CA Poitiers, ch. soc., 15 juin 2004, n° 02-03586
POITIERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Adecco (SA)
Défendeur :
Morin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dubois
Conseillers :
Mme Grandbarbe, M. Frouin
Avocats :
Mes Guerin, Rollet.
Exposé du litige
M. Morin, employé depuis le 1er février 1988 par la société Ecco devenue Adecco d'abord en qualité de responsable recrutement puis en qualité de chef d'agence, a été licencié le 1er août 2001 pour un motif disciplinaire.
Par jugement en date du 18 novembre 2002, le Conseil de prud'hommes de Thouars a débouté M. Morin de ses demandes de rappel d'intéressement et au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence mais a décidé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société Adecco a régulièrement interjeté appel du jugement sur le licenciement. Elle soutient que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et conclut au rejet de l'ensemble des demandes de M. Morin et à sa condamnation à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Morin forme lui-même appel incident. Il conclut à la condamnation de la société Adecco à lui payer les sommes de:
- 2 132,73 euro et 213,27 euro au titre de l'intéressement sur le préavis non effectué et des congés payés afférents;
- 24 737,40 euro et 2 473,74 euro au titre de la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence et des congés payés afférents; subsidiairement, un solde de 2 372,31 euro de ce chef, un rappel de 223,41 euro du même chef, et la somme de 948,92 euro au titre des congés payés afférents;
- 25 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur le rappel d'intéressement au titre du préavis non effectué
S'il est vrai que la dispense par l'employeur de l'exécution du travail pendant le délai-congé ne doit entraîner, jusqu'à l'expiration de ce délai, aucune diminution des salaires et avantages, il résulte en l'espèce des pièces produites aux débats, et notamment des bulletins de salaire, que comme l'a jugé le conseil de prud'hommes, la partie variable de la rémunération de M. Morin lui a été effectivement versée sous forme d'acompte puis de régularisation, y compris pour la période correspondant au préavis, et cela conformément aux dispositions de son contrat de travail.
Il convient donc de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.
Sur la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence
S'il est vrai qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie pécuniaire, il ressort, en l'espèce des pièces produites aux débats que le contrat de travail du salarié renvoyait pour le paiement d'une contrepartie pécuniaire à la convention applicable, laquelle prévoit expressément le paiement d'une telle contrepartie dont elle fixe le mode de calcul sauf à renvoyer elle-même au contrat de travail pour la détermination des modalités de versement de ladite contrepartie. Il suit de ces éléments que la clause de non-concurrence, qui comportait une contrepartie pécuniaire dont le salarié ne justifie pas qu'elle ait été dérisoire, était licite en sorte que M. Morin, est fondé à prétendre à cette contrepartie mais ne peut prétendre qu'à cette contrepartie.
Pour se soustraire à son paiement pour la partie afférente à deux trimestres, la société Adecco soutient que le contrat de travail subordonnait le versement de la contrepartie pécuniaire à la condition que le salarié lui fournisse pour chaque trimestre civil une attestation de présence de son nouvel employeur ou une attestation de non-emploi justifiant de sa situation de non-emploi,"faute de quoi aucun paiement ni rétroactivité n'aurait lieu" et que M. Morin n'a pas fourni cette attestation pour les deux trimestres en cause. Cependant, une telle disposition, qui subordonne l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie pécuniaire à une condition préalable alors que cette obligation naît de l'existence même d'une clause de non-concurrence et qui a, en outre, pour conséquence de faire présumer que la clause de non-concurrence n'est pas respectée jusqu'à ce que le salarié rapporte la preuve contraire, n'est pas licite. Il convient donc de l'écarter.
Dès lors, M. Morin est bien fondé en sa réclamation au titre de la part de la contrepartie pécuniaire telle que prévue par la convention collective qui ne lui pas été versée par l'employeur.
Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes et condamner la société Adecco à payer à M. Morin, au vu des pièces justificatives produites, la somme de 2 372,31 euro au titre des deux trimestres impayés, celle de 223,41 euro à titre de rappel sur les contreparties pécuniaires versées mais calculées sur une base erronée, et celle de 948,92 euro au titre des congés payés afférents.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement, qui fixe les termes et les limites du litige, énonce que le licenciement du salarié a été prononcé pour trois motifs ainsi libellés :
- "Non-respect des règles crédit client, l'absence de DAT et de cote ayant entraîné un impayé chez le client " Caisserie aubraise moderne " de 199 848 F;
- L'audit crédit clients du 23 mai 2001 a relevé plusieurs anomalies;
- La persistance de ces manquements malgré un premier avertissement datant du 19 juillet 1999;
Ces manquements graves aux règles de la société mettent en péril la pérennité de l'agence de Bressuire et nous conduisent à procéder à votre licenciement ".
Il suit de ces derniers termes que le licenciement a été prononcé par l'employeur pour un motif disciplinaire, ce dont il se déduit qu'il était soumis aux dispositions des articles L. 122-40 et suivants du Code du travail et notamment à celles de l'article L. 122-44 selon lesquelles aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
A cet égard, il ressort en l'espèce des éléments du dossier que le rapport d'audit visé dans la lettre de licenciement et qui révèle un certain nombre d'anomalies confirmant des manquements antérieurs déjà sanctionnés a été établi, non pas le 23 mai 2001 comme il est indiqué dans la lettre de licenciement, mais le 28 mars 2001. C'est donc à cette dernière date que l'employeur a eu connaissance des manquements reprochés au salarié. Or, la lettre de convocation à l'entretien préalable qui marque la date d'engagement des poursuites date du 16 juillet 2001, de sorte qu'elle est postérieure de plus de deux mois au 28 mars 2001.
Il est vrai que la société soutient que les manquements du salarié se sont poursuivis après l'audit du 28 mars 2001 (ou ont été réitérés) et qu'ils se sont traduits par un important impayé constaté au début du mois de juin 2001 et qui est mentionné dans la lettre de licenciement puisque c'est le premier grief reproché au salarié.
Cependant, il résulte des pièces du dossier que M. Morin a été absent pour maladie et congés payés du 4 avril au 8 mai 2001 et du 19 mai au 5 juin 2001 et que c'est pendant cette période que la société Adecco est entrée en relations contractuelles avec le client qui générera cet important impayé. Il s'ensuit que si des manquements ont pu être commis dans la gestion de ce client, ils ne peuvent être imputés à M. Morin lequel, ainsi qu'il est établi par le dossier, s'est avisé dès son retour du problème posé par ce client et des manquements commis en son absence et en a informé sa direction.
Il suit de ces éléments que le premier grief mentionné dans la lettre de licenciement n'est pas établi et que le deuxième ne pouvait plus être invoqué à la date à laquelle il l'a été en application de l'article L. 122-44 du Code du travail. Comme le troisième grief repose sur la référence à de précédents manquements déjà sanctionnés, il s'en déduit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il importe, en conséquence, de confirmer le jugement sur l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement sauf à porter à 25 000 euro la somme qui sera allouée au salarié à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, eu égard aux pièces produites au dossier pour justifier du préjudice ayant résulté pour M. Morin de la perte de son emploi.
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
En application de ce texte, la société Adecco, partie perdante et tenue aux dépens, sera condamnée à payer à M. Morin, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, notamment les honoraires d'avocat, une somme qui sera déterminée dans le dispositif ci-après.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du Conseil de prud'hommes de Thouars en date du 18 novembre 2002 sur le rappel d'intéressement, sur l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et sur le remboursement des indemnités de chômage, Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la société Adecco à payer à M. Morin la somme de 25 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Condamne la société Adecco à payer à M. Morin les sommes de 2 372,31 euro à titre de solde contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, celle de 223,41 euro à titre de rappel de contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence, et celle de 948,92 euro au titre des congés payés afférents, Condamne la société Adecco à payer à M. Morin la somme de 1 200 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Adecco aux dépens d'appel.