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Décisions

CJCE, 31 janvier 1991, n° C-18/90

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Office national de l'emploi

Défendeur :

Kziber

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco, Sir Slynn

Avocat général :

M. Van Gerven

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Kapteyn

Avocat :

Me Derwael

CJCE n° C-18/90

31 janvier 1991

LA COUR,

1 Par arrêt du 16 janvier 1990, parvenu à la Cour le 22 janvier suivant, la Cour du travail de Liège (Belgique) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'accord de coopération entre la Communauté économique européenne et le royaume du Maroc, signé à Rabat le 27 avril 1976, conclu au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2211-78 du Conseil, du 26 septembre 1978 (JO L 264, p. 1, ci-après "accord ").

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Mme Bahia Kziber, ressortissante marocaine, à l'Office national de l'emploi belge au sujet du refus d'octroi d'allocations de chômage.

3 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que Mme Kziber vit auprès de son père, ressortissant marocain, retraité en Belgique après y avoir occupé un travail salarié.

4 L'arrêté royal belge du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage (Moniteur belge du 18.1.1964, p. 506) prévoit, à son article 124, l'octroi d'allocations de chômage au profit des jeunes travailleurs qui ont terminé soit des études professionnelles, soit un apprentissage. En ce qui concerne les travailleurs étrangers et apatrides, l'article 125 de l'arrêté royal précité dispose qu'ils ne sont admis au bénéfice des allocations de chômage que dans les limites d'une convention internationale.

5 L'Office national de l'emploi a refusé d'admettre Mme Kziber au bénéfice des allocations de chômage, motif pris de sa nationalité. Contre cette décision de refus, l'intéressée a introduit un recours devant les juridictions belges du travail.

6 Saisie en instance d'appel, la Cour du travail de Liège a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée, à titre préjudiciel, sur la question suivante :

"Un État membre peut-il refuser, en raison de leur nationalité, le bénéfice d'un avantage social, au sens de l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68, aux enfants à charge d'un travailleur ressortissant d'un État tiers (Maroc) avec lequel la Communauté économique européenne a conclu un accord de coopération, lequel contient, dans le domaine de la sécurité sociale, une clause d'égalité de traitement en faveur des travailleurs migrants de ce pays occupés dans la Communauté, ainsi qu'aux membres de leur famille résidant avec eux ?"

7 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Afin de préciser l'objet de la question posée par la Cour du travail de Liège, il convient de rappeler l'objectif et les dispositions pertinentes de l'accord.

9 L'objectif de l'accord est, aux termes de l'article 1er, de promouvoir une coopération globale entre les parties contractantes en vue de contribuer au développement économique et social du Maroc et de favoriser le renforcement de leurs relations. Cette coopération s'établit, en vertu du titre I, dans le domaine économique, technique et financier, en vertu du titre II, dans le domaine des échanges commerciaux et, en vertu du titre III, dans celui de la main-d'œuvre.

10 L'article 40, qui figure dans le titre III relatif à la coopération dans le domaine de la main-d'œuvre, dispose que chaque État membre accorde aux travailleurs de nationalité marocaine occupés sur son territoire un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne les conditions de rémunération et d'emploi.

11 L'article 41, qui fait partie du même titre III, prévoit, à son paragraphe 1, que, sous réserve des paragraphes suivants, les travailleurs de nationalité marocaine et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient, dans le domaine de la sécurité sociale, d'un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des États membres dans lesquels ils sont occupés. Cet article accorde aux travailleurs marocains, en son paragraphe 2, le bénéfice de la totalisation des périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence, accomplies dans les différents États membres pour certaines prestations, leur alloue, en son paragraphe 3, le bénéfice des prestations familiales pour les membres de la famille résidant à l'intérieur de la Communauté et leur permet, en son paragraphe 4, le libre transfert vers le Maroc des pensions et des rentes. Le paragraphe 5 de l'article 41 institue le principe de réciprocité en faveur des travailleurs ressortissants des États membres en ce qui concerne le régime établi aux paragraphes 1, 3 et 4 de cet article.

12 L'article 42 de l'accord investit le conseil de coopération de la mission d'arrêter les dispositions permettant d'assurer l'application des principes énoncés à l'article 41.

13 Analysée à la lumière de ces dispositions de l'accord, la question préjudicielle doit être comprise comme visant, en substance, à savoir si l'article 41, paragraphe 1, de l'accord s'oppose à ce qu'un État membre refuse d'accorder une allocation d'attente prévue par sa législation en faveur des jeunes demandeurs d'emploi à un membre de la famille d'un travailleur de nationalité marocaine résidant avec lui, au motif que le demandeur d'emploi est de nationalité marocaine.

14 En vue de répondre utilement à cette question, il convient de déterminer d'abord si l'article 41, paragraphe 1, de l'accord peut être invoqué devant une juridiction nationale et, ensuite, si cette disposition couvre la situation du membre de la famille d'un travailleur migrant marocain qui demande le bénéfice d'une allocation du type de celle en cause dans l'affaire au principal.

Sur l'effet direct de l'article 41, paragraphe 1, de l'accord

15 Il est de jurisprudence constante (voir arrêt du 30 septembre 1987, Demirel, point 14, 12-86, Rec. p. 3719) qu'une disposition d'un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur.

16 Pour déterminer si la disposition de l'article 41, paragraphe 1, de l'accord répond à ces critères, il convient de s'attacher d'abord à l'examen de ses termes.

17 A cet égard, il y a lieu de constater que l'article 41, paragraphe 1, consacre, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, l'interdiction de discriminer, en raison de la nationalité, les travailleurs de nationalité marocaine et les membres de leur famille résidant avec eux dans le domaine de la sécurité sociale.

18 Le fait que l'article 41, paragraphe 1, précise que cette interdiction de discrimination ne vaut que sous réserve des dispositions des paragraphes suivants signifie que, pour ce qui est de la totalisation des périodes, de l'octroi de prestations familiales et du transfert vers le Maroc des pensions et des rentes, cette interdiction de discrimination n'est assurée que dans les limites des conditions fixées aux paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 41. Cette réserve ne saurait cependant être interprétée comme enlevant à l'interdiction de discrimination son caractère inconditionnel pour toute autre question qui se pose dans le domaine de la sécurité sociale.

19 De même, la circonstance que l'article 42, paragraphe 1, prévoit la mise en œuvre des principes énoncés à l'article 41 par le conseil de coopération ne saurait être interprétée comme mettant en cause l'applicabilité directe d'un texte qui n'est subordonnée, dans son exécution ou ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur. Le rôle dont l'article 42, paragraphe 1, investit le conseil de coopération consiste, ainsi que l'avocat général l'a souligné au point 12 de ses conclusions, à faciliter le respect de l'interdiction de discrimination et, le cas échéant, à prendre les mesures nécessaires à l'application du principe de totalisation inscrit au paragraphe 2 de l'article 41, mais ne saurait être considéré comme conditionnant l'application immédiate du principe de non-discrimination.

20 La constatation que le principe de non-discrimination inscrit à l'article 41, paragraphe 1, est susceptible de régir directement la situation du travailleur marocain et des membres de la famille résidant avec lui dans les États membres de la Communauté n'est, par ailleurs, pas contredite par l'examen de l'objet et de la nature de l'accord dont ce texte fait partie.

21 L'accord a, en effet, pour objectif, comme cela a déjà été exposé, de promouvoir une coopération globale entre les parties contractantes, notamment dans le domaine de la main-d'œuvre. La circonstance que l'accord vise essentiellement à favoriser le développement économique du Maroc et qu'il se borne à établir une coopération entre les parties sans viser à une association ou à une future adhésion du Maroc aux Communautés n'est pas de nature à empêcher l'applicabilité directe de certaines de ses dispositions.

22 Cette constatation vaut, en particulier, pour les articles 40 et 41, figurant dans le titre III relatif à la coopération dans le domaine de la main-d'œuvre, qui, loin de revêtir un caractère purement programmatique, établissent, dans le domaine des conditions de travail et de rémunération et dans celui de la sécurité sociale, un principe susceptible de régir la situation juridique des particuliers.

23 Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu'il résulte des termes de l'article 41, paragraphe 1, autant que de l'objet et de la nature de l'accord dans lequel cet article s'insère, que cette disposition est susceptible d'être directement appliquée.

Sur la portée de l'article 41, paragraphe 1, de l'accord

24 Pour déterminer la portée du principe de non-discrimination inscrit à l'article 41, paragraphe 1, de l'accord, il convient de définir tout d'abord la notion de sécurité sociale figurant dans ce texte, d'analyser ensuite celle de travailleur, au sens de cette disposition, avant de préciser les conditions dans lesquelles les membres de la famille du travailleur marocain peuvent prétendre au bénéfice de prestations de sécurité sociale.

25 La notion de sécurité sociale figurant à l'article 41, paragraphe 1, de l'accord doit être comprise par analogie avec la notion identique figurant au règlement (CEE) n 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (version codifiée, JO 1980, C 138, p. 1). Or, l'article 4 de ce règlement, relatif au champ d'application matériel, énumère, en son paragraphe 1, parmi les branches de la sécurité sociale, les prestations de chômage dont les allocations d'attente, en cause dans l'affaire au principal, ne constituent qu'une forme particulière.

26 Le fait que le paragraphe 2 de l'article 41 de l'accord, à l'opposé du règlement n° 1408-71, précité, ne mentionne pas les prestations de chômage au nombre des régimes auxquels s'applique la totalisation des périodes d'assurance revêt uniquement une importance pour la question de la totalisation, mais ne saurait, à lui seul, en l'absence d'une intention clairement manifestée par les parties contractantes, faire admettre que celles-ci aient entendu exclure de la notion de sécurité sociale, au sens de l'accord, les prestations de chômage, considérées traditionnellement comme une branche de la sécurité sociale.

27 Pour ce qui est de la notion de travailleur figurant à l'article 41, paragraphe 1, de l'accord, il convient de constater qu'elle englobe à la fois les travailleurs actifs et ceux qui ont quitté le marché du travail après avoir atteint l'âge requis pour bénéficier d'une pension de vieillesse ou après avoir été victimes d'un des risques donnant droit à des allocations au titre d'autres branches de la sécurité sociale. En effet, les paragraphes 2 et 4 de l'article 41 font une référence expresse, en ce qui concerne le bénéfice de la totalisation et la possibilité de transférer les prestations vers le Maroc, à des régimes telles les pensions et rentes de vieillesse ou d'invalidité dont bénéficient les travailleurs retraités.

28 En ce qui concerne, enfin, la portée des droits du membre de la famille du travailleur marocain résidant avec lui, le principe de l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale, inscrit à l'article 41, paragraphe 1, implique que l'intéressé, qui remplit toutes les conditions prévues par une législation nationale en vue de bénéficier des allocations de chômage prévues au profit de jeunes demandeurs d'emploi, ne saurait se voir refuser le bénéfice de ces prestations, motif pris de sa nationalité.

29 Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de répondre à la Cour du travail de Liège que l'article 41, paragraphe 1, de l'accord doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre refuse d'accorder une allocation d'attente, prévue par sa législation en faveur des jeunes demandeurs d'emploi, à un membre de la famille d'un travailleur de nationalité marocaine résidant avec lui, au motif que le demandeur d'emploi est de nationalité marocaine.

Sur les dépens 30 Les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, par le Gouvernement de la République française et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR, statuant sur la question à elle soumise par la Cour du travail de Liège, par arrêt du 16 janvier 1990, dit pour droit :

L'article 41, paragraphe 1, de l'accord de coopération entre la Communauté économique européenne et le royaume du Maroc, signé le 27 avril 1976 à Rabat, conclu, au nom de la Communauté, par le règlement (CEE) n° 2211-78 du Conseil, du 26 septembre 1978, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un État membre refuse d'accorder une allocation d'attente, prévue par sa législation en faveur des jeunes demandeurs d'emploi, à un membre de la famille d'un travailleur de nationalité marocaine résidant avec lui, au motif que le demandeur d'emploi est de nationalité marocaine.