Cass. crim., 19 octobre 2004, n° 04-81.134
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Castagnède
Avocat général :
M. Davenas
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Choucroy-Gadiou-Chevallier.
LA COUR : - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - I Sur le pourvoi formé par Michel S : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit; - II Sur le pourvoi formé par Lucien C : - Vu les mémoires produits, en demande et en défense; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 du Code pénal, 6-5 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, de l'arrêté du 10 septembre 1996 en ses diverses dispositions, des articles L. 213-1, L. 2 13-2, L. 2 13-3 et suivants du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré Lucien C coupable du délit de tromperie reproché;
"aux motifs qu'en vendant aux consommateurs clients des magasins "Rosbif exploités par la société X sur lesquels il avait autorité des pièces de viande issues de carcasses d'ovins âgés de plus de 12 mois dont la moelle épinière avait été retirée dans des conditions illicites et non conformes aux prescriptions de l'arrêté du 10 septembre 1996, tout en omettant de renseigner ces clients sur les particularités des viandes vendues, Lucien C a trompé lesdits consommateurs, notamment sur les risques inhérents à l'utilisation de ces viandes ou sur les contrôles effectués, de même, en cédant à la société "Sana Industries", par l'intermédiaire des magasins "Rosbif" sur lesquels il avait autorité, des déchets animaux ordinaires, auxquels avaient été mélangées des moelles épinières retirées de carcasses d'ovins âgés de plus de 12 mois classées comme déchets à haut risque devant faire l'objet d'une incinération, sans informer son co-contractant de la nature véritable de ces déchets, Lucien C a trompé cette société sur les risques inhérents à l'utilisation de ces produits ou sur les précautions à prendre; Lucien C ne peut se retrancher derrière sa bonne foi, car, professionnel de la vente de viande au consommateur, il lui appartenait de veiller au respect d'une réglementation qu'il ne pouvait ignorer; en ne procédant pas aux contrôles nécessaires et en ne s'attachant pas au respect d'une réglementation professionnelle qu'il ne pouvait méconnaître, Lucien C a nécessairement agi de mauvaise foi; la cour retient encore que les produits concernés par les tromperies commises tant par Michel S que par Lucien C doivent être considérés comme étant susceptibles de présenter un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, la circonstance aggravante qui en résulte et qui a été visée dans les poursuites pouvant en conséquence être retenue à bon droit;
"alors, d'une part, que toute infraction doit être définie en termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui; qu'en l'espèce l'arrêté ministériel du 10 septembre 1996 susvisé se bornant à suspendre la mise sur le marché ou la cession à titre gratuit de l'encéphale, de la moelle épinière et des yeux des animaux des espèces ovine ou caprine âgées de plus de douze mois ainsi que la fabrication, la mise sur le marché de tout produit, destiné à l'alimentation humaine ou animale, incorporant l'un ou l'autre de ces tissus en l'état ou après transformation, et à prévoir le traitement des produits visés à l'article précédent, ainsi que des dérogations aux dispositions dudit article I pour les carcasses des ovins ou des caprins de plus de douze mois, non fendues, desquelles n'a pas été retirée la moelle épinière, sous réserve d'être à destination directe d'un atelier de découpe ou de transformation de viande de boucherie agréé où ces tissus seraient retirés en vue du traitement prévu à l'article 2, ne saurait, en raison de son imprécision, servir de fondement à une poursuite contre celui qui, précisément, n'a pas mis sur le marché de tels abats ; qu'ainsi, en condamnant Lucien C pour tromperie à l'égard des consommateurs clients des magasins "Rosbif" et de la société Sana Industries, pour ne s'être pas conformé aux prescriptions de l'arrêté du 10 septembre 1996 qui n'édictait pourtant aucune obligation spécifique le concernant, la cour d'appel n'a pu justifier sa décision;
"alors, par ailleurs, que, l'arrêté du 10 septembre 1996 n 'interdisant que la mise sur le marché de l'encéphale, de la moelle épinière et des yeux des animaux des espèces ovine et caprine et prévoyant, par ailleurs, le traitement et l'incinération desdits déchets, il ne pouvait être reproché à Lucien C d'avoir vendu des viandes provenant de carcasses d'ovins âgés de plus de douze mois, dont la moelle épinière et les tissus à risque ont été retirés, d'autant que la société X disposait de l'agrément pour procéder à la découpe et à la transformation de la viande de boucherie; qu'en effet rien ne permet de dire que la viande, réputée comestible et non toxique, puisse présenter un quelconque risque pour les consommateurs du seul fait que la X ait acheté les carcasses non fendues et que la moelle épinière ait été retirée sans avoir été nécessairement incinérée; que, en ne s'expliquant pas sur ce point, l'arrêt attaqué a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne constate pas en quoi Lucien C, qui n'était soumis à aucune réglementation précise en ce qui concerne la vente de pièces de viande issues de carcasses d'ovins dont il avait au préalable retiré la moelle épinière, seules la mise sur le marché ou la cession de cet abat étant prohibées, et qui n'était pas davantage tenu d'informer de la nature des déchets la société spécialisée dans la récupération et le traitement desdits déchets, a pu tromper ses co-contractants par quelque moyen ou procédé que ce soit, notamment par la méconnaissance de disposition réglementaire s'imposant à lui, et n'a donc pas justifié sa décision sur l'élément matériel du délit de tromperie;
"alors, enfin, que Lucien C indiquait avoir ignoré les dispositions de l'arrêté du 10 septembre 1996, lesquelles n'étaient susceptibles de s'imposer, le cas échéant, qu'au seul fournisseur de X à Rungis, qui n'aurait pas dû mettre sur le marché des carcasses d'ovins non démédullées mais les diriger éventuellement vers un établissement de découpe agréé, ainsi qu'à la société traitant les déchets de viande, non au simple intermédiaire qu'il était; qu'il n 'était donc pas tenu de se livrer à ces vérifications qui ne s 'imposaient pas à lui, ni de fournir des renseignements qu'il ne connaissait pas; qu'en cet état la cour d'appel n'a pu justifier de l'élément intentionnel du délit reproché";
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3 du Code pénal, 6-3 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, de l'arrêté du 10 septembre 1996, des articles L. 213-1, L. 213-2, L. 213-3 et suivants du Code de la consommation, de l'article 1382 du Code civil, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Lucien C solidairement responsable des préjudices causés à l'Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir et à l'Association professionnelle Interbev et a accordé des dommages-intérêts à ces parties civiles;
"aux motifs qu'à l'égard des contraventions, la cour reste compétente pour statuer sur les intérêts civils, la juridiction de jugement ayant été saisie de l'action publique avant la publication de la loi d'amnistie; les contraventions visées dans le titre de la poursuite tant à l'encontre de Lucien C qu'à l'encontre de Jean-Pierre Gabo rit et de Patnîck Gonot constituent incontestablement des transgressions portées en connaissance de cause par les intéressés à l'arrêté du 10 septembre 1996 caractérisant ainsi les infractions ayant porté préjudice tant à l'intérêt collectif des consommations défendu par l'UFC Que Choisir qu'à l'intérêt collectif des professionnels de la viande que l'association Interbev est fondée à défendre; que Lucien C a incontestablement fait ou laissé enlever au sein des magasins "Rosbif" exploités par la société X et sur lesquels il avait autorité les moelles épinières sans recourir à un établissement agréé et omis d'assurer leur destruction dans les conditions requises en ne les orientant pas vers la filière de déchets dits "à haut risque";
"alors qu'en raison de son imprécision, l'arrêté du 10 septembre 1996 ne pouvait servir de fondement aux poursuites, ni par voie de conséquence à des condamnations civiles pour transgression de ce texte ayant porté préjudice à l'intérêt collectif des associations UFC Que Choisir et Interbev; qu'en estimant le contraire l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés";
Les moyens étant réunis; - Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments les délits de tromperie dont elle a déclaré le prévenu coupable et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, des indemnités propres à réparer le préjudice en découlant; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, circonstances de la cause, ainsi que des éléments contradictoirement débattus, ne sauraient être admis;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;
Rejette les pourvois.