CJCE, 1re ch., 3 décembre 1992, n° C-140/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Suffritti, Fiori, Giacometti, Dal Pane, Balletti
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rodríguez Iglesias
Avocat général :
M. Lenz
Juges :
MM. Joliet, Edward
Avocats :
Mes Bargellini, Micolano, Celona, Boer
LA COUR (première chambre),
1 Par ordonnances du 25 janvier 1991 (affaires C-140-91 et C-141-91), du 23 juillet 1991 (affaire C-278-91) et du 25 juillet 1991 (affaire C-279-91), parvenues à la Cour respectivement le 27 mai et le 31 octobre 1991, la Pretura circondariale di Bologna a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, des questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (JO L 283, p. 23).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant MM. Suffritti, Fiori, Giacometti, Dal Pane et Balletti à l'Istituto nazionale della previdenza sociale (ci-après "INPS"), ce dernier leur ayant refusé le traitement de fin de la relation de travail.
3 La directive 80-987 vise à assurer aux travailleurs salariés un minimum communautaire de protection en cas d'insolvabilité de l'employeur, sans préjudice des dispositions plus favorables existant dans les États membres. A cet effet, elle prévoit notamment des garanties spécifiques pour le paiement de leurs créances impayées concernant la rémunération.
4 D'après l'article 11, les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive dans un délai qui est venu à expiration le 23 octobre 1983. La République italienne n'ayant pas respecté cette obligation, la Cour a constaté son manquement par arrêt du 2 février 1989, Commission/Italie (22-87, Rec. p. 143).
5 MM. Suffritti et Fiori ont été salariés de la société Tecnoquarzi, respectivement à partir du 24 mai 1971 et du 27 septembre 1971. Ils ont démissionné tous deux pour non-paiement de leurs rémunérations, le premier le 11 septembre 1981 et le second le 30 avril 1981. Le 6 novembre 1982, la société Tecnoquarzi a été déclarée en faillite par le Tribunale di Bologna et les demandes de MM. Suffritti et Fiori visant à obtenir une indemnité de cessation du rapport de travail ont été inscrites au passif de la société. MM. Giacometti, Dal Pane et Balletti ont été des travailleurs salariés de la Giuseppe Minganti SpA, les deux premiers jusqu'au 24 mars 1982 et le troisième jusqu'au 11 septembre 1981, dates auxquelles ils ont volontairement démissionné pour cause de non-paiement de leur rémunération. Le 17 mai 1983, le Tribunale di Bologna a déclaré la faillite de la société et les demandes des requérants ont été inscrites au passif de celle-ci. Aucun paiement ne s'en est suivi.
6 Les parties en cause dans les quatre affaires ont présenté des demandes devant le Fonds de garantie institué auprès de l'INPS en application de la loi italienne n° 297-82 (GURI n° 147 du 31.6.1982), aux fins d'obtenir le paiement d'une indemnité de cessation de la relation de travail. Ces demandes ont été rejetées sur la base de l'article 2 de cette loi, qui prescrit que la cessation du rapport de travail doit être intervenue après l'entrée en vigueur de la loi, ce qui n'était pas le cas dans les espèces au principal.
7 Les demandeurs se sont donc adressés au Pretore di Bologna en invoquant les dispositions de la directive 80-987 et l'arrêt Commission/Italie, précité.
8 C'est dans ces circonstances que la juridiction nationale a posé à la Cour, en des termes largement similaires, les questions préjudicielles suivantes:
"1) La directive en question est-elle immédiatement applicable ?
2) En cas de réponse affirmative, l'acte est-il valide à compter du mois d'octobre 1980 ou de la date de publication au JOCE ou encore de celle de la notification à l'État italien ?
3) Par suite, les travailleurs salariés qui ont mis fin à leur relation de travail et ceux qui exerçaient leur activité pour une entreprise déclarée insolvable après la date ci-dessus indiquée ont-ils le droit de percevoir du Fonds de garantie le montant qui leur revient légalement en tant qu'indemnité de cessation de la relation de travail ?"
9 Pour un plus ample exposé des faits des litiges au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
10 Les questions posées visent en substance à savoir si les travailleurs salariés peuvent se prévaloir devant une juridiction nationale des dispositions de la directive 80-987 pour obtenir le paiement, par le Fonds de garantie institué en application de la loi italienne n° 297-82, de l'indemnité de cessation de la relation de travail prévue par cette loi en écartant la condition temporelle prescrite par celle-ci, à savoir que les prestations prévues par le fonds sont accordées uniquement si la cessation de la relation de travail et la procédure de faillite ou d'exécution se sont produites après l'entrée en vigueur de la loi.
11 Il convient de constater que le délai de transposition de la directive 80-987 ne venait à expiration que le 23 octobre 1983 et que tant les déclarations d'insolvabilité que les cessations des rapports de travail en cause dans les affaires au principal ont eu lieu à des dates antérieures à l'expiration dudit délai.
12 Dans ces conditions, les travailleurs ne sauraient se prévaloir des dispositions de la directive pour écarter l'application de certaines dispositions de la loi nationale.
13 En effet, ce n'est que dans le cas où un État membre n'a pas correctement exécuté une directive à l'expiration du délai fixé pour sa mise en œuvre que, selon la jurisprudence de la Cour, les particuliers peuvent, sous certaines conditions, faire valoir devant les juridictions nationales des droits qu'ils tirent directement des dispositions de cette directive.
14 Il convient donc de répondre à la juridiction nationale que les travailleurs salariés ne peuvent pas se prévaloir des dispositions de la directive 80-987 devant les juridictions nationales pour obtenir le paiement, par le Fonds de garantie institué en application de la loi italienne n° 297-82, de l'indemnité de cessation de la relation de travail prévue par cette loi en écartant la condition temporelle prescrite par celle-ci, à savoir que les prestations prévues par le fonds sont accordées uniquement si la cessation de la relation de travail et la procédure de faillite ou d'exécution se sont produites après l'entrée en vigueur de la loi.
Sur les dépens
15 Les frais exposés par les Gouvernements italien et allemand ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (première chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par la Pretura circondariale di Bologna, par ordonnances du 25 janvier, du 23 juillet et du 25 juillet 1991, dit pour droit:
Les travailleurs salariés ne peuvent pas se prévaloir des dispositions de la directive 80-987-CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, devant les juridictions nationales pour obtenir le paiement, par le Fonds de garantie institué en application de la loi italienne n° 297-82, de l'indemnité de cessation de la relation de travail prévue par cette loi en écartant la condition temporelle prescrite par celle-ci, à savoir que les prestations prévues par le fonds sont accordées uniquement si la cessation de la relation de travail et la procédure de faillite ou d'exécution se sont produites après l'entrée en vigueur de la loi.