Cass. com., 16 novembre 2004, n° 02-19.674
COUR DE CASSATION
Décision
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Caisse Hypothécaire Anversoise (Sté), Axa Bank Belgium (Sté), Cabinet Luce (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot.
LA COUR : - Donne acte à M. X... de son désistement envers Mme X... et M. Y..., ès qualités ; Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 mai 2002), que par actes sous seing privés souscrits à Paris et à Anvers et réitérés en la forme authentique à Paris, le 1er juin 1989, la société de droit belge, Caisse Hypothécaire Anversoise (la Caisse ANHYP), aux droits de laquelle se trouve la Société Axa Bank Belgium, a consenti à M. et Mme X... et à diverses SCI que ceux-ci représentaient (les consorts X...), une ouverture de crédit garantie par les biens, situés en France, que ce concours allait permettre d'acquérir ; qu'un différend ayant opposé les consorts X... à l'établissement de crédit belge quant aux conditions de fonctionnement de ce crédit qu'ils estimaient ruineux, les intéressés signaient, le 2 octobre 1992, une "convention transactionnelle" aux termes de laquelle ils convenaient, selon diverses conditions qui étaient énumérées, de résilier le contrat et de fixer la dette des emprunteurs à une certaine somme ; que, toutefois, s'avisant ultérieurement qu'en raison du défaut d'agrément de la Caisse ANHYP pour effectuer en France des opérations de banque, la convention d'ouverture de crédit était susceptible d'être annulée, les consorts X... ont demandé judiciairement de déclarer la nullité des contrats qu'ils avaient souscrits en 1989 avec la Caisse ANHYP et avec la Société Cabinet Luce, qui avait servi d'intermédiaire, ainsi que celle de la transaction intervenue en exécution d'un titre nul, en condamnant la première à leur restituer les sommes perçues en remboursement du concours litigieux, et en fixant, pour la seconde, déclarée entre-temps en liquidation judiciaire avec M. Z... comme liquidateur, le montant de leur créance afférente à la commission versée à tort ; qu'infirmant le jugement qui avait accueilli ces prétentions, la cour d'appel, après avoir jugé inutile de surseoir à statuer jusqu'à l'issue des procédures pénales pendantes en Belgique, a dit que l'absence d'agrément invoquée étant une erreur de droit, elle n'était pas susceptible de remettre en cause l'autorité de chose jugée attachée à la transaction intervenue et que les demandes étaient irrecevables ;
Sur le premier moyen : - Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de sursis à statuer, alors, selon le moyen, qu'il avait fait valoir dans ses écritures que des poursuites pénales avaient été engagées par la justice belge à l'encontre des dirigeants de l'ANHYP, du notaire rédacteur exclusif des actes litigieux, et des responsables du Cabinet Luce, qui avaient été inculpés des chefs de faux et usage de faux, escroquerie et usure "pour avoir entre autres, établi ou fait établir des actes authentiques ayant un contenu différent des actes sous-seing privés" relatif aux contrats de prêt qu'ils étaient censés réitérer ; que la procédure pénale en cours était nécessairement de nature à exercer une influence sur l'instance pendante devant le juge civil, tendant à voir déclarer nulle la transaction passée en exécution de ces prêts, ou à obtenir le remboursement de la commission qu'il avait versée au Cabinet Luce, intervenu en qualité d'intermédiaire pour la souscription des prêts ; qu'en affirmant péremptoirement que cette information pénale était dépourvue d'influence sur l'instance en cours, sans préciser les circonstances d'où elle déduisait son affirmation, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu que la cour d'appel a souverainement constaté que M. X... s'était borné à faire état des très nombreuses plaintes avec constitution de partie civile déposées en Belgique par un certain nombre d'emprunteurs sans prétendre ni démontrer que l'information pénale alors pendante concernait le contrat que lui-même avait précisément souscrit ni établir, par suite, en quoi cette procédure pénale était susceptible d'influer sur l'issue de l'instance civile à laquelle il était partie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevables ses demandes tendant à faire déclarer nuls les contrats de prêt du 1er juin 1989 ainsi que la transaction intervenue le 20 octobre 1992 en exécution de ces titres nuls, alors, selon le moyen : 1°) que selon l'article 2054 du Code civil, l'action en rescision contre une transaction est recevable lorsqu'elle a été faite en exécution d'un titre nul, quelle que soit la cause de nullité ; qu'en l'espèce, il avait fait valoir qu'outre l'absence d'agrément de la banque, les prêts contractés étaient nuls pour indétermination du taux d'intérêt ; que la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce chef péremptoire des écritures de l'exposant, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 2°) qu'il avait également fait valoir que de nombreuses clauses des contrats de prêt litigieux étaient abusives et entraînaient un bouleversement de l'économie du contrat, frappant la totalité des contrats de prêt de nullité ; que la cour d'appel, qui s'est également abstenue de répondre à ce moyen péremptoire de ses écritures, a derechef entaché son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions et partant violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le principe du taux d'intérêt variable a été légalisé par l'article L. 312-8 du Code de la consommation et que, selon l'article L. 132-1 du même Code, les clauses abusives sont réputées non écrites, le contrat restant applicable dans ses autres dispositions autres que celles jugées abusives, s'il peut subsister sans lesdites clauses ; que M. X... n'ayant jamais soutenu qu'il n'aurait pas été informé de manière détaillée des variations du taux d'intérêt pratiqué en l'espèce par la Caisse ANHYP ni démontré que le contrat ne pouvait subsister sans les clauses qu'il estimait avoir été abusives et dont il indiquait seulement, sans autre précision, qu'elles viciaient l'économie des conventions, ce dont il résultait qu'aucune de ces circonstances n'était de nature à entraîner la nullité du titre ni donc celle de la transaction subséquente, la cour d'appel qui n'avait pas à répondre à des moyens inopérants, n'encourt pas, de ce chef, les griefs du moyen ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que M. X... fait encore grief à l'arrêt d'avoir infirmé le jugement qui avait fixé sa créance au passif de la Société Cabinet Luce, alors, selon le moyen, que tout jugement doit être motivé ; qu'en le déboutant de ses demandes tendant à la confirmation du jugement en ce qu'il avait fixé sa créance sur la Société cabinet Luce en liquidation à la somme principale de 257 362 francs, sans les motifs de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le grief ainsi formulé dénonce une omission de statuer qui ne peut donner lieu qu'à un recours devant la juridiction qui s'est prononcée et ne saurait ouvrir la voie de la cassation ; que le moyen est donc irrecevable ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 2053 du Code civil ; Attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient que l'absence d'agrément, prévu par l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984 et susceptible d'entacher la régularité des actes du 1er juin 1989 ne constituerait qu'une erreur de droit au sens de l'article 2052 du Code civil interdisant de remettre en cause la transaction, l'action en rescision visée par l'article 2054 du Code civil n'étant pas ouverte dans une telle hypothèse ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'un établissement de crédit au sens commun des législations belge et française devait, avant l'entrée en vigueur de la directive 89-646-CEE du Conseil du 15 décembre 1989 et par application des articles 10 et 15 de la loi du 24 janvier 1984, obtenir l'agrément imposé par les textes susvisés pour exercer en France son activité, fut-ce à titre occasionnel et sous forme de libres prestations de service, que les cocontractants privés sont recevables à poursuivre la nullité des conventions souscrites au mépris de l'interdiction faite ainsi à ces établissements et que la nullité des actes souscrits en 1989 entre M. X... et la Caisse ANHYP entraînerait la disparition des obligations du premier à l'égard de la seconde de sorte que, dans ce cas, l'intéressé ayant commis une erreur sur l'existence même de la créance invoquée, la transaction litigieuse, privée d'objet, serait nulle, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 mai 2002, entre les parties, par la Cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris.