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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 20 octobre 2004, n° 03-10284

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rousselot Energies (SA)

Défendeur :

Butagaz (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Picque, Roche

Avoués :

Me Teytaud, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Pitron, Calonne, Bourgeon

T. com. Paris, du 14 févr. 2003

14 février 2003

Dans le cadre d'une opération de restructuration de son réseau de distribution, la société Butagaz a mis fin par courrier du 10 juin 1999 à effet du 1er octobre 1999, au mandat qui la liait avec la société Rousselot Energies (société Rousselot), à laquelle ont été versés, à titre d'indemnisation des conséquences de cette rupture, le 7 décembre 1999 438 290,92 euro (2 875 000 F) HT pour la valeur non amortie des investissements immobiliers non réutilisables réalisés par le mandataire, puis le 29 janvier 2000 en exécution d'une ordonnance de référé du 28 janvier 2002, 2 533 766 euro (16 620 416,60 F) TTC correspondant à six mois de commissions brutes versées à la société Rousselot (2 100 967 euro (13 781 440 F) HT.

C'est dans ces conditions que la société Rousselot, estimant que ces versements ne couvraient pas les préjudices subis, a assigné la société Butagaz devant le Tribunal de commerce de Paris, demandant sa condamnation avec exécution provisoire à lui payer :

- en réparation des préjudices résultant de la mauvaise exécution de ses obligations de mandant, une somme totale de 275 640,87 euro TTC,

- à titre d'indemnité compensatrice de la rupture de son contrat d'agent commercial, 35 337,42 euro HT en contrepartie des charges inhérentes aux investissements engagés dans le cadre de son activité de mandataire, 5 216 585,84 euro HT en réparation de la perte de valeur de son mandat, 41 797,56 euro HT en remboursement des sommes payées dans le cadre de la " convention d'agrément ICD ".

La société Butagaz a opposé à ces demandes une fin de non-recevoir tirée de la prescription de cette action, et conclu subsidiairement au débouté des demandes de son adversaire.

Par jugement contradictoire du 14 février 2003, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Butagaz, débouté la société Rousselot de toutes ses demandes et la société Butagaz de sa demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et condamné la société Rousselot aux dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 août 2004, la société Rousselot Energies prie la cour de :

- réformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a considéré que son droit à réparation n'était pas éteint,

- dire et juger que la société Butagaz n'a pas respecté ses obligations de mandant, et la condamner à réparer les préjudices distincts des conséquences de la cessation de contrat qui en sont résultés, soit :

* 169 520,10 euro HT correspondant au manque à gagner du mandataire, la réactualisation de sa rémunération n'ayant jamais été effectuée malgré les engagements pris par la société Butagaz,

* 45 734,70 euro HT en réparation de la réduction unilatérale par le mandant de la rémunération complémentaire accordée à la société Rousselot, ce à compter du 1er janvier 1999,

* 15 214,16 euro HT correspondant au solde non payé par la société Butagaz de diverses charges (transport et manutention) qu'elle s'était engagée à couvrir,

- dire et juger que la société Butagaz doit réparer l'intégralité des préjudices subis par la société Rousselot du fait de la cessation de son mandat et la condamner en conséquence à lui payer à titre de dommages et intérêts, les sommes principales de :

* 35 337,42 euro HT en contrepartie des charges inhérentes aux investissements engages par la société Rousselot dans le cadre de son activité de mandataire Butagaz,

* 5 216 585,84 euro HT (déduction faite de la somme de 13 781 440 F déjà versée) en réparation de la perte par la société Rousselot de la valeur de son mandat,

- condamner la société Butagaz à lui payer 41 797,56 euro HT en remboursement des sommes payées dans le cadre de la convention d'agrément ICD (sous réserve des cotisations 1999),

- condamner la société Butagaz à lui payer les intérêts au taux légal des sommes précitées à compter du 1er janvier 1999 pour la somme de 15 214,16 euro HT soit 18 196,13 euro TTC, et du 10 décembre 1999 pour le surplus, ainsi que les intérêts au taux légal dus sur l'indemnité de cessation de contrat tardivement versée par la société Butagaz le 29 janvier 2000, ce à compter du 12 décembre 1999,

- condamner la société Butagaz à lui payer 10 000 euro pour ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions du 30 juin 2004, la société Butagaz, intimée, demande, à titre principal que les demandes de la société Rousselot soient déclarées irrecevables pour forclusion en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce.

Subsidiairement, elle conclut à la confirmation de la décision entreprise et sollicite 15 000 euro pour ses frais irrépétibles.

Sur ce,

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes de la société Rousselot

Considérant que la société Butagaz soulève une fin de non-recevoir tirée de l'inobservation des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce, en ce que la société Rousselot n'a engagé son action au fond que le 14 février 2001, alors que le contrat résilié le 10 juin 1999 avec un préavis de six mois, avait pris fin le 10 décembre 1999, et soutient que " le délai de prescription institué par cet article ", certes interrompu par l'assignation en référé provision du 14 janvier 2000, était alors écoulé depuis le 28 janvier 2001, aucun acte interruptif n'étant intervenu depuis l'ordonnance de référé rendue le 28 janvier 2000;

Mais considérant qu'il est constant que la société Rousselot a satisfait à la loi dans le délai prévu par l'article susvisé par son assignation en référé qui manifestait de façon expresse son intention de faire valoir ses droits ;que dès lors ce texte n'a plus lieu de trouver application, la prescription de droit commun étant applicable;qu'au demeurant, seule la demande concernant l'indemnité de cessation de contrat réclamée par le mandataire est mentionnée par les dispositions de l'article susvisé, les autres demandes formées par la société Rousselot ayant des fondements différents;

Que la fin de non-recevoir soulevée par la société Butagaz ne peut qu'être écartée;

Sur le fond

Considérant que la société Rousselot reproche aux premiers juges d'avoir méconnu les termes du contrat qu'elle a conclu avec la société Butagaz en dernier lieu le 1er juillet 1991, et ignoré les dispositions d'ordre public de la loi du 25 juin 1991 applicables aux agents commerciaux en la privant de la part d'indemnité compensatrice correspondant aux commissions perçues au titre de ses activités administratives, de stockage et de logistique, complémentaires de ses missions de prospection commerciale, alors que la période de six mois stipulée au contrat ne constitue qu'un minimum sans rapport avec le préjudice subi, qu'il résulte d'un usage ayant force obligatoire au sens de l'article 1135 du Code civil que l'indemnité due à l'agent à la cessation du contrat est égale à deux ans de commissions, et que l'assiette de cette indemnité doit être calculée sur la totalité des rémunérations perçues par le mandataire, tous les aspects de son activité, qui font l'objet d'une rémunération globale, devant être pris en compte, sauf à dénaturer l'équilibre du contrat;

Qu'elle soutient qu'en l'espèce, le montant de cette indemnité calculé " sur la base de la rentabilité normative évaluée par le cabinet KPMG, qui correspond à un FER de 15 parfaitement courant dans le secteur d'activité concerné" doit être porté à deux années de commissions brutes soit 7 317 552,83 euro HT (5 216 585,84 euro HT déduction faite de la somme déjà versée), et ce en raison

- de l'ancienneté de leurs relations commerciales qui se sont poursuivies pendant 67 ans ainsi que de la contribution qu'elle a apportée au développement de la clientèle et des parts de marché de son mandant,

- de l'importance du " résultat économique annuel normatif de son activité " tel qu'établi par la société KPMG après retraitement de son résultat d'exploitation, qui est de l'ordre de 3 150 000 F pour l'exercice 1998 et reflète la " rentabilité réelle " de la société, le résultat courant avant impôt pris en considération par le tribunal de commerce n'ayant aucun caractère pertinent,

- de la reprise en 1997 du territoire de la société F2 ECO, qui a fortement pénalisé sa rentabilité en se traduisant dans un premier temps par des coûts et des investissements nécessaires à son redressement,

- de l'existence d'une clause de non-concurrence lui interdisant d'exercer des activités similaires pendant une période de deux ans à compter de la cessation du contrat, aggravant ainsi les conséquences de sa résiliation alors qu'elle-même exerçait une mono-activité de distribution de pétrole liquéfié pour le compte de son mandant et que la rupture du contrat a entraîné l'anéantissement total de son activité,

- enfin de la fiscalité applicable à l'indemnité de résiliation qui se trouvera amputée de 36,66 %;

Qu'elle demande, en tout état de cause, l'allocation d'intérêts moratoires sur l'indemnité minimale qui lui a été versée avec retard le 29 janvier 2000 alors qu'elle était exigible dès le 12 décembre 1999 ; qu'elle réclame en outre en exécution de l'article 12-1 du contrat, au titre du remboursement de l'intégralité de la valeur non amortie des investissements non réutilisables, la condamnation de la société Butagaz à lui payer 35 337,42 euro HT;

Que la société Rousselot ajoute qu'elle est fondée à réclamer à son mandant diverses autres sommes:

- 169 520 euro (1 111 979 F) HT au titre du manque à gagner supporté entre le 1er septembre 1991 et le 10 décembre 1999 du fait du nouveau système de rémunération mis en place par le contrat-type signé entre les parties le 1er juillet 1991, et de la violation par la société Butagaz de son engagement d'actualisation des éléments de rémunération " en fonction des indices officiels et de l'activité du mandataire " ainsi que précisé sur la Charte accompagnant le contrat de mandat, l'actualisation unilatérale et arbitraire pratiquée par le mandant l'ayant privée d'une rémunération équivalente à celle de l'année de référence 1989 et actualisée contrairement aux engagements pris,

- 45 734 euro en réparation de la réduction de sa rémunération complémentaire, imposée unilatéralement par la société Butagaz à compter du 1er janvier 1999,

- 15 214 euro resté impayés sur la somme de 76 193,71 euro (499 799 F) que la société Butagaz s'était engagée à payer pour couvrir certaines charges de transport et de manutention,

- 41 797 euro correspondant aux cotisations qu'elle a versées au titre de la convention d'agrément emportant adhésion à une assurance caution souscrite auprès de la société Internationale de caution pour le développement (ICD), conformément à l'article 7-11 du contrat de mandat, dès lors qu'un courrier circulaire du 9 janvier 1995 de la société Butagaz mentionnait que " le montant des cotisations sera intégralement reversé aux adhérents mandataires";

Que la société Butagaz réplique que la restructuration de son activité commerciale, décidée à la fin des années 1990 pour des raisons de réduction de ses coûts de distribution, l'a amenée à réduire de moitié le nombre de ses mandataires, soit à résilier 35 des mandats confiés à ses agents commerciaux, ainsi qu'à sous-traiter le transport de ses produits à des sociétés spécialisées, qu'elle souhaitait toutefois inclure la société Rousselot dans ce nouveau réseau, le refus de cette dernière l'ayant conduite à résilier le contrat par courrier du 10 juin 1999 avec un préavis contractuel de six mois et une échéance ultime fixée au 10 décembre 1999, et à organiser dans l'urgence, le transfert d'un mandat qui, à l'origine, ne devait pas l'être;

Qu'elle ajoute que :

- la cessation des activités de la société Rousselot pour son compte a été largement indemnisée par l'allocation d'une indemnité de résiliation, dont elle ne conteste nullement le principe, fixée à six mois de rémunérations totales soit 2 512 756 euro (16 482 602 F) TTC conformément à l'article 12.1 du contrat auxquels s'ajoutent 524 196 euro (3 438 500 F) TTC pour la valeur non amortie des investissements immobiliers non réutilisables réalisés par le mandataire, soit un montant total de 19 921 102,24 F (3 036 952 euro) TTC, cette indemnité correspondant à dix années du résultat courant avant impôt de la société Rousselot qui ne justifie pas d'un préjudice supérieur à ce montant, la demande de l'appelante tendant à l'allocation d'intérêts moratoires sur le montant de l'indemnité de cessation de contrat versée le 29 janvier 2000 n'étant pas fondée,

- la société Rousselot, qui n'a exposé aucun frais pour la création et le développement de son activité, ni pour sa cessation, ne justifie d'aucun préjudice justifiant l'allocation d'une indemnité supérieure et notamment d'aucune charge telle que des indemnités de licenciement résultant de la cessation de son activité, l'usage qu'elle invoque, qui ne résulte d'aucune disposition légale et n'a aucun caractère impératif, ayant été écarté par le contrat conclu entre elles deux,

- la majeure partie de la rémunération versée à la société Rousselot correspond en réalité au remboursement de coûts standard (facturation et transport) éteints du fait de la résiliation, seule la partie résiduelle de ces rémunérations constituant sa marge,

- la clause de non-concurrence ne constitue en aucun cas une cause d'aggravation du préjudice subi par l'appelante dès lors qu'elle s'impose de plein droit à l'agent à l'issue du contrat et que les dispositions de l'article L. 134-4 du Code de commerce n'exigent pour sa validité aucune contrepartie financière, une telle contrepartie n'ayant pas davantage été stipulée dans le mandat indépendamment de ses dispositions relatives à l'indemnité due en cas de cessation du contrat, et ajoute que la société Rousselot n'exerçait nullement une "mono-activité ", puisqu'elle vendait également des combustibles comme grossiste;

Qu'elle déclare que les autres demandes formées par la société Rousselot à son encontre sont également infondées, en ce que :

- l'actualisation réclamée par la société Rousselot sur la rémunération qu'elle a perçue entre 1991 et 1999 n'est pas fondée, cette rémunération destinée selon l'article 5-4 du contrat à couvrir l'ensemble des charges d'exploitation contractuelles et non pas à assurer un revenu au mandataire, ayant fait l'objet d'accords annuels formalisés par des avenants au contrat signés par la société Rousselot qui a manifesté son accord sur ces modifications,

- la société Rousselot ne justifie ni d'un solde de 15 214 euro resté impayé sur les sommes que la société Butagaz s'était engagée à payer pour couvrir certaines charges de transport et de manutention de son mandataire, ni de ce qu'il lui serait dû une rémunération complémentaire chiffrée à 45 734 euro, la pièce produite concernant la société F2 ECO,

- la perte du droit à réversion de la provision de stabilité en cas de cessation du contrat d'assurance-caution souscrit auprès de la société ICD n'est qu'une conséquence librement acceptée par la société Rousselot des conventions qu'elle a conclues, la réversion de cette provision n'étant contractuellement prévue qu'en cas de résiliation du contrat d'assurance-caution, étant précisé qu'en tout état de cause la prime perçue par ICD est versée par la société Butagaz et remboursée à cette dernière par les mandataires aux termes du contrat;

Sur la demande tendant à l'augmentation de l'indemnité de cessation du contrat

Considérant que la société Butagaz a confié à la société Rousselot, en dernier lieu suivant contrat-type du 1er juillet 1991 assorti d'une clause d'exclusivité sur le territoire défini en annexe à ce contrat et pour une durée indéterminée, "mandat de la représenter auprès de la clientèle Butagaz située sur le territoire " et " à cet effet ... d'assurer la promotion, la distribution et la vente des produits... le stockage des bouteilles ainsi que le suivi commercial des emballages propriété du mandant (bouteilles et citernes)"; que ce mandat, confié à la société Rousselot en qualité d'agent indépendant pour souscrire des contrats de vente au nom et pour le compte de la société Butagaz, et résilié par cette dernière par courrier recommandé du 10 juin 1999 est un contrat d'agence commerciale régi par les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, ce que les parties ne contestent pas ;que les activités accessoires au mandat, telles que la facturation, le transport et la livraison des produits, la gestion des stocks et le suivi des emballages moyennant le versement de commissions forfaitaires prévues par l'article 5-2 du contrat " en rémunération de cette activité logistique et administrative de livraison et de suivi commercial ", qui s'apparentent davantage à une activité de distributeur mais sont étroitement liées au mandat confié par Butagaz à ses agents, ne sont pas de nature à modifier la qualification du contrat;

Que selon son article 12.1, "En cas de résiliation du contrat non motivée par une faute du mandataire, résultant notamment de l'inexécution de l'une des dispositions du contrat, le mandataire aura droit, compte tenu de l'ancienneté de ses relations commerciales avec le mandant, sous réserve d'avoir contribué de façon significative au développement de l'activité du mandant, à une indemnité compensatrice du préjudice subi, qui ne saurait être inférieure à six mois de la rémunération totale calculée sur la base de la moyenne des douze derniers mois, et le cas échéant, au remboursement de la valeur non amortie des investissements non réutilisables qu'il aura effectués pour l'exécution, du contrat, sur la recommandation du mandant";

Que ces clauses, qui prévoient une indemnité de résiliation minimale égale aux rémunérations totales versées à l'agent pendant une période de six mois, tout en mentionnant expressément son droit à la réparation intégrale du préjudice subi du fait de la cessation du contrat, ne sont pas contraires aux dispositions impératives de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qui disposent qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice réparant le préjudice causé par la cessation des relations avec le commettant et non pas à une indemnité calculée au regard de la clientèle apportée ou développée, conformément au choix laissé aux Etats membres par la directive n° 86-653 du Conseil des Communautés européennes dans son article 17;

Qu'ainsi la société Rousselot n'est pas fondée à invoquer la perte de la clientèle créée ou développée pour le compte de son commettant ainsi que celle de sa part de marché, dès lors que l'agent commercial ne peut revendiquer aucun droit ni sur la clientèle apportée à son mandant, ni sur les produits dont la distribution lui a été confiée ;qu'à cet égard, sa demande d'une indemnisation calculée sur la base d'un "price earning ratio " (PER) utilisé en matière de transmission d'entreprises et fondé sur la valorisation du fonds de commerce et celle de la clientèle cédée, ne peut qu'être rejetée ; que la société Rousselot doit toutefois être intégralement indemnisée du préjudice lié à la rupture du contrat, ce préjudice, dont il appartient à celui qui s'en prévaut d'apporter la preuve, pouvant résulter de la perte des commissions antérieurement perçues par l'agent et par suite de la privation du bénéfice attendu de la poursuite de son activité, ainsi que, le cas échéant, des dépenses occasionnées par la cessation de cette dernière telles que des coûts de licenciement ou la perte d'investissements non amortis et non réutilisables d'ailleurs prévue par le contrat, cette compensation devant permettre à l'agent évincé de retrouver un niveau d'activité qu'il a perdu du fait de cette rupture;

Considérant que pour déterminer le montant de ce préjudice, il y a lieu de prendre en compte, en l'espèce, la totalité des activités exercées par l'agent pour le compte de son commettant et de retenir le revenu global qu'il en retirait, dès lors que les fonctions logistique et administrative confiées à la société Rousselot étaient nécessairement liées à son activité principale de prospection commerciale pour le compte de la société Butagaz;

Considérant que, compte tenu de l'ancienneté des relations poursuivies entre la société Butagaz et la société Rousselot, du caractère exclusif de l'activité exercée par la société Rousselot pour le compte de la société Butagaz et de l'importance de la contribution apportée par cet agent au développement des parts de marché de son mandant dans la région considérée, compte tenu aussi de la clause de non-concurrence insérée à l'article 7-1 du contrat, qui n'a pu qu'aggraver les difficultés rencontrées par l'agent pour développer une nouvelle activité, il ne peut qu'être fait droit à la demande de l'appelante tendant à ce que soit portée à deux années de commissions le montant de l'indemnité due par la société Butagaz à son agent au titre de la cessation du contrat;

Mais considérant qu'il n'est pas possible, en l'espèce, de prendre en compte la totalité des sommes versées à la société Rousselot qui comprennent pour une part prédominante des sommes forfaitaires intitulées "rémunérations " ou " commissions " versées en réalité au titre de la prise en charge par le mandant des coûts d'exploitation de son agent qui se sont éteints du fait de la résiliation du contrat, sauf à englober dans cette indemnité un élément extérieur au préjudice subi;

Que selon l'article 5 du contrat et son annexe 2 à laquelle il renvoie, la rémunération versée à l'agent comprend en effet les cinq postes suivants:

1- un forfait de frais fixes versé mensuellement, incluant la couverture par le commettant de coûts réputés fixes (frais de fonctionnement, frais immobiliers, frais informatiques, frais de cariste et de chariot, coûts d'encadrement, partie fixe des coûts commerciaux conditionnés et des coûts administratifs),

2- des commissions à la livraison, proportionnelles aux quantités livrées, destinées à rémunérer l'activité logistique (stockage, transport, livraison et tâches administratives correspondantes),

3- des commissions rémunérant la création de nouveaux clients et le suivi commercial des clients,

4- une rémunération complémentaire destinée à couvrir l'ensemble des charges d'exploitation contractuellement convenues entre la société Butagaz et son mandataire, qui ne sont pas couvertes par les commissions précédentes,

5- une contribution à l'effort de productivité, constituée par la prise en charge dégressive dans le temps par la société Butagaz sous forme de commissions mensuelles, de l'écart entre les coûts effectivement supportés par le mandataire et les coûts standard nationaux;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'à l'exception du troisième poste de cette rémunération, les sommes perçues par la société Rousselot étaient destinées au moins en partie à couvrir les frais et charges exposés au titre de l'exécution de son mandat ; que la société Butagaz déclare sans être contredite que cette rémunération, qui s'est élevée au total à un montant annuel d'environ 2 542 913 euro (16 680,419 F) au cours des trois dernières années d'exploitation du mandat, concernait pour 53 % la fonction transport et pour seulement 27 % la fonction de développement commercial ; que les premiers juges ont fait dès lors une juste appréciation de la situation particulière du mandataire Butagaz, en prenant pour base de la détermination du préjudice subi par la société Rousselot la marge réalisée par cette dernière, soit le résultat courant avant impôt inscrit dans ses comptes, qui retrace la totalité des produits et des charges liés à l'exploitation du mandat Butagaz;

Qu'il résulte des comptes annuels de la société Rousselot établis par la société KPMG et versés aux débats par la société Butagaz, que le résultat courant avant impôt (RCAI) annuel de la société Rousselot pour les exercices 1997, 1998 et 1999 s'est élevé respectivement à un bénéfice de 721 630 F en 1997, une perte de 166 293 F en 1998, et à un bénéfice de 1 374 741 F en 1999, soit un RCAI moyen de 643 359 F (98 079 euro) sur la période considérée; que c'est par une juste appréciation des faits de la cause que les premiers juges ont pris en compte le doublement de chiffre d'affaire que représentait l'attribution d'une zone nouvelle en 1998 et retenu pour l'assiette du calcul de l'indemnité de cessation de contrat le résultant courant avant impôt du seul exercice 1999, soit 209 577 euro (1 374 741 F) ;

Considérant que la somme déjà versée à la société Rousselot par la société Butagaz, soit 2 539 257 euro (16 656 440 F) HT comprenant le remboursement de la valeur non amortie des immobilisations non réutilisables pour 438 290 euro (2 875 000 F) HT est largement supérieure à son RCAI cumulé sur deux voire sur trois ans soit 628 731 euro; qu'il n'y a pas lieu d'augmenter le montant de cette indemnité "pour tenir compte du régime fiscal qui lui est applicable ", les revenus perçus par la société Rousselot, qui constituent l'assiette de cette indemnité, étant également fiscalisés;

Que la demande de la société Rousselot tendant à ce que lui soient alloués des intérêts moratoires sur l'indemnité de cessation de contrat versée le 29 janvier 2000 alors qu'elle était due dès le 11 décembre 1999, sera rejetée, le délai apporté à ce règlement ne pouvant être reproché à la société Butagaz dès lors que son mandataire s'était lui-même abstenu de s'acquitter des sommes dues au titre de la reddition de comptes en dépit des demandes du mandant, étant observé que l'appelante a refusé en décembre 1999 l'offre qui lui était faite d'une indemnité calculée selon les dispositions prévues par le contrat, ce qu'elle admet dans ses écritures d'appel;

Qu'il y a lieu enfin de relever que le courrier adressé le 7 décembre 1999 par la société Butagaz à la société Rousselot, lui notifiant son accord pour le versement d'une indemnité de 2 875 000 F au titre de la valeur non amortie des investissements immobiliers non réutilisables, spécifiait que cette somme réglait la totalité des préjudices visés sous cette rubrique par l'article 12-1 du contrat, et que la société Rousselot, qui allègue sans plus de précision n'avoir pas été intégralement indemnisée à ce titre, ne justifie d'aucun préjudice complémentaire qui puisse y être rattaché;

Sur les autres demandes de la société Rousselot

* sur la violation des engagements pris par la société Butagaz d'assurer à ses mandataires un résultat minimum annuel garanti actualisé

Considérant que la société Rousselot fait valoir qu'elle n'a pas perçu la rémunération complémentaire prévue par la Charte accompagnant le contrat du 1er octobre 1991, par laquelle la société Butagaz lui garantissait contractuellement une rémunération équivalente à celle de l'année 1989, année de référence, actualisée chaque année ; qu'elle demande à ce titre une indemnité de 169 520 euro correspondant à l'écart entre cette rémunération garantie actualisée et les fonds effectivement versés par la société Butagaz pour la période du 1er septembre 1991 au 10 décembre 1999.

Mais considérant qu'il résulte de l'article 5-4 du contrat de mandat que cette rémunération fixée d'un commun accord était destinée à couvrir l'ensemble des charges d'exploitation contractuelles non citées dans d'autres postes de cet article et non pas à assurer un revenu au mandataire ; que l'actualisation réclamée par la société Rousselot sur la rémunération qu'elle a perçue entre 1991 et 1999 n'est pas fondée, chacun des éléments constituant sa rémunération ayant fait l'objet d'accords annuels formalisés par des avenants au contrat signés par l'appelante qui a manifesté son accord sur ces modifications, l'inexécution par la société Butagaz de ses obligations contractuelles, invoquée par l'agent seulement après la résiliation du contrat, n'étant pas établie;

* sur l'engagement pris par la société Butagaz de rembourser certaines charges supportées par son mandataire

Considérant que la société Rousselot fait valoir que la société Butagaz, qui s'était engagée à lui régler 499 798 F enfin d'année 1998 en couverture de charges de transport et de manutention, ne lui a versé qu'une somme de 400 000 F, et demande sa condamnation à lui payer le solde;

Qu'il résulte toutefois des pièces communiquées par l'appelante que cette situation a été régularisée " sur la reddition 12/98 ", la note produite par la société Rousselot, établie par ses propres services, mentionnant " la régularisation effectuée par Butagaz " pour la totalité de la somme liigieuse, en deux versements l'un de 70 000 F, l'autre de 429 798,33 F; que cette demande, non fondée, sera rejetée;

* sur la réduction unilatérale de la rémunération complémentaire accordée par la société Butagaz

Considérant que si la société Rousselot verse aux débats l'avenant à son contrat de mandat signé des deux parties et signé le 10 décembre 1997 pour l'année 1998, qui mentionne parmi les éléments de la rémunération du mandataire une rémunération complémentaire de 1 489 108 F HT, et soutient qu'à compter du 1er janvier 1999 ce poste a été réduit unilatéralement de 25 000 F par mois, le document sans en-tête intitulé " composition de la rémunération ", non daté ni signé qu'elle verse aux débats, mentionnant une rémunération complémentaire de 1 189 108 F HT à compter de février 1999 est insuffisant à apporter cette preuve;

* sur la demande de distribution des sommes composant le fonds de caution collective ICD

Considérant que la société Rousselot se fonde sur le courrier circulaire du 9 janvier 1995, par lequel la société Butagaz faisait savoir à ses mandataires que le montant des cotisations versées à ce système d'assurance, capitalisé et producteur d'intérêts, serait " entièrement reversé aux adhérents mandataires ", pour réclamer le remboursement de la totalité de ses cotisations ;

Mais considérant que selon l'article 7 du contrat d'agence commerciale intitulé " Garanties ", "Le mandataire constitue une garantie correspondant au montant du matériel confié par le mandant... pour 10 % minimum, cette garantie est constituée en première ligne soit par caution bancaire, soit par dépôt de titres en compte de banque bloqué par le mandataire ...En seconde ligne, le mandataire autorise le mandant à souscrire une assurance caution devant couvrir le solde. Le montant de la prime correspondante sera remboursé par le mandataire au prorata des ventes qu'il aura réalisées par rapport au total national";

Que la convention d'agrément Butagaz/mandataires signée entre la société Butagaz et chacun de ses mandataires prévoit dans son article 3 que le solde excédentaire du compte de résultat de cette assurance caution servira à l'alimentation d'une provision de stabilité; que selon l'article 4 de cette convention, "En cas de cessation ou de résiliation de la convention de caution, Butagaz distribuera aux mandataires les fonds composant la provision de stabilité ... ", étant précisé (article 8 de la convention) que le mandataire perdra tous ses droits au titre de la convention de caution et de la présente convention notamment " en cas de résiliation du contrat de mandat... ou cessation de toutes relations entre les parties au contrat de mandat pour quelque raison que ce soit" ; qu'en tout état de cause, la réversion de la provision n'est contractuellement prévue qu'en cas de résiliation ou de cessation du contrat d'assurance-caution, l'appelante ne justifiant pas de cette résiliation, qui constitue la condition d'ouverture du droit à réversion;

Considérant qu'il convient de confirmer la décision entreprise;

Qu'il n'est pas inéquitable que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel, les dépens étant partagés par moitié;

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, Confirme la décision entreprise, Y ajoutant, Déboute la société Rousselot de toutes ses demandes, Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties, Admet dans cette proportion la SCP Fisselier Chiloux Boulay et Maître Teytaud, avoués, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.