Conseil Conc., 9 novembre 2004, n° 04-D-52
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Saisine du cabinet d'ingénierie Dupouy concernant des pratiques mises en œuvre par le laboratoire des ponts et chaussées de Clermont-Ferrand, rattaché au Centre d'études techniques de Lyon et par la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Samson, par M. Lasserre, président, Mme Aubert, vice-présidente ainsi que M. Flichy, membre.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 5 octobre 1997, sous le numéro F 996, par laquelle le cabinet d'ingénierie Duplouy (LPC) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le laboratoire des ponts et chaussées de Clermont-Ferrand, rattaché au Centre d'études techniques de Lyon (CETE de Lyon) et la lettre du 29 janvier 1999 par laquelle le même cabinet d'ingénierie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne (DDE de Dordogne) ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 15 septembre 2004, le Cabinet Duplouy ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. La saisine
1. Le cabinet d'ingénierie Duplouy a saisi le Conseil de la concurrence, le 5 octobre 1997, de pratiques mises en œuvre par le laboratoire des Ponts et chaussées de Clermont-Ferrand rattaché au Centre d'études techniques (CETE) de Lyon à l'occasion de la réalisation d'un pôle administratif à Limoges, puis, le 29 janvier 1999, de pratiques mises en œuvre par la DDE de Dordogne à l'occasion de la réalisation par la commune de Génis d'un centre d'épuration par lagunage des eaux usées.
2. Le 30 juin 1999, le Conseil, considérant que les éléments recueillis étaient insuffisants pour traiter l'affaire au fond, a sursis à statuer sur la saisine du cabinet Duplouy et demandé qu'il soit procédé à un complément d'enquête.
3. Une enquête administrative a été demandée, le 20 janvier 2000, à la DGCCRF qui a remis son rapport le 4 juillet 2002.
B. Concernant le marché relatif à la construction d'un pole administratif à Limoges
4. En 1997, l'État décidait la réalisation d'un pôle d'administrations techniques à Limoges, le bâtiment à usage de bureaux de 10 000 m2 estimé à 49 MF HT devant regrouper cinq directions départementales et régionales de trois ministères (Environnement, Agriculture et Equipement).
5. Préalablement au choix du maître d'œuvre de l'opération, de 1997 à 1999, pas moins de onze études de sol ont été engagées par l'État compte tenu de l'évolution du programme à réaliser et des trois sites successivement envisagés. Huit des onze études ont été réalisées par des entreprises privées, les trois autres par le CETE de Lyon dont une par le laboratoire des Ponts et chaussées de Clermont-Ferrand qui est rattaché au CETE de Lyon.
6. Une seule des onze études a fait l'objet d'une mise en concurrence formelle, bien que non obligatoire, les autres résultant de simples lettres de commande.
7. C'est à la réalisation de cette étude que le cabinet Duplouy a été candidat et n'a pas été retenu. Il s'agissait des sondages géotechniques des sites de Horace-Vernet et de Raynaud, sites qui ne seront finalement pas retenus par le maître d'ouvrage.
8. Le cabinet Duplouy estime, en premier lieu, que le CETE de Lyon, qui a été retenu, est intervenu irrégulièrement sur le marché concurrentiel et qu'il est en droit de saisir le Conseil de la concurrence sur ce point.
9. Il soutient, en deuxième lieu, que s'il n'a pas été choisi, c'est en raison d'une entente entre le délégué du maître d'ouvrage, la Direction Départementale de l'Equipement de Haute-Vienne et le prestataire choisi. Selon le saisissant, dans cette affaire, le CETE de Lyon aurait abusé de sa situation privilégiée et lui aurait fait subir une concurrence déloyale par la pratique de prix abusivement bas, le service de l'État bénéficiant, pour fixer ses prix, d'avantages exorbitants comme la non facturation de la TVA et l'utilisation de moyens matériels et humains déjà financés par l'impôt.
C. Concernant le marché relatif à la réalisation du réseau d'épuration par lagunage des eaux usées par la commune de Génis
10. La commune de Génis a sollicité la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne, par délibération du conseil municipal en date du 17 février 1997, pour assurer la maîtrise d'œuvre d'une première tranche de travaux relative à la réalisation du réseau d'épuration des eaux usées par lagunage de la commune, d'un montant de 3 200 000 francs, s'inscrivant dans un programme départemental subventionné.
11. Dans un courrier du 8 août 1997, le préfet du département de la Dordogne a autorisé la Direction Départementale de l'Equipement à prêter son concours à la commune de Génis dans les conditions déterminées par la loi n° 48-1530 du 29 septembre 1948, par les arrêtés interministériels des 7 mars 1949 et 7 décembre 1979. La commune a organisé une procédure d'appels d'offres ouvert pour attribuer le marché de travaux.
12. Quatre entreprises ont déposé une offre :
* société Voisin = 321 796, 98 francs ;
* société Mazy = 334 242, 90 francs ;
* société Lauriere = 451 550, 52 francs ;
* société Bonnefond = 506 512, 76 francs.
13. C'est la société Mazy qui a été désignée titulaire du marché, le rapport comparant les offres l'ayant qualifiée de " mieux disant " au motif qu'elle répondait sans réserve aux exigences du cahier des charges, contrairement à la société Voisin, les deux autres entreprises étant nettement plus chères.
14. Le cabinet d'ingénierie Duplouy n'est intervenu dans l'opération qu'en 1998, pour assister l'entreprise Mazy face aux critiques du maître d'ouvrage et de son maître d'œuvre, la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne, relatives à l'exécution du marché, des fuites étant apparues lors des essais des lagunes.
15. Il critique la qualité des prestations du maître d'œuvre, la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne, et conteste la légalité de l'intervention de ce service public sur le marché concurrentiel.
II. Discussion
A. Concernant la réalisation du pôle administratif de Limoges
1. Sur la légalité de l'intervention du CETE de Lyon
16. Comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans un avis du 8 novembre 2000, société Jean-Louis Bernard consultants, aucun texte, ni aucun principe n'interdit, en raison de sa nature, à une personne publique de se porter candidate à l'attribution d'un marché public ou d'un contrat de délégation de service public, les diverses structures publiques ayant une activité industrielle ou commerciale devant acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature prévus pour les entreprises privées.
17. S'agissant des établissements publics administratifs (EPA), les règles, différentes de celles applicables aux entreprises privées auxquelles ils sont soumis en matière d'emploi de personnel et de droit du travail, n'ont ni pour objet ni nécessairement pour effet de les placer dans une situation plus avantageuse et ne sont donc pas de nature à fausser la concurrence, le prix proposé par un EPA devant prendre en compte l'ensemble des coûts directs et indirects et exclure tout avantage lié à la mission de service public pour que soient respecté l'égal accès aux marchés publics ainsi que le principe de liberté de la concurrence.
18. Toutefois, conformément à l'article L. 410-1 du Code de commerce, le Conseil de la concurrence est seulement compétent pour qualifier les pratiques des personnes publiques lorsqu'elles exercent une activité économique : la légalité de la décision, prise par un service de l'État, d'exercer ou non des activités commerciales relève de la seule appréciation de la juridiction administrative (décision du Conseil de la concurrence n° 00-DA-03 du 14 juin 2000).
19. Dès lors, le moyen tiré par le cabinet Duplouy de l'irrégularité de l'intervention du CETE de Lyon sur le marché concurrentiel ne relève pas de la compétence du Conseil de la concurrence.
2. Sur les prix abusivement bas et l'entente
20. Si le projet définitif, qui a fait l'objet du concours de maîtrise d'œuvre en novembre 1998, comprenait un parc de stationnement souterrain à réaliser pour le compte de la commune de Limoges, le projet initial qui a nécessité plusieurs études de sol, dont l'étude litigieuse, afin de choisir le terrain d'assiette, ne concernait que l'État, maître d'ouvrage qui avait décidé de réaliser pour son propre usage un immeuble de bureaux destiné à accueillir plusieurs de ses services départementaux et régionaux.
21. Compte tenu du montant des onze études préalables, en application de la réglementation en vigueur, l'État n'était tenu de procéder à aucune consultation.
22. Pour trois de ces études, l'État a fait appel à l'un de ses services déconcentrés, le CETE de Lyon, sans consultation préalable, et pour l'une d'entre elles, la plus importante, à l'issue d'une consultation restreinte.
23. Sur les trois propositions émanant des entreprises privées, une a été écartée parce qu'incomplète (société CEBTP), une autre (société SOLETCO), proche de celle du CETE de Lyon, bien que légèrement plus basse, n'a finalement pas été retenue pour des raisons de disponibilité du prestataire, la dernière (celle du cabinet Duplouy) a été jugée anormalement basse.
24. Bien que le CETE bénéficie de certains avantages liés à son caractère de service de l'Etat, comme l'absence d'assurance obligatoire ou d'assujettissement à l'impôt sur les sociétés, le montant de son offre n'avait pas un caractère anormalement bas, en particulier en comparaison de celle du cabinet Duplouy. Ainsi, à supposer même que la qualification de pratique de prix abusivement bas puisse s'appliquer à l'espèce, ce qui n'est pas établi dès lors que l'article L. 420-5 du Code de commerce vise uniquement " les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs ", le moyen tiré de ce que le CETE de Lyon aurait pratiqué ce prix abusivement bas ne peut qu'être écarté.
25. Aucun élément de l'enquête ne permet, par ailleurs, de présumer une quelconque volonté de l'État d'évincer le cabinet Duplouy du marché des études de sol du pôle administratif de Limoges. Dans le cas d'espèce, l'instruction n'a pas révélé de collusion entre la Direction Départementale de l'Equipement et le CETE de Lyon dont le devis a été discuté et modifié par deux fois. Elle n'a pas non plus établi d'entente entre le CETE de Lyon et les sociétés CEBTP et SOLETCO. Dès lors, le moyen tiré par M. Duplouy de l'existence d'une entente entre la Direction Départementale de l'Equipement de Haute-Vienne et le CETE de Lyon ne peut davantage être retenu.
B. Concernant la réalisation du réseau d'épuration des eaux usées de Génis
26. Les investigations réalisées ont montré que les différents problèmes soulevés lors de la réalisation des travaux, et donc à l'occasion de l'exécution d'un marché public de travaux, ne relèvent pas du droit de la concurrence et ont été utilement portés tant par la commune que par l'entreprise Mazy devant le Tribunal administratif de Bordeaux.
27. Le cabinet Duplouy, qui n'a pas été en concurrence avec les services déconcentrés du ministère de l'Equipement lors de sa désignation du maître d'œuvre en 1997 et n'est intervenu qu'en 1998 pour le compte de l'entreprise Mazy en qualité de conseiller technique, critique devant le Conseil de la concurrence la qualité des prestations du maître d'œuvre, la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne ainsi que la régularité de l'intervention d'un service public sur le marché concurrentiel : ces deux contestations ne relèvent pas de la compétence du Conseil mais de celle de la juridiction administrative.
C. Conclusion
28. En premier lieu, sur la légalité de la décision du préfet de Haute-Vienne de recourir aux prestations d'ingénierie du CETE pour la réalisation d'un pôle administratif à Limoges et de la décision du préfet de Dordogne d'autoriser la Direction Départementale de l'Equipement de Dordogne à assurer des prestations d'ingénierie au profit de la commune de Génis et sur l'exécution d'un marché public, le Conseil de la concurrence n'est pas compétent pour statuer. Il y a donc lieu de faire application de l'article L. 462-8 du Code de commerce et de déclarer la saisine irrecevable sur ce point.
29. En second lieu, tant pour le marché de la construction d'un pôle administratif à Limoges que pour le marché de la réalisation par la commune de Génis d'un réseau d'épuration des eaux usées par lagunage, aucun grief n'est susceptible d'être notifié à l'encontre du CETE de Lyon et des DDE de Haute-Vienne et de Dordogne. Il y a donc lieu de faire application de l'article L. 464-6 du Code de commerce et de prononcer un non lieu à poursuivre la procédure.
Décision
Article 1 : La saisine enregistrée sous le numéro F 996 est déclarée irrecevable, en tant qu'elle porte sur la légalité de la décision du préfet de Haute-Vienne de recourir aux services déconcentrés de l'État pour assurer à son profit des prestations d'ingénierie, pour la réalisation d'un pôle administratif à Limoges, et de la décision du préfet de Dordogne d'autoriser lesdits services à intervenir sur le marché concurrentiel au profit de la commune de Génis en Dordogne, pour la réalisation d'un réseau d'épuration des eaux usées.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure, en ce qui concerne le surplus de la saisine.