CA Paris, 1re ch. H, 5 octobre 2004, n° ECOC0600190X
PARIS
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Technique d'abattage de Laval (Sté)
Défendeur :
Ernéé Viandes (SARL), Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services, Pichot, Bonet, Thomas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard (faisant fonction)
Avoués :
SCP Bolling-Durand-Lallement, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Menard-Scelle-Millet, SCP Jobin
Avocats :
Mes Belmin, Massart, Salczer, Gueroult
Saisi par la société Ernéé Viandes de pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'abattage et de la commercialisation d'animaux de boucherie, le Conseil de la concurrence, par décision n° 04-D-39 du 3 août 2004, a:
- retenu que les sociétés Technique d'abattage de Laval (ci-après la société STAL), Mayenne Viandes, Les Fermiers de l'Erve, et Privileg avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce,
- prononcé diverses sanctions pécuniaires contre ces entreprises, en particulier de 42 000 euros contre la société STAL,
- ordonné aux dites sociétés de faire publier la décision dans les trois mois de la notification de cette dernière, en ses paragraphes 144 à 171 et en son dispositif dans une édition de "Ouest France" diffusée dans le département de la Mayenne, à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires prononcées.
Après avoir, le 2 septembre 2004, formé un recours contre cette décision la société STAL a, suivant assignation délivrée les 14 et 15 septembre 2004, demandé, à titre principal, le sursis à exécution tant de la condamnation financière que de l'obligation de publication. Subsidiairement, le sursis pour partie du paiement de l'amende et l'insertion dans la publication d'une mention spécifiant que la décision est frappée d'appel.
Par conclusions du 15 septembre 2004, la Fédération nationale des exploitants d'abattoirs prestataires de services (ci-après la FNEAP) est intervenue volontairement, à titre accessoire, au soutien de la demande de sursis à exécution de la mesure de publication.
Par conclusions du 17 septembre 2004, MM. Pichot, Bonet et Thomas sont également intervenus volontairement pour obtenir le sursis à exécution de la mesure de publication, susceptible selon eux d'entraîner des conséquences manifestement excessives à leur égard.
Dans son mémoire déposé le 21 septembre 2004, la société Ernéé Viandes conclut à l'irrecevabilité de l'intervention de MM. Pichot, Bonet et Thomas et de la FNEAP, et au débouté de la demande de la société STAL, priant la cour d'ordonner l'insertion dans la publication d'une mention précisant que la décision, frappée de recours, n'est pas définitive et que la transmission du dossier au procureur de la République ne constitue pas une déclaration du culpabilité de MM. Pichot, Bonet et Thomas. Elle réclame à la société STAL, à la FNEAP et à MM. Pichot, Bonet et Thomas une somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par un mémoire en réplique du 17 septembre 2004, la société STAL a maintenu ses demandes.
Le représentant du ministre et le Ministère public ont oralement conclu au rejet des demandes.
Sur ce:
- sur la recevabilité des interventions volontaires
Attendu que les dispositions des articles 328 à 330 du nouveau Code de procédure civile, auxquelles il n'est pas dérogé par le décret du n° 97-849 du 19 octobre 1987 et qui ne sont pas incompatibles avec la nature propre du contentieux de la concurrence, sont applicables aux procédures suivies devant la cour sur les recours exercés contre les décisions du Conseil de la concurrence, y compris à celles tendant au sursis de l'exécution de ces décisions;
Attendu que l'intervention volontaire accessoire de la FNEAP, qui n'était pas partie à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence, qui a la capacité d'ester en justice et qui agit, conformément à ses statuts, pour la défense des intérêts professionnels collectifs de ses adhérents, concernés par l'impact de la publication ordonnée, celle-ci serait-elle limitée à la Mayenne, est recevable;
Qu'il en est de même de l'intervention volontaire principale de MM. Pichot, Bonet et Thomas qui se prétendent directement lésés par la mesure de publication visée dans la demande de sursis à exécution;
- sur les demandes de sursis
Attendu qu'il résulte de l'article L. 464-8 du Code de commerce que le recours n'est pas suspensif mais que, toutefois, le premier président de la Cour d'appel de Paris peut ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de la décision si celle-ci est susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives ou s'il est intervenu postérieurement à sa notification des faits nouveaux d'une exceptionnelle gravité;
Sur la demande de a société STAL et de la FNEAP:
Attendu que la société STAL fait valoir le caractère excessif de la sanction financière qui lui a été infligée, de nature, selon elle, à altérer son fonctionnement de façon grave et durable ; qu'elle souligne à cet égard que le total de son actif circulant (1 043 768 euros) est inférieur au total de ses emprunts et dettes (1 096 720 euros), que ses disponibilités en trésorerie ne s'élèvent qu'à 1222 euros, qu'elle accuse déjà un découvert bancaire de 109 324 euros, que son résultat net sur les six premiers mois d'exploitation est déficitaire et que ses capitaux propres (32 997 euros) sont inférieurs au montant de l'amende prononcée;
Qu'elle estime également que la publication de la décision, qui viendrait s'ajouter à la liste des articles déjà publiés à ce sujet, entraînerait des conséquences manifestement excessives sur son image et sollicite à tout le moins l'insertion, dans la publication, de la mention du recours par elle formé;
Que la FNEAP ajoute, pour sa part, que cette publication, dans un journal de grande audience dans le monde rural, serait de nature à nuire à l'image de l'ensemble de ses adhérents;
Attendu, d'une part, qu'il résulte des documents versés aux débats, émanant du cabinet d'expertise comptable de la société requérante, que cette dernière, dont le résultat en 2002 accusait une perte de près de 69 876 euros, était en voie de rétablissement grâce à un bénéfice en 2003 de 49 564 euros;
Que toutefois ses résultats pour les six premiers mois de l'exercice 2004 se traduisent par une perte de 21 265 euros cependant que son endettement auprès des établissements de crédit, porté à 109 324 euros en juin 2004, a crû de près de 73 % en six mois;
Qu'eu égard à ces constatations, comme aux éléments dénoncés par la requérante, qui établissent que le paiement de la totalité de la sanction, serait-il fractionné, serait, dans l'immédiat, de nature à mettre en péril la pérennité de l'entreprise, déjà fragilisée, il convient d'accueillir la demande de sursis partiel, à hauteur de la moitié de la sanction,peu important à cet égard que, comme le soutient la société Ernéé Viandes, le capital de la société STAL soit détenu, à raison de 50 % chacune, par la société Privileg et par la société Mayenne Viandes, toutes deux également sanctionnées par la décision attaquée;
Attendu, d'autre part, que la publication forcée, qui procède du principe fondamental de la publicité des décisions à forme et à contenu juridictionnel n'est pas de nature à porter atteinte au crédit et à la considération de la personne visée, dès lors qu'il sera fait droit à sa demande d'insertion complémentaire de la mention du recours formé;
Qu'il suit delà que la demande subsidiaire de la société STAL doit être accueillie;
Sur la demande de MM. Pichot, Bonet et Thomas:
Attendu que ces derniers font valoir le tort que leur cause la publication des extraits de la décision, telle qu'ordonnée par le Conseil de la concurrence;
Attendu en effet que le Conseil a ordonné aux parties sanctionnées de procéder à la publication de la décision en ses paragraphes 144 à 171, alors que figurent parmi ceux-ci les paragraphes 153, 170 et 171 qui énoncent, en termes détaillés, les charges retenues contre MM. Pichot, Bonet et Thomas personnellement, constitutives, selon le Conseil, d'infractions à l'article L. 420-6 du Code de commerce et justifiant en conséquence la transmission du dossier au Procureur de la République en application de l'article L. 462-6, alinéa 2, du même Code;
Attendu que la publication de ces énonciations serait de nature à porter atteinte, de façon irréparable, à la présomption d'innocence qui bénéficie aux intéressés; que MM. Pichot, Bonet et Thomas sont donc fondés en leur demande de sursis à l'exécution de la mesure de publication, étant observé qu'il suffit pour leur donner satisfaction de retrancher les paragraphes ci-dessus mentionnés des extraits à publier;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application en la cause des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Recevons la FNEAP en son intervention volontaire accessoire et MM. Pichot, Bonet et Thomas en leur intervention volontaire principale, Sur la demande de la société STAL et de la FNEAP: 1°) ordonnons le sursis, jusqu'à l'arrêt à intervenir sur le recours de la société STAL, du paiement de la moitié de la sanction prononcée contre cette dernière par la décision attaquée, 2°) autorisons la société STAL à faire ajouter, dans la publication, la mention que la décision dont s'agit fait l'objet de recours, Sur la demande de MM. Pichot, Bonet et Thomas, disons que, dans l'attente de l'arrêt à intervenir sur le recours de la société STAL, seront exclus de la publication les paragraphes 153, 170 et 171 de la décision attaquée. Déboutons la société Ernéé Viandes de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Laissons à chacune des parties la charge des dépens par elles exposés, hormis ceux de MM, Pichot, Bonet et Thomas, qui seront supportés par le Trésor Public;