CJCE, 16 décembre 1976, n° 45-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comet BV
Défendeur :
Produktschap voor Siergewassen
LA COUR,
1. Attendu que, par ordonnance du 25 mai 1976, parvenue au greffe de la cour le 26 mai 1976, le collège Van Beroep Voor Het Bedrijfsleven a, en vertu de l'article 177 du traité CEE, posé à la cour de justice une question visant à savoir si dans le cas ou un justiciable attaqué devant le juge national une décision d'un organe national pour incompatibilité avec le droit communautaire, une quelconque disposition ou un quelconque principe du droit communautaire interdit de lui opposer l'échéance d'un délai de recours prévu par le droit national, soit dans le sens que le juge ne peut pas déclarer le recours formé par l'intéressé irrecevable pour non-respect d'un pareil délai, soit dans cet autre sens que l'administration ne peut pas invoquer l'échéance d'un pareil délai pour refuser de reconsidérer la décision;
2. Que cette question a été posée dans le cadre d'un litige porte devant cette juridiction par la demanderesse au principal, et visant à faire reconnaître qu'elle a payé indûment au Produktschap Voor Siergewassen (ci-après Produktschap), défenderesse au principal, sur des exportations de bulbes et oignons de plantes à fleur vers la République fédérale d'Allemagne, effectuées au cours des derniers mois de 1968 et des premiers mois de 1969, des contributions constituant des taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation, incompatibles avec l'article 16 du traité et, par ailleurs, interdits par l'article 10 du règlement n° 234-68 du Conseil, du 27 février 1968, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des plantes vivantes et des produits de la floriculture, devenu applicable à partir du 1er juillet 1968 ;
3. Que la demanderesse au principal demande à la juridiction nationale de reconnaître qu'elle est en droit d'opérer une compensation entre les sommes indûment payées et des montants qui lui sont réclamés par le Produktschap à un autre titre ;
4. Attendu que le Produktschap ne conteste pas que la contribution litigieuse constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation et admet que les dispositions nationales qui en prévoyaient la perception étaient, à partir du 1er juillet 1968, date de mise en application du règlement n° 234-68, devenues incompatibles avec l'article 10 de ce règlement qui interdit, dans le commerce intracommunautaire, en ce qui concerne les produits horticoles visés par le règlement, la perception de tout droit de douane ou taxe d'effet équivalent ;
5. Attendu qu'il y a cependant lieu de faire observer que cette incompatibilité a pris effet au 1er janvier 1962 en vertu de l'article 16 du traité, qui oblige les Etats membres à supprimer entre eux, au plus tard à la fin de la première étape de la période transitoire, les droits de douane à l'exportation et les taxes d'effet équivalent ;
6. Attendu qu'il est ainsi constant que les contributions exigées de la demanderesse au principal par les avis de taxation et par l'état récapitulatif qui lui ont été signifies les 7 juillet et 19 septembre 1969 et le 8 juillet 1971, l'ont été en violation de l'interdiction de l'article 16 du traité ;
7. Que, cependant, ces contributions ont été acquittées par la demanderesse au principal qui, affirmant les avoir payées par erreur, en réclame devant la juridiction nationale le remboursement par voie de compensation ;
8. Attendu que le Produktschap soutient que, pour avoir omis de prendre recours, dans le délai prévu par la législation nationale organisant ce recours, contre les avis de taxation et l'avis récapitulatif qui lui ont été signifiés, la demanderesse au principal ne pourrait plus contester les contributions litigieuses, ni en réclamer le remboursement ;
9. Que la demanderesse au principal soutient, de son coté, que la primauté du droit communautaire implique que soit efface tout acte qui en constitue la violation et qu'elle dispose, des lors, devant les juridictions nationales, tenues de sauvegarder les droits qu'elle tire de l'article 16, d'une action autonome indépendante des restrictions prévues par les législations nationales susceptibles d'affaiblir l'impact de l'effet direct de cette disposition dans l'ordre juridique des Etats membres ;
10. Qu'ainsi, la question posée vise à savoir si les modalités d'exercice - en tout cas en ce qui concerne les délais de recours - des actions judiciaires destinées à assurer la protection des droits que les justiciables tirent de l'effet direct d'une disposition communautaire - en l'occurrence l'article 16 du traité et l'article 10 du règlement n° 234-68 - sont réglées par le droit national de l'Etat membre ou ces actions sont exercées, ou si elles en sont, au contraire, indépendantes et ne pourraient relever que du droit communautaire lui-même ;
11. Attendu que l'interdiction édictée à l'article 16 du traité, ainsi que celle édictée à l'article 10 du règlement n° 234-68, ont un effet direct et confèrent aux justiciables des droits que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder ;
12. Qu'ainsi, par application du principe de coopération énoncé à l'article 5 du traité, c'est aux juridictions nationales qu'est confié le soin d'assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l'effet direct des dispositions du droit communautaire ;
13. Que, dès lors, en l'absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de designer les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destines à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct du droit communautaire, étant entendu que ces modalités ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ;
14. Que les articles 100 a 102 et 235 du traité permettent, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires pour remédier aux disparités des dispositions législatives, réglementaires ou administratives des Etats membres en la matière, si elles s'avéraient de nature à provoquer des distorsions ou à nuire au fonctionnement du Marché commun ;
15. Qu'à défaut de pareilles mesures d'harmonisation, les droits conférés par le droit communautaire doivent être exercés devant les juridictions nationales selon les modalités déterminées par la règle nationale ;
16. Qu'il n'en serait autrement que si ces modalités et délais aboutissaient à rendre, en pratique, impossible l'exercice de droits que les juridictions nationales ont l'obligation de sauvegarder ;
17. Que tel n'est pas le cas de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion ;
18. Qu'en effet, la fixation de tels délais, en ce qui concerne les recours de nature fiscale, constitue l'application du principe fondamental de sécurité juridique qui protège à la fois le contribuable et l'administration concernée ;
19. Qu'il y a donc lieu de répondre que, en l'état actuel du droit communautaire, celui-ci n'interdit pas d'opposer a un justiciable qui attaque devant une juridiction nationale une décision d'une autorité nationale pour incompatibilité avec le droit communautaire, l'échéance des délais de recours prévus par le droit national, étant entendu que les modalités procédurales de l'action en justice ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne ;
Sur les dépens
20. Attendu que les frais exposés par le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne et la Commission des communautés européennes qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet de remboursement ;
21. Que la procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulève devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le collège Van Beroep Voor Het Bedrijfsleven par ordonnance du 25 mai 1976, dit pour droit :
En l'état actuel du droit communautaire, celui-ci n'interdit pas d'opposer à un justiciable qui attaque devant une juridiction nationale une décision d'une autorité nationale pour incompatibilité avec le droit communautaire, l'échéance des délais de recours prévus par le droit national, étant entendu que les modalités procédurales de l'action en justice ne peuvent être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne.