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Décisions

Cass. crim., 14 mars 1996, n° 95-81.137

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Culie (faisant fonction)

Rapporteur :

M. de Mordant de Massiac

Avocat général :

M. Le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié.

Aix-en-Provence, ch. corr., du 6 déc. 19…

6 décembre 1994

LA COUR : - Sur le pourvoi formé par T Serge, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre correctionnelle, en date du 6 décembre 1994, qui, pour commercialisation de terminaux de télécommunications non agréés et publicité relative à de tels appareils, l'a condamné à une amende de 5 000 francs pour le délit et à 193 amendes de 200 francs pour les contraventions, et a prononcé la confiscation des objets saisis. Vu le mémoire ampliatif produit ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 460, 513 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que le prévenu a présenté ses moyens de défense avant l'audition du Ministère public ;

" alors que, selon l'article 513, alinéa 3, du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi du 4 janvier 1993, les parties en cause ont la parole dans l'ordre prévu par l'article 460 du même Code ; qu'il en résulte que la défense du prévenu doit être présentée après les réquisitions du Ministère public ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que le prévenu a été astreint à présenter sa défense en premier, l'atteinte ainsi portée à ses intérêts ne pouvant être réparée par la mention qu'il a eu la parole en dernier, de sorte que la cassation est encourue " ;

Attendu que, s'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que Serge T, appelant, a présenté sa défense avant les réquisitions du Ministère public, en méconnaissance de l'ordre de parole alors prévu par l'article 513 du Code de procédure pénale, il est également précisé que le prévenu a eu la parole en dernier ;

Qu'en cet état, et dès lors qu'en application du texte précité, en sa rédaction issue de la loi du 8 février 1995, il est désormais prévu que le prévenu appelant est entendu, une première fois, en sa demande, avant les autres parties, puis en dernier lieu après le Ministère public, l'irrégularité commise n'a pas été de nature à porter atteinte aux intérêts du demandeur ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 34-9 du Code des postes et télécommunications dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 1990, de l'article R. 20-2 du même Code dans sa rédaction issue du décret du 4 février 1992, de l'article 6 de la directive 88-311 CEE du 16 mai 1988 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications, de la directive 91-263 CEE du 29 avril 1991 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relative aux équipements terminaux de télécommunications, du cahier des charges de France Télécom annexé au décret n° 90-1213 du 29 décembre 1990, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des principes généraux du droit :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de mise sur le marché d'installations radioélectriques sans agrément préalable du ministère des Télécommunications et de publicité pour ces appareils ;

" aux motifs, d'une part, que la procédure d'agrément telle que prévue au décret du 4 février 1992 à laquelle le prévenu aurait été nécessairement soumis s'il avait présenté une demande d'agrément, est conforme à la directive 88-301 CEE du 16 mai 1988 puisque l'autorité compétente pour délivrer l'agrément (savoir la Direction générale de la réglementation du ministère chargé des Télécommunications) est, depuis le 1er janvier 1991, indépendante de l'exploitant public France Télécom et que, de ce fait, son impartialité ne peut être mise en cause ;

" aux motifs, d'autre part, que le fait d'exposer à la vente en vitrine des appareils radioélectriques non agréés sans aucune précision sur l'impossibilité de les utiliser légalement sur le territoire national constitue le délit de publicité (présentation fausse de nature à induire en erreur le consommateur sur les qualités substantielles du produit ainsi exposé et mis en vente) interdite par les articles L. 34-9 et L. 29-3 de la loi n° 90-1170 du 29 décembre 1990 sur la réglementation des télécommunications publiée au Journal officiel de la République française le 30 décembre 1990 ;

" 1° alors qu'il appartient au juge répressif d'écarter l'application d'un texte d'incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du traité CEE ou un texte pris pour l'application de celui-ci ; qu'aux termes de l'article 6 de la directive du 16 mai 1988 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications "les Etats membres assurent qu'à partir du 1er juillet 1989 la formalisation des spécifications mentionnées à l'article 5 (concernant les appareils terminaux) et le contrôle de leur application ainsi que l'agrément sont effectués par une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications" ; que ces dispositions sont claires et qu'elles s'imposent aux Etats membres destinataires de ladite directive ; que, cependant, il résulte tant du décret n° 92-116 du 4 février 1992 relatif à l'agrément des équipements terminaux de télécommunications, à leurs conditions de raccordement et à l'admission des installateurs, que des textes de droit interne qu'il vise que si l'autorité chargée de l'agrément des équipements terminaux est le ministre chargé des Télécommunications, c'est-à-dire un organisme notifié au sens de l'article 10 de la directive 91-263 CEE du 29 avril 1991, cette autorité exerce par ailleurs la tutelle de France Télécom, exploitant public, et en second lieu selon l'article 18 du cahier des charges de France Télécom annexé au décret n° 90-1213 du 29 décembre 1990, que cette dernière entreprise, exploitant public, apporte "en tant que de besoin au ministre chargé des Postes et Télécommunications son expertise technique lors de l'élaboration des spécifications d'agrément et des normes de connexion au réseau public des installations terminales" et "dans le cadre de la procédure d'agrément des équipements terminaux et installations radioélectriques, le ministre chargé des Postes et Télécommunications peut demander à France Télécom la réalisation d'essais en laboratoire, lesdites prestations étant facturées au candidat à l'agrément" et que, dans ces conditions, le prévenu n'était pas tenu, en présence d'une réglementation nationale incompatible avec la directive du 16 mai 1988 précitée de solliciter un agrément préalable pour la commercialisation des appareils concernés ;

" 2° alors que l'article L. 34-9 du Code des postes et télécommunications prend soin d'incriminer séparément la mise en vente d'équipements terminaux sans agrément préalable et la publicité illicite pour de tels équipements ; qu'en l'espèce, le demandeur était poursuivi pour publicité interdite et que, dès lors, en entrant en voie de condamnation à son encontre de ce chef sans constater d'autres faits que celui de la mise en vente, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ; Vu lesdits articles ;

Attendu qu'il appartient au juge répressif d'écarter l'application d'un texte d'incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du traité ou un texte pris pour l'application de celui-ci ;

Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles 30, 86, 90 du traité précité, ainsi que des articles 3 et 6 de la directive 88-301 CEE, que si la commercialisation de terminaux téléphoniques et la mise en service de ces matériels peuvent être soumises, par les Etats membres, à un agrément préalable destiné à assurer la sécurité des consommateurs et le bon fonctionnement du réseau, c'est à la condition que la procédure interne instituée garantisse l'indépendance et l'impartialité des organismes qui en sont chargés, notamment au regard d'entreprises offrant des produits et services concurrents ;

Attendu que Serge T a été cité devant la juridiction correctionnelle, pour commercialisation de terminaux de télécommunication non agréés et publicité relative à de tels appareils ; Qu'il a soutenu pour sa défense que la réglementation nationale est contraire aux dispositions de l'article 6 de la directive susvisée et ne peut, dès lors, servir de bases aux poursuites ;

Attendu que, pour écarter les conclusions du prévenu et le déclarer coupable des faits visés à la prévention, la cour d'appel énonce que, depuis le 1er janvier 1991, la procédure d'agrément critiquée ne dépend plus de France Télécom, transformé en établissement public à caractère industriel et commercial, mais relève, dans le strict respect des conditions posées par la directive invoquée, de la compétence exclusive de la direction de la réglementation générale de l'administration des Postes et Télécommunications ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la procédure d'agrément issue du décret du 4 février 1992, qui fait dépendre l'octroi de l'agrément de l'administration des Télécommunications d'un contrôle technique confié à un laboratoire d'essais placé sous le contrôle de France Télécom, entreprise commercialisant des équipements concurrents de ceux soumis à homologation, n'offre pas aux opérateurs économiques les garanties d'indépendance et d'impartialité prévues par l'article 6 de la directive précitée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; Que la cassation est, dès lors, encourue ;

Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 6 décembre 1994 ; Et attendu qu'il ne reste plus rien à juger : Dit n'y avoir lieu à renvoi.