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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 7 juin 1996, n° 95-258

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Fournil de Pierre (SA), Armoricaine et Parisienne de boulangerie (Sté)

Défendeur :

Drome et Associés (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Menard Scelle Millet, SCP Bernabe Ricard

Avocats :

Mes Phelip, Willer.

T. com. Créteil, 2e ch., du 27 sept. 199…

27 septembre 1994

Par contrat du 22 octobre 1986 la société Le Fournil de Pierre a conclu pour neuf ans avec la société Drome et Associés ci après appelée Drome qui exploite un commerce de boulangerie pâtisserie 5 rue de Fontenay à Vincennes, un contrat de franchise portant sur son enseigne "Le Fournil de Pierre" sur sa marque et sur les produits de sa fabrication.

A partir d'août 1991 la société Drome n'a plus payé de redevance contractuelle ; elle reprochait depuis longtemps au franchiseur la médiocre qualité des marchandises livrées et prétendait avoir constaté à partir de l'année 1991 des comportements du Fournil de Pierre qu'elle qualifie de concurrence déloyale.

Le franchiseur quant à lui a mis en demeure son franchisé par lettre à en tête de la société Armoricaine et parisienne de boulangerie SAPB du 20 avril 1993 de s'acquitter de ses redevances, sous menace d'une résiliation de la franchise assortie de la restitution de l'enseigne.

La société Drome s'est finalement résolue à faire assigner les 20 et 23 septembre 1993 la société SAPB et la société Le Fournil de Pierre en résiliation de la franchise à compter du mois d'août 1991 et dommages-intérêts. Les intimés ont reconventionnellement demandé en paiement des redevances, une pénalité contractuelle, des dommages-intérêts et la dépose de l'enseigne.

Par jugement du 27 septembre 1994 le Tribunal de commerce de Créteil

- a refusé de mettre hors de cause la société SAPB,

- a prononcé la résiliation du contrat de franchise à effet du 16 juin 1991 aux torts de la société Le Fournil de Pierre

- a ordonné à la société Drome la dépose et la restitution de l'enseigne aux frais de la société Le Fournil de Pierre dans le mois de la signification du jugement sous astreinte quotidienne de 1 000 F pendant un mois,

- a relevé la société Drome de l'interdiction contractuelle d'exploiter directement ou indirectement un commerce de boulangerie pâtisserie sous quelque forme que ce soit,

- a condamné solidairement les sociétés Le Fournil de Pierre et la SAPB à payer 300 000 F de dommages-intérêts et 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à la société Drome.

Les sociétés Le Fournil de Pierre et SAPB ont relevé appel de cette décision assortie de l'exécution provisoire. Elles ne contestent plus le maintien dans la cause de la société SAPB et présentent collectivement leur défense et leurs demandes : elles admettent par là même implicitement qu'elles étaient associées en tant que franchiseur; en revanche elles prétendent que l'exclusivité de la franchise concédée à la société Drome ne portait que sur l'enseigne et que les livraisons incriminées de ses produits à de grandes surfaces constituait d'autant moins une atteinte à cette exclusivité que c'est un de leurs fournisseurs, le Fournil de Saint-Denis, sans lien contractuel avec la société Drome qui a procédé à ces livraisons, la dernière au magasin Auchan en 1994 à l'époque où le contrat était rompu depuis longtemps;

Les appelantes déplorent que la résiliation du contrat ait été prononcée à leurs torts par le tribunal en raison de deux incidents de 1991 concernant un pain et une pâtisserie gui pourraient même provenir d'autres fournisseurs auxquels la société Drome s'était adressée en infraction à ses obligations contractuelles. Elles prétendent que la baisse du chiffre d'affaires de leur franchisé est sans rapport avec une diminution quelconque de la qualité de leurs produits qu'elles nient et expliquent par un désintérêt manifeste de Monsieur Drome pour son commerce dès 1987. Elles refusent de devoir indemniser la perte d'un fonds de commerce qui conserve sa valeur puisqu'il a été confié à un locataire le 20 mars 1995 moyennant une redevance annuelle de 120 000 F.

Les sociétés Fournil de Pierre et SAPB demandent en conséquence que le jugement déféré soit infirmé, que la résiliation soit fixée au 20 mai 1993 et prononcée aux torts de la société Drome, que cette société soit condamnée à leur payer la somme de 71 000 F au titre des redevances auxquelles elle n'ont jamais renoncé, 250 000 F de dommages-intérêts en application de la clause pénale contractuelle pour n'avoir déposé qu'une partie de l'enseigne comme en fait foi un constat d'huissier dressé les 6 et 7 juillet 1995, 50 000 F de dommages-intérêts supplémentaires, 30 000 F en liquidation d'astreinte et 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

La société Drome et Associés conclut au contraire au débouté des appelants de toutes leurs demandes et forme appel incident afin de voir porter à 900 000 F les dommages-intérêts que le tribunal lui a alloués, augmentés d'un intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 23 septembre 1993. Elle demande enfin 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'intimée prétend qu'en réponse à sa lettre recommandée du 13 juin 1989 par laquelle elle se plaignait d'une baisse sensible de la qualité des marchandises livrées la société Fournil de Pierre a accepté en août 1991 au terme de longues discussions de supprimer la redevance contractuelle de 3,5 % du chiffre d'affaires, créant ainsi novation du contrat. Elle ajoute que fin 1992 et début 1993 elle a constaté la violation par le franchiseur de l'exclusivité territoriale, des pratiques discriminatoires de sa part et une nouvelle et grave détérioration de la qualité des marchandises.

Motifs de la cour

Sur l'exécution du contrat de franchise

Considérant que le préambule du contrat expose que "le franchiseur a acquis une excellente réputation dans l'exploitation de magasins offrant en vente à leur clientèle des produits de boulangerie, viennoiserie, pâtisserie, gourmandises salées, originaux par rapport à ceux qui sont offerts dans les boulangeries, pâtisseries traditionnelles. En effet, ces produits sont fabriqués à partir de matières premières naturelles, selon des recettes et des techniques artisanales et offrent ainsi un aspect ménager";

Que l'article 17 de ce même contrat stipule que " le franchisé reconnaît qu'il est une condition essentielle du présent contrat sans laquelle il n'aurait pas été conclu que la qualité et la présentation des produits offerts et vendus à la clientèle du magasin Le Fournil de Pierre soient conformes aux standards d'exploitation et normes établies par le franchiseur mentionnées à l'article 9 du présent contrat, et à l'annexe dépendant de cet article. Le franchiseur peut être amené à modifier ou à améliorer ses fabrications sans jamais baisser la qualité et sans prévenir le franchisé";

Considérant que par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juin 1989 la société Drome se plaignait auprès de la société Le Fournil de Pierre d'une baisse sensible de la qualité des marchandises livrées qu'elle illustrait de manière précise par une description de défauts de flûte au levain et de baguettes pointues, qualifiées de " produits d'accroche du public", ainsi que de pains longs et triangles;

Qu'aucune réponse écrite du franchiseur n'a été communiquée au tribunal et à la cour; que l'arrêt du paiement des redevances par la société Drome à partir d'août 1991 n'a suscité aucune protestation de la société Le Fournil de Pierre jusqu'à sa première sommation du 20 avril 1993, suivie d'une lettre recommandée de Xavier Drome du 26 avril qui retraçait l'historique des difficultés rencontrées concernant notamment la qualité des pains et des pâtisseries et qui n'a fait l'objet d'aucun démenti de la part du franchiseur; que la dégradation de cette qualité est également attestée par une cliente du magasin Noëlle Dubois;

Que divers journaux signalent que Pierre Desnos, créateur du Fournil en 1980, a vendu en 1990 sa chaîne de production et de vente au groupe le DUFF qui a fait choix de matériels de "qualité ultra moderne" et a adapté des méthodes de fabrication difficilement compatibles avec les techniques artisanales et les produits naturels qui avaient assuré à la chaîne du " Fournil " sa spécificité et son prestige ;

Que le concept même du produit "Le Fournil de Pierre "auquel la convention de franchise donnait valeur contractuelle, avait évolué fâcheusement sinon même disparu;

Que la société Drome en donne pour preuve, la renonciation du franchiseur à réclamer des redevances à partir d'août 1991, alors que le franchisé devait s'en acquitter régulièrement auparavant, ainsi que des incidents qui se situent certes en mai et en octobre 1993 à une époque où le conflit entre les co-contractants était larvé ou même ouvert, mais qui n'en sont pas moins symptomatiques de graves négligences techniques du fabricant le 10 mai 1993 la livraison de tartelettes aux fraises avariées, le 2 octobre 1993 la découverte attestée par plusieurs témoins d'une lame de rasoir dans un pain complet, le 13 janvier 1994 la découverte d'un morceau de bois dans un pain au sésame que l'avocat de la société Drome a présenté au tribunal, puis à la cour.

Considérant qu'à cette baisse de la qualité des produits que des satisfecit d'autres franchisés ne sauraient suffire à écarter, s'est ajoutée la violation par la société Fournil de Pierre de l'obligation d'exclusivité territoriale dont bénéficiait le franchisé;

Que l'article 4 du contrat dispose que "le franchiseur s'oblige à ne pas accorder une autre franchise commerciale sous l'enseigne "Le Fournil de Pierre" dans les limites territoriales ci-après: Vincennes, Nogent-sur-Marne, Saint-Mandé, Montreuil, Le Perreux et Fontenay-sous-Bois";

Qu'en juin 1991, en 1993 et 1994 des constats dressés à la requête du franchisé établissent que deux grands magasins situés dans ces limites territoriales, Auchan et Prisunic, ont été livrés en produits identiques à ceux livrés normalement aux franchisés; que la société Le Fournil de Pierre reprend l'argument justement écarté par le tribunal selon lequel les livraisons incriminées ne pourraient constituer une faute contractuelle puisqu'elles émanaient d'une société indépendante, le Fournil de Saint-Denis, qui n'a aucune obligation à l'égard de la société Drome;

Qu'il suffit de rappeler que le Fournil de Saint-Denis est un des principaux fournisseurs de la société Le Fournil de Pierre et que ces deux sociétés ont des dirigeants communs. Monsieur Rolland étant le président directeur général de la seconde société et le vice-président de la société SAPB qu'il représente au conseil d'administration de la première société; que le Fournil de Saint-Denis a même parfois utilisé pour ses livraisons des camions sur lesquels sont inscrits la mention "Le Fournil de Pierre" et son numéro de téléphoner qu'enfin et surtout les deux grandes surfaces servent les produits litigieux dans des emballages fournis par le franchiseur lui-même,portant le logo et la mention "Le Fournil de Pierre, la Boulangerie retrouvée";

Que ces pratiques concurrentielles s'inscrivent dans le contexte d'une modification de la politique de distribution du Fournil de Pierre qui a progressivement réduit le nombre de ses franchisés, au point de n'en laisser que quatre dans l'agglomération parisienne, pour diffuser ses productions à l'aide de boutiques lui appartenant et de réseaux dits de grandes surfaces;

Considérant que les appelantes soutiennent à nouveau devant la cour que l'exclusivité portait uniquement sur l'utilisation de l'enseigne et que les magasins Auchan et Prisunic n'ont jamais été autorisés à utiliser celle-ci et n'en ont effectivement pas fait usage; Que l'article 2-e du contrat donne cependant pour définition au mot "Le Fournil de Pierre" "une enseigne connue et se rattachant à diverses marques de commerce et de services" qu'il s'en suit que ces marques et services entrent dans le champ d'application de l'exclusivité territoriale concédée;

Considérant enfin qu'à ces deux griefs du franchisé s'ajoute celui de pratiques discriminatoires portant atteinte à l'exclusivité concédée;

Que le franchiseur n'a en effet jamais démenti les reproches faits par son franchisé dans sa lettre recommandée du 26 avril 1993 de livrer les grandes surfaces en baguettes vers 15 heures, tout en refusant cet horaire de livraison à son franchisé et de pratiquer des prix plus attractifs pour ces grandes surfaces que pour lui;

Considérant que ces trois griefs établis suffisent largement à confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Le Fournil de Pierre, dont le seul reproche fait à la société Drome d'avoir cessé de payer les redevances convenus n'est pas fondé puisque le franchiseur l'en avait dispensée; que le second reproche fait par le franchiseur au franchisé de s'être approvisionné auprès de fournisseurs non agréés n'est pas repris en appel;

Considérant que le tribunal a choisi pour date de la résiliation du contrat de franchise la première entorse à l'obligation d'exclusivité de la société Le Fournil de Pierre située le 16 juin 1991, date d'une facture de vente de 100 pains "Fournil de Pierre" au magasin Auchan de Fontenay;

Que cette faute contractuelle n'a été découverte cependant que postérieurement; qu'il paraît plus conforme à la volonté des parties de fixer la rupture du contrat au 20 mai 1993 c'est-à-dire un mois après une mise en demeure de la société Le Fournil de Pierre adressée au franchisé de payer les redevances sous menace de résiliation ;

Sur les conséquences de la résiliation

Considérant que le franchisé devait déposer l'enseigne aux frais de la société Le Fournil de Pierre dans le mois du jugement sous astreinte quotidienne de 1 000 F, ceci conformément à l'article 28 du contrat;

Que le franchiseur lui reproche d'avoir continué à utiliser l'enseigne ainsi que des supports portant la marque; qu'il résulte en effet d'un constat dressé par Maître Le Naw le 6 et 7 juillet 1995 que la société Drome s'est contentée de déposer un seul mot de l'enseigne; que l'huissier a ainsi constaté :

"Au dessus de la vitrine en façade apparaît l'enseigne "Le Fournil de"; le mot "Pierre" a disparu mais sa trace apparaît encore";

Que les nombreuses photographies jointes au constat ne confirment aucunement qu'après "Le Fournil de" quiconque puisse lire les traces du mot " Pierre " ; que par ailleurs aucune des mentions des vitrines ne rappelait l'enseigne supprimée; qu'enfin le franchiseur à qui incombaient les frais de la dépose, ne prouve pas avoir invité son ancien franchisé à parfaire cette dépose en lui précisant le prix qu'il entendait y consacrer;

Que la demande de liquidation de l'astreinte et de dommages-intérêts des appelants doit être rejetée;

Considérant que la société Drome avait prétendu en première instance que la désaffection de la clientèle, la baisse considérable du chiffre d'affaires et la configuration des locaux qui ne permettait qu'un dépôt de pain et non l'exploitation d'une boulangerie traditionnelle avaient rendu impossible toute reconversion du fonds, et que le préjudice résultant de la rupture était égal à se valeur en 1989 estimée par monsieur Breter, expert près la Cour d'appel de Paris, à 1 011 055 F; que Xavier Drome justifiait en outre avoir investi dans les agencements et le matériel du magasin en septembre/octobre 1986 une somme totale de 423 250 F; que devant la cour l'intimée réduit sa demande de dommages-intérêts à 900 000 F;

Qu'il n'est pas établi cependant que la baisse constante du chiffre d'affaires de la société Drome, passé de 1 806 000 F en 1987 à 1 068 516 F au 31 décembre 1993 et à 792 814 F au 31 décembre 1994 soit attribuable uniquement à la dégradation des produits vendus et à la concurrence déloyale des magasins à grande surface du secteur ;

Qu'il s'avère en outre que le fonds a pu être donné en location-gérance du 1er avril 1995 au 31 août 1995 moyennant une redevance annuelle de 120 000 F et le remboursement de loyer immobilier et que le 7 août 1995 une promesse de cession du fonds a été signée au prix de......... 425 000 F qui ont été versés et séquestrés; que le détournement de ces fonds par le rédacteur séquestre dénoncé au Parquet en janvier 1996 est sans rapport avec le comportement fautif des sociétés appelantes dans l'exécution du contrat de franchise;

Que la cour trouve dans les pièces produites des éléments suffisants pour allouer à la société Drome la somme de 460 000 F à titre de dommages-intérêts;

Considérant qu'il serait inéquitable que l'intimée conserve la charge de ses frais irrépétibles de défense; qu'elle recevra 20 000 F en sus de l'indemnité de 10 000 F accordée par le tribunal au même titre;

Par ces motifs, Confirme le jugement du 27 septembre 1994 sauf en ce qu'il a fixé au 16 juin 1991 les effets de la résiliation du contrat de franchise et à 300 000 F le préjudice de la société Drome et associés indemnisable par la société Le Fournil de Pierre et par la société SAPB; L'émendant sur ces deux seuls points, Dit que la résiliation est prononcée à compter du 20 mai 1993 ; Condamne solidairement la société Le Fournil de Pierre et la société Armoricaine et Parisienne de Boulangerie à payer à la société Drome une somme de 460 000 F en réparation de son préjudice; Déboute la société Le Fournil de Pierre de sa demande de liquidation d'astreinte ; Condamne solidairement les sociétés Le Fournil de Pierre et Armoricaine et Parisienne de Boulangerie à payer à la société Drome une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Les condamne aux dépens; Admet la société civile professionnelle Bernabe Ricard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.