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Décisions

Cass. com., 16 novembre 2004, n° 02-12.636

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Sanidis (Sté)

Défendeur :

Mariotte

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

M. Petit

Avocat général :

M. Viricelle

Avocats :

SCP Gatineau, Me Blondel

Rennes, 2e ch. com., du 9 janv. 2002

9 janvier 2002

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 janvier 2002), que, par acte du 25 juin 1999, M. Mariotte a cédé à la société Sanidis, substituée à M. Bigo, les actions composant le capital de la société EAR Mariotte ; que, par un autre acte du même jour, M. Mariotte s'est engagé à garantir le montant de la situation nette de la société telle qu'elle apparaîtrait au bilan arrêté contradictoirement entre les parties à la date du 30 juin 1999 ; que le bilan établi à cette date par l'expert-comptable de la société Sanidis a fait apparaître une importante perte nette comptable et que la société EAR Mariotte a été mise en redressement judiciaire le 2 novembre 1999 ; que la société Sanidis a demandé en justice la résolution de la cession sur le fondement de la garantie des vices cachés, subsidiairement son annulation pour vice du consentement et plus subsidiairement la condamnation de M. Mariotte au titre de son engagement de garantie ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Sanidis fait grief à l'arrêt d'avoir écarté des débats les conclusions qu'elle avait déposées les 9 et 13 novembre 2001, alors, selon le moyen, que le criminel tient le civil en l'état ; que le juge civil doit ordonner le sursis dès lors que la décision pénale à intervenir est susceptible d'influer sur celle qu'il doit rendre ; qu'en l'espèce, elle invoquait l'ouverture d'une procédure pénale pour abus de biens sociaux, par décision du juge d'instruction en date du 20 août 2001, à l'encontre de M. Mariotte, soupçonné d'avoir fait réaliser des travaux personnels importants aux frais de la société dont il avait par la suite cédé le contrôle ; que si elle s'était jointe à la procédure pénale, en formant une plainte avec constitution de partie civile, elle n'était pas elle-même à l'origine de cette procédure, initiée par l'ouverture d'une information judiciaire ; que les faits fondant la procédure pénale pouvaient avoir une influence directe sur le litige dont était saisi le juge civil, puisque l'existence de travaux frauduleusement financés sur la trésorerie de la société cédée était de nature à influer sur l'existence d'un vice caché concernant la situation réelle de la société cédée ; qu'en outre, la dissimulation de ces travaux par M. Mariotte accréditait la thèse d'un dol, explicitement invoqué devant le juge civil, et rendait suspect le refus de M. Mariotte d'entériner les conclusions du bilan comptable ; qu'en se bornant cependant à affirmer que les faits fondant la poursuite pénale étaient manifestement sans influence sur l'appréciation de la valeur des actions cédées, et que le dépôt d'une plainte ne constituait pas une cause grave de révocation de la clôture, sans tenir compte de ce qu'une information judiciaire avait précédé cette plainte, ni de ce que l'abus de biens sociaux soupçonné avait un lien direct avec la situation réelle de la société au moment de sa cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 783 et 784 du nouveau Code de procédure civile, ensemble l'article 5 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu que la cour d'appel, saisie d'un litige relatif à la validité d'une cession d'actions et à la mise en œuvre de la garantie légale ou conventionnelle du cédant, a pu retenir que les faits reprochés à celui-ci, à les supposer établis, n'étaient pas de nature à influer sur l'issue de ce litige ; qu'ayant relevé que ces faits ne constituaient donc pas une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture, elle a ainsi légalement justifié sa décision d'écarter des débats les conclusions déposées après cette ordonnance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Sanidis fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de résolution de la cession alors, selon le moyen : 1°) que constitue un vice caché le défaut qui rend la chose impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminue tellement cet usage que la chose n'aurait pas été acquise ; que la révélation d'un passif social après une cession de contrôle constitue un vice caché dès lors qu'il affecte l'usage des parts sociales elles-mêmes, et non seulement leur valeur ; que c'est le cas si le passif se révélant après la cession conduit à bref délai la société cédée à la cessation des paiements ; que peu importe à cet égard que la société ait continué à poursuivre son objet social durant quelques mois après la cession ; qu'en l'espèce, en écartant tout vice caché, au prétexte inopérant qu'elle avait pu accomplir l'objet social pendant plusieurs mois, quand il était constant que la société cédée avait été déclarée en redressement judiciaire par jugement du 2 novembre 1999, soit seulement quatre mois après la cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et suivants du Code civil ; 2°) qu'en l'espèce, M. Bidan, administrateur au redressement judiciaire de la société cédée, constatait dans son bilan économique et social que le bilan arrêté au 30 juin 1999, donc au moment de la cession, révélait une perte nette de 1 108 074 francs ; qu'il s'en évinçait que la situation réelle de la société au moment de la cession n'était pas celle décrite par M. Mariotte, mais était au contraire dégradée au point que la société était en état de cessation des paiements, ou en tout cas sur le point de l'être ; qu'en affirmant péremptoirement que l'attitude des nouveaux dirigeants de la société avait favorisé la cessation des paiements, impliquant à tout le moins que cette cessation menaçait, sans tenir aucun compte de la situation pour le moins dégradée de la société au moment de sa cession, ni prendre en considération la perte nette révélée par M. Bidan, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et suivants du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que la société Sanidis ne conteste pas avoir reçu, avec les actions elles-mêmes, le contrôle et la direction effective de la société Mariotte et avoir pu accomplir l'objet social pendant plusieurs mois avant le "dépôt de bilan", qu'il n'est en rien établi que cette société était en état de cessation des paiements lors de la cession de ses actions à la société Sanidis et que la cessation des paiements survenue ultérieurement a été favorisée par le refus des nouveaux dirigeants de la société Mariotte de profiter des concours bancaires permettant d'assurer la continuité d'une exploitation essentiellement saisonnière ainsi que par leur choix de marchés moins importants, alors que le carnet de commande était bien fourni et que les créances clients compensaient le passif ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, d'où il résulte que la perte invoquée n'avait pas mis la société dans l'impossibilité de poursuivre l'activité économique constituant son objet et ne constituait donc pas un vice affectant l'usage des actions cédées, la cour d'appel, qui n'avait pas à tenir compte du rapport de l'administrateur au redressement judiciaire qui n'était pas invoqué devant elle, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Sanidis fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation de la cession pour dol et à tout le moins pour erreur sur les qualités substantielles des actions cédées alors, selon le moyen : 1°) que le vice du consentement, erreur ou dol, suppose nécessairement que la victime ait contracté, pour ne s'apercevoir qu'a posteriori de son erreur, ou des manœuvres et réticences l'ayant amenée à contracter à des conditions qu'elle n'aurait pas acceptées autrement ; que l'on ne peut donc sérieusement opposer à la victime d'un tel vice, pour écarter l'existence d'une erreur ou d'un dol, le fait qu'elle avait bien conclu le contrat, au lieu d'y renoncer ; qu'en l'espèce, en rejetant la nullité de la cession pour dol ou pour erreur, au prétexte que, malgré les possibilités de résolution prévues au protocole, au lieu de renoncer à la cession, elle avait préféré acquérir les parts sociales, moyennant une légère diminution du prix, quand elle n'avait aucune raison de renoncer à son acquisition à un moment où elle ne disposait pas en réalité des informations sur la situation réelle de l'entreprise lui permettant d'exprimer un consentement éclairé, les juges du fond ont statué par un motif inopérant, et privé leur décision de base légale au regard des articles 1110 et suivants du Code civil ; 2°) que la convention de garantie stipulait expressément que toutes les déclarations faites seraient considérées comme ayant été déterminantes pour l'acquisition des actions ; que M. Mariotte avait garanti à ce titre des capitaux propres pour 1 709 467 francs, après constatation d'une perte nette comptable de 140 051 francs ; que cependant, au moment de la cession, la société devait accuser en réalité une perte nette de plus de 1 000 000 francs ; qu'en rejetant la demande de nullité, au prétexte que rien n'établissait que la société était en cessation des paiements au moment de la cession, sans rechercher si le hiatus entre la perte nette indiquée par M. Mariotte et celle finalement constatée au moment de la cession, nécessairement déterminant au regard des stipulations contractuelles, n'avait pu vicier le consentement de l'acquéreur, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1110 et suivants du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu que les conditions dans lesquelles s'est négociée la cession litigieuse démontrent que la société Sanidis, qui avait obtenu tous les documents souhaités et avait pu procéder à un audit comptable à l'issue duquel elle avait obtenu une réduction du prix, était pleinement et exactement informée de la situation de la société Mariotte, qu'il n'est en rien établi que cette société ait été victime d'une erreur sur les qualités substantielles des titres ainsi acquis et qu'aucune manœuvre dolosive n'est davantage démontrée, en l'absence de toute dissimulation sur la situation de l'entreprise de nature à modifier l'opinion du cessionnaire sur leur valeur, la cour d'appel a ainsi, abstraction faite du motif surabondant que critique la première branche et sans être tenue de procéder à la recherche visée par la seconde branche, qui ne lui était pas demandée, légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le quatrième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Sanidis fait enfin grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à la mise en œuvre de la garantie conventionnelle consentie par M. Mariotte, alors, selon le moyen : 1°) que la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement ; qu'en l'espèce il était constant que c'était M. Mariotte et son comptable M. Auffray qui avaient fait obstacle à l'établissement d'un bilan contradictoire ; qu'en effet, ce dernier avait bien participé aux travaux destinés à établir le bilan, mais avait argué d'un désaccord avec son confrère Loizeau agissant pour le compte de la société Sanidis, pour refuser d'entériner les conclusions desdits travaux ; qu'en imputant à cette société l'absence d'établissement d'un bilan contradictoire, qui plus est au prétexte péremptoire qu'elle aurait cherché à écarter M. Mariotte, sans s'expliquer sur la circonstance que l'expert-comptable de M. Mariotte avait eu tout loisir de participer aux travaux d'établissement du bilan, et s'était borné à refuser d'entériner ses conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1178 du Code civil ; 2°) qu'il ressortait encore explicitement du rapport de M. Bidan, administrateur judiciaire de la société Mariotte en redressement, que les chiffres établis par l'expert-comptable de la société Sanidis, et en particulier la perte nette de 1 108 074 francs au 30 juin 1999, étaient exacts ; qu'en affirmant péremptoirement qu'elle aurait écarté M. Mariotte de l'établissement du bilan, dans le but prétendument manifeste d'obtenir de son propre comptable un document destiné à justifier ses déboires, sans s'expliquer sur la circonstance précitée révélant au contraire l'exactitude des chiffres calculés par son comptable, et partant l'absence de toute manœuvre ou manipulation de sa part, et sans non plus s'expliquer sur le refus du comptable de M. Mariotte d'entériner des chiffres devant s'avérer parfaitement exacts, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1178 du Code civil ; 3°) qu'en tout état de cause, la convention de garantie stipulait explicitement que l'absence de réponse du garant dans les trente jours d'une réclamation reçue par lui au titre de sa garantie équivaudrait à une acceptation du supplément de passif ou de l'insuffisance d'actif révélés et à une acceptation de couvrir le préjudice subi par le bénéficiaire ; qu'en l'espèce, elle soutenait explicitement que M. Mariotte n'ayant pas dûment répondu au cessionnaire dans les trente jours de la demande qui lui avait été adressée, se bornant à adresser un courrier à M. Bigot qui n'était ni le cessionnaire ni son représentant, il était réputé avoir accepté la demande de garantie ; qu'en rejetant toute mise en œuvre de la garantie, sans aucunement s'expliquer, comme elle y était pourtant invitée, sur l'absence de réponse valable de M. Mariotte et sur l'acceptation en résultant, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Sanidis, qui s'était bornée à soutenir devant la cour d'appel que la situation au 30 juin 1999 avait bien été établie de concert par les deux parties et non unilatéralement par le cessionnaire, n'est pas recevable à prétendre à présent que c'était M. Mariotte et son comptable qui avaient fait obstacle à l'établissement d'un bilan contradictoire ;

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir souverainement constaté que la société Sanidis n'avait pas permis l'établissement contradictoire d'un bilan arrêté à la date de la cession, nécessaire à la mise en jeu de la garantie et que, bien au contraire, elle avait écarté M. Mariotte des opérations, l'arrêt retient que cette circonstance prive de toute valeur non seulement le document établi par l'expert-comptable de la société Sanidis mais aussi la demande consécutive adressée au cédant sur le fondement de ce document ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations excluant toute acceptation de la part du cédant, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur le rapport de l'administrateur au redressement judiciaire, non invoqué devant elle, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.