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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 1, 22 juin 2000, n° 97-00722

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Amex Equipement (SA), Locamod Metz (SARL), Locamod Lyon (SARL), Locamod Paris Est (SARL)

Défendeur :

Novabail (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallet

Conseillers :

MM. Raffejeaud, Dragne

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod, SCP Keime-Guttin

Avocats :

Me Gramond, SCP Brunswick & Associés.

T. com. Nanterre, 8e ch., du 25 sept. 19…

25 septembre 1996

Par contrat en date du 3 juillet 1991, la société Locaplus a donné en location pour cinq ans divers matériels de travaux publics à la société Cofimod.

La société Locaplus a résilié le contrat le 5 janvier 1994 pour non-paiement des loyers et a alors tenté de récupérer ses matériels qui se trouvaient répartis sur différents sites.

La société Cofimod a été mise en liquidation judiciaire le 16 février 1994 et la société Locaplus a déposé le 25 février 1994 une requête aux fins de revendication des matériels, à laquelle le juge-commissaire fera droit le 1er juin 1994.

Les matériels continuaient alors à être utilisés par la société Amex Equipement, qui avait repris le fonds de commerce de la société Cofimod, ainsi que par ses filiales Locamod.

La société Locaplus a fini par récupérer ses matériels, mais considérant qu'ils avaient été utilisés de manière fautive et qu'ils n'avaient pas été entretenus par la société Amex Equipement et ses filiales, elle les a assignées, selon actes d'huissier des 26 janvier et 12 mai 1995, en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, et subsidiairement de l'enrichissement sans cause.

Par jugement en date du 25 septembre 1996, le Tribunal de commerce de Nanterre a:

- dit recevables les assignations en intervention forcée des sociétés Locamod Metz, Locamod Lyon, Locamod Paris Est et Locamod Paris Nord (ci-après les filiales);

- dit que la société Amex Equipement et les filiales avaient utilisé abusivement une partie au moins des matériels pendant la période de novembre 1993 à juin 1994, et qu'elles avaient ainsi causé un préjudice à la société Locaplus;

- condamné solidairement la société Amex Equipement et les filiales à payer une somme de 300 000 F au titre de l'utilisation du matériel,

- condamné solidairement les mêmes à payer à la société Locaplus une somme de 350 000 F au titre des dégradations subies par le matériel;

- ordonné l'exécution provisoire;

- condamné solidairement les défenderesses à payer la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes;

- condamné solidairement les défenderesses aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que la société Amex Equipement et ses filiales avaient eu une attitude fautive en ne se manifestant pas auprès de la société Locaplus avant le 2 mai 1994, alors qu'elles détenaient le matériel depuis novembre 1993.

Il n'a toutefois indemnisé la société Locaplus que de l'utilisation irrégulière d'une partie de ses matériels, ainsi également que d'une partie des dégradations constatées, en considérant que certaines pouvaient avoir été commises avant novembre 1993 ou même s'être produites en cas de non-utilisation.

La société Amex Equipement et ses filiales ont régulièrement interjeté appel de ce jugement le 11 décembre 1996.

La liquidation judiciaire de la société Locamod Paris Nord prononcée le 2 mai 1997 a été clôturée le 20 novembre 1998 pour insuffisance d'actif.

Les autres appelantes ont conclu à l'infirmation du jugement entrepris et sollicité le débouté de la société Locaplus de toutes ses demandes, la restitution des sommes versées en exécution du jugement entrepris et le paiement d'une somme de 25 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Elles ont fait grief à la société Locaplus de ne pas avoir récupéré ses matériels plus tôt et de ne pas avoir accepté la proposition de renégociation formulée par la société Cofimod en décembre 1993.

Elles ont expliqué que, reprenant les activités de la société Cofimod, la société Amex Equipement s'était trouvée face à un matériel pléthorique dont il avait fallu identifier les propriétaires ; que trois des matériels litigieux étaient inutilisables ; que les autres n'avaient pas été utilisés, sauf trois par inadvertance ; que la société Locaplus avait pu contrôler l'existence de ses matériels ainsi que leur état; que la société Amex Equipement avait même fait rapatrier les engins entreposés dans l'agence de Dunkerque qui était fermée ; qu'en tout cas, elle n'était pas responsable du retard pris par la société Locaplus pour reprendre ses matériels.

Elles ont décliné toute responsabilité dans de prétendues dégradations et ont contesté le préjudice allégué.

La société Locaplus, aujourd'hui dénommée Novabail, a répliqué que la société Amex Equipement avait pris possession de ses matériels en novembre 1993 dans des conditions critiquables, puis les avait exploités, elle ou ses filiales, sans droit, ni titre et à son insu jusqu'en juin 1994, sans payer le moindre loyer, et, d'autre part, les avait détériorés ou avait négligé de procéder aux réparations d'entretien.

Elle a notamment dénoncé le concert frauduleux des sociétés Cofimod et Amex Equipement, dont les dirigeants étaient communs, ayant consisté pour la première, deux mois avant sa mise en redressement judiciaire, à consentir des contrats de location-gérance à la seconde, puis à engager des négociations avec elle afin de retarder la résiliation des contrats pour enfin déposer son bilan et céder son fonds de commerce, permettant ainsi à la société Amex Equipement d'exploiter les matériels sans prendre en charge les loyers impayés laissés au passif de la société Cofimod.

Elle a, par ailleurs, affirmé que les matériels avaient bien été utilisés, que leur restitution lui avait été refusée en janvier et février 1994 et que les dégradations étaient imputables à la société Amex Equipement et à ses filiales.

Elle a conclu, en conséquence, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait retenu la responsabilité des appelantes.

Elle a formé appel incident pour voir porter, en tant que de besoin sur le fondement de l'enrichissement sans cause, à la somme de 923 618,80 F son préjudice financier du fait de l'absence de contrepartie à la mise à disposition et à l'utilisation de ses matériels pendant huit mois et à la somme de 664 004,23 F son préjudice du fait de l'absence d'entretien, de réparation et de conservation des matériels.

Elle a sollicité, en définitive, le paiement de ces sommes, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation et 40 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Sur ce,

Considérant que les matériels loués ont été mis à la disposition de la société Amex Equipement en novembre 1993 par le biais de contrats de location-gérance consentis à celle-ci par la société Cofimod, et ce à l'insu de la société Locaplus;

Que la société Cofimod, qui ne payait plus les loyers depuis très longtemps, a tenté en décembre 1993 de renégocier le contrat de location avec la société Locaplus, dans le but évident de retarder une résiliation du contrat inévitable et permettre ainsi à son locataire-gérant de continuer à exploiter tout ou partie des matériels loués;

Que la société Locaplus a résilié le contrat le 5 janvier 1994 et a aussitôt entrepris de récupérer ses matériels;

Que les filiales Locamod se sont refusées à la restitution, prétextant la nécessité d'un accord écrit de la société Cofimod, ainsi que cela ressort d'un courrier de la société Inter Trading en date du 31 janvier 1994, et d'une sommation interpellative en date du 7 février 1994;

Que la société Cofimod a été mise en liquidation judiciaire le 16 février 1994;

Que la société Locaplus a, sans tarder, effectué sa déclaration de créance et déposé une requête en revendication de ses matériels en date du 25 février 1994;

Que la société Amex Equipement, qui avait repris le fonds de commerce de la société Cofimod, s'est enfin manifestée le 2 mai 1994 auprès de la société Locaplus pour lui proposer le rachat des matériels;

Qu'il n'a pas été donné suite à cette offre et que, le 1er juin 1994, le juge-commissaire a fait droit à la requête en revendication de la société Locaplus;

Que celle-ci a enfin pu récupérer ses matériels courant juillet 1994;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Amex Equipement et ses filiales ont détenu pendant huit mois, en violation des dispositions de l'article 5 des conditions générales du contrat de location, des matériels sur lesquels elles n'avaient aucun droit, ni titre, et sans bien évidemment payer le moindre loyer au propriétaire légitime;

Que la société Amex Equipement qui se trouve avoir à sa tête, M. Charles Debeaud, lui-même ancien dirigeant de la société Cofimod et signataire du contrat de location, n'ignorait évidemment pas le caractère irrégulier, voire frauduleux de sa prise de possession des matériels loués à la société Cofimod;

Qu'il est en fait manifeste que, par le biais d'une location-gérance restée clandestine, les dirigeants communs des sociétés Cofimod et Amex Equipement n'ont eu pour seul but que de poursuivre sous couvert de cette seconde société, l'exploitation des matériels loués indispensables à leur activité, tout en laissant les loyers impayés à la charge de la première qui allait déposer son bilan;

Que c'est en conséquence à bon droit que les premiers juges ont retenu que la société Amex Equipement et ses filiales avaient commis une faute et engagé ainsi leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

Considérant que c'est en revanche à tort qu'ils ont limité l'indemnisation du préjudice de la société Locaplus, lequel est constitué par son manque à gagner pendant la période de mise à disposition des appelantes de ces matériels, soit huit mois de loyer;

Considérant qu'il ne peut être reproché à la société Locaplus d'avoir négligé de récupérer ses matériels, alors que la relation des faits telle que plus haut prouve qu'elle a tout tenté pour les reprendre, se heurtant en revanche aux manœuvres et refus des sociétés Cofimod et Amex Equipement, ainsi que des filiales de cette dernière;

Qu'il est indifférent de savoir si les matériels ont été effectivement utilisés ou non par les appelantes, dès lors qu'elles en avaient la jouissance et que la société Locaplus en était au contraire privée;

Qu'il est au demeurant certain que ces matériels ont été utilisés, et pas seulement les trois dont les appelantes ne peuvent nier l'utilisation, puisque la société Locaplus a produit les factures de relocation;

Qu'en effet, l'inventaire établi par Maître Gillet Seurat a permis de constater que dix équipements sur trente n'étaient pas entreposés sur les sites des filiales Locamod, ce qui implique qu'ils étaient loués à des tiers;

Qu'en conséquence, le préjudice de la société Locaplus s'établit de ce chef à la somme de 115 452,35 F x 8 923 618,80 F;

Considérant que certains matériels ont été restitués par la société Amex Equipement et ses filiales en mauvais état;

Que si celles-ci sont présumées les avoir reçus en bon état d'entretien et que donc, la preuve de l'antériorité des dégradations leur incombe, cette démonstration est en l'espèce en partie faite par les rapports du CEBTP de juin 1993 qui établissent que certaines dégradations existaient lors de la prise de possession des matériels par la société Amex Equipement et ses filiales cinq mois plus tard;

Qu'en revanche, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il est indifférent de savoir si les dégradations constatées en juillet 1994 sont le résultat de l'utilisation ou de la non-utilisation des matériels par la société Amex Equipement et ses filiales, celles-ci ayant, en toute hypothèse, l'obligation d'assurer un entretien régulier et la conservation des matériels en leur possession et ne justifiant pas de leurs diligences sur ce point;

Considérant que selon devis de l'entreprise Grove versés aux débats, le coût des réparations s'élève à la somme de 664 004,23 F;

Que le matériel a été revendu par la société Locaplus à la valeur Argus diminuée de cette somme ;

Que celle-ci doit donc être retenue comme constituant le montant du préjudice de la société Locaplus;

Que compte tenu des dégradations constatées antérieurement à novembre 1993, la somme de 350 000 F arbitrée par les premiers juges sera confirmée;

Considérant qu'eu égard à la mauvaise foi des appelantes et à l'ancienneté du préjudice, la cour, dérogeant aux dispositions de l'article 1153 alinéa 2 du Code civil, fixera le point de départ des intérêts légaux au 26 janvier 1995, date de l'assignation;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée une somme de 20 000 F en compensation de ses frais d'appel non compris dans les dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Constate la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société Locamod Paris Nord, Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la société Locaplus une somme de 300 000 F au titre de l'utilisation du matériel, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne solidairement les sociétés Amex Equipement, Locamod Metz, Locamod Lyon et Locamod Paris Est à payer à la société Novabail, anciennement dénommée Locaplus, la somme de 923 618,80 F (neuf cent vingt-trois mille six cent dix-huit francs et quatre-vingts centimes) au titre de la jouissance de son matériel. Confirme pour le surplus. Y ajoutant, Dit que les indemnités allouées porteront intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 1995. Condamne solidairement les sociétés Amex Equipement, Locamod Metz, Locamod Lyon et Locamod Paris Est à payer à la société Novabail la somme de 20 000 F (vingt mille francs) au titre de l'article 700 du NCPC. Les condamne solidairement aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Lissarrague-Dupuis & Boccon-Gibod, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.