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Décisions

CJCE, 23 février 1994, n° C-236/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Comitato di coordinamento per la difesa della Cava

Défendeur :

Regione Lombardia, Progesam Ecosistemi Srl, Gesam SpA, Gouvernement du Royaume-Uni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Edward, Kakouris (rapporteur), Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Kapteyn, Murray

Avocat général :

M. Darmon

Avocats :

Mes Ferrari, Cafari Panico

CJCE n° C-236/92

23 février 1994

LA COUR,

1 Par décret du 1er avril 1992, parvenu à la Cour le 7 avril suivant, le président du Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions préjudicielles concernant, notamment, l'interprétation de l'article 4 de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39, ci-après la "directive").

2 Ces questions ont été posées dans le cadre de litiges opposant, notamment, un groupement dénommé Comitato di coordinamento per la difesa della Cava et plusieurs particuliers à la région de Lombardie, au sujet de la décision de celle-ci de localiser sur son territoire une décharge de déchets.

3 Il ressort du dossier que la Giunta regionale de la région de Lombardie a approuvé, par différentes décisions de 1989 et de 1990, un projet de construction d'une décharge pour des déchets solides urbains à réaliser dans une commune située sur le territoire de la région.

4 Des particuliers ont contesté ces décisions en justice, leur faisant grief de porter atteinte à leurs droits au respect de l'environnement. La juridiction nationale saisie, ayant constaté que la réglementation nationale de transposition de la directive (décret n 915 du président de la République du 10 septembre 1982, GURI n 343 du 15.12.1982, p. 9071) prévoyait pour l'élimination des déchets presque exclusivement l'usage de décharges, s'est interrogée sur la compatibilité de cette réglementation avec la directive, laquelle imposerait aux États membres l'adoption de mesures appropriées pour promouvoir la prévention, le recyclage et la transformation des déchets.

5 La juridiction nationale a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Le droit communautaire de l'environnement et, en particulier, l'article 4 de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, confèrent-ils aux justiciables des droits subjectifs que le juge national est tenu de sauvegarder?

2) Les 'droits subjectifs communautaires'- lorsqu'ils sont transposés dans l'ordre juridique italien où ils prennent la forme des 'intérêts légitimes'- doivent-ils être sauvegardés par la juridiction administrative compétente selon le système prévu pour les 'intérêts légitimes italiens'et, partant, avec l'obligation de demander (le cas échéant) l'expertise technique à l'administration publique qui est partie, ou doivent-ils être protégés selon le système prévu pour les " droits subjectifs italiens "et, partant, avec l'obligation de désigner - le cas échéant - une tierce personne comme expert?

3) Les juridictions nationales, lorsqu'elles sont appelées à sauvegarder les droits subjectifs communautaires des justiciables, ont-elles l'obligation de laisser inappliquées les dispositions internes - contraires aux normes communautaires - même lorsque cette non-application peut produire des bouleversements en ce qui concerne l'intérêt général communautaire et l'intérêt général national? Ou dans ce dernier cas sont-elles tenues d'exercer des pouvoirs analogues à ceux que la Cour exerce au titre de l'article 174, dernier alinéa, et peuvent-elles par conséquent se borner, par exemple, à déclarer que la loi nationale en question est illégale: cela aux fins d'éventuelles demandes ultérieures de réparation du dommage causé par l'illégalité précitée, ou aux fins des mesures que la Commission estimerait devoir éventuellement prendre au titre des articles 169 et suivants du traité CEE?

4) Suite à l'arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (affaires jointes C-6-90 et C-9-90), la juridiction nationale - au moins dans le cas où elle considère qu'il est possible de mettre fin au litige pendant devant cette juridiction également en décidant de laisser inappliqués des actes normatifs nationaux ou en constatant l'illégalité communautaire de ces actes - est-elle tenue de garantir l'exercice du droit fondamental de la défense également aux organes du pouvoir législatif qui ont pris ces actes (dont on suspecte l'illégalité communautaire)?

5) Quel schéma procédural (national? tiré des 'principes généraux du droit communautaire'? etc.) le juge national doit-il appliquer pour permettre - en pareil cas - aux pouvoirs législatifs national et régional et aux pouvoirs exécutifs nationaux et régionaux l'exercice concret du droit fondamental de la défense dans les litiges de quibus?"

6 Par la première question, il est demandé si l'article 4 de la directive engendre dans le chef des particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

7 Cette disposition est formulée comme suit:

"Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront éliminés sans mettre en danger la santé de l'homme et sans porter préjudice à l'environnement, et notamment:

- sans créer de risque pour l'eau, l'air ou le sol ni pour la faune et la flore,

- sans provoquer d'incommodités par le bruit ou les odeurs,

- sans porter atteinte aux sites et aux paysages."

8 Selon une jurisprudence constante (voir, notamment, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8-81, Rec. p. 53, et du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo, 103-88, Rec. p. 1839), dans tous les cas où des dispositions d'une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant le juge national à l'encontre de l'État, soit lorsque celui-ci s'abstient de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu'il en fait une transposition incorrecte.

9 Une disposition communautaire est inconditionnelle lorsqu'elle énonce une obligation qui n'est assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte soit des institutions de la Communauté, soit des États membres (voir, notamment, arrêt du 3 avril 1968, Molkerei-Zentrale Westfalen, 28-67, Rec. p. 211).

10 Par ailleurs, une disposition est suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu'elle énonce une obligation dans des termes non équivoques (arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, et du 4 décembre 1986, Federatie Nederlandse Vakbeweging, 71-85, Rec. p. 3855).

11 La disposition en question ne répond pas aux caractéristiques ci-dessus.

12 En effet, considéré dans son contexte, l'article 4 de la directive, qui reprend pour l'essentiel le contenu du troisième considérant de celle-ci, a un caractère programmatique et énonce les objectifs que les États membres doivent respecter dans l'exécution des obligations plus spécifiques que comportent pour eux les dispositions des articles 5 à 11 de la directive en matière de planification, de surveillance et de contrôle des opérations d'élimination des déchets.

13 Il convient par ailleurs de relever que la Cour a déjà jugé, à propos des obligations des États membres prévues dans l'article 10 de la directive, que cette disposition ne comporte aucune exigence particulière qui limiterait la liberté des États membres dans l'organisation de la surveillance des activités y visées et que cette liberté devrait toutefois s'exercer dans le respect des objectifs énoncés au troisième considérant et à l'article 4 de la directive (voir arrêt du 12 mai 1987, Traen e.a., 372-85, 373-85 et 374-85, Rec. p. 2141).

14 Ainsi, la disposition en question doit être considérée comme la délimitation du cadre dans lequel doit se dérouler l'activité des États membres en matière de traitement des déchets et non comme imposant en soi l'adoption de mesures concrètes ou telle ou telle méthode d'élimination des déchets. Elle n'est donc ni inconditionnelle ni suffisamment précise et n'est pas ainsi de nature à conférer des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l'égard de l'État.

15 Il convient, dès lors, de répondre à la première question que l'article 4 de la directive n'engendre pas, dans le chef des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.

16 Eu égard à la réponse donnée à cette question, il n'y a pas lieu de répondre aux autres questions posées.

Sur les dépens

17 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le président du Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie), par décret du 1er avril 1992, dit pour droit:

L'article 4 de la directive 75-442-CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, n'engendre pas, dans le chef des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder.