Cass. crim., 1 octobre 1979, n° 79-90.259
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mongin
Rapporteur :
M. Pucheus
Avocat général :
M. Davenas
Avocats :
Mes Boré, Ryziger, Labbé, Lépany, Lesourd, Odent
LA COUR : - Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle en date du 15 mars 1979 qui, en application des articles 570 et 571 du Code de procédure pénale, a dit que dans l'intérêt de l'ordre public et celui d'une bonne administration de la justice, les pourvois seraient immédiatement examinés ; vu la connexité, joignant les pourvois ; vu les mémoires produits en demandes et en défense ; sur les moyens de cassation réunis et pris : 1° par Rossi Di Montalera et la société Pastis Duval ; le premier : de la violation des articles 177 et 189 paragraphe 2 du traité de Rome, 55 de la constitution, 386 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de sursis à statuer formée par le demandeur, aux motifs qu'aux termes de l'article 185 du traité de Rome les recours formes devant la Cour de justice des Communautés européennes n'ont pas d'effet suspensif et que la cour d'appel ne pourrait surseoir à statuer que dans le cas particulier prévu à l'article 177 du traité, ou elle saisirait elle-même, à titre préjudiciel la Cour de justice, ce qui lui est demandé d'ailleurs par Claude Douce et la société Belier mais qu'en ce qui concerne cette demande, outre qu'il n'apparaît pas utile à la cour d'appel de saisir la Cour de justice de la question ainsi soulevée, s'agissant d'une question relative à l'interprétation d'un traité international, elle revêt un caractère préjudiciel, reconnu d'ailleurs expressément par l'article 177, alinéa 1er du traité de Rome, qu'a défaut de disposition contraire de ce traité et par application de l'article 386 du Code de procédure pénale, son admission eut du être opposée avant toute défense au fond et ne peut l'être pour la première fois en appel, alors que les parties ont conclu au fond en première instance ;
"alors d'une part qu'il est sans intérêt de rechercher si la cour a déclaré a bon droit qu'elle ne pouvait surseoir à statuer en l'absence d'une demande d'interprétation du traité de Rome, formulée conformément aux dispositions de l'article 177 dudit traité, des lors que le demandeur entend actuellement saisir la cour de cassation d'une telle demande ;
"alors d'autre part que cette demande est recevable en tout état de la procédure, nonobstant les termes de l'article 386 du Code de procédure pénale, qu'en effet s'agissant de la demande d'interprétation d'un traité qui a une valeur supérieure aux lois, en vertu de l'article 55 de la constitution et alors que l'interprétation de la Cour de justice doit être obligatoirement demandée par la Cour de cassation lorsqu'elle en est requise, en application de l'article 177 du traité de Rome, l'exception préjudicielle de l'espèce présente un caractère d'ordre public et peut être proposée pour la première fois devant la Cour de cassation";
Le second : de la violation des articles 55 de la constitution, 30, 177 et 189 paragraphe 2 du traité de Rome, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale,
"en ce que l 'arrêt attaqué a déclaré qu'il n'apparaît pas utile de recourir en interprétation auprès de la Cour de justice des Communautés européennes et d'attendre sa décision pour juger au fond le présent litige ;
"aux motifs qu'il s'agit d'appliquer uniquement à des nationaux français une loi d'ordre public à l'occasion d'une publicité entreprise en faveur d'un produit français, que cette loi a pour but de protéger la santé des personnes et de combattre l'alcoolisme, que si elle était jugée contraire au droit communautaire en ce qu'elle a pour effet de restreindre les importations, cette décision serait sans incidence dans le cas d'espèce ou n'interviennent que des considérations étrangères a celles motivant le traité et auquel peut être appliquée la législation nationale en son état actuel;
"alors d'une part que la législation interne ne peut tenir en échec le droit communautaire dont la puissance s'impose en vertu de l'article 55 de la constitution, que d'autre part, les décisions de la Cour de justice s'imposent au juge interne qui a recouru en interprétation ;
"alors qu'en l'espèce il était soutenu que les interdictions de publicité en faveur de certaines boissons alcooliques formulées par les articles l 17 et suivants du Code des débits de boissons constituent une mesure équivalent à une restriction quantitative d'importation et, comme telle, interdite par l'article 30 du traité de Rome, que des lors s'il devait être décidé par la Cour de justice que tel est bien le cas, il en résulterait que les articles précités du Code des débits de boissons seraient en eux-mêmes illégaux, sans qu'il soit possible de faire de distinction tenant soit au but poursuivi par cette législation, soit à son caractère d'ordre public, soit à l'origine française ou étrangère du produit objet de la publicité, soit à la nationalité du délinquant" ;
2° par Dauphin et Foby et les sociétés dauphin Ota et Regie des transports parisiens-métrobus ; le premier : de la violation de l'article 177 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, publié par décret n° 58-84 du 28 janvier 1958, de l'article 386 du Code de procédure pénale, de l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que, saisie d'une argumentation relevant que certaines dispositions du Code des débits de boissons, en particulier l'article 17 dudit Code, étaient contraires à l'article 30 du traité instituant la Communauté économique européenne, et que cette violation par la France des dispositions dudit traité avait entraîné l'introduction ç son encontre, d'une action en manquement d'état devant la Cour de justice de la Communauté économique européenne, ladite argumentation tendant à ce qu'il lui plaise, soit de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice ait tranché sur l'action en manquement d'état, soit à ce qu'elle saisisse elle-même la Cour de justice d'une demande d'interprétation des dispositions de l'article 30 du traité de Rome, la cour a refusé de surseoir à statuer, aux motifs : " - que les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif, et ceci en vertu de l'article 185 du traité, qui, par la généralité de ses termes, s'applique à tous les recours introduits devant la Cour de justice, notamment aux actions en manquement d'état, qu'en conséquence, par application de l'article 185 du traité, la cour de céans est tenue d'appliquer, en l'espèce, la législation sur la publicité des boissons alcooliques actuellement en vigueur, et qu'elle ne peut donc surseoir a statuer en considération du fait que la Commission a engagé, devant la Cour de justice, une procédure contre le Gouvernement français, pour violation par cette législation de l'article 30 du traité de Rome ; " - qu'elle ne pourrait le faire que dans le cas particulier prévu à l'article 177 du traité, ou elle saisirait elle-même, à titre préjudiciel, la Cour de justice, mais que la demande formée à titre subsidiaire par certains prévenus et tendant à ce que la Cour de justice soit saisie est irrecevable, car, s'agissant d'une question relative à l'interprétation d'un traité international, une telle question revêt un caractère préjudiciel, reconnu d'ailleurs expressément par l'article 177, alinéa 1er du traité instituant la Communauté économique européenne, et qu'a défaut de dispositions contraires de ce traité, et par application de l'article 386 du Code de procédure pénale, son admission eut du être opposée avant toute défense au fond ;
" alors d'une part que le traité du 25 mars 1957 instituant une Communauté économique européenne qui, en vertu de l'article 55 de la constitution, a une autorité supérieure à celle des lois, institue un ordre juridique propre, intègre à celui des Etats membres ; qu'en raison de cette spécificité, l'ordre juridique qu'il a crée est directement applicable aux ressortissants de ces états, et s'impose à leurs juridictions, que des lors, la cour d'appel ne pouvait appliquer la législation française sur la publicité des boissons alcooliques sans avoir recherché, soit directement, soit après avoir demande à la Cour de justice de préciser la portée du texte communautaire invoqué, et sursis à statuer jusqu'a ce que la Cour de justice ait donné son interprétation, si les dispositions françaises dont l'application était requise par le Ministère public et par la partie civile étaient ou non contraires aux dispositions communautaires ;
" alors d'autre part que les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain pour décider du renvoi d'une affaire, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, et que la cour d'appel était donc libre de surseoir à statuer jusqu'a ce que la Cour de justice ait rendu sa décision sur l'action en manquement d'état dont elle était saisie ;
" alors enfin que si la Cour de justice des communautés est compétente pour statuer, à titre préjudiciel sur l'interprétation du traité de Rome ou des dispositions de droit communautaire dérivées, il n'en résulte pas pour autant que l'application ou l'interprétation des règles de droit communautaire constitue une question préjudicielle au sens de l'article 386 du Code de procédure pénale, et que l'application desdites règles doive être invoquée avant toute défense au fond; qu'en effet, en instituant une communauté de durée illimitée, les Etats membres de la communauté ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et crée ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes qui s'impose, lorsqu'il est d'effet direct, aux juridictions des Etats membres au même titre que le droit interne, et peut donc être invoqué en tout état de cause, au même titre que ce dernier ";
Le second : de la violation des articles 7 et 30 du traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté économique européenne, de l'article 55 de la constitution du 28 janvier 1958, de l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, de l'article 17 du Code des débits de boissons, des articles 485 et 593 du Code de procédure pénale insuffisance de motifs, manque de base légale, violation du principe de l'égalité de tous les administres face à la réglementation économique ;
" en ce que la décision attaquée, saisie du point de savoir si la législation française réglementant la publicité en faveur des boissons alcooliques était compatible avec les dispositions du traité de Rome, a jugé inutile d'interroger la Cour de justice sur l'interprétation des dispositions communautaires dont la violation par la législation française était alléguée, et ce au motif qu'il s'agit d'appliquer uniquement à des nationaux français une loi d'ordre public, à l'occasion d'une publicité entreprise en faveur d'un produit français ; que cette loi à pour but de protéger la santé des personnes et de combattre l'alcoolisme; que même si elle était jugée contraire au droit communautaire en ce qu'elle a pour effet de restreindre les importations, cette décision serait sans incidence dans le cas d'espèce ou n'interviennent que des considérations étrangères à celles motivant le traité, et auxquelles peut être appliquée la législation nationale en son état actuel ;
" alors que l'article 7 du traité de Rome interdit toute discrimination exercée, en raison de la nationalité, comme également le principe de l'égalité de tous devant la réglementation économique qui est au nombre des grands principes applicables en droit communautaire, interdisent non seulement a un état membre d'appliquer, dans les matières relevant du droit communautaire, un traitement moins favorable aux nationaux des autres Etats membres que celui qu'il applique à ses propres nationaux, mais lui interdisent également d'appliquer à ses propres nationaux une législation ou une réglementation que, par application des dispositions de droit communautaire, il ne peut appliquer aux nationaux des autres Etats membres " ;
3° par Meo et la société Avenir-Publicité ; le premier : de la violation de l'article 55 de la constitution, des articles 30, 169 et 171 du traité de Rome, des articles l 17, paragraphe 1er et l 21 du Code des débits de boissons et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de surseoir dans l'attente de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes saisie par la Commission en application de l'article 169 du traité de Rome ;
" aux motifs que les recours formes devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif ; " alors que la circonstance que le sursis à statuer, à raison d'une instance pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes, ne soit pas de droit, ne dispense pas le juge de rechercher, à la demande d'une des parties, si un tel sursis ne s'impose pas dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ; qu'ainsi la cour d'appel en refusant de surseoir à statuer, au seul motif que le recours formé devant la Cour de justice n'avait pas d'effet suspensif, sans rechercher si l'existence de ce recours, dont la solution ne pouvait manquer d'exercer une influence directe sur la solution du litige, n'était pas de nature à justifier un sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, a privé sa décision de toute base légale " ;
Le second : de la violation de l'article 55 de la constitution, des articles 30 et 177 du traité de Rome, l 17, paragraphe 1er et l 21 du Code des débits de boissons, 386 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de demander à la Cour de justice des Communautés européennes, par application de l'article 177 du traité de Rome, d'examiner la compatibilité des articles l 17, paragraphe 1er et l 21 du Code des débits de boissons avec l'article 30 du traité de Rome ;
" aux motifs que d'une part il s'agit en effet d'appliquer uniquement à des nationaux français une loi d'ordre public à l'occasion d'une publicité entreprise en faveur d'un produit français, que cette loi a pour but de protéger la santé des personnes et de combattre l'alcoolisme ; que même si elle était jugée contraire au droit communautaire en ce qu'elle a pour effet de restreindre les importations, cette décision serait sans incidence dans le cas d'espèce ou n'interviennent que des considérations étrangères à celles motivant le traité et auquel peut être appliquée la législation nationale en son état actuel ; que d'autre part au surplus s'agissant d'une question relative à l'interprétation d'un traité international elle revêt un caractère préjudiciel reconnu d'ailleurs expressément par l'article 177, alinéa 1er du traité instituant la Communauté économique européenne ; qu'a défaut de disposition contraire de ce traité et par application de l'article 386 du Code de procédure pénale son admission eut du être opposée avant toute défense au fond ; qu'elle ne peut l'être pour la première fois en appel alors que les parties ont conclu en première instance et que le jugement entrepris a déjà statué sur le fond du litige ;
" alors que d'une part les dispositions du traité de Rome, qui sont intégrées au droit interne de chaque Etat membre de la communauté, ont pour effet de rendre inapplicables dans les rapports internes comme dans les rapports internationaux, toute disposition contraire de la législation nationale existante ; qu'ainsi la cour d'appel en affirmant, pour refuser de saisir la Cour de justice des Communautés européennes, que l'éventuelle incompatibilité entre les articles l 17, paragraphe 1 et l 31 du Code des débits de boissons et l'article 30 du traité de Rome, serait sans incidence dans le cas d'espèce, des lors qu'il s'agit d'appliquer une loi d'ordre public à des nationaux français à l'occasion de la publicité faite en faveur d'un produit français, a méconnu la portée du principe de la primauté du droit communautaire et viole l'article 55 de la constitution ;
" alors que d'autre part, l'article 386 du Code de procédure pénale qui ne concerne que les questions préjudicielles, dont l'existence oblige le juge pénal à surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction interne compétente, n'est pas applicable aux demandes d'interprétation du traité de Rome auprès de la Cour de justice des Communautés européennes ; que la cour d'appel en déclarent une telle demande irrecevable comme n'ayant pas été présentée avant tout débat au fond, a violé par fausse application le texte précité ;
" alors qu'enfin, des lors que l'article 177 du traité de Rome n'exige pas que la demande d'interprétation du traité soit formulée avant tout débat au fond, la cour d'appel, en faisant application de la disposition restrictive de l'article 386 du Code de procédure pénale, contraire au texte du traité, a méconnu le principe de la primauté du droit communautaire " ;
4° par Douce et la société le Belier ; le moyen unique, de la violation de l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, violation des articles 30, 164, 169, 171, 177 et 185 du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne, violation des articles 386, 591 et 593 du Code de procédure pénale et de l'article 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de motifs, manque de base légale,
" en ce que l'arrêt attaqué a d'une part refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice des Communautés européennes, saisie par la Commission en application de l'article 169 du traité de Rome, se soit prononcée sur la comptabilité avec l'article 30 de ce traité des dispositions des articles l 17 et l 21 du Code des débits de boissons, base des poursuites ;
" aux motifs qu'en vertu de l'article 185 du traité les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif, que les dispositions de la législation interne dont l'incompatibilité avec celles du traité est soulevée demeurent applicables jusqu'à ce que de nouvelles dispositions aient été prises en exécution de l'arrêt de la Cour de justice et que la juridiction française demeure tenue d'appliquer la loi interne sans pouvoir surseoir à statuer ; " et en ce que d'autre part l'arrêt attaqué a refusé de saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle en application de l'article 177 du traité de Rome ;
" aux motifs que cette saisine est seulement facultative pour les juridictions nationales dont les décisions sont susceptibles d'un recours de droit interne, qu'il n'apparaît pas utile de saisir la Cour de justice et d'attendre sa décision des lors qu'il s'agit d'appliquer uniquement à des nationaux français une loi d'ordre public à l'occasion d'une publicité entreprise en faveur d'un produit français et que même si cette loi était jugée contraire au droit communautaire comme ayant pour effet de restreindre les importations, cette constatation serait sans incidence sur le présent litige, qu'au surplus, s'agissant d'une question préjudicielle relative à l'interprétation d'un traité international, elle devait être soulevée avant toute défense au fond et ne peut l'être pour la première fois en appel ;
" alors d'une part que les dispositions générales de l'article 185 du traité de Rome, selon lesquelles les recours formes devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif sauf si la cour ordonne le sursis à l'exécution de l'acte attaque, sont étrangères au point de savoir si une juridiction nationale saisie d'un litige concernant l'application d'une loi interne peut, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée, à l'occasion d'une instance dont elle est d'ores et déjà saisie, sur l'interprétation d'une disposition du traité d'ou pourrait se déduire une incompatibilité avec cette loi interne, plutôt que de saisir de ce même problème la Cour de justice par voie de question préjudicielle, de sorte qu'en se croyant tenue d'appliquer la législation française sans pouvoir surseoir à statuer, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses prérogatives ;
" alors d'autre part que les dispositions de l'article 386 du Code de procédure pénale ne sauraient prévaloir sur celles de l'article 177 du traité de Rome, d'ou il ressort que la question préjudicielle concernant l'interprétation de ce traité peut être soulevée pour la première fois devant la cour de cassation, donc a fortiori pour la première fois devant la cour d'appel, s'agissant d'une question d'ordre public, et qu'en l'espèce une décision sur la question d'interprétation posée est nécessaire pour la solution du pressent litige, alors même qu'il s'agit d'appliquer à des nationaux français la loi pénale à l'occasion d'une publicité entreprise en faveur d'un produit français, puisque la légalité de cette loi pénale au regard des dispositions du traité dont la valeur est supérieure à celle de la loi interne ne saurait être appréciée différemment selon la nationalité des prévenus et l'origine du produit objet de la publicité litigieuse " ;
Vu les articles cités, ensemble l'article 185 du traité de Rome ; Attendu que les dispositions de l'article 185 du traité de Rome qui édictent que les recours formes devant la Cour de justice des communautés n'ont pas d'effet suspensif mais que, toutefois, ladite cour peut, si elle estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué, ne sauraient avoir pour effet d'interdire à une juridiction répressive française, saisie de poursuites sur le fondement d'un texte pénal dont l'incompatibilité avec le traité de Rome est soulevée devant la Cour de justice par un recours de la Commission forme en application de l'article 169 du même traité, de rechercher si, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer sur ces poursuites jusqu'à décision de la Cour de justice ;
Attendu que les moyens réunis font grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de faire droit aux demandes des prévenus et des sociétés qu'ils représentent tendant à ce que, dans les poursuites exercées contre eux du chef d'avoir effectué une publicité interdite en faveur d'une boisson alcoolique du 5e groupe, délit prévu et réprimé par les articles l 17 et l 21 du Code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme, il soit sursis à statuer sur ces poursuites, soit jusqu'à la décision de la Cour de justice des Communautés européennes actuellement saisie par la Commission, en application de l'article 169 du traité de Rome, d'une requête en date du 6 juillet 1978 concluant à ce qu'il plaise à ladite cour " déclarer que le Gouvernement français, en réglementant la publicité des boissons alcooliques d'une façon discriminatoire et en maintenant ainsi des obstacles aux échanges intra-communautaires, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE " , soit jusqu'à décision de la même cour sur le renvoi en interprétation à titre préjudiciel que les prévenus demandaient subsidiairement à la cour d'appel d'ordonner en application de l'article 177 du même traité ;
Attendu qu'au soutien de sa décision de refus de surseoir à statuer, l'arrêt attaqué énoncé que s'il ne peut être contesté que les dispositions du traité de Rome ont primauté sur celles de la législation interne des Etats membres de la CEE dans les matières relevant du domaine d'application de ce traité, l'article 185 dudit traité dispose toutefois que les recours formés devant la Cour de justice n'ont pas d'effet suspensif ; que cet article, par la généralité de ses termes s'applique à tous les recours introduits devant la Cour de justice, notamment à ceux ayant pour but de faire constater le manquement d'un Etat membre aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et plus particulièrement à celui qui est ouvert à la commission ; qu'il maintient l'application des dispositions de la législation interne dont l'incompatibilité avec celle du traité est soulevée jusqu'à ce que soient rendues applicables de nouvelles dispositions prises, conformément à l'article 171 du traité en exécution de l'arrêt de ladite cour ; qu'en conséquence, par application de l'article 185 du traité, la cour d'appel est tenue d'appliquer en l'espèce la législation française sur la publicité des boissons alcooliques actuellement en vigueur ; qu'elle ne peut donc surseoir à statuer au motif que la Commission a engagé devant la Cour de justice une procédure contre le Gouvernement français pour violation par cette législation de l'article 30 du traité ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus rappelé ; que l'arrêt encourt la cassation de ce chef ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les requêtes tendant au renvoi à titre préjudiciel pour interprétation formées subsidiairement par les demandeurs : Casse et annule l'arrêt précité de la Cour d'appel de Paris du 5 janvier 1979 et, pour être statué à nouveau conformément à la loi, aussi bien, s'il y a lieu, sur l'exception de sursis à statuer que sur les appels interjetés par les parties du jugement du Tribunal correctionnel de Bobigny du 21 juin 1977 : renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de versailles.