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Décisions

Conseil Conc., 15 novembre 2004, n° 04-D-56

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par le groupe La Dépêche du Midi et des commissaires-priseurs de Toulouse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Sévajols par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Perrot, M. Piot, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-56

15 novembre 2004

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la lettre enregistrée le 17 mars 2000, sous le numéro F 1223, par laquelle la société L'Opinion Indépendante a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le groupe La Dépêche du Midi ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les lettres en date du 24 février 2004 par lesquelles le rapporteur général a transmis aux parties la décision de la Présidente de faire juger cette affaire par le Conseil sans établissement d'un rapport, en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la société anonyme des Journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain, la société Les Editions de la Gazette, Me X..., la SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon commissaires-priseurs associés, Me Y..., Me Z..., la SCP Paul Arnauné et Eric Prim commissaires-priseurs associés et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, la société L'Opinion Indépendante, la société anonyme des Journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain et la société Les Editions de la Gazette, Me Y..., Me Z..., la SCP Paul Arnauné et Eric Prim commissaires-priseurs associés, entendus lors de la séance du 8 septembre 2004 ; Me X..., Me Nicolas A..., la SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon commissaires-priseurs associés, Me Hervé B..., Me Jacques C..., Me Rémy D..., la SCP Messieurs Hervé Chassaing Jacques Rivet et Rémy Fournié commissaires-priseurs associés, Me E... et l'EURL Marc Labarbe ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. Les secteurs concernés

1. La presse quotidienne et de la presse hebdomadaire régionale ou départementale

a) Présentation générale

1. Il existe plusieurs catégories de presse grand public qui ont des fréquences de publication, des contenus éditoriaux et des lectorats différents. Au sein de la presse grand public, les quotidiens et les hebdomadaires régionaux et départementaux sont considérés comme des produits distincts des autres titres. La presse régionale et départementale a pour principale caractéristique de traiter des principaux événements nationaux et internationaux tout en réservant une place importante aux informations locales. Cette presse régionale ou départementale s'adresse essentiellement aux lecteurs situés dans une zone géographique délimitée, souvent inférieure au département administratif, certains journaux distribuant plusieurs éditions couvrant une zone géographique plus vaste.

2. En 1999, au niveau national, au sein des différentes catégories de presse, la presse quotidienne régionale représentait 38 % des ventes en volume, les magazines 38 %, la presse quotidienne nationale 18 %, la presse quotidienne régionale du 7e jour 4 % et la presse hebdomadaire régionale 2 %. Les plus fortes diffusions (diffusion France payée par numéro) étaient réalisées par les titres suivants : Ouest-France (759 732), Le Parisien + Aujourd'hui (478 152), L'Equipe (374 263), Le Figaro (353 309) et Le Monde (346 125).

b) Les titres concernés

3. Le dossier concerne un quotidien régional, distribué principalement dans la région Midi-Pyrénées, La Dépêche du Midi, et deux hebdomadaires départementaux distribués dans le département de la Haute-Garonne (Toulouse), La Gazette des Tribunaux du Midi et L'Opinion Indépendante.

4. La société saisissante, L'Opinion Indépendante, a son siège social à Toulouse et son président directeur général est Mme Hélène F... . Elle édite un hebdomadaire départemental, intitulé L'Opinion Indépendante, habilité à publier les annonces judiciaires et légales dans le département de la Haute-Garonne. Son chiffre d'affaires annuel s'élevait, entre 1996 et 1999, à 6 millions de francs environ.

5. Le journal La Dépêche du Midi a été créé à Toulouse en 1870 et, par la suite, le groupe s'est diversifié et s'est développé par croissance interne et externe. Aujourd'hui, le groupe La Dépêche est spécialisé dans la presse écrite, la radio, la télévision et Internet.

6. La société mère du groupe est la société anonyme des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain, qui a pour nom commercial La Dépêche du Midi. Cette société, dénommée ci-après La Dépêche du Midi, est contrôlée aujourd'hui à hauteur de 67 % du capital par la famille G..., associée à deux actionnaires, le groupe Lagardère, à travers Quillet SA (12 % du capital), et le groupe Pierre Fabre, à travers Sud Médias (6 % du capital).

7. Le groupe a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires consolidé de 902 millions de francs. 53 % du chiffre d'affaires correspondant à la vente des journaux et 46 % à des recettes publicitaires et à l'audiovisuel.

8. Le titre principal du groupe est le titre de presse quotidienne régionale La Dépêche du Midi, édité par la société La Dépêche du Midi (plus de 200 000 exemplaires diffusés quotidiennement). La Dépêche du Midi est distribuée dans les huit départements de la région Midi-Pyrénées (Lot, Aveyron, Tarn-et-Garonne, Tarn, Gers, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées et Ariège) ainsi que dans le Lot-et-Garonne et dans l'Aude. Le groupe La Dépêche publie également, sur ces mêmes départements, un hebdomadaire régional du dimanche, La Dépêche du dimanche.

9. Le groupe édite également un ensemble de titres locaux de presse quotidienne ou hebdomadaire départementale :

* Un hebdomadaire édité par une filiale du groupe, la société Les Editions de la Gazette (nom commercial Ô Toulouse La Gazette). Cet hebdomadaire est diffusé dans le département de la Haute-Garonne et s'est appelé, successivement, La Gazette des Tribunaux du Midi, puis, à partir de février 1999, La Gazette du Midi, puis, à partir du 1er septembre 2000, Ô Toulouse. Il est diffusé en moyenne à 5 000 exemplaires ;

* La Nouvelle République des Pyrénées (quotidien des Hautes-Pyrénées, 15 000 exemplaires par jour) ;

* Le Petit Bleu (quotidien du Lot-et-Garonne, 15 000 exemplaires par jour) ;

* La Gazette de Montpellier (hebdomadaire de l'Hérault, 20 000 exemplaires) ;

* La Gazette de Nîmes (hebdomadaire du Gard, 3 000 exemplaires) ;

* Le Villefranchois-La Gazette Quercy Rouergue : hebdomadaire de l'Aveyron (10 000 exemplaires).

10. Le groupe La Dépêche édite également 12 titres de journaux d'annonces gratuits sur 7 départements (tirage hebdomadaire 800 000 exemplaires) ainsi que le seul hebdomadaire français consacré au rugby, Midi Olympique (70 000 exemplaires chaque lundi).

11. Dans le secteur de l'audiovisuel, le groupe détient des participations dans Sud communication (Sud Radio) et Canal Web.

12. Dans le secteur de l'Internet, à travers sa filiale La Dépêche Multimédia, le groupe dispose d'une soixantaine de sites et portails.

13. La société La Dépêche du Midi et sa filiale, la société Les Editions de la Gazette, sont liées entre elles par des liens financiers et des dirigeants communs. Le capital de la filiale est détenu à 99,82 % par la maison mère. M. Jean-Michel G..., PDG de la société La Dépêche du Midi, est administrateur de la société Les Editions de la Gazette et l'épouse de M. G..., Mme Marie-France G..., est PDG de la société Les Editions de la Gazette et administrateur de la société La Dépêche du Midi.

14. Le quotidien régional, La Dépêche du Midi, est le seul quotidien régional et départemental distribué dans six départements : Haute-Garonne (Toulouse), Lot, Tarn-et-Garonne, Tarn, Hautes-Pyrénées et Ariège. En revanche, il est en concurrence avec d'autres quotidiens régionaux dans quatre départements : le journal Sud-Ouest dans le Lot-et-Garonne et le Gers, le journal Le Midi-libre dans l'Aude et l'Aveyron. Il est également en concurrence avec des quotidiens départementaux dans l'Aveyron, avec le journal Centre-Presse, et dans l'Aude, avec L'Indépendant.

15. La Gazette des Tribunaux du Midi et L'Opinion Indépendante sont des hebdomadaires distribués presque exclusivement dans le département de La Haute-Garonne. Dans ce département, sont également diffusés d'autres hebdomadaires, La Croix du Midi, qui couvre l'ensemble du département, La Libération du Comminges et Midi-Presse-Service, la diffusion de ces deux derniers titres ne couvrant pas l'ensemble du département. 16. Selon les données de l'OJD (annexe 6), La Dépêche du Midi était diffusée, entre 1995 et 1999, à plus de 200 000 exemplaires (moyenne de diffusion totale). La diffusion moyenne de La Dépêche du dimanche était proche, entre 1997 et 1999, de 250 000 exemplaires. La diffusion de l'hebdomadaire, La Gazette des Tribunaux du Midi, était légèrement supérieure à 6 000 exemplaires. La diffusion de l'hebdomadaire L'Opinion Indépendante était, entre 1995 et 1999, comprise entre 3 200 et 4 300 exemplaires.

2. Les annonces de ventes aux enchères par les commissaires-priseurs

a) Le cadre légal et réglementaire

17. L'activité des commissaires-priseurs est une activité strictement réglementée. Les commissaires-priseurs sont des officiers ministériels chargés de procéder à l'estimation et à la vente volontaire ou forcée, aux enchères publiques, des meubles et effets mobiliers corporels (article 1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945). Ils sont nommés par arrêté du garde des sceaux, après instruction de la demande du procureur de la République qui recueille l'avis de la compagnie des commissaires-priseurs. Ils sont regroupés dans une organisation professionnelle locale et nationale (9 compagnies de commissaires-priseurs réparties sur l'ensemble du territoire). Leur rémunération est tarifée et ils peuvent exercer leur profession en commun sous la forme de sociétés civiles professionnelles.

18. Aux termes de l'article 36 de la loi du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles, modifiée par la loi du 27 décembre 1972 : " les personnes physiques ou morales, exerçant des professions libérales et notamment les officiers publics et ministériels, peuvent constituer entre elles des sociétés civiles ayant pour objet exclusif de faciliter à chacun de leurs membres l'exercice de son activité. A cet effet, les associés mettent en commun les moyens utiles à l'exercice de leur profession, sans que la société puisse elle-même exercer celle-ci ". Les sociétés civiles de moyens n'exercent pas la profession, elles ne partagent pas les bénéfices mais seulement les contributions aux frais communs (documentation, matériel, locaux, voire personnel).

19. La loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 a mis fin au monopole des commissaires-priseurs sur les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques qui avait été institué par les lois du 27 ventôse an IX (1801) et du 28 avril 1816. Ce monopole était devenu incompatible avec le principe communautaire de libre prestation de service.

20. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000 et de ses décrets d'application du 19 juillet 2001, les ventes judiciaires de meubles aux enchères publiques doivent être distinguées des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Les commissaires-priseurs judiciaires sont chargés des ventes judiciaires alors que les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont organisées et réalisées par des sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

21. La réglementation des ventes aux enchères impose aux commissaires-priseurs de faire de la publicité, les frais de publicité étant à la charge du vendeur. Ces annonces de vente aux enchères n'ont pas le caractère d'annonces légales. Toutefois, elles sont généralement publiées dans les journaux habilités à publier ces annonces.

b) Les annonces de vente aux enchères dans la région de Toulouse

22. Dans l'agglomération toulousaine, 8 commissaires-priseurs intervenaient en 1995 et 1996 : Mes Y..., A..., B..., X..., D..., E..., Z... et C.... Ils étaient regroupés dans 4 études : la SCP Paul Arnauné et Eric Prim, la SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon, l'EURL Marc Labarbe et la SCP Hervé Chassaing, Jacques Rivet et Rémi Fournié. Ces études publiaient leurs annonces dans trois journaux : le quotidien régional La Dépêche du Midi, et deux hebdomadaires départementaux, La Gazette des Tribunaux du Midi et L'Opinion Indépendante.

23. En 1995 et 1996, le montant des annonces de vente aux enchères des études de commissaires-priseurs de l'agglomération toulousaine était évalué à près de 1 million de francs (1 041 618 francs en 1995 et 955 411 francs en 1996). Ces dépenses se répartissaient comme suit : le quotidien La Dépêche du Midi (74 % en 1995 et 76 % en 1996), sa filiale La Gazette des Tribunaux du Midi (17 % en 1995 et 11 % en 1996) et le journal L'Opinion Indépendante (9 % en 1995 et 13 % en 1996).

24. Mme F..., PDG de la société L'Opinion Indépendante, a déclaré le 13 septembre 1996 (annexe 9) : " Les annonces des commissaires-priseurs sont des annonces par lesquelles ils font connaître les différentes ventes aux enchères organisées sur le département de la Haute-Garonne principalement. Il convient de préciser qu'il ne s'agit pas d'annonces légales. Ce type d'annonces intéresse un public très large et influence fortement les ventes en kiosque et les abonnements. (...). Il est important de préciser que la quasi-totalité des commissaires-priseurs font paraître leurs annonces dans le quotidien La Dépêche du Midi. Compte tenu de sa large diffusion cette démarche est quasi obligatoire pour eux ".

25. Me Nicolas A..., commissaire-priseur à Toulouse, a déclaré le 19 septembre 1996 : " Dans le cadre des ventes aux enchères, nous sommes obligés tant légalement que pratiquement de faire des annonces relatives aux ventes que nous organisons. Les frais de publicité sont à la charge du vendeur. Dans l'intérêt de nos clients, nous cherchons à ce que le coût des publicités soit le moins élevé possible. (...) ".

B. Les pratiques relevées

26. En réaction à un boycott des commissaires-priseurs de la région de Toulouse, le groupe La Dépêche du Midi a imposé aux commissaires-priseurs de Toulouse le couplage de leurs annonces dans deux de ses titres, La Dépêche du Midi et La Gazette des Tribunaux du Midi.

1. Le boycott des commissaires-priseurs

27. En décembre 1995, les commissaires-priseurs de Toulouse, estimant que les tarifs des annonces de vente aux enchères dans le journal La Gazette des Tribunaux du Midi étaient trop élevés, ont décidé de demander à ce journal de réviser ses tarifs.

28. Mes C... et D..., commissaires-priseurs à Toulouse, ont déclaré, le 24 juin 1997 : " Nos annonces paraissaient gracieusement, puis La Gazette a été rachetée par le groupe La Dépêche. Les annonces sur ce support sont devenues très chères sans que nous puissions négocier ces prix à la baisse. En conséquence, nous avons décidé d'arrêter la parution dans la Gazette et continué de publier dans L'Opinion dont les tarifs étaient moins élevés. La publication dans La Dépêche s'est poursuivie pendant cette période car ce support est incontournable. Puis, La Dépêche a obligé au couplage (...). Le contentieux sur les tarifs de parution de La Gazette a donné lieu, de notre part, à une réaction dès le 15/12/1995 ".

29. Me Nicolas A..., commissaire-priseur à Toulouse, a déclaré le 19 septembre 1996 : " En 1995, les tarifs (de La Gazette) sont devenus prohibitifs, basés sur le tarif des annonces classées de La Dépêche du Midi. En l'occurrence le cumul de deux annonces distinctes Gazette et Dépêche a semblé prohibitif. En décembre 1995, les quatre études des commissaires-priseurs de Toulouse ont écrit à La Gazette des Tribunaux, demandant si possible, une révision des tarifs, précisant qu'en cas de refus, nous serions malheureusement contraints de ne pas envoyer nos annonces à La Gazette des Tribunaux, ceci par souci économique. N'ayant pas eu de réponse en janvier, nous avons limité ou annulé nos annonces à La Gazette ".

30. Le 15 décembre 1995, les commissaires-priseurs de Toulouse ont adressé à La Gazette des Tribunaux du Midi la lettre suivante, signée par huit commissaires-priseurs : Mes Y..., A..., B..., X..., D..., E..., Z... et C... :

" Monsieur,

Les tarifs proposés par La Gazette des Tribunaux du Midi étant devenus prohibitifs par rapport à d'autres journaux de notoriété équivalente, les commissaires-priseurs de Toulouse (Hôtel des ventes des 3 journées et Hôtel des ventes Saint-Georges) ont décidé de concert de suspendre toute parution publicitaire dans votre journal tant que vos tarifs ne seront pas revus à la baisse et ceci dès janvier 1996. Souhaitant recevoir de votre part des propositions raisonnables, nous vous prions d'agréer, Monsieur, nos sincères salutations ".

31. Le 6 février 1996, Mme G..., PDG de la société Les Editions de La Gazette, a adressé aux huit commissaires-priseurs de Toulouse une lettre les invitant à la négociation :

" Messieurs Y..., A..., B..., X..., D..., E..., Z..., C... Toulouse, le 6 février 1996, Messieurs,

Jean H..., notre responsable commercial, m'a fait parvenir la lettre par laquelle vous nous informiez de votre décision commune de suspendre vos parutions publicitaires dans notre titre.

Ceci me paraît suffisamment grave et préjudiciable pour notre entreprise pour qu'au nom des relations anciennes que vous entretenez tant avec la Gazette qu'avec le Groupe La Dépêche - dont elle est filiale - je vous demande de bien vouloir accepter d'assister à une réunion de travail à notre siège pour tenter de trouver une solution à ce problème. Je vous propose donc la date du : mardi 20 février 1996 à 17 heures à la Gazette des Tribunaux 48, allée Jean Jaurès.

Je vous remercie de votre présence et vous pris de croire, Messieurs, à l'assurance de ma parfaite considération ".

32. Par lettre du 16 février 1996, à l'entête de la société civile professionnelle Hervé Chassaing - Jacques Rivet - Rémy Fournié, les commissaires-priseurs Hervé B... et Jacques C... ont répondu ainsi au précédent courrier :

" Madame, Suite à votre courrier du 6 février, nous portons à votre connaissance que nous ne pourrons pas nous rendre à votre convocation du 20 de ce mois. Dans le passé, après plusieurs entretiens avec votre service commercial, nous n'avons jamais pu trouver un accord pour la publicité. Actuellement, la profession est en pleine mutation et nos relations vis-à-vis de la Gazette ont changé... ".

33. Le boycott des commissaires-priseurs a été effectif dès le mois de janvier et est devenu total pendant les mois de février, mars, avril et mai 1996. Pour la société Les Editions de La Gazette, ce boycott a entraîné une baisse significative des recettes liées aux annonces des commissaires-priseurs : le chiffre d'affaires des annonces des commissaires-priseurs a été nul pendant plus de 4 mois et le chiffre d'affaires annuel pour les annonces des commissaires-priseurs est passé de 181 496 francs en 1995 à 109 690 francs en 1996, soit une baisse de 40 %.

34. Par ailleurs, selon un courrier du 30 juillet 1997 de la responsable juridique du journal La Gazette, la disparition de la rubrique " ventes aux enchères " pendant plusieurs mois aurait également eu des incidences sur les recettes des abonnements, certains lecteurs renonçant à s'abonner à la suite de la disparition des annonces de ventes aux enchères. La disparition de ces annonces expliquerait la baisse des recettes liées aux abonnements qui sont passées de 1 829 385 francs en 1995 à 1 708 539 francs en 1996, soit une baisse de plus de 6 %.

35. En revanche, les recettes des annonces des commissaires-priseurs du journal L'Opinion Indépendante ont fortement augmenté en 1996. Ces dernières sont passées de 91 900 francs en 1995 à 121 900 francs en 1996, soit une progression de 33 %.

2. La pratique du couplage du Groupe La Dépêche du Midi

36. Madame Marie-France G..., PGD de la société Les Editions de la Gazette, a déclaré le 9 juillet 1997 : " La Gazette des Tribunaux, depuis son origine, reçoit chaque semaine outre les annonces judiciaires et légales, pour lesquelles elle a l'agrément, des annonces commerciales. Les annonces des commissaires-priseurs font partie de ces dernières et ont toujours été présentes dans les colonnes de La Gazette, bien avant son rachat en 1991 par le groupe La Dépêche. En janvier 1996, la totalité des commissaires-priseurs ont cessé de faire paraître leurs annonces dans nos colonnes. Ils nous ont informés, par un courrier que je vous remets, en décembre 1995. Après avoir tenté une médiation avec eux, nous avons appris que L'Opinion Indépendante, concurrent direct de La Gazette, pratiquait des parutions gratuites. Nous avons donc saisi la direction de la concurrence, de la consommation (...). L'enquête de vos services a eu pour effet de voir l'Opinion Indépendante facturer forfaitairement la somme de 500 francs à chacune des parutions quelle que soit la surface, demi-page, quart de page ou page entière. Les commissaires-priseurs nous ont donc retiré leur clientèle en janvier 1996. Ce qui a eu pour effet immédiat, non seulement une baisse de notre chiffre d'affaires commercial mais également une chute importante de nos ventes en kiosque et également de nos abonnements (...). La Gazette des Tribunaux emploie vingt personnes. En tant que chef d'entreprise, si je n'avais pas réagi à ces pertes, j'aurais été contrainte d'envisager des licenciements. Nous nous sommes donc tournés, après maintes tractations auprès des commissaires-priseurs, vers notre maison mère. C'est en juin 1996 que nous avons décidé de proposer à cette catégorie particulière d'annonceurs un couplage entre nos deux titres, étant entendu que les panels de lectorat du quotidien et de l'hebdomadaire sont complémentaires ".

37. Par courrier daté du 4 juin 1996, M. Jean-Michel G..., PDG de la société La Dépêche du Midi et responsable du groupe La Dépêche, a informé les commissaires-priseurs de la mise en place d'un couplage obligatoire entre les annonces publiées dans le quotidien La Dépêche du Midi et celles publiées dans l'hebdomadaire La Gazette des Tribunaux du Midi : " Monsieur, Le Groupe la Dépêche cherche en permanence à améliorer l'efficacité de ses produits à votre service. Dans ce cadre, nous avons décidé d'un couplage permanent entre La Dépêche du Midi et La Gazette des Tribunaux. En effet, ces deux supports leaders justifient d'une diffusion très performante et c'est donc un nombre de clients potentiels beaucoup plus important qui pourront désormais prendre connaissance de vos annonces. Vous voudrez bien trouver, en annexe, les nouveaux tarifs assortis d'une grille de tarifs dégressifs que nous voulons attractive, ainsi que les coordonnées des services commerciaux des deux supports ".

38. Les tarifs proposés étaient les suivants :

" TARIFS GENERAUX RUBRIQUE VENTE AUX ENCHERES COUPLAGE OBLIGATOIRE LA DÉPÊCHE DU MIDI - LA GAZETTE DES TRIBUNAUX DU MIDI

A/ Annonces à la ligne

1) du mardi au vendredi Dépêche + jeudi sur La Gazette 52 FHT la ligne + 9,60 F HT La Gazette

2) samedi et lundi Dépêche + jeudi sur La Gazette 83 F HT la ligne + 9,60 F HT La Gazette

B/ Annonces encadrées

1) du mardi au vendredi dépêche + jeudi sur La gazette 40,60 F HT

2) couplage lundi/samedi Dépêche + jeudi La Gazette 61,60 F HT "

39. Le 27 août 1996, Mme Claudy I..., de La Dépêche du Midi, adressait le courrier suivant à Madame le Batonnier : " Suite à notre conversation téléphonique de ce jour, nous vous confirmons que le couplage obligatoire " Dépêche du Midi - La Gazette des Tribunaux " ne concerne que les ventes aux enchères effectuées par les commissaires-priseurs ".

40. Par courrier du 12 septembre 1996, la direction commerciale de la société La Dépêche du Midi a précisé à Mes B..., C..., D..., les modalités pratiques du couplage (annexe 23) : " Vous voudrez bien noter que la date limite pour la parution de vos annonces dans les supports la Dépêche du Midi et La Gazette des Tribunaux est le : mardi après-midi avant 18 heures. Pour parution dans La Gazette du vendredi et le jour que vous souhaitez dans La Dépêche. Tout texte, nous parvenant après cette date et ne pouvant donc paraître dans La Gazette des Tribunaux, ne pourra passer dans La Dépêche du Midi ".

41. Par courrier du 18 octobre 1996, les huit commissaires-priseurs de Toulouse ont annoncé à la directrice de La Gazette qu'ils avaient confié le litige les opposant à La Gazette à un avocat.

42. Le 27 novembre 1996, les responsables de la société Les Editions de la Gazette et les commissaires-priseurs se sont réunis pour trouver un accord.

43. Enfin, par courrier daté du 2 décembre 1996, M. Jean-Michel G..., président directeur général de la société La Dépêche du Midi, a annoncé aux commissaires-priseurs, qu'à la suite de leur entretien avec la PDG de la Gazette des Tribunaux, l'obligation de couplage était supprimée.

44. Le montant global des prestations correspondant à des annonces " couplées " s'élève à 473 138 francs, se répartissant entre les recettes de La Dépêche du Midi pour 369 075 francs HT (72 %) et celles de La Gazette pour 104 063 francs HT (28 %).

45. Selon un tableau présenté par Mme G..., l'opération de couplage a permis à La Gazette des Tribunaux du Midi de contourner le mouvement de boycott des commissaires-priseurs et de publier à nouveau, dès le mois de juin-juillet, des annonces de ventes aux enchères.

46. Le 13 septembre 1996, Mme F..., PDG de la société L'Opinion Indépendante, a déclaré : " Je considère que les nouvelles mesures (couplage obligatoire) mises en œuvre par La Dépêche, quotidien largement en position dominante sur la Haute-Garonne, constitue une pratique anticoncurrentielle, dans la mesure où je reste persuadée que les commissairespriseurs ne souhaitent plus être publiés dans La Gazette des Tribunaux du Midi. Pour ce qui concerne L'Opinion Indépendante il existe un fort risque de perdre la clientèle des commissaires-priseurs. Cette perte, au-delà des recettes directes de publicité, aurait de lourdes conséquences sur le nombre des lecteurs ".

47. Pourtant, cette opération de couplage n'a pas été suivie d'une baisse des recettes du journal L'Opinion Indépendante. En effet, ce dernier a enregistré, en 1996, une progression de ses recettes en annonces de commissaires-priseurs qui sont passées de 91 900 francs HT à 121 900 francs HT, soit une progression de 33 %. Cette progression du chiffre d'affaires en annonces de commissaires-priseurs s'explique en partie par le boycott de La Gazette des Tribunaux du Midi en début d'année et par le fait que, malgré la pratique de couplage qui les a obligés à publier leurs annonces dans La Dépêche du Midi et dans La Gazette, les commissaires-priseurs ont continué à publier des annonces dans l'hebdomadaire L'Opinion Indépendante.

C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

48. Un grief d'entente anticoncurrentielle a été notifié aux commissaires-priseurs de Toulouse, Mes Y..., A..., B..., X..., D..., E..., Z... et C..., et à leurs études, la SCP Arnauné-Prim, la SCP Fouré-Labrot-Bignon, l'EURL Marc Labarbe et la SCP Chassaing-Rivet-Fournié, pour s'être concertés en décembre 1995 afin de suspendre leurs parutions publicitaires dans le journal La Gazette des Tribunaux du Midi et avoir appliqué ce boycott pendant les cinq premiers mois de l'année 1996, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

49. Un grief d'abus de position dominante a été notifié à la société société anonyme des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain, éditrice du quotidien La Dépêche du Midi, et à la société Les Editions de la Gazette, éditrice de l'hebdomadaire La Gazette des Tribunaux du Midi, appartenant toutes deux au groupe La Dépêche du Midi, pour avoir imposé aux commissaires-priseurs de Toulouse, entre le 4 juin 1996 et le 2 décembre 1996, un couplage obligatoire entre leurs deux titres pour publier leurs annonces de ventes aux enchères. En se comportant ainsi, la société anonyme des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain et la société les Editions de la Gazette ont abusé de la position dominante de La Dépêche du Midi sur le marché de la presse quotidienne régionale et ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

II. Discussion

A. Sur la procédure

1. Sur le champ de la saisine

50. Mes Y... et Z... et leur SCP font valoir que le Conseil n'a jamais été saisi par quiconque des faits qui sont reprochés aux commissaires-priseurs.

51. Il est de jurisprudence constante que le Conseil de la concurrence est saisi in rem de l'ensemble des faits et des pratiques affectant le fonctionnement d'un marché, sans être lié par les demandes et les qualifications des parties saisissantes. Il peut examiner, sans avoir à se saisir d'office, l'ensemble des conditions de fonctionnement du marché, révélées par les investigations auxquelles il a été procédé à la suite de la saisine, sans qu'il soit besoin que ces faits et qualifications aient été énoncés dans l'acte de saisine. Ainsi, dans un arrêt du 3 février 1995, la Cour d'appel de Paris a jugé : " Considérant que le Conseil a été saisi, le 30 novembre 1988, de pratiques susceptibles d'affecter la concurrence sur le marché de l'automobile ; qu'il pouvait donc, sans avoir à se saisir d'office, examiner, au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, toute pratique révélée par les investigations auxquelles il a été procédé à la suite de sa saisine, alors surtout que les sociétés plaignantes, dans la saisine initiale ou ultérieurement, en mai 1989, ont dénoncé les obstacles auxquels elles s'étaient heurtées, constitués notamment par les pressions qui auraient été exercées sur les organisateurs de salons de véhicules automobiles pour exclure la participation des importateurs non accrédités de marques japonaises ".

52. En l'espèce, la saisine concerne principalement le comportement du groupe La Dépêche du Midi, notamment le couplage obligatoire entre La Dépêche du Midi et La Gazette des Tribunaux du Midi. Toutefois, dans sa saisine, la société L'Opinion Indépendante précise : " Dans une lettre du 6 février 1996 adressée à chaque commissaire-priseur exerçant dans le ressort de la ville de Toulouse (...), Madame G... (...) écrivait ceci : " notre responsable commercial me fait parvenir la lettre par laquelle vous nous informez de votre décision commune de suspendre vos parutions publicitaires dans notre titre ". Un peu plus loin, la société L'Opinion Indépendante ajoute : " Il est à signaler qu'après que les commissaires-priseurs toulousains aient fait part à La Gazette des Tribunaux du Midi de leur intention de suspendre leurs parutions dans ce journal, La Dépêche du Midi a entamé une campagne de dénigrement sans précédent contre les professionnels de la vente aux enchères ". Ainsi, bien que la saisine vise principalement le groupe La Dépêche, elle évoque le comportement des commissaires-priseurs qui a été à l'origine de l'offre de couplage du groupe La Dépêche. En tout état de cause, dès lors que le boycott des commissaires-priseurs et le couplage du groupe La Dépêche du Midi concernent la même prestation de services, à savoir les annonces de commissaires-priseurs dans la presse régionale et départementale, et donc le même marché, que le couplage a été imposé en riposte à la décision des commissaires-priseurs, qu'ainsi, les deux pratiques sont directement liées et ont toutes deux eu pour objet et pour effet de fausser la concurrence sur le marché des hebdomadaires départementaux de la Haute-Garonne, le Conseil est compétent pour se prononcer sur le comportement des commissaires-priseurs.

2. Sur la prescription

53. Mes Y... et Z... et leur SCP soutiennent qu'à la date de la saisine, le 17 mars 2000, les pratiques qui sont reprochées aux commissaires-priseurs étaient prescrites.

54. L'article L. 462-7 du Code de commerce précise : " Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ". A plusieurs reprises, le Conseil de la concurrence et la Cour d'appel de Paris ont considéré que les procès-verbaux établis par les enquêteurs, qu'il s'agisse de procès-verbaux constatant les faits, de procès-verbaux de déclaration, de saisie de documents ou d'inventaire de documents communiqués, étaient des actes interruptifs de prescription. Par ailleurs, dans ses décisions n° 98-D-52 et n° 03-D-26, le Conseil a admis l'utilisation d'enquêtes effectuées antérieurement à la saisine, à l'initiative de la DGCCRF, à l'appui de la notification des griefs.

55. En l'espèce, la société La libération du Comminges et la société L'Opinion Indépendante ont porté plainte contre l'offre de couplage du groupe La Dépêche auprès de la DGCCRF les 26 juillet et 24 septembre 1996. A la suite de ces plaintes, les enquêteurs de la BIE de Bordeaux et de la direction départementale de Toulouse ont effectué une enquête sur les faits dénoncés ainsi que sur le comportement des commissaires-priseurs. Au cours de cette enquête, les enquêteurs ont établi plusieurs procès-verbaux entre le 23 juillet 1996 et le 26 juin 1997 (rapport d'enquête du 7 septembre 1997, annexe 11). Les déclarations reprises dans les procès-verbaux, notamment dans celui de Mes C... et D... (annexe 12) et dans celui de Me A... (annexe 13) portent sur la décision de boycott des commissaires-priseurs et sur la pratique de couplage imposée par le groupe La Dépêche. Les procès-verbaux des enquêteurs, qui sont des actes interruptifs de prescription, ont interrompu la prescription de telle sorte qu'à la date de saisine du Conseil de la concurrence, le 17 mars 2000, les faits relevés n'étaient pas prescrits.

3. Sur la durée anormalement longue de la procédure

56. Mes Y... et Z... et leur SCP font valoir qu'il s'est écoulé un délai de huit années entre les faits relevés et la notification des griefs. Ce délai particulièrement excessif violerait les dispositions de l'article 6 de la CEDH.

57. La Cour d'appel de Paris a jugé à plusieurs reprises que l'exigence d'un délai raisonnable doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de la procédure considérée, des délais de sept ou huit années entre la commission des faits et la notification des griefs ayant ainsi été jugés conformes à cette exigence (CA Paris 13 janvier 1998, BOCCRF 18 juin ; CA Paris, 1re chambre, 26 septembre 2000).

58. En l'espèce, il convient de relever qu'un délai de quatre ans et six mois s'est écoulé entre la saisine et la séance du Conseil.

59. En tout état de cause, si le moyen tiré d'une durée excessive de l'instruction peut être invoqué dans le cadre d'une action en responsabilité, et entraîner une réparation, il est inopérant s'agissant de la régularité même de la procédure.

4. Sur l'application des dispositions du Code de commerce aux commissaires-priseurs et à leur société civile professionnelle

60. Mes Y... et Z... et la SCP Arnauné-Prim soutiennent que les commissaires-priseurs ainsi que les sociétés civiles professionnelles qu'ils constituent ne sont pas des entreprises au sens de l'article L. 410-1 du Code de commerce et n'exercent pas les activités de production, de distribution et de services visées par ces textes. Ils précisent que ce sont des officiers ministériels nommés en qualité de titulaires d'un office par arrêté du Garde des Sceaux qui bénéficiaient, pendant la période des faits litigieux et jusqu'à la loi du 10 juillet 2000, du monopole des ventes de meubles aux enchères publiques. Ils ajoutent qu'à la date des faits, ils ne pouvaient pas exercer cette activité sous la forme d'une société commerciale, la loi n'autorisant que la constitution de sociétés civiles professionnelles.

61. L'article L. 410-1 du Code de commerce précise : " Les règles du présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ". L'activité des commissaires-priseurs, c'est-à-dire l'estimation et la vente de meubles aux enchères publiques, est une prestation de services. C'est bien une activité économique soumise aux dispositions du Code de commerce, quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui l'exerce.A plusieurs reprises, il a été considéré que des professions libérales ou des professions réglementées, qui peuvent exercer leur activité dans le cadre d'une société civile professionnelle, étaient soumises aux dispositions du livre IV du Code de commerce (par exemple, la décision n° 95-D-86 s'agissant des activités médicales ou la décision n° 99-D-15 s'agissant des géomètres-experts).

62. De même, le statut d'officier ministériel des commissaires-priseurs et le fait que leur activité ne pouvait être exercée que sous la forme de société civile professionnelle ne font pas obstacle à ce que les professionnels soient regardés comme exerçant une activité économique et comme constituant des entreprises, au sens du droit de la concurrence, soumises aux dispositions du livre IV du Code de commerce.

B. Sur le fond

1. Sur le grief d'entente

63. Il ressort des éléments reportés dans les paragraphes 27 à 35 que les huit commissaires-priseurs de Toulouse, Mes Y..., A..., B..., X..., D..., E..., Z... et C..., regroupés dans 4 études, la SCP Arnauné-Prim, la SCP Fouré-Labrot-Bignon, l'EURL Marc Labarbe et la SCP Chassaing-Rivet-Fournié, ont estimé que les tarifs d'annonces de La Gazette des Tribunaux du Midi étaient trop élevés. Ils se sont alors concertés, en décembre 1995, pour suspendre leurs publicités dans l'hebdomadaire La Gazette des Tribunaux du Midi tant que les tarifs n'étaient pas diminués et ont annoncé cette décision au responsable de la société Les Editions de la Gazette, dans leur lettre commune du 15 décembre 1995 :" les commissaires-priseurs de Toulouse (Hôtel des ventes des 3 journées et Hôtel des ventes Saint-Georges) ont décidé de concert de suspendre toute parution publicitaire dans votre journal tant que vos tarifs ne seront pas revus à la baisse et ceci dès janvier 1996 ". Cette décision de suspendre leurs annonces publicitaires dans l'hebdomadaire a été appliquée par l'ensemble des commissaires-priseurs de la ville de Toulouse, tous signataires, dès le mois de janvier 1996 et jusqu'à la fin du mois de mai 1996, soit durant 5 mois de l'année 1996.

64. Me Z... fait valoir qu'il n'a jamais été question pour lui, son associé ou leur SCP de pratiquer un quelconque boycott. Ils ont simplement constaté que l'Opinion Indépendante pratiquait des prix très inférieurs à ceux de La Dépêche du Midi et sa filiale La Gazette et ont demandé à La Gazette de diminuer son tarif.

65. Toutefois, la décision individuelle de chacun des commissaires-priseurs de ne plus faire paraître ses annonces dans un hebdomadaire dont il jugeait les tarifs trop élevés n'aurait pas eu le même objet, ni le même effet qu'une concertation visant à prendre collectivement cette décision et à s'assurer ainsi de la suspension de la totalité des annonces de commissaires-priseurs qui, elle, tombe sous le coup des dispositions de l'article L. 420-1 du commerce prohibant " les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions ", " notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ".

66. Pour la société Les Editions de La Gazette, ce boycott a entraîné une baisse significative des recettes résultant des annonces des commissaires-priseurs. En effet, le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs a été nul pendant plus de 4 mois et le chiffre d'affaires annuel pour les annonces des commissaires-priseurs est passé de 181 496 francs en 1995 à 109 690 francs en 1996. De plus, selon les responsables de la société La Gazette des Tribunaux du Midi, à la suite de la disparition des annonces de commissaires-priseurs, certains lecteurs n'auraient pas renouvelé leur abonnement, ce qui expliquerait la baisse de 6 % des recettes liées aux abonnements. Parallèlement, les recettes des annonces des commissaires-priseurs du journal L'Opinion Indépendante ont fortement augmenté en 1996, ces dernières étant passées de 91 900 francs en 1995 à 121 900 francs en 1996, soit une progression de 33 %.

67. Il ressort de ce qui précède que les pratiques relevées à l'encontre des commissaires-priseurs sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. Sur le grief d'abus de position dominante

a) Sur la définition des marchés pertinents

68. Les sociétés La Dépêche du Midi et Les Editions de la Gazette soutiennent que le titre de presse quotidienne régionale, La Dépêche du Midi, est en concurrence avec la presse quotidienne nationale.

69. Dans son avis du 6 juillet 1993 relatif à la prise de participation de Générale Occidentale dans le capital de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point, le Conseil de la concurrence a distingué la presse quotidienne nationale, la presse quotidienne régionale, la presse magazine, la presse spécialisée et la presse gratuite. En outre, une distinction a été opérée entre hebdomadaires d'actualité politique générale, hebdomadaires de télévision, journaux féminins, magazines économiques et financiers, publications spécialisées grand public et, enfin, publications spécialisées professionnelles. Pour chacun de ces supports, le Conseil de la concurrence a distingué trois marchés pertinents : le lectorat, la publicité et les petites annonces. Cette analyse a été admise par la Commission européenne dans une décision du 29 novembre 1995 relative à l'apport de la société CEP Communication des actions détenues par la société Générale Occidentale.

70. En l'espèce, La Dépêche du Midi est le seul quotidien régional distribué à Toulouse, en Haute-Garonne et dans plusieurs départements de la région Midi-Pyrénées. Pour les annonceurs qui souhaitent faire de la publicité sur la région de Toulouse, notamment les commissaires-priseurs de Toulouse, ce titre est incontournable et les titres de la presse quotidienne nationale ne leur sont donc pas substituables.

71. En outre, il existe dans le département de la Haute-Garonne un marché des hebdomadaires départementaux, sur lequel plusieurs titres sont concurrents, notamment la Gazette des Tribunaux du Midi, L'Opinion Indépendante, La Croix du Midi et La Libération du Comminges.

b) Sur la position dominante

72. Les sociétés La Dépêche du Midi et Les Editions de la Gazette font valoir que la notification des griefs ne démontre pas que le groupe La Dépêche détenait une position dominante au moment de la pratique reprochée, en 1996.

73. La notification de griefs précise que le quotidien La Dépêche du Midi est le seul titre de presse quotidienne régionale et départementale distribué dans six départements de la région Midi-pyrénées depuis plusieurs années : la Haute-Garonne (Toulouse), le Lot, le Tarn-et-Garonne, le Tarn, les Hautes-Pyrénées et l'Ariège. Cet état de fait, qui vaut pour l'année 1996, n'est pas contesté par les parties.

74. Dans les départements où le quotidien La Dépêche du Midi est le seul titre de presse quotidienne régionale et départementale distribué, la société La Dépêche du Midi est en situation de monopole, et donc en position dominante, sur les marchés du lectorat, de la publicité et des petites annonces dans la presse quotidienne régionale et départementale de ces départements. En revanche, La Gazette des Tribunaux du Midi n'est pas en position dominante sur le marché des hebdomadaires du département de la Haute-Garonne.

c) Sur la pratique du couplage

75. Il ressort des éléments relevés aux paragraphes 36 à 47, qu'entre le 4 juin 1996 et le 2 décembre 1996, le quotidien La Dépêche du Midi a lié, de façon obligatoire, l'achat par les commissaires-priseurs et eux seuls d'espaces publicitaires dans La Dépêche du Midi à l'achat d'espaces dans La Gazette des Tribunaux. Les tarifs proposés aux commissaires-priseurs pour cette période annonçaient, en effet, " couplage obligatoire La Dépêche du Midi - La Gazette des Tribunaux " et s'appliquaient aux prestations suivantes : " 1) du mardi au vendredi Dépêche + jeudi sur la Gazette ; 2) samedi et lundi Dépêche + jeudi sur la Gazette ", ne laissant ainsi pas la possibilité aux clients concernés de ne payer que la parution dans la Dépêche. Ce lien obligatoire n'a pu être imposé par la société éditrice du quotidien régional La Dépêche du Midi qu'en raison du caractère incontournable de ce quotidien pour la publication des publicités concernées et constitue donc un abus de la position dominante qu'occupe le quotidien La Dépêche du Midi sur le marché de la publicité dans la presse quotidienne régionale des départements de la Haute-garonne, du Lot, du Tarn-et-Garonne, du Tarn, des Hautes-Pyrénées et de l'Ariège, ayant pour objet et pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur le marché, complémentaire du point de vue des commissaires-priseurs, de la publicité dans les hebdomadaires départementaux.

76. La société La Dépêche du Midi et la société Les Editions de la Gazette font valoir que c'est uniquement en réaction au boycott de l'hebdomadaire La Gazette des Tribunaux du Midi par les commissaires-priseurs que la mesure de couplage obligatoire a été mise en œuvre par la société La Dépêche du Midi et que la pratique a été de courte durée, puisqu'elle n'a été mise en œuvre qu'entre le 4 juin et le 2 décembre 1996, et n'a eu aucun effet sensible sur le marché.

77. Cette argumentation ne saurait, cependant, prévaloir. Si La Gazette des Tribunaux du Midi s'estimait victime d'un boycott de la part des commissaires-priseurs, il lui appartenait de saisir de cette situation les autorités compétentes et d'utiliser, le cas échéant, les voies de droit à sa disposition et non pas de mettre en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

3. Sur l'imputabilité des pratiques

78. Le grief d'entente a été notifié aux commissaires-priseurs, personnes physiques, et aux personnes morales, sociétés civiles professionnelles et société à responsabilité limitée à associé unique, au sein desquelles ils exerçaient leur activité. Dès lors que l'activité des commissaires-priseurs est exercée au sein d'entités économiques dont la forme juridique est une société, société civile professionnelle ou EURL, les griefs doivent être imputés à ces sociétés. Les commissaires-priseurs, personnes physiques, doivent en conséquence être mis hors de cause.

79. Le grief d'abus de position dominante a été notifié à la société anonyme des journaux La Dépêche et le Petit Toulousain et à la société Les Editions de la Gazette. Ces deux sociétés soutiennent qu'aucun grief d'abus de position dominante ne peut être imputé à la société Les Editions de la Gazette, aucun des actes mis en œuvre lors de la pratique reprochée n'émanant de la société Les Editions de la Gazette.

80. Il ressort de la jurisprudence, tant communautaire que nationale, qu'à l'intérieur d'un groupe de sociétés, les pratiques, lorsqu'elles sont mises en œuvre par une société filiale, ne sont imputables à cette filiale, que pour autant qu'elle dispose d'une autonomie de décision par rapport à la société mère. Au cas contraire, les pratiques doivent être imputées à la maison mère. Ainsi, dans un arrêt du 21 février 1973 Europemballage Corporation, Continental Can, la CJCE a énoncé que "(...) la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ; que tel peut être le cas lorsque la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère (...)". Ces principes ont été appliqués par le Conseil dans plusieurs décisions (voir notamment les décisions 00-D-50 et 00-D-67).

81. Selon les déclarations de Mme G..., PDG de la société Les Editions de la Gazette (paragraphe 36), confirmées par les représentants du groupe La Dépêche du Midi dans leurs observations, Les Editions de la Gazette, à la suite de la désaffection des commissaires-priseurs, se sont tournées vers leur société mère afin de trouver une solution. Il convient de relever que la mise en place du couplage obligatoire nécessitait l'accord du quotidien La Dépêche du Midi et que la décision a d'ailleurs été annoncée aux commissaires-priseurs par le PDG de la société La Dépêche du Midi (cf. la lettre reproduite au § 37 ci-dessus). Il en résulte que la pratique n'a pas été mise en œuvre de façon autonome par la société La Gazette des Tribunaux et doit donc être imputée à sa maison mère, la société anonyme des journaux La Dépêche et le Petit Toulousain.

C. Sur les sanctions

82. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En conséquence et en vertu de la non-rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.

83. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490,17 euros ".

84. Aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, "le Conseil, lorsqu'il statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 peut prononcer les mesures prévues au I de l'article L. 464-2 (...)". Toutefois, en vertu des dispositions de l'article 22 alinéa 2 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, applicables à l'époque de la commission des faits, la sanction pécuniaire prononcée, dans le cadre de la procédure simplifiée, ne peut excéder 76 244,51 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.

1. Sur la gravité des pratiques et le dommage à l'économie

85. S'agissant de l'entente entre les commissaires-priseurs, les pratiques concertées visant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence sont graves en soi, même si, comme c'est le cas en l'espèce, le marché affecté par la pratique, et donc le dommage à l'économie, est d'un montant limité, les commissaires-priseurs n'investissant qu'environ 250 000 francs par an dans la publicité dans des hebdomadaires départementaux (cf. § 23 ci-dessus).

86. S'agissant du couplage, la pratique a eu pour effet d'augmenter les recettes de La Gazette des Tribunaux du Midi d'un montant de 104 063 francs HT. En revanche, cette opération de couplage n'a pas été suivie d'une baisse des recettes du journal L'Opinion Indépendante dans lequel les commissaires-priseurs ont continué à publier des annonces même après la parution des nouveaux tarifs couplés. En outre, les pratiques relevées ont été limitées à six mois et le quotidien La Dépêche du Midi y a mis fin lorsque le caractère anticoncurrentiel de la pratique lui a été dénoncé. De plus, le marché affecté, le même que pour la pratique de concertation entre les commissaires-priseurs, est limité à 250 000 francs par an.

2. Sur la situation des entreprises

87. La société SA des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain a réalisé en France, en 2003, un chiffre d'affaires de 120 268 240 euros HT. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 60 000 euros.

88. La SCP Paul Arnauné et Eric Prim commissaires-priseurs associés a réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires de 623 374 euros. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 2 000 euros.

89. La SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon commissaires-priseurs associés ont réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires de 37 903 euros. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 300 euros.

90. L'EURL Marc Labarbe a réalisé en France, en 2003, un chiffre d'affaires de 419 147 euros. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 1 300 euros.

91. La SCP Messieurs Hervé Chassaing Jacques Rivet et Rémi Fournié commissaires-priseurs associés ont réalisé, en 2003, un chiffre d'affaires de 158 068 euros HT. Compte tenu des éléments généraux et individuels, tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 600 euros.

Décision

Article 1er : Il est établi que La SCP Paul Arnauné et Eric Prim commissaires-priseurs associés, la SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon commissaires-priseurs associés, l'EURL Marc Labarbe et la SCP Messieurs Hervé Chassaing Jacques Rivet et Rémi Fournié commissaires-priseurs associés ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que la société SA des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain a enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

* à la société SA des journaux La Dépêche et Le Petit Toulousain une sanction de 60 000 euros ;

* à la SCP Paul Arnauné et Eric Prim commissaires-priseurs associés une sanction de 2 000 euros ;

* à la SCP Gérard Fouré-Labrot et Nicolas Bignon commissaires-priseurs associés une sanction de 300 euros ;

* à L'EURL Marc Labarbe une sanction de 1 300 euros ;

* à la SCP Messieurs Hervé Chassaing Jacques Rivet et Rémi Fournié commissaires-priseurs associés une sanction de 600 euros.