CA Paris, 5e ch. A, 20 octobre 2004, n° 02-17366
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Demange-Brinon
Défendeur :
MSI Informatique (SARL), Baronnie (ès qual.), Giffard (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Broquet, SCP Narrat-Peytavi
Avocats :
Mes Caron, Tisserant
Depuis 1993, Jean-Luc Demange-Brinon, exerçant son activité sous l'enseigne "Cosméti Conseil", exécutait des prestations de formation et d'installation de logiciels et de matériels informatiques pour le compte de la SARL MSI Informatique (société MSI), auprès de la clientèle de parfumeurs de cette dernière. Par lettre recommandée du 10 novembre 2000, la société MSI a notifié au prestataire la fin de leur collaboration.
L'intéressé, estimant être victime d'une rupture abusive, a attrait la société MSI, le 15 mai 2001, devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins de l'entendre condamner à lui payer:
- 241 156,19 F (36 764,02 euro), augmentés des intérêts au taux légal à compter d'une mise en demeure du 31 octobre 2000, au titre de commissions,
- 51 932,41 F (7 917,04 euro), majorés " des intérêts de droit " au titre de frais,
- 100 000 F (15 244,90 euro) de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice commercial, outre 10 000 F (1 524,49 euro) de frais irrépétibles et subsidiairement, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges, l'institution d'une mesure d'instruction.
La société MSI a sollicité 100 000 F (15 244,90 euro) de dommages et intérêts pour procédure abusive et 30 000 F (4 573,47 euro) de frais non compris dans les dépens.
Par jugement contradictoire du 21 mars 2002, le tribunal, retenant:
- que la grille tarifaire versée aux débats ne constituait qu'une simple convention réglant les modalités financières des relations entre les parties,
- et que Jean-Luc Demange-Brinon ne démontrait pas qu'il travaillait exclusivement pour la société MSI, a rejeté toutes les demandes et a condamné Monsieur Demange-Brinon à verser 1 500 euro de frais non-répétibles à la société MSI.
Monsieur Demange-Brinon a interjeté appel le 25 avril 2002.
Entre temps, la société MSI a été admise au bénéfice du redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 11 février 2003 ayant désigné Maître Giffard et Maître Baronnie, respectivement en qualités de représentant des créanciers et d'administrateur judiciaire. Ces derniers sont intervenus devant la cour en constituant avoué le 7 juillet 2003.
Dans l'acte d'assignation en intervention forcée du 6 juin 2003, délivré à Maître Giffard ès qualités, l'appelant a indiqué, sans être ultérieurement démenti, avoir déclaré ses créances par lettre recommandée du 18 avril 2003, l'acte en intervention forcée sollicitant la fixation des créances:
- à titre privilégié, à hauteur de 36 764,02 euro,
- à titre chirographaire, à hauteur de 7 917,04 euro.
Lors de l'audience de plaidoirie, l'avocat de la société MSI a indiqué, sans être davantage contredit, que l'intimée avait fait l'objet d'un plan de redressement par continuation selon décision du tribunal de commerce intervenue en janvier 2004.
Appelant Jean-Luc Demange-Brinon poursuit, aux termes de conclusions signifiées le 2 octobre suivant, la réformation du jugement entrepris et renouvelle, en les libellant en euro, les prétentions antérieurement formulées devant le tribunal tout en portant à 20 000 euro (au lieu de 15 244,90) la demande de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice commercial. Il réclame, en outre 20 000 euro de frais non compris dans les dépens.
Il indique que la société MSI a cessé dès le mois de mai 2000, de lui passer des ordres pour l'exécution de prestations auprès de sa clientèle et précise:
- que la demande au titre de commissions correspond à son manque à gagner pour la période de mai à octobre 2000, outre un préavis de trois mois,
- que les frais, objet de l'autre chef de demande, correspondent aux moyens matériels initialement mis à disposition de la société MSI, qu'il a continué de prendre en charge sans que ceux-ci puissent être amortis jusqu'à la fin du préavis.
Intimée, la société MSI conclut, aux termes de ses dernières écritures, communes avec Maître Baronnie ès qualités d'administrateur judiciaire, signifiées le 7 juillet 2003, à la confirmation de la décision critiquée et sollicite 20 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et 10 000 euro de frais non-taxables.
Elle indique (page 5 de ses conclusions) avoir "fait appel aux services de Monsieur Jean-Luc Demange-Brinon pour assurer l'information et l'installation de son matériel informatique auprès de sa propre clientèle, en raison de la technicité des produits vendus et sur la base de la grille tarifaire acceptée annuellement ".
La société MSI dément toutefois l'existence d'une exclusivité en faveur de Monsieur Demange-Brinon et estime qu'il ne peut pas y avoir de rupture abusive d'un contrat qui n'existe pas.
Elle indique (page 7 des écritures) que le développement de l'activité formation a rendu nécessaire sa réorganisation et justifie, aussi, la rupture :
- d'une part, par la mauvaise qualité des prestations ainsi qu'il résulte de l'insatisfaction des clients exprimée dans les questionnaires d'évaluation,
- d'autre part, par la dégradation, depuis 1996, des rapports avec l'intéressé.
Maître Giffard, dont la mission de représentant des créanciers a été maintenue par le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 20 janvier 2004, arrêtant le plan de continuation, n'a jamais conclu au fond.
Sur ce,
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que Jean-Luc Demange-Brinon exerçait son activité sous une enseigne commerciale et était immatriculé par l'Insee sous un numéro "Siret " qui lui était propre;
Qu'il s'en déduit qu'il était indépendant de la société MSI pour le compte de laquelle il effectuait des prestations informatiques auprès des clients parfumeurs de celle-ci, dans le cadre d'une succession d'interventions ponctuelles, mais cependant suivies depuis 1993, soit environ sept années au moment de leur cessation;
Que Jean-Luc Demange-Brinon se plaint de la cessation soudaine de ces relations, la société MSI n'ayant pas contesté ne plus avoir transmis d'ordre d'exécution de prestations à partir de mai 2000 et, suite à l'interpellation de l'intéressé par lettre du 31 octobre 2000, lui ayant notifié par écrit le 10 novembre suivant, la fin de "toute forme de collaboration";
Considérant qu'au jour de la cessation effective des relations en mai 2000, la rupture de fait des relations commerciales est intervenue sous l'empire de l'article 36-5° de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et que le 10 novembre 2000, la notification écrite de ladite rupture est survenue sous l'empire de l'article L. 442-6 (I), 4° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la réforme du 15 mai 2001;
Que dans l'un et l'autre cas, sauf à établir la force majeure ou l'inexécution de ses obligations par l'autre partie, l'auteur d'une rupture d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures, engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé par l'absence de préavis raisonnable;
Qu'en revanche, la victime invoquant un dommage résultant de la rupture brutale sans préavis d'une relation commerciale établie, n'a pas à démontrer qu'elle aurait été en état de dépendance économique par rapport à l'auteur de la rupture alléguée, ni davantage qu'elle bénéficiait d'une exclusivité ;
Considérant qu'antérieurement à la cessation effective des relations commerciales ou à la notification écrite de celle-ci, la société MSI ne démontre pas avoir notifié à Jean-Luc Demange-Brinon le moindre reproche ou une mise en demeure correspondante;
Qu'au surplus, la lettre du 10 novembre 2000 de notification de la rupture, ne comporte aucun reproche quant à l'exécution antérieure des prestations;
Considérant que la référence aux faits survenus en 1996 est inopérante en ce que ceux-ci ont fait l'objet, le 19 décembre 1996, d'un protocole d'accord entre les parties prévoyant les indemnisations correspondantes et aux termes duquel les parties lui ont donné "le même effet juridique qu'une décision de justice passée en force de chose jugée" au sens des dispositions des articles 2044 et suivants du Code civil; Qu'au demeurant, les relations se sont poursuivies encore pendant environ quatre années;
Considérant aussi que la société MSI ne démontre pas davantage la prétendue mauvaise qualité des prestations exécutées par l'appelant antérieurement à la rupture, la lettre, en date du 11 septembre 2000, de réclamation d'un client, étant postérieure à l'arrêt effectif des relations depuis mai 2000 et les trois questionnaires d'évaluation, produits aux débats, n'étant pas datés par les clients interrogés et ne comportant pas le nom de la personne qui est intervenue ni l'indication des prestations sur lesquelles portent les appréciations desdits clients;
Considérant qu'il résulte de ces constatations, que la rupture était soudaine et imprévisible pour Jean-Luc Demange-Brinon, son caractère brutal résultant en outre du défaut de notification d'un préavis;
Qu'en conséquence, la société MSI doit réparer le dommage en résultant en tenant compte, notamment, de l'ancienneté de la relation antérieure;
Considérant qu'aux termes de la "grille tarifaire 2000" paraphée par les deux parties (pièce n° 15), celles-ci se sont mutuellement consenti un " préavis réciproque de 3 mois pour mettre fin à leur collaboration " et qu'ainsi, les parties avaient elles-mêmes fixé la durée du préavis raisonnable à cette même durée;
Qu'il n'a pas été contesté que pendant les douze mois qui ont précédé la cessation effective des relations, la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires réalisé par Jean-Luc Demange-Brinon, avec la société MSI, s'établit à 28 747,91 F, soit pour trois mois, un chiffre d'affaires moyen de 86 243,73 F (13 147,77 euro);
Que la marge brute, avant imputation du coût des moyens matériels dédiés à la seule activité avec l'intimée, doit être évaluée en tenant compte de la caractéristique de TPE (très petite entreprise) de la structure exploitée par l'appelant sous l'enseigne "Cosméti Conseil";
Qu'en fonction des éléments disponibles dans le dossier, la cour évaluera forfaitairement le préjudice au montant arrondi de 10 000 euro, la créance correspondante étant chirographaire, l'appelant n'ayant pas justifié d'un titre privilégié;
Que s'agissant d'une indemnité de dommages et intérêts, les intérêts moratoires au taux légal ne commenceront à courir qu'à compter de la signification du présent arrêt, leur cours n'étant plus suspendu par suite de l'adoption du plan de redressement ayant remis la société MSI à la tête de l'exploitation de son entreprise;
Que cette indemnité trouvant sa source dans des faits survenus antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société MSI, il conviendra de fixer le montant correspondant au passif du redressement judiciaire, lequel sera apuré dans les délais et conditions stipulés par le plan de redressement précédemment adopté par la juridiction en charge de la procédure collective concernée;
Considérant, en revanche, que Jean-Luc Demange-Brinon ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, du préjudice commercial invoqué, mais qu'il serait inéquitable de lui laisser la charge définitive des frais irrépétibles qu'il a exposés tout au long de l'instance, la créance correspondante et celle des dépens, trouvant leur source postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire;
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, Accueille partiellement les demandes de Jean-Luc Demange-Brinon, Fixe sa créance de dommages et intérêts, au passif du redressement judiciaire de la SARL MSI Informatique, à 10 000 euro à titre chirographaire, Dit que cette créance sera apurée dans le cadre du plan de redressement judiciaire par continuation précédemment adopté, selon les mêmes modalités et délais, Le déboute du surplus de ses prétentions, Condamne la SARL MSI Informatique aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Jean-Luc Demange-Brinon, 1 000 euro de frais irrépétibles, Admet la SCP Taze-Bernard & Belfayol-Broquet au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.