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Décisions

CJCE, 2e ch., 10 novembre 1992, n° C-156/91

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Hansa Fleisch Ernst Mundt GmbH & Co. KG

Défendeur :

Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Murray

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Mancini, Schockweiler

Avocat :

Me Ingeborg Adrian-Mundt.

CJCE n° C-156/91

10 novembre 1992

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par ordonnance du 15 mars 1991, parvenue à la Cour le 13 juin suivant, le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles concernant l'interprétation de la directive 85-73-CEE du Conseil, du 29 janvier 1985, relative au financement des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches et des viandes de volaille (JO L 32, p. 14), et de la décision 88-408-CEE du Conseil, du 15 juin 1988, concernant les niveaux de la redevance à percevoir au titre des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches, conformément à la directive 85-73-CEE (JO L 194, p. 24).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant la société Hansa Fleisch Ernst Mundt (ci-après "Hansa Fleisch") au Landrat des Kreises Schleswig-Flensburg (ci-après "Landrat"), à propos du montant des redevances dues par Hansa Fleisch au Landrat pour les inspections sanitaires effectuées dans ses établissements.

3 Hansa Fleisch exploite un abattoir, un établissement de découpage et un entrepôt frigorifique de viandes au Schleswig-Holstein. Les viandes abattues dans les installations de Hansa Fleisch font l'objet d'inspections, effectuées par des agents de l'Office d'inspection vétérinaire et de contrôle des denrées alimentaires placé sous l'autorité du Landrat.

4 Conformément à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 85-73, précitée, une redevance est perçue pour les frais occasionnés par ces opérations d'inspection. En vertu de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 85-73, le Conseil devait fixer les niveaux forfaitaires de cette redevance avant le 1er janvier 1986, date à laquelle expirait le délai accordé aux États membres, autres que la République hellénique, pour assurer la transposition de la directive 85-73 en droit national.

5 Les niveaux forfaitaires de la redevance ont été fixés par la décision 88-408, précitée. L'article 2, paragraphe 1, de cette décision établit un ou plusieurs montants de redevance par espèce animale. Toutefois, l'article 2, paragraphe 2, de cette même décision prévoit que "les États membres dont les coûts salariaux, la structure des établissements et le rapport existant entre vétérinaires et inspecteurs s'écartent de ceux de la moyenne communautaire retenue pour le calcul des montants forfaitaires ... peuvent y déroger à la hausse et à la baisse jusqu'à concurrence des coûts réels d'inspection". En vertu de l'article 11 de la décision 88-408, celle-ci devait être mise en application par les États membres au plus tard le 31 décembre 1990.

6 En Allemagne, la perception d'une redevance pour les frais occasionnés par les inspections et contrôles sanitaires des animaux destinés à l'abattage est fondée sur l'article 24 du Fleischhygienegesetz (loi sur l'hygiène de la viande, BGBl. I, 1987, nouvelle publication, p. 649), qui a été inséré dans cette loi par la loi du 13 avril 1986 (BGBl. I, p. 398). En vertu de l'article 24, paragraphe 2, du Fleischhygienegesetz, il appartient aux Laender de préciser les actes donnant lieu à la perception des redevances et de fixer le montant de celles-ci. La même disposition prévoit toutefois que les redevances doivent être calculées conformément à la directive 85-73, précitée.

7 En ce qui concerne le Land de Schleswig-Holstein, le montant de la redevance qui est due pour les inspections et les contrôles sanitaires visés par la directive 85-73 est fixé par le règlement du 3 avril 1987 modifiant le règlement sur les redevances administratives dans le domaine de l'administration vétérinaire (Gesetz- und Verordnungsblatt fuer Schleswig-Holstein 1987, p. 173). Le montant de la redevance fixé par ce règlement est supérieur aux niveaux forfaitaires prévus par l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408, précitée.

8 C'est sur la base du règlement du Land de 1987 que le Landrat a facturé à Hansa Fleisch les redevances dues par celle-ci pour les inspections effectuées dans ses installations. Hansa Fleisch a formé des réclamations contre les avis de recouvrement des redevances émis à partir du 23 mai 1989. Ces réclamations ayant été rejetées par le Landrat, Hansa Fleisch a formé un recours devant le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht. Devant cette juridiction, Hansa Fleisch a fait valoir que les avis de recouvrement émis par le Landrat étaient illégaux, au motif, notamment, que les redevances facturées étaient supérieures à celles prévues par l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408.

9 Estimant que le litige porté devant elle soulevait des questions d'interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

"1) La directive 85-73-CEE du Conseil, considérée en liaison avec la décision 88-408-CEE du Conseil, autorise-t-elle une application directe telle qu'un ressortissant de la Communauté puisse utilement faire valoir devant une juridiction de la République fédérale d'Allemagne qu'il résulte en tout état de cause de la prise d'effet de la décision 88-408-CEE du Conseil que cet État membre ne possède plus le pouvoir de percevoir, au titre des redevances visées à l'article 1er de ladite décision, des montants dépassant les niveaux forfaitaires prévus à l'article 2, paragraphe 1, de cette décision?

2) Aux fins de la réponse de la Cour à la première question, importe-t-il que le délai indiqué à l'article 11 de la décision 88-408-CEE du Conseil soit ou non déjà expiré?

3) Aux fins de la réponse de la Cour à la première question, importe-t-il que l'article 2, paragraphe 2, de la décision 88-408-CEE du Conseil soit ou non à interpréter en ce sens que le droit de faire usage de cette disposition dérogatoire peut être exercé par un État membre dans son entier, mais non par des subdivisions d'un État membre telles que les Laender de la République fédérale d'Allemagne?"

10 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, de la réglementation applicable, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les première et deuxième questions

11 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, par les première et deuxième questions, la juridiction nationale vise en substance à savoir, d'une part, si l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408, précitée, a un effet direct et, d'autre part, dans l'affirmative, si cette disposition peut être invoquée par un particulier à l'encontre d'un État membre avant l'expiration du délai prévu à l'article 11 de la décision 88-408, afin de s'opposer à la perception de redevances d'un montant supérieur à celui prévu par l'article 2, paragraphe 1.

12 A cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l'a jugé dans l'arrêt du 6 octobre 1970, Grad, point 5 (9-70, Rec. p. 825), il serait incompatible avec l'effet contraignant que l'article 189 du traité reconnaît à la décision d'exclure en principe que l'obligation qu'elle prévoit puisse être invoquée par des personnes concernées.

13 Dans cet arrêt, la Cour a également jugé qu'une disposition d'une décision adressée à un État membre pouvait être invoquée à l'encontre de cet État membre, lorsque la disposition en cause imposait à son destinataire une obligation inconditionnelle et suffisamment nette et précise (point 9).

14 Le Gouvernement allemand et le Landrat ont fait valoir que l'obligation, faite aux États membres, de fixer le montant de la redevance aux niveaux prévus par l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408 n'était pas une obligation inconditionnelle, en raison de la possibilité de déroger aux montants forfaitaires en question qui est laissée aux États membres par l'article 2, paragraphe 2, de la décision.

15 Toutefois, le fait qu'une décision permette aux États membres qui en sont les destinataires de déroger à des dispositions claires et précises de cette même décision ne saurait, en lui-même, priver ces dispositions d'effet direct. En particulier, de telles dispositions peuvent avoir un effet direct lorsque le recours aux possibilités de dérogation ainsi reconnues est susceptible d'un contrôle juridictionnel (dans le même sens, voir arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn, point 7, 41-74, Rec. p. 1337).

16 Or, tel est précisément le cas en l'espèce, en ce qui concerne la possibilité de déroger à la hausse aux niveaux forfaitaires de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408. En effet, ainsi qu'il ressort de l'article 2, paragraphe 2, et de l'annexe à la décision 88-408, le montant de la redevance peut être majoré jusqu'à concurrence des frais réels d'inspection, lorsque ceux-ci sont supérieurs aux niveaux de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, de la décision. La possibilité de majorer la redevance est ainsi soumise à des conditions dont le respect est susceptible d'un contrôle juridictionnel.

17 Par conséquent, le fait que l'article 2, paragraphe 2, de la décision 88-408 accorde aux États membres la possibilité de déroger à la hausse aux niveaux forfaitaires de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, de la même décision ne saurait priver cette dernière disposition d'un effet direct.

18 Il convient cependant de relever que l'article 11 de la décision 88-408 accorde aux États membres un délai, dont il fixe le terme, pour assurer la mise en application de cette décision.

19 Or, lorsqu'une décision adressée aux États membres comporte des dispositions précises et inconditionnelles, dont la mise en application doit intervenir dans un délai déterminé, ces dispositions ne sont susceptibles d'être invoquées par les particuliers à l'encontre d'un État membre que dans l'hypothèse où celui-ci s'abstient de mettre la décision en application, ou la met en application de manière incorrecte, à l'expiration du délai prévu.

20 En effet, la possibilité accordée aux particuliers d'invoquer une décision à l'encontre des États membres qui en sont les destinataires est fondée sur le caractère obligatoire que la décision revêt à l'égard de ses destinataires. Par conséquent, lorsque la décision accorde aux États membres un certain délai pour se conformer aux obligations qui en résultent, cette décision ne saurait être invoquée par les particuliers à l'encontre des États membres avant l'expiration du délai en cause.

21 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408-CEE du Conseil, du 15 juin 1988, concernant les niveaux de la redevance à percevoir au titre des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches, conformément à la directive 85-73-CEE, peut être invoqué par un particulier à l'encontre d'un État membre afin de s'opposer à la perception de redevances d'un montant supérieur à celui prévu par cette disposition, lorsque les conditions auxquelles l'article 2, paragraphe 2, de cette décision subordonne la possibilité de majorer les niveaux de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, ne sont pas réunies. Toutefois, l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408 ne peut être invoqué que pour s'opposer aux avis de recouvrement de la redevance émis après l'expiration du délai prévu par l'article 11 de cette décision.

Sur la troisième question

22 Il convient de rappeler, tout d'abord, que, ainsi qu'il a été indiqué au point 17 ci-avant, la possibilité de déroger aux niveaux forfaitaires de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408, précitée, aux conditions et dans les limites prévues par l'article 2, paragraphe 2, de cette décision ne saurait priver l'article 2, paragraphe 1, d'un effet direct.

23 Il y a lieu de souligner ensuite que chaque État membre est libre de répartir les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre les actes de droit communautaire qui ne sont pas directement applicables au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales, pourvu que cette répartition des compétences permette une mise en œuvre correcte des actes de droit communautaire en cause.

24 En l'espèce, aucune disposition de la décision 88-408 n'interdit aux États membres de confier aux autorités régionales ou locales le pouvoir de déroger aux niveaux forfaitaires de la redevance, aux conditions et dans les limites prévues par l'article 2, paragraphe 2, de cette décision.

25 Par ailleurs, il résulte de l'article 7 et de l'annexe à cette même décision que les dérogations aux niveaux forfaitaires de la redevance peuvent être applicables à l'ensemble des établissements d'un État membre ou à l'un d'entre eux seulement.

26 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l'article 2, paragraphe 2, de la décision 88-408 doit être interprété en ce sens qu'un État membre peut déléguer aux autorités régionales ou locales l'exercice du pouvoir que lui confère cette disposition.

Sur les dépens

27 Les frais exposés par la République fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions à elle soumises par le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht, par ordonnance du 15 mars 1991, dit pour droit:

1) L'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408-CEE du Conseil, du 15 juin 1988, concernant les niveaux de la redevance à percevoir au titre des inspections et contrôles sanitaires des viandes fraîches, conformément à la directive 85-73-CEE, peut être invoqué par un particulier à l'encontre d'un État membre afin de s'opposer à la perception de redevances d'un montant supérieur à celui prévu par cette disposition, lorsque les conditions auxquelles l'article 2, paragraphe 2, de cette décision subordonne la possibilité de majorer les niveaux de la redevance fixés par l'article 2, paragraphe 1, ne sont pas réunies. Toutefois, l'article 2, paragraphe 1, de la décision 88-408 ne peut être invoqué que pour s'opposer aux avis de recouvrement de la redevance émis après l'expiration du délai prévu par l'article 11 de cette décision.

2) L'article 2, paragraphe 2, de la décision 88-408-CEE doit être interprété en ce sens qu'un État membre peut déléguer aux autorités régionales ou locales l'exercice du pouvoir que lui confère cette disposition.