Cass. crim., 7 janvier 1972, n° 71-90.217
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rolland
Rapporteur :
M. Crévy
Avocat général :
M. Aymond
Avocat :
Me Consolo
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par G (Jean-Baptiste), contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 23 décembre 1970, qui l'a condamne à 1 000 francs d'amende pour fraude commerciale. Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 de la constitution française du 4 octobre 1958, 5, 189, alinéa 2, du traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne (régulièrement ratifié le 14 septembre 1957 en vertu de la loi du 2 août 1957, et publié au Journal officiel du 2 février 1958 par décret du 28 janvier 1958), 1er et suivants du règlement n° 122-67 du Conseil de la CEE du 13 juin 1967 portant organisation commune des marchés dans le secteur des oeufs, 19, 26, 27, 28, 31 du règlement n° 1619-68 du Conseil des communautés européennes du 15 octobre 1968 concernant certaines normes de commercialisation applicables aux oeufs, publiés au JOCE du 21 octobre 1968 (l'article 31 modifié par l'article 1er du règlement n° 730-69 du Conseil des Communautés européennes du 22 avril 1969 publié au JOCE du 23 avril), 10, 12, 16 du règlement n° 95-69 de la Commission des communautés européennes du 17 janvier 1969 publie au JOCE du 18 janvier, 1er de la loi du 1er août 1905, violation par fausse application de l'article 4 du décret du 17 septembre 1969 portant règlement d'administration publique relatif au commerce des oeufs, publié au JO du 19 septembre 1969 et abrogeant le décret du 15 juin 1939, violation de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a décidé qu'en la cause, le décret du 15 juin 1939 (portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne le commerce des oeufs) était applicable à l'exclusion des règlements communautaires visés au moyen ;
" aux motifs que les oeufs litigieux, qui ne devaient répondre à la définition d'oeufs " extra frais", selon le prévenu lui-même, que jusqu'au 19 septembre 1969 inclus, avaient été livrés par lui aux établissements Casino le 15 septembre 1969 , que le prélèvement du 17 septembre 1969 et le contrôle du 18 septembre étaient régulièrement intervenus par application du décret du 15 juin 1939 toujours en vigueur des lors qu'il n'avait été abrogé que par décret du 17 septembre 1969 publie au JO du 19 septembre et applicable seulement le 20 septembre 1969 ;
" alors qu'aux termes de l'article 55 de la constitution française du 4 octobre 1958, les traités ou accords régulièrement ratifiés et approuvés ont des leur publication une autorité supérieure à celle des lois, que le traité de Rome instituant la CEE, régulièrement ratifié et publié en France, précise en son article 5 que les Etats membres prennent toutes mesures propres à assurer l'exécution des obligations découlant du traité ou résultant des actes des institutions de la communauté et s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du traité, que l'article 189, alinéa 2, de ce traité dispose que les règlements du Conseil ou de la Commission des communautés européennes ont une portée générale, sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre, qu'aux termes tant de l'article 31 du règlement CEE du 15 octobre 1968 que de l'article 16 du règlement CEE du 17 janvier 1969, respectivement publies aux JOCE des 21 octobre 1968 et 18 janvier 1969, les dispositions communautaires concernant les oeufs étaient directement applicables dans les états de la communauté, donc en France, des le 1er mai 1969, que l'article 1er du règlement CEE du 22 avril 1969, publie au JOCE du 23 avril et modifiant l'article 31 précité du règlement du 15 octobre 1968, a reporté " au plus tard jusqu'au 30 juin 1969" l'application du droit communautaire remplaçant la législation interne, que ce droit s'imposait donc en France, à l'exclusion du droit interne même non encore abrogé, des le 1er juillet 1969, et qu'il importait peu que l'abrogation du décret du 15 juin 1939 ne fut intervenue que par décret du 17 septembre 1969, qu'ainsi le contrôle des oeufs litigieux devait être opéré en appliquant, non le décret du 15 juin 1939, mais les articles 10 et 12 du règlement CEE du 17 janvier 1969 instituant une procédure de contrôle différente de celle du décret susvisé et offrant beaucoup plus de garanties aux justiciables, que des lors l'arrêt attaqué encourt la cassation " ; Vu lesdits articles, ensemble l'article 4 du Code pénal ;
Attendu que le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne qui a été régulièrement ratifié et publié en France dispose en son article 189, alinéa 2, que les règlements du Conseil et de la Commission ont une portée générale, sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans tout Etat membre ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le 15 septembre 1969 la société G livrait à un super-marché de Marseille sous la dénomination " extra frais" des oeufs dont les prélèvements d'échantillons effectues le 17 septembre firent apparaître après analyse qu'ils n'avaient pas droit à cette appellation aux termes du décret du 15 juin 1939 portant règlement d'administration publique pour l'application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne le commerce des oeufs ;
Que G prétendit que la poursuite dirigée contre lui pour fraude commerciale était irrecevable en raison de l'abrogation dudit décret par celui du 17 septembre 1969 prévoyant en cette matière l'application des règlements communautaires mais qu'il fut condamné au motif que la date de l'infraction qu'il avait commise était antérieure à celle de la publication du décret du 17 septembre 1969 ;
Attendu, cependant, qu'en vue du développement graduel et de l'établissement de la politique agricole commune prévue par l'article 40 du traité instituant la Communauté économique européenne, il a été publie successivement au Journal officiel de la communauté le règlement du Conseil n° 122-67 du 13 juin 1967 portant organisation commune des marchés dans le secteur des oeufs, le règlement du Conseil n° 1619-68 du 15 octobre 1968 concernant certaines normes de commercialisation applicables aux oeufs et le règlement de la Commission n° 95-69 du 17 janvier 1969 portant application du précèdent règlement ;
Attendu que, suivant un autre règlement du Conseil n° 730-69 en date du 22 avril 1969, l'article 31 du règlement susvisé du 15 octobre 1968 précisant que le régime prévu était applicable à partir du 1er mai 1969 a été complété par un troisième alinéa énonçant : " qu'au plus tard jusqu'au 30 juin 1969, les oeufs peuvent être commercialisés dans chaque Etat membre aux conditions juridiques existant au 30 avril 1969 dans l'Etat membre concerné pour autant que ce dernier n'ait pas exclu cette possibilité " ;
Attendu qu'en exécution de ce dernier règlement, les dispositions relatives aux caractéristiques des diverses catégories d'oeufs ainsi qu'a leurs marques distinctives et à leur contrôle telles que les a prévus le règlement du Conseil n° 1619-68 du 15 octobre 1968, précité, étaient directement applicables des le 1er juillet 1969 dans les Etats membres tandis que les dispositions pénales relevaient de la compétence desdits états, ainsi que le constate d'ailleurs l'article 29 de ce texte ;
Attendu que ces mesures ont été prises par décret n° 69-857 du 17 septembre 1969 portant règlement d'administration publique relatif au commerce des oeufs lequel confirmait l'abrogation du décret du 15 juin 1939 relatif à l'application de la loi du 1er août 1905 en ce qui concerne ce même commerce, par l'application directe en droit interne, des le 1er juillet 1969, du règlement communautaire précité, en date du 15 octobre 1968 ;
Qu'ainsi le fait retenu à la charge de G se situant après l'abrogation du décret du 15 juin 1939 et avant la publication du décret du 17 septembre 1969 n'était pas pénalement sanctionné et qu'en condamnant le demandeur la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 4 du Code pénal ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens : Casse et annule en toutes ses dispositions et sans renvoi l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 23 décembre 1970.