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Décisions

CJCE, 1re ch., 14 octobre 2004, n° C-143/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République italienne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Ruiz-Jarabo Colomer

Juges :

Mme Colneric, MM. Cunha Rodrigues, Ilesic, Levits

CJCE n° C-143/03

14 octobre 2004

LA COUR (première chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en soumettant les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure à un régime de marquage qui impose, en particulier, l'indication de la présence de métaux lourds, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2 L'article 1er de la directive 91-157-CEE du Conseil, du 18 mars 1991, relative aux piles et accumulateurs contenant certaines matières dangereuses (JO L 78, p. 38), telle que modifiée par la directive 98-101-CE de la Commission, du 22 décembre 1998 (JO L 1, p. 1, ci-après la "directive 91-157"), prévoit qu'elle a pour objet le rapprochement des législations des États membres sur la valorisation et l'élimination contrôlée des piles et accumulateurs usagés contenant les matières dangereuses conformément à l'annexe I.

3 Selon l'annexe I de ladite directive:

"Les piles et accumulateurs suivants relèvent de la présente directive:

1. Les piles et accumulateurs mis en circulation à partir du 1er janvier 1999 et contenant plus de 0,0005 % en poids de mercure.

2. Les piles et accumulateurs mis en circulation à partir du 18 septembre 1992 et contenant:

- plus de 25 mg de mercure par élément, à l'exception de piles alcalines au manganèse,

[...]

3. Les piles alcalines au manganèse contenant plus de 0,025 % en poids de mercure mises sur le marché à partir du 18 septembre 1992."

4 L'article 2, sous a), de la directive 91-157 dispose que, aux fins de celle-ci, on entend par pile ou accumulateur "une source d'énergie électrique obtenue par transformation directe d'énergie chimique, constituée d'un ou de plusieurs éléments primaires (non rechargeables) ou éléments secondaires (rechargeables), figurant à l'annexe I".

5 Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la même directive:

"1. Les États membres interdisent, à partir du 1er janvier 2000 au plus tard, la mise sur le marché de piles et accumulateurs contenant plus de 0,0005 % en poids de mercure, y compris dans les cas où ces piles et accumulateurs sont incorporés dans des appareils. [...]"

6 Selon l'article 4 de la directive 91-157:

"1. Dans le cadre des programmes visés à l'article 6, les États membres prennent des mesures appropriées pour que les piles et accumulateurs usagés soient collectés séparément en vue de leur valorisation ou de leur élimination.

2. À cet effet, les États membres veillent à ce que les piles et accumulateurs et, le cas échéant, les appareils dans lesquels ils sont incorporés soient munis d'un marquage approprié.

Le marquage doit comporter des indications sur les éléments suivants:

- la collecte séparée,

- le cas échéant, le recyclage,

- la teneur en métaux lourds.

[...]"

7 L'article 8 de cette directive prévoit:

"Dans le cadre des programmes visés à l'article 6, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur soit amplement informé sur:

a) les dangers d'une élimination incontrôlée des piles et accumulateurs usagés;

b) le marquage des piles et accumulateurs ainsi que sur celui des appareils dans lesquels des piles et accumulateurs sont incorporés à demeure;

c) le mode de retrait des piles et accumulateurs incorporés à demeure dans un appareil."

8 L'article 9 de la directive 91-157 dispose:

"Les États membres ne peuvent entraver, interdire ou restreindre la mise sur le marché des piles et accumulateurs relevant de la présente directive et conformes à ses dispositions."

La réglementation italienne

9 Par décret ministériel nº 476 du 20 novembre 1997 (GURI nº 9, du 13 janvier 1998), la République italienne a adopté le "Règlement établissant des normes pour la transposition des directives nos 91-157-CEE et 93-68-CEE [...]".

10 Les dispositions de ce règlement s'appliquent, selon son article 2, paragraphe 1, sous d), aux piles alcalines au manganèse mises en circulation à compter de la date d'entrée en vigueur du même règlement et contenant jusqu'à 0,025 % en poids de mercure.

11 Aux termes de l'article 5, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, les piles et les accumulateurs doivent être munis d'un marquage portant l'indication de la présence de métaux lourds.

La procédure précontentieuse

12 Considérant, d'une part, que certaines dispositions du décret ministériel nº 476 étaient contraires à la directive 91-157 et, d'autre part, que, en soumettant les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure à un régime de marquage qui impose, en particulier, l'indication de la présence de métaux lourds, la République italienne aurait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE, la Commission a engagé la procédure en manquement.

13 Après avoir mis la République italienne en demeure de présenter ses observations, la Commission a, par lettre du 24 juillet 2001, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. N'ayant pas reçu de réponse, la Commission a introduit le présent recours en se fondant uniquement sur le grief concernant le régime de marquage.

Sur le fond

Sur l'applicabilité de la directive 91-157

14 La Commission soutient en substance que les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure sont exclues du champ d'application de la directive 91-157. Le Gouvernement italien soutient quant à lui que le marquage comportant l'indication de la présence de métaux lourds imposé par les articles 4 et 8 de cette directive se rapporte pour ce qui est du mercure précisément aux piles et accumulateurs contenant jusqu'à 0,0005 % en poids de mercure.

15 À cet égard, il importe de constater que le libellé de l'annexe I de la directive 91-157 est sans équivoque en ce que relèvent de la directive, pour ce qui est des piles alcalines au manganèse, seulement celles mises en circulation à partir du 1er janvier 1999 et contenant plus de 0,0005 % en poids de mercure et celles mises sur le marché à partir du 18 septembre 1992 contenant plus de 0,025 % en poids de mercure. Aucune mention n'est faite concernant les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure, indépendamment de la date de leur mise sur le marché.

16 Il ne peut être soutenu, comme le fait le Gouvernement italien, qu'il est erroné de fonder l'interprétation de la portée de la directive 91-157 sur la formule de l'annexe I. Ledit gouvernement estime que le fait qu'une disposition donnée ait été placée par le législateur communautaire dans les annexes plutôt que dans les articles implique que le texte des annexes doit être considéré comme accessoire et que, en l'espèce, la référence essentielle est constituée par l'article 3 de la directive 91-157, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 2, de la même directive. Or, en principe, rien n'empêche le législateur communautaire de déterminer le champ d'application ratione materiae d'une directive dans une annexe.

17 Contrairement à ce que prétend le Gouvernement italien, l'inclusion de piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure ne se déduit pas non plus du fait que la directive ne peut prendre en considération le marquage de piles dont elle interdit la circulation.

18 En effet, l'obligation de marquage prévue à l'article 4 de la directive 91-157 vise tous les piles et accumulateurs contenant plus de 0,0005 % en poids de mercure, mis en circulation à partir du 1er janvier 1999 jusqu'au 1er janvier 2000, date à partir de laquelle la mise sur le marché de tels produits n'a plus été autorisée.

19 En outre, le Gouvernement italien soutient que, selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive, le marquage a pour but de permettre la collecte séparée des piles en vue de faciliter leur élimination ou leur revalorisation et qu'on ne saurait soutenir que la nécessité d'une collecte séparée et d'une élimination ou d'une revalorisation plus facile n'existe que pour les piles contenant plus de 0,0005 % en poids de mercure.

20 Cet argument ne peut non plus être retenu, car rien dans les considérants ni dans les articles de la directive 91-157 ne laisse penser que le législateur communautaire a voulu, pour atteindre le but d'un niveau élevé de protection de l'environnement, englober dans l'applicabilité de la directive les piles et accumulateurs contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure contrairement au libellé explicite de l'annexe 1.

21 Par conséquent, cette directive n'est pas applicable aux piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure.

Sur l'article 28 CE

22 Selon la Commission, le fait que les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure sont soumises par la réglementation italienne à l'obligation de marquage serait de nature à rendre leur vente plus difficile et par conséquent, à entraver le commerce intracommunautaire. Ladite obligation constituerait une charge supplémentaire pour le producteur ou l'importateur désireux d'introduire sur le marché italien des piles de ce type et constituerait un obstacle à la libre circulation des marchandises contraire à l'article 28 CE.

23 Le Gouvernement italien fait valoir que la Commission n'a jamais précisé, et encore moins prouvé, en quoi l'obligation d'étiquetage en cause restreindrait concrètement la libre circulation des piles au manganèse.

24 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il ressort du point 21 du présent arrêt, la directive 91-157 n'est pas applicable aux piles alcalines au manganèse contenant moins du 0,0005 % en poids de mercure.

25 Dans ces circonstances, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, toute mesure susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intra-communautaire est à considérer comme une mesure d'effet équivalant à des restrictions quantitatives et, à ce titre, interdite par l'article 28 CE (voir arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5, et du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C-322-01, non encore publié au Recueil, point 66).

26 Bien qu'une mesure n'ait pas pour objet de régler les échanges de marchandises entre les États membres, ce qui est déterminant c'est son effet, actuel ou potentiel, sur le commerce intracommunautaire. En application de ce critère, constituent des mesures d'effet équivalent, interdites par l'article 28 CE, les obstacles à la libre circulation des marchandises résultant, en l'absence d'harmonisation des législations, de l'application à des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises, même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises (voir arrêts du 20 février 1979, ReweZentral, dit "Cassis de Dijon", 120-78, Rec. p. 649, points 6, 14 et 15; du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard, C-267-91 et C-268-91, Rec. p. I-6097, point 15, ainsi que Deutscher Apothekerverband, précité, point 67).

27 Certes, n'est pas apte à entraver le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, précitée, l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de ventes, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance des autres États membres (voir arrêt précité Keck et Mithouard, point 16, ainsi que arrêt du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C-412-93, Rec. p. I-179, point 21).

28 Toutefois, la nécessité de modifier l'emballage ou l'étiquette des produits importés exclut qu'il s'agisse de modalités de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité (voir arrêts du 3 juin 1999, Colim, C-33-97, Rec. p. I-3175, point 37, et du 18 septembre 2003, Morellato, C-416-00, Rec. p. I-9343, points 29 et 30).

29 Dès lors, ne saurait être considérée comme portant sur des modalités de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard, précité, la réglementation d'un État membre qui impose que des piles et accumulateurs légalement fabriqués et commercialisés dans un autre État membre soient mis en vente dans le premier État membre uniquement après qu'ils ont été soumis à un régime de marquage relatif à leur teneur en métaux lourds.

30 L'exigence de marquage de piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure prévue par la réglementation italienne comporte la nécessité d'une adaptation du produit ou de son conditionnement. Elle entraîne une charge supplémentaire aux commerçants concernés de sorte qu'elle serait de nature à décourager l'importation en Italie.

31 Par conséquent, ladite obligation de marquage constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative interdit par l'article 28 CE.

32 Or, dans le cadre de ses observations relatives audit article, le Gouvernement italien a omis d'établir l'existence d'une exigence impérative justifiant le régime de marquage en question.

33 Par conséquent, il y a lieu de constater que, en soumettant les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure à un régime de marquage qui impose, en particulier, l'indication de la présence de métaux lourds, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

Sur les dépens

34 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

Déclare et arrête:

1) En soumettant les piles alcalines au manganèse contenant moins de 0,0005 % en poids de mercure à un régime de marquage qui impose, en particulier, l'indication de la présence de métaux lourds, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.