ont révélé respectivement une teneur alcoolique de 13° 7, 14° 2 et 14° 4, ainsi qu'une richesse en sucre de 86, 84 et 88 grammes par litre ;
Que le laboratoire a interprété ces résultats comme révélant que le vin avait reçu une addition de mout muté ou concentré, édulcoration représentant sensiblement 5° d'alcool en puissance ;
Qu'il était anormal que la teneur en glucose soit légèrement supérieure a celle du lévulose ;
Que les vins incriminés n'étant pas conformes aux dispositions de la loi française du 13 octobre 1941 reprises par l'article 4 du Code du vin, selon lesquelles les vins blancs secs édulcorés ne doivent pas, après l'opération, titrer plus de 12° d'alcool acquis, ni présenter une teneur en sucre non transformée, supérieure à 2° d'alcool en puissance ;
Que l'information judiciaire a établi que la société R avait sur la quantité des vins importés, déjà vendu à divers clients 598 hl 62 de Moscato di Trani de même origine et consistance ;
Attendu qu'en raison de ces constatations R Pierre, président directeur général de la société a été renvoyé en police correctionnelle pour avoir exposé, mis en vente et vendu un vin qu'il savait être falsifié par suite d'édulcoration excessive ;
Que le Comité interprofessionnel des vins doux naturels s'est constitué partie civile ;
Que l'administration des contributions indirectes s'est portée partie jointe pour les infractions au Code général des impôts, du chef de réception, vente et détention d'un produit ne répondant pas à la définition légale du vin, sous couvert de titres de mouvements inapplicables ;
Que par un jugement du 6 novembre 1968, le Tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a prononcé la relaxe de R et déboute la partie civile et l'administration des contributions indirectes de leurs demandes ;
Que par des motifs propres, la Cour d'appel de Lyon a, par l'arrêt attaqué, confirme la décision entreprise ;
Que le procureur général près ladite cour ne s'est pas pourvu en cassation ;
Sur quoi, vu les moyens produits en demande et en défense ; Vu la connexité, ordonne la jonction des pourvois ;
Sur le pourvoi des contributions indirectes et sur le moyen unique de cassation, pris de la violation par refus d'application des articles 401, 434, 433 et suivants, 520 du Code général des impôts, de la loi du 13 octobre 1941, de l'article premier paragraphe i de la loi de finances pour 1966 ensemble violation des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale pour défaut et contradiction de motifs, et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a relaxé R et la société X, des fins de la poursuite fiscale exercée à leur encontre, aux motifs qu'il n'appartient pas à l'administration de considérer comme des simples dilutions alcooliques des vins répondant à la définition communautaire des vins de qualité, laquelle définition avait la primauté sur celle de la législation française et de les soumettre, par le jeu des dispositions restrictives de la loi nationale, en violation de l'article 95 du traite de la CEE, à des taxes supérieures à celles frappant les vins nationaux, alors que les infractions poursuivies ayant été commises en France, les juges du fond devaient apprécier les faits dont ils étaient saisis au regard de la loi fiscale française, à laquelle il n'était dérogé ni par l'accord franco-italien du 29 mai 1948, ni par la législation communautaire, et dont l'application était seule de nature à réaliser l'identité d'impositions des vins français et étrangers ;
Attendu d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, les traités ou accords régulièrement ratifiés et approuvés ont des leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ;
Attendu d'autre part, qu'aux termes des dispositions combinées des articles 520 et suivants du Code général des impôts et 2 du décret 1001 du 4 octobre 1963, les alcools, vins, cidres, poires et hydromels importes sont soumis à toutes les dispositions prévues par la législation interne et doivent des lors être conformes à la réglementation française ;
Attendu qu'en l'état de ces textes, c'est par l'exacte application de l'article 55 de la constitution que les juges d'appel ont estimé ne pas devoir faire application aux vins importés, des dispositions de l'article 4 du Code du vin, et à R des pénalités prévues par les articles 3 de la loi du 1er août 1905 et 443, 444 et 445 du Code général des impôts, le principe de territorialité de la loi fiscale ne pouvant tenir en échec la loi internationale dont la puissance s'impose en vertu de la loi constitutionnelle ;
Attendu en effet, qu'en l'espèce, les vins incrimines ont été importés d'Italie dans le cadre du contingent ouvert par la décision du 4 avril 1962 et du règlement n° 24, instruments régulièrement publiés ayant acquis la valeur de traités internationaux ; Que ce règlement prévoit, à titre transitoire et jusqu'à ce que soit mis en vigueur une législation communautaire définissant les vins de qualité, que les vins conformes aux dispositions nationales en matière de qualité pourront être admis aux échanges sous certaines conditions ;
Attendu que les juges du fait, après avoir énoncé, pour répondre aux conclusions de la défense, que le litige qui leur était soumis ne nécessitait pas l'interprétation de la décision du 4 avril 1962 et du règlement n° 24 et qu'il appartient aux gouvernements intéressés de dénoncer éventuellement les pratiques frauduleuses qui peuvent se produire, constatent l'existence des conditions requises pour l'admission des vins incriminés, à savoir : que la dénomination Moscato di Trani figure parmi celles des vins de qualité mentionnés à l'annexe ii de l'accord franco-italien de 1948 et que le certificat d'origine appuyant l'introduction avait été délivré par la Cantina Sperimentale di Barletto, organisme agrée ; Que les juges d'appel ont toutefois - et à juste titre - estimé avoir compétence pour examiner si les vins importés étaient conformes aux dispositions de la loi italienne et spécialement au décret présidentiel du 15 septembre 1962 régissant la matière ;
Qu'a cet égard, ils énoncent qu'en ce qui concerne l'enrichissement, l'addition des mouts doit, aux termes de l'article 5 du texte précité, être limitée à la quantité nécessaire pour porter les vins à un degré alcoolique total normal pour la zone de production - pourvu que l'augmentation du degré ne soit pas supérieure à 2 degré d'alcool et que cette addition soit faite en vue de remettre en fermentation, qu'en ce qui concerne l'édulcoration, celle-ci est permise pourvu que l'addition du mout concentré n'ait pas pour effet de porter le degré final à plus de un degré au-delà du degré total normal pour la zone de production de vin ou l'édulcoration est autorisée ;
Qu'ils constatent que pour la zone de production du Moscato di Trani (région de Bari Pouilles) de type doux, le produit présente une richesse alcoolique de 16 degré 5 - 21 degré ;
Qu'en l'espèce, le vin conteste est un produit titrant au départ 17 degré d'alcool total, qui, après adjonction de mout concentre a raison de 12 % est ramené à 14 degré 5 acquis, avec un sucre résiduel équivalant à 5 degrés potentiels, soit au total 19 degré 5 ;
Qu'il s'en suit que les vins importés avaient été enrichis et édulcorés dans les limites légales admises par la réglementation italienne ;
Attendu en l'état de ces constatations de fait nonobstant tous motifs surabondants voire erronés, l'arrêt attaqué a donné une base légale à sa décision ; Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Sur le pourvoi du Comité interprofessionnel des vins doux naturels et le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 3-1° et 2° de la loi du 1er août 1905, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions visées par le président, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu des fins de la poursuite et déclare irrecevable la constitution de partie civile du comité demandeur ; Au motif que R qui, en sa qualité d'importateur et de grossiste, s'est borné a recevoir, a détenir et a mettre en vente la marchandise sans la manipuler, n'avait nullement l'obligation de s'assurer qu'elle était conforme à la législation italienne ; Qu'en toute bonne foi, il pouvait s'en rapporter aux certificats d'origine accompagnant la marchandise ;
Alors que le grossiste en vins, même s'il ne procède à aucune manipulation, à l'obligation de vérifier le produit qu'il livre à sa clientèle, la même obligation pesant dans les mêmes conditions, sur l'importateur substitué au producteur du pays d'origine si bien qu'en l'espèce les certificats d'origine, s'ils pouvaient dispenser le grossiste importateur de vérifier l'origine des vins, ne l'exonéraient pas pour autant de son devoir de vérifier, par toutes analyses appropriées, si la fabrication du vin satisfaisait aux normes italiennes, ainsi que le soutenaient les conclusions d'appel, demeurées sans réponse ;
Et alors que, s'il est vrai que de ce dernier chef, la cour, statuant sur les conclusions de l'administration des contributions indirectes, a déclaré qu'il n'était pas démontré que les vins importés n'aient pas eu droit à l'appellation de Moscato di Trani, son arrêt est d'une part entaché de contradiction, pour avoir constaté, à la fois, que, d'après les normes italiennes, l'addition des mouts ne doit pas augmenter la teneur en alcool de plus de 2 degré et que le vin litigieux, titrant au départ 17 degré a atteint le niveau total de 19 degré 5, et est, d'autre part, insuffisamment motivé, pour avoir écarté les résultats de l'analyse, déclarent formellement qu'il est anormal que la teneur en glucose soit légèrement supérieure à celle du lévulose ;
Au seul motif qu'il apparaît excessif de tirer du léger écart constaté entre la teneur en glucose et celle en lévulose la certitude que le vin n'a pas été remis en fermentation, et sans répondre aux conclusions du Comité demandeur qui sollicitaient de ce chef, en tant que de besoin, un supplément d'information sous la forme d'une expertise ;
Attendu que pour relaxer R du chef de fraude alimentaire, l'arrêt énoncé qu'il résulte des accords bilatéraux et règlement communautaire, sus énoncés, que s'agissant d'un vin italien vendu comme VQPRD sous une dénomination d'origine protégée, garantie par un certificat émanant d'une autorité habilitée, sa commercialisation était soumise à la seule condition de sa conformité avec la législation du pays producteur ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait une exacte application des textes visés au moyen ;
Attendu, en effet, que l'obligation générale qui pouvait incomber à R en sa qualité d'importateur de s'assurer que le produit destiné à être livré à la consommation humaine était conforme à la réglementation française, avait fléchi au cas particulier qui est celui de l'espèce ; Que ce produit importe, nommément désigné dans un accord international, était conforme à la législation du pays producteur ;
Qu'a cet égard, les documents qui accompagnaient les vins importés lors de leur introduction sur le territoire national et notamment le certificat d'origine délivré par la Cantina Sperimentale di Barletto déterminait a priori le droit à la dénomination de Moscato di Trani au regard de la réglementation italienne ;
Que vendus en France sous cette appellation, protégée par l'accord franco-italien du 29 mai 1948, les vins importés ne pouvaient tomber sous les sanctions prévues par la loi du 1er août 1905 ;
Attendu enfin que les critiques reprises au moyen et tirées de l'existence d'une teneur alcoolique supérieure de 0 degré 5 au maximum toléré par la législation externe ont été déjà légalement écartées par les juges du fait statuant sur l'action des contributions indirectes ; Que d'autre part, la cour d'appel n'était pas tenue d'ordonner une nouvelle expertise des lors qu'elle s'estimait suffisamment informée ; D'ou il suit que nonobstant tout motif surabondant, l'arrêt n'encourt aucune critique et que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.