Cass. crim., 13 novembre 1989, n° 88-80.801
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tacchella (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Souppe
Avocat général :
M. Perfetti
Avocats :
Me Bouthors, SCP Boré, Xavier.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par B Bertrand, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 22 janvier 1988, qui, pour infraction à la réglementation des relations financières avec l'étranger, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à des pénalités cambiaires. Vu les mémoires produits en demande et en défense ; Sur le premier moyen de cassation proposé et pris de la violation de l'article 6, alinéa 1er, du Code de procédure pénale et de la règle non bis in idem, des articles 343 et 459 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale ensemble l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué, ayant déclaré irrecevables et en tant que de besoin mal fondées les exceptions de nullité soulevées par le prévenu, a reconnu B coupable d'infraction à la réglementation financière avec l'étranger dans les termes de la prévention et l'a condamné, en répression, à la peine de 6 mois d'emprisonnement et, sur l'action fiscale des Douanes, l'a condamné à verser 1 235 000 francs ;
" aux motifs que les exceptions tirées de la nullité de la procédure antérieure doivent, à peine de forclusion, être présentées avant toute défense au fond (...) ; que les procès-verbaux dressés les 23 mars 1981 et 7 mai 1982 avaient bien évidemment pour but de constater des infractions et ont, de ce fait, régulièrement interrompu la prescription (...) ; qu'enfin, le Comité du contentieux fiscal n'avait pas à être consulté en l'espèce, l'article 460 du Code des douanes ne prévoyant ses avis qu'en matière de transaction et non en cas d'action judiciaire (arrêt p. 4 et 5) ;
" alors que, d'une part, l'autorité de la chose jugée au criminel sur le criminel - consacrée par l'article 6, alinéa 1er, du Code de procédure pénale qui est d'ordre public et peut être opposée en tout état de cause et à tout moment de la procédure - met obstacle à l'action de l'administration des Douanes exercée à raison de faits constitutifs d'une infraction douanière ou de changes sur lesquels la juridiction répressive a antérieurement statué par une décision devenue définitive, cette décision aurait-elle omis de prononcer les sanctions fiscales qui étaient légalement encourues ; qu'en l'espèce, les faits poursuivis sous l'incrimination d'infraction à la réglementation des changes avec l'étranger -savoir les conditions de l'obtention d'un prêt de 450 000 DM auprès de la BNP de Sarrebruck - avaient antérieurement été reprochés à B dans le cadre de poursuites du chef d'escroquerie ayant abouti, sur renvoi de cassation du 13 juin 1984, à un arrêt de relaxe aujourd'hui définitif ; que la reprise des poursuites à raison des mêmes faits autrement qualifiés était impossible par application de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le criminel ;
" alors que, d'autre part, l'administration des Douanes, qui n'avait pas sollicité la poursuite d'une action publique du chef d'infraction à la réglementation des relations financières avec l'étranger à raison de faits alors poursuivis sous la qualification d'escroquerie ayant donné lieu à une décision de relaxe définitive, ne peut ultérieurement demander la réouverture d'une action publique à raison des mêmes faits et exercer l'action pour l'application des sanctions fiscales en vertu de l'article 343 du Code des douanes ; qu'en effet, le Ministère public étant habile à exercer lui-même cette action fiscale dans le cadre des précédentes poursuites, son inaction demeure opposable à l'Administration qui ne dispose plus désormais d'aucune action ;
" alors qu'en tout état de cause, la reprise des poursuites à compter de 1985 à raison de faits situés en 1978 et connus de l'Administration depuis près de 5 ans, méconnaît le droit pour toute personne à être entendue et jugée dans un " délai raisonnable " au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde " ;
Attendu qu'il ne résulte ni du jugement, ni de l'arrêt attaqué, ni d'aucunes conclusions régulièrement déposées par le prévenu que ce dernier ait invoqué devant les juges du fond l'autorité de chose jugée et une prétendue violation des dispositions de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme prise de ce qu'il n'aurait pas été jugé dans un délai raisonnable ; que, dès lors, le moyen, qui, en ses deux griefs, est mélangé de fait et de droit, est nouveau et comme tel irrecevable ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789, des articles 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde, de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, de l'article 108 du traité de Rome, de l'article 459 du Code des douanes ensemble l'article 6 du décret n° 67-78 du 27 janvier 1967 modifié pris pour l'application de la loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l'étranger, les articles 1, 4 et 5 du décret n° 68-1021 du 24 novembre 1968, l'arrêté du 26 août 1974 portant fixation de certaines modalités d'application du décret n° 67-78 du 27 janvier 1967 modifié et du décret n° 68-1021 du 24 novembre 1968, l'arrêté du 26 juillet 1974, l'arrêté du 1er juin 1988 (JO, 4 juin 1988, p. 7647) assouplissant la réglementation des relations financières avec l'étranger, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné B du chef d'infraction à la réglementation financière avec l'étranger à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et au versement, sur l'action fiscale des Douanes, d'une somme de 1 235 000 francs ;
" aux motifs que le prévenu a reconnu le 23 mars 1981 avoir exporté en RFA courant septembre 1978 les actions de la SA Relais Bure dans le but d'emprunter à la BNP 450 000 DM, lesdites actions d'une valeur de 1 300 000 francs à l'époque étant destinés à servir de caution (...) ; que le 7 mai 1982, le prévenu a déclaré avoir remis en l'état à un résident français la somme de 450 000 DM ainsi empruntée et a confirmé avoir exporté des actions ; que B a la charge de démontrer la fausseté des déclarations ainsi recueillies ; que ses dénégations ne sont pas étayées (...) ; qu'en toute hypothèse, il est incontestable que la somme de 450 000 DM a été empruntée à la BNP de Sarrebruck et introduite en France sans que B ait obtenu l'autorisation du ministère de l'Economie et des Finances ; qu'il existe des circonstances atténuantes ; que les textes servant de base aux poursuites sont compatibles avec l'article 108 du traité de Rome ;
" alors, en premier lieu, qu'aux termes d'un arrêté du 1er juin 1988 (JO, 4 juin 1988, p. 7647), les emprunts à l'étranger même d'un montant supérieur à 50 millions de francs ne sont plus soumis à autorisation préalable ; que cette disposition nouvelle doit bénéficier au prévenu et s'appliquer rétroactivement aux faits non encore définitivement jugés ; qu'en effet, le bénéfice de la loi pénale nouvelle plus douce est obligatoire par application de l'article 15 du pacte de l'ONU sur les droits civils et politiques signé à New York le 16 décembre 1966, ratifié par la France le 25 juin 1980 et publié suivant décret du 29 janvier 1981 ;
" alors que, d'autre part, la technique d'incrimination propre à l'article 459 du Code des douanes viole le principe de légalité des délits et des peines ensemble l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde ; qu'en effet, l'article 459 du Code des douanes définit comme délit " tout manquement à la réglementation des relations financières avec l'étranger " c'est-à-dire toute infraction aux mesures prises dans le cadre de l'article 3 de la loi du 28 décembre 1966, laquelle renvoie au Gouvernement (et même par délégation de celui-ci au ministre des Finances) le soin de fixer les procédures et les formalités en la matière sans aucun contrôle législatif sur leurs faits constitutifs ; qu'il suit de là que les manquements incriminés au titre du contrôle des changes ne ressortent pas de la loi pénale proprement dite et ne peuvent légalement être sanctionnés par une peine de nature pénale ;
" alors que les dispositions réglementaires prises pour l'application de l'article 459 du Code des douanes à la date des faits litigieux sont en tout état de cause contraires aux dispositions de l'article 108 du traité de Rome lequel exige pour justifier l'édition de mesures restrictives la constatation préalable " de difficultés ou de menace grave de difficultés dans la balance des paiements d'un Etat membre ", circonstances non établies en l'espèce ;
" alors enfin que la Cour a tenu pour acquis l'exportation des actions de la SA Relais Bure pour une valeur de 1 300 000 francs sans répondre aux conclusions péremptoires de B suivant lequel lesdites actions - montrées sous forme de photocopies au banquier allemand - n'ont jamais été exportées et n'ont pu matériellement faire l'objet d'une exportation dans la mesure où elles avaient été régulièrement cédées en France à un tiers qui avait ensuite fourni sa caution personnelle audit banquier ; qu'en l'état de la cession non contestée des actions en France, circonstance rendant matériellement impossible toute exportation, la Cour ne pouvait légalement condamner B du chef d'exportation illicite de capitaux " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des procès-verbaux des Douanes, base des poursuites, qu'en septembre 1978, B a, sans autorisation préalable du ministère de l'Economie et des Finances, exporté en République d'Allemagne fédérale, les actions de la société anonyme Relais Bure d'une valeur de 1 300 000 francs, afin de les déposer dans une banque à titre de garantie d'un emprunt souscrit auprès de cet établissement, pour un montant de 450 000 DM, équivalent à 1 170 000 francs ; qu'il a été régulièrement poursuivi, sur acte introductif d'instance de l'administration des Douanes, en date du 21 février 1985 pour infractions à la réglementation des relations financières avec l'étranger et spécialement aux articles 1, 4 et 5 du décret du 24 novembre 1968 et à l'article 6 du décret du 27 janvier 1967 ;
Attendu que pour écarter les conclusions du prévenu reprises au moyen, invoquant l'incompatibilité avec les prévisions du traité de Rome, des dispositions du décret du 24 novembre 1968 et pour déclarer B coupable des deux infractions cambiaires visées aux poursuites, les juges du fond énoncent que ce texte trouvait son fondement dans les prescriptions de l'article 108, paragraphe 3, dudit traité et dans les décisions de la Commission des Communautés européennes autorisant la République française à prendre certaines mesures de sauvegarde ; qu'ils relèvent par ailleurs que l'exportation effective des valeurs mobilières reprochée à B résulte des propres aveux de ce dernier, relatées au procès-verbal des Douanes et que le prévenu n'apporte aucun élément de preuve contraire ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations déduites d'une appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur des preuves contradictoirement débattues et qui caractérisent en tous leurs éléments les infractions cambiaires retenues, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait au chef péremptoire des conclusions dont elle était saisie, a, sans méconnaître les principes et les textes communautaires et nationaux visés au moyen, fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, d'une part, la prohibition édictée par les articles 4 et 5 du décret du 24 novembre 1968 et l'article 6 du décret du 27 janvier 1967 dont les dispositions étaient alors applicables, n'est pas contraire aux articles 67 et 106 du traité de Rome dès lors qu'à la date des faits perpétrés, ces textes trouvaient leur fondement dans les décisions de la Commission des Communautés européennes autorisant la République française à prendre certaines mesures de sauvegarde conformément à l'article 108, paragraphe 3, précité ;
Que, d'autre part, les dispositions de l'arrêté du 1er juin 1988 dispensant de l'autorisation préalable du ministère de l'Economie et des Finances, les emprunts contractés à l'étranger, ne sont pas applicables aux opérations qui, comme en l'espèce, ont fait l'objet de poursuites engagées antérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation ;
Qu'enfin l'article 459 du Code des douanes étant une disposition législative, l'application des sanctions qu'il édicte, à tout manquement à la réglementation des relations financières avec l'étranger, dont la détermination relève du pouvoir réglementaire, est conforme tant au principe de la légalité des délits et des peines qu'aux prescriptions de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.