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Décisions

Conseil Conc., 25 novembre 2004, n° 04-D-60

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société G3S à l'encontre de pratique mises en œuvre sur le marché de la reprographie médicale par la société AGFA-Gevaert

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de M. Berkani, par M. Lasserre, président, Mmes Aubert, Perrot, vice-présidentes, M. Nasse, vice-président.

Conseil Conc. n° 04-D-60

25 novembre 2004

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 1er avril 2004, sous le numéro 04/0016 F, par laquelle la société G3S a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société AGFA GEVAERT ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par la société G3S et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et la société G3S entendus lors de la séance du 3 novembre 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. La saisine

1. La société G3S est une société anonyme, créée en 1997, pour gérer les activités de maintenance que la société G3i avait développées avec la société AGFA-Gevaert dans le secteur de la réparation et de la maintenance de matériels de reprographie d'imagerie médicale. Depuis 2000, la société exerce également une activité de maintenance dans le secteur de l'immobilier. Elle réalisait, en 2003, un peu plus de 80 % de son chiffre d'affaires total dans le secteur médical avec la société AGFA-Gevaert et un peu moins de 20 % dans le secteur de l'immobilier.

2. La société G3S reproche à la société AGFA-Gevaert d'avoir abusé de la position dominante qu'elle détiendrait sur le marché français des appareils de reprographie d'imagerie médicale en imposant aux entreprises, liées à elle par un contrat de maintenance de ces appareils, une clause d'exclusivité leur interdisant d'offrir les mêmes services à d'autres fabricants. La société AGFA-Gevaert aurait également abusé de cette position dominante en rompant ses relations commerciales avec la société G3S au seul motif que cette dernière refusait de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

3. La société G3S soutient, en outre, qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société AGFA-Gevaert et qu'en tentant de lui imposer des conditions commerciales injustifiées, en rompant abusivement le lien contractuel les unissant et en débauchant ses salariés, celle-ci a mis en œuvre des pratiques prohibées par les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

B. Les faits dénoncés.

4. Les machines commercialisées par AGFA-Gevaert effectuent des opérations de reproduction des clichés obtenus à partir d'appareils d'imagerie médicale (radiologie, IRM, échographies, etc.). AGFA-Gevaert commercialise également des appareils permettant d'identifier les clichés développés (insertion en surbrillance d'informations sur les clichés) et des appareils préparant la chimie nécessaire au développement.

1. L'évolution de l'organisation du réseau de maintenance d'AGFA-Gevaert.

5. La société AGFA-Gevaert a mis en place un réseau de sous-traitants chargés du service de maintenance vendu avec ses appareils. Ce service inclut à la fois une maintenance préventive (visites annuelles de vérification et contrôles obligatoires, dont les dates sont planifiées avec le client) et une maintenance curative (réparations ou changement de pièces défectueuses). Dans ce dernier cas, le client appelle une ligne d'assistance AGFA-Gevaert, qui contacte un technicien et lui demande d'intervenir. En 2003, le réseau se composait de huit entreprises employant de 2 à 20 techniciens, auxquelles s'ajoutaient quatre techniciens indépendants.

6. La société G3S figurait parmi ces huit sous-traitants et était chargée de la maintenance d'appareils contractuellement désignés et répartis sur l'ensemble du territoire français, exception faite de la région parisienne, pour laquelle un autre sous-traitant, ORTES, était exclusivement désigné. Elle disposait d'une équipe de techniciens locaux qui répondaient aux demandes transmises par AGFA-Gevaert et procédaient aux interventions préventives prévues avec les clients.

7. Fin 1998, la société AGFA-Gevaert a racheté un revendeur de films, Ondes et Rayons, qui a été chargé de gérer l'activité de maintenance. En 1999, un nouveau contrat a donc été signé entre G3S et Ondes et Rayons. Puis, en 2000, la société AGFA-Gevaert a créé une filiale, TECSA, chargée de reprendre l'activité de maintenance de sa division médicale. Un nouveau contrat a alors été conclu, le 9 novembre 2000, entre TECSA et G3S pour une durée de 14 mois. Il a été tacitement reconduit, pour une durée de douze mois, en 2002 et en 2003. Ce contrat, comme les contrats précédents, comportait notamment une clause d'exclusivité, ainsi rédigée : " Par la signature du présent contrat, la société G3S (...) pourra intervenir sur tous les matériels qui n'ont pas été ou ne sont pas diffusés par AGFA-Gevaert. Dans le cas où ces matériels seraient concurrents de ceux diffusés par AGFA-Gevaert, un accord préalable écrit de TECSA sera nécessaire ". La société G3S soutient qu'elle a interrogé, oralement, AGFA-Gevaert sur la possibilité de travailler avec d'autres fabricants et qu'un refus, également oral, lui aurait été opposé.

8. En 2002, AGFA-Gevaert a réorganisé l'activité de maintenance de ses appareils de reprographie médicale, dans le cadre d'un projet intitulé " MOZAIC ", annoncé fin 2002, négocié tout le long de l'année 2003 et dont la mise en œuvre effective a eu lieu en janvier 2004. Depuis cette date, AGFA-Gevaert assure elle-même la gestion des sous-traitants, la société Tecsa ayant perdu ce rôle au profit de celui de sous-traitant. La répartition des appareils entre les différents sous-traitants a, par ailleurs, été revue, le critère de proximité géographique étant privilégié. Enfin, le projet prévoyait que la rémunération des soustraitants serait recalculée sur une base totalement forfaitaire.

2. La négociation entre AGFA-Gevaert et G3S sur l'application du projet MOZAIC

9. Le projet MOZAIC a été présenté à la société G3S le 16 décembre 2002. Il impliquait le retrait de plusieurs régions d'intervention sur lesquelles G3S avait déployé des agences locales et recruté des techniciens. G3S soutient également que la mise en place d'un forfait unique ne permettait pas de prendre en compte les différences de qualité de prestations offertes par les sous-traitants, alors qu'elle-même avait investi pour obtenir une certification ISO 9001.

10. Le 5 mai et le 6 juin 2003, la société AGFA-Gevaert informe G3S que la maintenance d'un certain nombre de machines, auparavant confiée à G3S, serait directement assurée par un sous-traitant de G3S, la société Medical System. Par courriers du 29 août et 22 septembre 2003, AGFA-Gevaert annonce et confirme la résiliation de l'ancien contrat à compter du 1er janvier 2004, conformément au délai de préavis de 3 mois prévu à l'article 4 dudit contrat et propose un nouveau contrat. Le courrier du 22 septembre mentionne, par ailleurs, les préoccupations dont G3S lui a fait part, lors d'un entretien du 21 août, s'agissant de 11 techniciens que le nouveau contrat ne lui permettrait pas de garder. AGFA-Gevaert propose, à ce sujet, à la société G3S d'inciter ces techniciens, soit à prendre contact avec les nouveaux sous-traitants désignés pour les régions concernées, soit à prendre contact avec elle-même puisqu'elle envisage le recrutement d'un technicien. Dans un cas, la société AGFA-Gevaert constate que " sur cette région, vous avez jusqu'à présent sous-traité à la société Etur les prestations que nous vous avions confiées. Il nous semble que vous avez intérêt à mettre fin à cette sous-traitance et à confier le travail à votre propre salarié. ". G3S soutient avoir ensuite reçu, entre septembre et novembre 2003, la démission de cinq techniciens, puis, en décembre, la démission de cinq autres, tandis qu'un onzième était directement recruté par la société Tecsa.

11. Le 21 novembre 2003, la société AGFA-Gevaert a pris acte de la volonté de la société G3S de ne pas conclure le contrat dans les termes proposés. Depuis cette date, G3S n'a plus d'activité dans le secteur de la maintenance d'appareils d'impression d'images médicales.

II. Discussion

12. L'article L. 462-8, alinéa 2 du Code de commerce énonce que " Le Conseil de la concurrence peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

13. S'agissant de la clause figurant dans les contrats de maintenance conclus entre la société AGFA-Gevaert et ses sous-traitants, aux termes de laquelle les sous-traitants pourront intervenir sur des matériels concurrents de ceux diffusés par la société AGFA-Gevaert mais avec un accord préalable écrit de celle-ci, une telle clause, même imposée par une entreprise en position dominante, n'est susceptible de constituer un abus prohibé par l'article L. 420-2 du Code de commerce que dans l'hypothèse où elle aurait pour objet ou pourrait avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché. Il pourrait en être ainsi dans l'hypothèse où elle risquerait de verrouiller l'accès des fabricants concurrents d'AGFA-Gevaert aux services de maintenance et fausserait ainsi le jeu de la concurrence sur le marché pertinent sur lequel la société AGFA-Gevaert serait en position dominante. Le Conseil a sanctionné, dans une décision 97-D-86 du 3 décembre 1997, une société fabriquant des chronotachygraphes, qui avait formellement exclu la réparation d'appareils d'une marque concurrente par son réseau de réparateurs agréés, en considérant que cette interdiction était de nature à dissuader les transporteurs routiers de choisir les appareils des marques concurrentes.

14. En l'espèce, toutefois, la clause dénoncée n'exclut pas que les co-contractants d'AGFA-Gevaert offrent des services de maintenance à des fabricants concurrents mais prévoit l'accord préalable écrit du fabricant. Or, la saisine ne comporte pas d'élément de nature à indiquer que cet accord aurait été sollicité par des sous-traitants et qu'il aurait été refusé par la société AGFA-Gevaert, la seule affirmation de la société saisissante étant, de ce point de vue, insuffisante. De plus, la durée de validité des contrats est limitée à un an, avec possibilité de tacite reconduction. Les sous-traitants ont ainsi, à intervalles rapprochés, la possibilité de dénoncer le contrat sans pénalités. Il ne ressort donc pas des éléments du dossier que les fabricants concurrents d'AGFA-Gevaert seraient empêchés d'accéder aux services du réseau de maintenance d'AGFA-Gevaert. En tout état de cause, il n'est pas soutenu que l'accès à ce réseau constituerait un élément déterminant de la compétitivité des concurrents qui seraient les groupes Kodak et Fuji.

15. S'agissant de la rupture des relations commerciales entre la société AGFA-Gevaert et la société G3S, dont cette dernière soutient qu'elle serait abusive, il ressort des pièces du dossier que le contrat liant G3S à AGFA-Gevaert a été dénoncé dans le respect des règles contractuelles convenues entre les parties, notamment du délai de préavis de 3 mois prévu. La liberté de choix des demandeurs, dont le Conseil a rappelé à de nombreuses reprises qu'elle joue un rôle crucial dans l'économie de marché (cf. notamment la décision 02-D-65) et qu'elle justifiait qu'un fabricant soit " libre de modifier la structure de son réseau de distribution comme il l'entend sans que ses contractants bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation "(décision n° 02-D-56 du 17 décembre 2002), légitime, dans les mêmes conditions, l'organisation par un fabricant de son réseau de maintenance. Le seul fait que les propositions faites par AGFA-Gevaert à la société G3S impliquent pour cette dernière une baisse du volume d'activité dans un réseau, ne suffit pas à en établir le caractère injustifié, au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

16. Par ailleurs, les démissions de techniciens enregistrées par G3S et le recrutement éventuel de ces agents par d'autres sous-traitants ou par AGFA-Gevaert elle-même, feraient suite, au vu du courrier, en date du 22 septembre 2003, adressé par la société AGFA-Gevaert à G3S (cf. § 10 ci-dessus), à l'annonce faite par G3S elle-même qu'elle ne pourrait plus garder ces techniciens, en raison de la réorganisation prévue du réseau de maintenance. Dans ce courrier, AGFA-Gevaert suggère à G3S des solutions de reclassement de ces salariés. Aucun élément du dossier ne suggère qu'il s'agit de débauchages, mis en œuvre par la société AGFA-Gevaert afin d'empêcher le maintien de G3S dans le secteur d'activité de la maintenance des appareils de reprographie d'image médicale.

17. Il résulte de ce qui précède que les faits dénoncés ne sont pas susceptibles, au vu des éléments apportés par la saisine, d'être qualifiés d'abus prohibés par l'article L. 420-2 du Code de commerce. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la délimitation exacte des marchés pertinents, ou encore sur l'existence d'une éventuelle position dominante ou d'un état de dépendance économique, il y a lieu de faire application de l'article L. 462-8.

Décision

Article unique : La saisine de la société G3S est rejetée.