CJCE, 15 octobre 1987, n° 222-86
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Union nationale des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football
Défendeur :
Heylens, Dewailly, Amyot, Deschodt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mackenzie Stuart
Présidents de chambre :
MM. Bosco, Due, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias
Avocat général :
M. Mancini
Juges :
MM. Koopmans, Everling, Bahlmann, Galmot, Kakouris, Joliet, O'Higgins, Schockweiler
Avocats :
Mes Bertrand, Doussot.
LA COUR,
1. Par jugement du 4 juillet 1986, parvenu à la Cour le 18 août 1986, le Tribunal de grande instance de Lille a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 48 du traité CEE.
2. Cette question a été posée dans le cadre d'une affaire pénale sur citation directe que l'Union nationale des entraîneurs et cadres techniques professionnels du football avait lancée contre M. Georges Heylens, entraîneur de football, et contre MM. Jacques Dewailly, Jacques Amyot et Roger Deschodt, dirigeants de la société anonyme d'économie mixte du "Lille olympic sporting club", pour avoir, respectivement en qualité d'auteur et de complices, contrevenu aux dispositions de la loi française n° 84-610, du 16 juillet 1984, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives (JORF du 17.7.1984), et à l'article 259 du Code pénal français relatif à l'usurpation de titre.
3. Il ressort du dossier qu'en France l'accès à la profession d'entraîneur de football est soumis à la possession d'un diplôme national d'entraîneur de football ou d'un diplôme étranger reconnu comme équivalent par une décision du membre du gouvernement compétent, après avis d'une commission spéciale.
4. Le prévenu sur citation directe dans l'affaire au principal, M. Georges Heylens, est un ressortissant belge titulaire d'un diplôme belge d'entraîneur de football, qui a été engagé par le "Lille olympic sporting club" en tant qu'entraîneur de l'équipe professionnelle de football de ce club. La demande de reconnaissance d'équivalence du diplôme belge a été rejetée par une décision du membre du gouvernement compétent, qui renvoie, comme motivation, à un avis défavorable de la commission spéciale, lui-même non motivé. M. Heylens ayant continué à exercer sa profession, le syndicat professionnel des entraîneurs de football l'a cité, de même que les dirigeants de la société qui l'avaient engagé, devant le Tribunal correctionnel de Lille.
5. Ayant des doutes sur la compatibilité de la réglementation française avec les règles sur la libre circulation des travailleurs, le Tribunal de grande instance de Lille (huitième chambre correctionnelle) a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée à titre préjudiciel sur la question suivante :
" le fait d'exiger, pour exercer les fonctions rémunérées d'entraîneur d'une équipe sportive (article 43 de la loi du 16 juillet 1984), la possession d'un diplôme français ou d'un diplôme étranger admis en équivalence par une commission statuant par avis non motivé et contre lequel aucun recours spécifique n'est prévu constitue-t-il une limitation à la libre circulation des travailleurs définie aux articles 48 a 51 du traité CEE, en l'absence de directive applicable à cette profession?"
6. Pour un plus ample exposé des faits de la cause, du déroulement de la procédure et des observations présentées en vertu de l'article 20 du protocole sur le statut de la Cour de justice de la CEE, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7. La question posée par le juge de renvoi vise, en substance, à savoir si, lorsque, dans un état membre, l'accès à une profession salariée est subordonné à la possession d'un diplôme national ou d'un diplôme étranger reconnu comme équivalent, le principe de la libre circulation des travailleurs consacré par l'article 48 du traité exige que la décision refusant à un travailleur ressortissant d'un autre Etat membre la reconnaissance de l'équivalence du diplôme délivré par l'Etat membre dont il est ressortissant soit susceptible d'un recours de nature juridictionnelle et soit motivée.
8. Pour répondre à cette question, il convient de rappeler que l'article 48 du traité met en œuvre, en ce qui concerne les travailleurs, un principe fondamental consacré par l'article 3, sous c), du traité ou il est dit qu'aux fins énoncées à l'article 2 l'action de la communauté comporte l'abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes et des services (voir arrêt du 7 juillet 1976, Watson, 118-75, Rec. p. 1185).
9. En application du principe général d'interdiction de discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 7 du traité, l'article 48 vise a éliminer dans les législations des Etats membres les dispositions qui, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, imposeraient au ressortissant d'un autre Etat membre un traitement plus rigoureux ou le placeraient dans une situation de droit ou de fait désavantageuse par rapport à la situation faite, dans les mêmes circonstances, à un national (voir arrêt du 28 mars 1979, Saunders, 175-78, Rec. p. 1129).
10. En l'absence d'harmonisation des conditions d'accès à une profession, les Etats membres sont en droit de définir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession et d'exiger la production d'un diplôme attestant la possession de ces connaissances et qualifications.
11. L'exigence légitime, dans les différents Etats membres, en ce qui concerne la possession de diplômes pour l'accès à certaines professions, constitue néanmoins, comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 28 juin 1977 (Richard Hugh Patrick, 11-77, Rec. p. 1199), une entrave à l'exercice effectif de la liberté garantie par le traité et dont l'élimination doit être facilitée par des directives visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres. Ainsi que la Cour l'a jugé dans ce même arrêt, la circonstance que de telles directives n'ont pas encore été arrêtées n'autorise pas un Etat membre à refuser le bénéfice effectif de cette liberté à une personne relevant du droit communautaire, lorsque cette liberté peut être assurée dans cet Etat membre, notamment du fait que ses dispositions législatives et réglementaires permettent la reconnaissance de diplômes étrangers équivalents.
12. La libre circulation des travailleurs constituant un des objectifs fondamentaux du traité, l'obligation d'assurer la libre circulation en vertu des dispositions nationales législatives et réglementaires existantes résulte, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 28 avril 1977 (Thieffry, 71-76, Rec. p. 765), de l'article 5 du traité aux termes duquel les Etats membres sont tenus de prendre toute mesure, générale ou particulière, propres à assurer l'exécution des obligations découlant du traité et de s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du traité.
13. Devant concilier l'exigence des qualifications requises pour l'exercice d'une profession déterminée avec les impératifs de la libre circulation des travailleurs, la procédure de reconnaissance d'équivalence doit permettre aux autorités nationales de s'assurer objectivement que le diplôme étranger atteste dans le chef de son titulaire des connaissances et qualifications sinon identiques, du moins équivalentes à celles attestées par le diplôme national. Cette appréciation de l'équivalence du diplôme étranger doit se faire exclusivement en considération du degré des connaissances et qualifications que ce diplôme, compte tenu de la nature et de la durée des études et des formations pratiques dont il atteste l'accomplissement, permet de présumer dans le chef du titulaire.
14. Le libre accès à l'emploi constituant un droit fondamental conféré par le traité individuellement à tout travailleur de la communauté, l'existence d'une voie de recours de nature juridictionnelle contre toute décision d'une autorité nationale refusant le bénéfice de ce droit est essentielle pour assurer au particulier la protection effective de son droit. Comme la Cour l'a admis dans son arrêt du 15 mai 1986 (Johnston, 222-84, Rec. p. 1651, 1663), cette exigence constitue un principe général de droit communautaire qui découle des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
15. L'efficacité du contrôle juridictionnel, qui doit pouvoir porter sur la légalité des motifs de la décision attaquée, implique, de manière générale, que le juge saisi puisse exiger de l'autorité compétente la communication de ces motifs. Mais, s'agissant plus spécialement, comme en l'espèce, d'assurer la protection effective d'un droit fondamental conféré par le traité aux travailleurs de la communauté, il convient également que ces derniers puissent défendre ce droit dans les meilleures conditions possibles et se voient reconnaître la faculté de décider, en pleine connaissance de cause, s'il est utile pour eux de saisir la juridiction. Il en résulte qu'en pareille hypothèse l'autorité nationale compétente à l'obligation de leur faire connaître les motifs sur lesquels son refus est fonde soit dans la décision elle-même, soit dans une communication ultérieure faite sur leur demande.
16. Ces exigences du droit communautaire, à savoir l'existence d'un recours juridictionnel et l'obligation de motivation, ne concernent cependant, compte tenu de leur finalité, que les seules décisions définitives refusant la reconnaissance de l'équivalence et non pas des avis ou autres actes intervenant dans la phase de préparation et d'instruction.
17. En conséquence, il y a lieu de répondre à la question posée par le Tribunal de grande instance de Lille, que lorsque dans un Etat membre, l'accès à une profession salariée est subordonné à la possession d'un diplôme national ou d'un diplôme étranger reconnu comme équivalent, le principe de la libre circulation des travailleurs consacré par l'article 48 du traité exigé que la décision refusant à un travailleur ressortissant d'un autre Etat membre la reconnaissance de l'équivalence du diplôme délivré par l'Etat membre dont il est ressortissant soit susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire, et que l'intéressé puisse obtenir connaissance des motifs à la base de la décision.
Sur les dépens
18. Les frais exposés par le Gouvernement de la République française, par le Gouvernement du Royaume de Danemark et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question a elle soumise par le Tribunal de grande instance de Lille, par jugement du 4 juillet 1986, dit pour droit :
Lorsque dans un Etat membre l'accès à une profession salariée est subordonné à la possession d'un diplôme national ou d'un diplôme étranger reconnu comme équivalent, le principe de la libre circulation des travailleurs consacré par l'article 48 du traité exige que la décision refusant à un travailleur ressortissant d'un autre Etat membre la reconnaissance de l'équivalence du diplôme délivré par l'Etat membre dont il est ressortissant soit susceptible d'un recours de nature juridictionnelle permettant de vérifier sa légalité par rapport au droit communautaire, et que l'intéressé puisse obtenir connaissance des motifs à la base de la décision.