CJCE, 3e ch., 5 février 2004, n° C-270/02
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République italienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gulmann (faisant fonction)
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
M. Puissochet, Mme Macken
LA COUR (troisième chambre),
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 juillet 2002, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant en vigueur une réglementation qui subordonne la commercialisation de denrées alimentaires pour sportifs légalement fabriquées et commercialisées dans d'autres États membres à l'obligation de demander une autorisation préalable et à l'engagement d'une procédure à cet effet, sans avoir démontré le caractère nécessaire et proportionné de cette exigence, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
2 En vertu de l'article 28 CE, les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes les mesures d'effet équivalent sont interdites entre les États membres. Toutefois, selon l'article 30 CE, les restrictions à l'importation qui sont justifiées, notamment, par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux sont autorisées dans la mesure où elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
3 Bien que la directive 89-398-CEE du Conseil, du 3 mai 1989, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière (JO L 186, p. 27), telle que modifiée par la directive 1999-41-CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 juin 1999 (JO L 172, p. 38), prévoie, à son article 4, paragraphe 1, ainsi qu'à son annexe I, que les dispositions spécifiques applicables à des groupes de denrées alimentaires parmi lesquels figurent les aliments adaptés à une dépense musculaire intense, surtout pour les sportifs, sont arrêtées par voie de directives spécifiques, aucune de ces directives n'a encore été adoptée à ce jour pour ce type d'aliments.
La réglementation nationale
4 En Italie, l'article 8 du décret législatif nº 111, du 27 janvier 1992, concernant la production et l'importation pour la vente de certains produits (supplément ordinaire à la GURI nº 39, du 17 février 1992, ci-après le "décret législatif nº 111-92"), parmi lesquels figurent les aliments adaptés à une dépense musculaire intense et destinés avant tout aux sportifs, dispose que sont soumises à l'autorisation du ministère de la Santé ainsi qu'au paiement des frais liés au traitement administratif de la demande la production et l'importation, pour la vente, de produits destinés à une alimentation particulière, appartenant aux groupes visés à l'annexe I dudit décret. Les modalités de cette procédure sont définies dans un règlement adopté ultérieurement, le décret du président de la République n° 131, du 19 janvier 1998.
La procédure précontentieuse
5 L'attention de la Commission a été attirée par le dépôt d'une plainte d'un fabricant britannique de denrées alimentaires pour sportifs, notamment de barres énergétiques et de boissons réhydratantes, à la suite de prétendues difficultés rencontrées par son distributeur italien lors de la commercialisation en Italie desdits produits. Ces derniers étaient soumis à l'autorisation préalable du ministère de la Santé ainsi qu'au paiement de frais administratifs liés à la demande d'autorisation, en vertu de l'article 8 du décret législatif n° 111-92.
6 Ledit fabricant a également informé la Commission que les autorités italiennes lui avaient indiqué que, en supprimant la mention "sport" de l'emballage, la simple communication d'un modèle de l'étiquetage éviterait d'avoir à demander une autorisation.
7 Considérant que la procédure d'autorisation préalable représentait une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation contraire à l'article 28 CE, que cette procédure n'était pas justifiée par l'une des raisons énumérées à l'article 30 CE et qu'elle n'était ni nécessaire ni proportionnée à la poursuite d'un objectif légitime, la Commission a adressé, le 11 juin 1998, une lettre de mise en demeure à la République italienne.
8 N'ayant pas reçu de réponse de celle-ci, la Commission a notifié, le 18 décembre 1998, un avis motivé à la République italienne, l'invitant à prendre les mesures requises pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la notification de celui-ci.
9 La République italienne a répondu à l'avis motivé, tout d'abord par lettre du 4 février 1999, en affirmant que la réglementation en cause avait pour objectif de protéger la santé du consommateur et que les lignes directrices relatives à la délivrance de l'autorisation avaient été élaborées à cet effet, et ensuite par lettre du 26 avril 1999, en y joignant des copies des lignes directrices précitées.
10 N'étant satisfaite ni de la réponse que les autorités italiennes lui ont adressée le 4 février 1999 ni des explications qu'elles lui ont fournies lors d'une réunion "paquet" du 2 juillet 1999, la Commission a émis, le 25 juillet 2001, un avis motivé complémentaire.
11 Faute de réponse dans le délai requis, la Commission a donc introduit le présent recours.
Sur le recours
Arguments des parties
12 Compte tenu de la jurisprudence de la Cour relative aux articles 28 CE et 30 CE, la Commission estime que la réalité du manquement ne paraît pas pouvoir être contestée.
13 D'abord, elle fait valoir qu'une réglementation telle que celle en l'espèce constitue une entrave à la libre circulation des produits concernés. Or, la République italienne n'aurait pas démontré qu'il n'existe ni un risque pour la santé publique ainsi qu'un lien entre l'objectif de prévention de ce risque et la réglementation adoptée ni aucune solution permettant d'atteindre ce même objectif en entravant le commerce intracommunautaire dans une moindre mesure.
14 Ensuite, la Commission soutient que les lignes directrices sur lesquelles le Gouvernement italien s'est fondé lors de la procédure précontentieuse ne font que souligner l'aspect nutritionnel et informatif du produit, sans mentionner de risque sanitaire inhérent à son utilisation ni distinguer les modalités de cette utilisation, et elle ne comprend donc pas les raisons de protection de la santé publique invoquées par les autorités italiennes pour justifier la procédure d'autorisation préalable.
15 Enfin, selon la Commission, dans l'hypothèse où l'objectif de ladite procédure serait de garantir une information exacte du consommateur, il apparaît qu'un tel objectif pourrait être atteint de manière aussi efficace par la notification du produit à l'autorité compétente, avec la transmission d'un modèle de l'étiquetage.
16 Dans sa défense, la République italienne se borne à affirmer qu'elle est en train de modifier l'article 8 du décret législatif n° 111-92, en prévoyant que la commercialisation des denrées concernées ne sera plus subordonnée à une procédure d'autorisation préalable, mais sera seulement soumise à une procédure de notification.
Appréciation de la Cour
17 La libre circulation des marchandises entre États membres est un principe fondamental du traité CE qui trouve son expression dans l'interdiction, énoncée à l'article 28 CE, des restrictions quantitatives à l'importation entre les États membres ainsi que de toutes mesures d'effet équivalent.
18 L'interdiction des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives édictée à l'article 28 CE vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8-74, Rec. p. 837, point 5; du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit "Loi de pureté pour la bière", 178-84, Rec. p. 1227, point 27, et du 16 janvier 2003, Commission/Espagne, C-12-00, Rec. p. I-459, point 71).
19 S'agissant de la commercialisation dans un État membre de produits légalement fabriqués et commercialisés dans un autre État membre, et en l'absence d'une harmonisation communautaire, une obligation telle que celle imposée en l'espèce par l'article 8 du décret législatif n° 111-92, qui exige que des aliments adaptés à une dépense musculaire intense et destinés avant tout aux sportifs soient soumis à une procédure d'autorisation préalable ainsi qu'au paiement des frais administratifs y relatifs, rend la commercialisation de ces aliments plus difficile et coûteuse (voir, en ce sens, arrêts du 3 juin 1999, Colim, C-33-97, Rec. p. I-3175, point 36, et du 16 novembre 2000, Commission/Belgique, C-217-99, Rec. p. I-10251, point 17). Par conséquent, elle entrave les échanges entre les États membres et constitue une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 28 CE.
20 Il est vrai que, selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation nationale soumettant à une autorisation préalable l'usage d'une substance nutritive dans une denrée alimentaire légalement fabriquée et/ou commercialisée dans d'autres États membres n'est pas, en principe, contraire au droit communautaire si certaines conditions sont remplies (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Commission/France, C-344-90, Rec. p. I-4719, point 8, et arrêt de ce jour, Commission/France, C-24-00, non encore publié au Recueil, points 25 à 27).
21 Toutefois, une obligation telle que celle en l'espèce ne peut être justifiée que par l'une des raisons d'intérêt général énumérées à l'article 30 CE, telle la protection de la santé et de la vie des personnes, ou par l'une des exigences impératives tendant entre autres, à la défense des consommateurs (voir, notamment, arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit "Cassis de Dijon", 120-78, Rec. p. 649, point 8, et du 19 juin 2003, Commission/Italie, C-420-01, Rec. p. I-6445, point 29).
22 Selon une jurisprudence constante, il appartient aux autorités nationales compétentes de démontrer, d'une part, que leur réglementation est nécessaire pour réaliser un ou plusieurs objectifs mentionnés à l'article 30 CE ou des exigences impératives et, le cas échéant, que la commercialisation des produits en question présente un risque sérieux pour la santé publique et, d'autre part, que ladite réglementation est conforme au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 1983,Van Bennekom, 227-82, Rec. p. 3883, point 40; du 13 mars 1997, Morellato, C-358-95, Rec. p. I-1431, point 14; du 8 mai 2003, ATRAL, C-14-02, Rec. p. I-4431, point 67, et Commission/Italie, précité, point 30).
23 En l'espèce, le Gouvernement italien n'a pas démontré que la procédure d'autorisation préalable pour la commercialisation des aliments sportifs est justifiée par et proportionnée à l'une des raisons d'intérêt général énumérées à l'article 30 CE, notamment la protection de la santé publique.
24 Malgré les demandes de la Commission, le Gouvernement italien n'a démontré aucun prétendu risque pour la santé publique que les produits en cause seraient susceptibles de présenter. Il s'est abstenu de préciser sur quelles données scientifiques ou quels rapports médicaux les lignes directrices jointes étaient fondées et n'a pas donné d'informations générales sur le prétendu risque. En outre, il n'a pas mis en lumière le lien entre la procédure en cause et le prétendu risque pour la santé publique ni expliqué les raisons pour lesquelles une telle protection serait plus efficace que d'autres formes de contrôle et donc proportionnée au but recherché.
25 Par ailleurs, si, comme la Commission l'a soutenu, la procédure en cause vise, en réalité, davantage à la défense des consommateurs, le Gouvernement italien n'a pas démontré non plus en quoi cette procédure est nécessaire et proportionnée audit but. En effet, il existe des mesures moins restrictives pour écarter de tels risques résiduels de tromper les consommateurs, au nombre desquelles figurent, notamment, la notification de la commercialisation du produit en cause à l'autorité compétente par le fabricant ou le distributeur dudit produit, avec la transmission d'un modèle de l'étiquetage et l'obligation pour le fabricant ou le distributeur de ce produit d'apporter, en cas de doutes, la preuve de l'exactitude matérielle des données de fait mentionnées sur l'étiquetage (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1999, Unilever, C-77-97, Rec. p. I-431, point 35, et du 23 janvier 2003, Commission/Autriche, C-221-00, Rec. p. I-1007, points 49 et 52).
26 Eu égard à l'ensemble des circonstances qui précèdent, il convient de constater que, en maintenant en vigueur une réglementation qui subordonne la commercialisation de denrées alimentaires pour sportifs légalement fabriquées et commercialisées dans d'autres États membres à l'obligation de demander une autorisation préalable et à l'engagement d'une procédure à cet effet, sans avoir démontré le caractère nécessaire et proportionné de cette exigence, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE.
Sur les dépens
27 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre)
Déclare et arrête:
1) En maintenant en vigueur une réglementation qui subordonne la commercialisation de denrées alimentaires pour sportifs légalement fabriquées et commercialisées dans d'autres États membres à l'obligation de demander une autorisation préalable et à l'engagement d'une procédure à cet effet, sans avoir démontré le caractère nécessaire et proportionné de cette exigence, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 28 CE et 30 CE.
2) La République italienne est condamnée aux dépens.