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Décisions

CJCE, 12 décembre 1974, n° 36-74

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BNO Walrave, LJN Koch

Défendeur :

Association Union cycliste internationale, Koninklijke Nederlandsche Wielren Unie, Federación Española Ciclismo

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

MM. Mackenzie Stuart

Présidents de chambre :

MM. Galmot, O'Higgins, Schockweiler

Avocat général :

M. Darmon

Juges :

MM. Bosco, Koopmans, Everling, Bahlmann, Joliet, Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias

CJCE n° 36-74

12 décembre 1974

LA COUR,

1. Attendu que, par jugement du 15 mai 1974, parvenu au greffe de la Cour le 24 du même mois, le Arrondissementsrechtbank de Utrecht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, différentes questions relatives à l'interprétation des articles 7, alinéa 1, 48 et 59, alinéa 1, de ce traité ainsi que du règlement du Conseil n°1612-68 du 15 octobre 1968 (JO n° L 257, p. 2) relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ;

2. Qu'il est, en substance, demandé si ces textes doivent être interprétés en ce sens que serait incompatible avec leur teneur une disposition du règlement de l'Union cycliste internationale, relatif aux championnats du monde de courses cyclistes de demi-fond derrière entraîneur à motocyclette, selon laquelle " l'entraîneur doit être de la même nationalité que son coureur ";

3. Que ces questions sont posées dans le cadre d'une action dirigée contre l'Union cycliste internationale, ainsi que les fédérations cyclistes néerlandaise et espagnole, par deux ressortissants néerlandais, participant habituellement en qualité d'entraîneurs à des courses du type décrit, qui considèrent comme discriminatoire la disposition citée du règlement de l'UCI ;

4. Attendu que, compte tenu des objectifs de la Communauté, l'exercice des sports ne relève du droit communautaire que dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité ;

5. Que, lorsqu'une telle activité a le caractère d'une prestation de travail salarié ou d'une prestation de service rémunérée, elle tombe, plus particulièrement, dans le champ d'application, suivant le cas, des articles 48 à 51 ou 59 à 66 du traité ;

6. Que ces dispositions, qui mettent en œuvre la règle générale de l'article 7 du traité, interdisent toute discrimination fondée sur la nationalité dans l'exercice des activités qu'elles visent ;

7. Qu'à cet égard la nature exacte du lien juridique en vertu duquel ces prestations sont accomplies est indifférente, la règle de non-discrimination s'étendant, en des termes identiques, à l'ensemble des prestations de travail ou de service ;

8. Que, cependant, cette interdiction ne concerne pas la composition d'équipes sportives, en particulier sous forme équipes nationales, la formation de ces équipes étant une question intéressant uniquement le sport et, en tant que telle, étrangère à l'activité économique ;

9. Que cette restriction du champ d'application des dispositions en cause doit cependant rester limitée à son objet propre ;

10. Qu'il appartient à la juridiction nationale de qualifier, au regard de ce qui précède, l'activité soumise à son appréciation et de décider en particulier si, dans le sport en cause, entraîneur et coureur constituent ou non une équipe ;

11. Attendu que les réponses sont données dans les limites, ci-dessus définies, du champ d'application du droit communautaire ;

12. Attendu que les questions posées se rapportent à l'interprétation des articles 48 et 59, et, subsidiairement, de l'article 7 du traité ;

13. Qu'en substance, elles concernent l'applicabilité des dispositions citées à des rapports juridiques ne relevant pas du droit public, la détermination de leur sphère d'application territoriale au regard d'une réglementation sportive émanant d'une fédération d'envergure mondiale, ainsi que l'applicabilité directe de certaines d'entre elles ;

14. Attendu qu'il est demandé, en premier lieu, à propos de chacun des articles vises, si les dispositions d'un règlement d'une fédération sportive internationale peuvent être considérées comme incompatibles avec le traité ;

15. Qu'il a été allégué que les interdictions de ces articles ne viseraient que les restrictions trouvant leur origine dans des actes de l'autorité et non celles résultant d'actes juridiques émanant de personnes ou associations ne relevant pas du droit public ;

16. Attendu que les articles 7, 48 et 59 ont en commun de prohiber, dans leurs domaines d'application respectifs, toutes discriminations exercées en raison de la nationalité ;

17. Que la prohibition de ces discriminations s'impose non seulement à l'action des autorités publiques mais s'entend également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services ;

18. Qu'en effet l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des personnes et à la libre prestation des services, objectifs fondamentaux de la Communauté, enoncés à l'article 3, lettre c), du traité, serait compromise si l'abolition des barrières d'origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l'exercice de leur autonomie juridique par des associations ou organismes ne relevant pas du droit public ;

19. Qu'en outre, les conditions de travail étant dans les différents Etats membres régies tantôt par la voie de dispositions d'ordre législatif ou réglementaire, tantôt par des conventions et autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées, une limitation des interdictions en cause aux actes d'autorité publique risquerait de créer des inégalités quant à leur application ;

20. Que, sans doute, les articles 60, alinéa 3, 62 et 64 concernent spécifiquement, dans le domaine des prestations de services, la suppression de mesures d'ordre étatique mais que cette circonstance ne permet pas de faire échec à la généralité des termes de l'article 59, lequel ne fait aucune distinction en ce qui concerne l'origine des entraves à éliminer ;

21. Que, par ailleurs, il est constant que l'article 48, relatif à l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne les activités salariées, entend également aux conventions et règlements n'émanant pas des autorités publiques ;

22. Que, par voie de conséquence, l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612-68 prévoit que l'interdiction de discrimination s'applique aux conventions et autres réglementations collectives du travail ;

23. Que les activités visées à l'article 59 ne se distinguent pas de celles visées à l'article 48 par leur nature mais seulement par la circonstance qu'elles sont exercées en dehors des liens d'un contrat de travail ;

24. Que cette seule différence ne saurait justifier une interprétation plus restrictive du champ d'application de la liberté qu'il s'agit d'assurer ;

25. Qu'il en résulte que les dispositions des articles 7, 48 et 59 du traité peuvent être prises en considération, par le juge national, en vue d'apprécier la validité ou les effets d'une disposition insérée dans le règlement d'une organisation sportive ;

26. Attendu que la juridiction nationale pose ensuite la question de savoir dans quelle mesure la règle de non-discrimination peut être appliquée à des rapports juridiques établis dans le cadre des activités d'une fédération sportive d'envergure mondiale ;

27. Que la Cour est également invitée à dire si la situation juridique peut être différente selon que la compétition sportive a lieu sur le territoire de la Communauté ou en dehors de celui-ci ;

28. Attendu que la règle de non-discrimination, du fait qu'elle est impérative, s'impose pour appréciation de tous rapports juridiques, dans toute la mesure où ces rapports, en raison soit du lieu où ils sont établis, soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de la Communauté ;

29. Qu'il appartient au juge national d'apprécier cette localisation en considération des circonstances de chaque cas particulier et de tirer, en ce qui concerne l'effet juridique de ces rapports, les conséquences d'une éventuelle violation de la règle de non-discrimination ;

30. Attendu que la juridiction nationale a posé, en dernier lieu, la question de savoir si l'article 59, alinéa 1, et, éventuellement, l'article 7, alinéa 1, du traité produisent des effets directs dans l'ordre juridique des Etats membres ;

31. Attendu que, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, l'article 59 a pour objet de prohiber, dans le domaine des prestations de services, entre autres, toute discrimination exercée en raison de la nationalité du prestataire ;

32. Que, dans le secteur des prestations de services, l'article 59 constitue la mise en œuvre de la règle de non-discrimination formulée par l'article 7 pour le domaine d'application global du traité, et par l'article 48 pour le secteur du travail salarié ;

33. Qu'ainsi qu'il a déjà été dit pour droit (arrêt du 3 décembre 1974 dans l'affaire 33-74, Van Binsbergen) l'article 59 comporte, pour la fin de la période de transition, une interdiction inconditionnelle qui empêche, dans l'ordre juridique de chaque Etat membre, en ce qui concerne les prestations de services - et pour autant qu'il s'agisse de ressortissants des Etats membres - d'imposer des entraves ou limitations fondées sur la nationalité du prestataire des services ;

34. Qu'il y a donc lieu de répondre à la question posée que l'article 59, alinéa 1, engendre, en tout cas dans la mesure où il vise à l'élimination de toute discrimination fondée sur la nationalité, dès la fin de la période de transition, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ;

Sur les dépens

35. Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;

36. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;

Par ces motifs

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Arrondissementsrechtbank de Utrecht, dit pour droit :

1) Compte tenu des objectifs de la Communauté, l'exercice des sports ne relève du droit communautaire que dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité ;

2) L'interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, édictée par les articles 7, 48 et 59 du traité, ne concerne pas la composition équipes sportives, en particulier sous forme équipes nationales, la formation de ces équipes étant une question intéressant uniquement le sport, et, en tant que telle, étrangère à l'activité économique ;

3) L'interdiction de discrimination fondée sur la nationalité s'impose non seulement à l'action des autorités publiques mais entend également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services ;

4) La règle de non-discrimination s'impose pour appréciation de tous rapports juridiques, dans toute la mesure où ces rapports, en raison soit du lieu où ils sont établis, soit du lieu où ils produisent leurs effets, peuvent être localisés sur le territoire de la Communauté ;

5) L'article 59, alinéa 1, engendre, en tout cas dans la mesure où il vise à l'élimination de toute discrimination fondée sur la nationalité, dès la fin de la période de transition, dans le chef des justiciables, des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder.