CJCE, 16 décembre 1976, n° 33-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rewe-Zentralfinanz EG et Rewe-Zentral AG
Défendeur :
Landwirtschaftskammer für das Saarland
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 23 janvier 1976, parvenue au greffe de la Cour le 6 avril suivant, le Bundesverwaltungsgericht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles relatives aux articles 5, 9 et 13, paragraphe 2, du traité CEE ;
2. Que ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige portant sur le paiement en 1968, pour l'importation par les demanderesses en révision de pommes françaises, de taxes de contrôle phytosanitaire, considérées comme équivalant à des droits de douane par l'arrêt de la Cour du 11 octobre 1973 dans l'affaire 39-73 (recueil 1973, p. 1039) ;
Que la défenderesse en révision a rejeté les réclamations des demanderesses visant à l'annulation des décisions de taxation et au remboursement des montants acquittés (intérêts compris), au motif qu'elles étaient irrecevables pour inobservation des délais prescrits par l'article 58 de la Verwaltungsgerichtsordnung (Code de procédure judiciaire administrative) ;
3. Attendu que par la première question il est demandé si, en cas de violation par l'administration nationale de l'interdiction des taxes d'effet équivalent (articles 5, 9 et 13, paragraphe 2, du traité CEE), le justiciable de la communauté a, selon le droit communautaire, un droit à l'annulation ou au retrait de l'acte administratif, et/ou à la restitution de la somme versée, même lorsque, selon le droit national procédural, l'acte administratif est devenu inattaquable pour inobservation des délais ;
Que, par la deuxième question, il est demande s'il en est ainsi du moins lorsque la Cour de justice a déjà constaté la violation de l'interdiction prévue par le droit communautaire ;
Que, par la troisième question, il est demande, en cas de réponse affirmative quant à l'existence du droit à restitution en droit communautaire, si ce droit à paiement peut être assorti d'intérêts et, dans l'affirmative, à partir de quelle date et à quel taux ;
Sur la première question
4. Attendu que ni la défenderesse ni la juridiction nationale ne doutent que les taxes litigieuses aient été illégalement perçues ;
Qu'il convient toutefois de préciser que, bien que l'effet direct de l'article 13, paragraphe 2, du traité CEE n'ait pu être invoque qu'a partir du 1er janvier 1970, fin de la période transitoire, la perception desdites taxes était déjà antérieurement illégale en vertu de l'article 13, paragraphe 1, du règlement n° 159-66-CEE du Conseil, du 25 octobre 1966 (JO n° 192 du 27 octobre 1966), qui les supprimait pour les fruits et légumes à partir du 1er janvier 1967 ;
5. Attendu que l'interdiction édictée à l'article 13 du traité ainsi que celle édictée à l'article 13 du règlement n° 159-66-CEE, ont un effet direct et confèrent aux justiciables des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ;
Qu'ainsi, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, c'est aux juridictions nationales qu'est confié le soin d'assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l'effet direct des dispositions du droit communautaire ;
Que, des lors, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de designer les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destines à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ;
Que les articles 100 a 102 et 235 du traité permettent, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux disparités des dispositions législatives, réglementaires ou administratives des Etats membres en la matière, si elles s'avéraient de nature à provoquer des distorsions ou à nuire au fonctionnement du Marché commun ;
Qu'à défaut de pareilles mesures d'harmonisation, les droits conférés par le droit communautaire doivent être exercés devant les juridictions nationales selon les modalités déterminées par la règle nationale ;
Qu'il n'en serait autrement que si ces modalités et délais aboutissaient à rendre en pratique impossible l'exercice de droits que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder ;
Que tel n'est pas le cas de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion ;
Qu'en effet, la fixation de tels délais, en ce qui concerne les recours de nature fiscale, constitue l'application du principe fondamental de sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernée ;
6. Qu'il y a donc lieu de répondre à la première question qu'en l'état actuel du droit communautaire, celui-ci n'interdit pas d'opposer à un justiciable qui attaque devant une juridiction nationale une décision d'une autorité nationale pour incompatibilité avec le droit communautaire, l'échéance des délais de recours prévus par le droit national, étant entendu que les modalités procédurales de l'action en justice ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ;
Sur la deuxième question
7. Attendu que la circonstance que la Cour s'est prononcée sur la question de la violation du traité n'a pas d'incidence sur la réponse donnée à la première question ;
Sur la troisième question
8. Attendu qu'eu égard à la réponse donnée à la première question, la troisième est devenue sans objet ;
Sur les dépens
9. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, par le Gouvernement de la République italienne, par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
Que, la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient a celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions a elle soumises par le Bundesverwaltungsgericht par ordonnance du 23 janvier 1976, dit pour droit :
1) en l'état actuel du droit communautaire, celui-ci n'interdit pas d'opposer à un justiciable, qui attaque devant une juridiction nationale une décision d'une autorité nationale pour incompatibilité avec le droit communautaire, l'échéance des délais de recours prévus par le droit national, étant entendu que les modalités procédurales de l'action en justice ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ;
2) la circonstance que la Cour s'est prononcée sur la question de la violation du traité n'a pas d'incidence sur la réponse donnée à la première question.