CA Rennes, 2e ch. com., 25 mai 2004, n° 03/01561
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Socobati (Sté)
Défendeur :
I-Tek (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseillers :
Mmes Nivelle, Jeannesson
Avoués :
SCP Gauvain & Demidoff, SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonec
Avocats :
Mes Massart, Monégier du Sorbier.
1 - Exposé du litige
Par acte du 27 février 2003, la société Socobati a régulièrement interjeté appel d'une décision rendue le 14 janvier 2003 par le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc qui a:
- dit que la société Socobati exerçant son activité sous la dénomination commerciale Calimat s'est rendue coupable de la contrefaçon de la marque Gevitop n° 97.668.291 déposée le 7 mars 1997;
- interdit à la société Socobati et à toute personne physique ou morale interposée d'utiliser la dénomination Gevitop sous astreinte de mille euro (1 000 euro) par jour de retard à compter de la signification du jugement;
- ordonné la saisie aux fins de destruction de tous documents, plans, prospectus, papiers commerciaux, publicités portant la dénomination Gevitop et se trouvant entre les mains de la société Socobati ou de ses représentants et préposés et ce sous astreinte de deux mille euro (2 000 euro) par jour de retard dans les 48 heures suivant la signification du jugement;
- ordonné l'exécution provisoire de ces sanctions de la contrefaçon;
- dit que la société Socobati a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société I-Tek;
- condamné, la société Socobati à verser à la SA I-Tek la somme de 13 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon, la somme de 16 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et celle de 4 700 euro au titre des frais irrépétibles;
- ordonné la publication du dispositif du jugement dans les magazines Porc Magazine et Reussir Porc sans que les frais à la charge de la société Socobati ne puisse excéder pour les deux parutions la somme de 3 050 euro.
La société Socobati demande à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
- déclarer irrecevable la demande de la société I-Tek relative à des prétendus actes de concurrence déloyale et parasitaires entre les deux sociétés commerciales;
- déclarer nul le procès-verbal de contrefaçon en date du 19 avril 2000;
- condamner la société I-Tek à lui payer une somme de 7 600 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 2 300 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans les deux magazines précités à concurrence de 3 000 euro chacune;
La SARL I-Tek demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions ; elle sollicite en outre la condamnation de la société Socobati à lui payer une somme supplémentaire de 20 000 euro en réparation de l'atteinte portée à la valeur de la marque Gevitop, une somme de 15 000 euro de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme supplémentaire de 30 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
2 - Moyens proposés par les parties
La société Socobati, appelante, fait valoir au soutien de son recours que la saisie-contrefaçon est nulle faute pour l'huissier d'avoir eu recours à un expert indépendant et qu'elle contrevient aux dispositions de l'article 6 de la Convention EDH; elle soutient aussi que le document saisi est un document original de la société I-Tek et en aucun cas une contrefaçon et que l'intimée n'établit pas la preuve d'actes de concurrence déloyale en relation avec la contrefaçon de marque alléguée, la société I-Tek se bornant simplement à énoncer des affirmations d'ordre général.
La société I-Tek intimée fait valoir au contraire que la saisie-contrefaçon est une mesure conservatoire instaurée par le législateur et qu'elle n'est pas un procès au sens de l'article 6 de la Convention EDH ; que le procès-verbal querellé respecte tant les dispositions de l'article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle que les exigences de la jurisprudence en la matière et que la société Socobati ne démontre pas en quoi la nullité, par ailleurs non avérée du procès-verbal, lui ferait grief; elle rappelle en outre que le délit de contrefaçon existe du seul fait de la reproduction matérielle de la marque d'autrui et que dès lors la simple apposition de la dénomination Gevitop sur des plans sans l'autorisation de la société I-Tek constitue un acte de contrefaçon par reproduction ; elle souligne enfin que la société Socobati s'est placée dans le sillage de la société I-Tek pour bénéficier du succès commercial de cette dernière, qu'elle a créé un risque de confusion dans l'esprit du public sur l'origine des produits commercialisés et s'est livrée à un véritable détournement de savoir-faire de la société I-Tek, commettant par la même des actes de concurrence déloyale.
Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à la décision attaquée, et aux écritures des parties régulièrement signifiées;
3- Motifs de l'arrêt
1 - Sur la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon
Considérant que l'article L. 7l6-7 du Code de la propriété intellectuelle permet au titulaire d'une marque de faire procéder à la saisie réelle de produits qu'il prétend marquer par tout huissier assisté d'expert de son choix;
Qu'en l'espèce, l'huissier était assisté par Madame Fabienne Lavazais, membre du cabinet de conseil en propriété industrielle Le Guen & Maillet;
Que cet expert a été choisi par la société I-Tek;
Que la société saisissante ne conteste pas que le cabinet Le Guen & Maillet est son mandataire en propriété industrielle;
Or considérant que le cabinet Le Guen & Maillet conseil en propriété industrielle est un cabinet indépendant ; qu'il ne peut en conséquence être considéré comme se trouvant en position de subordination par rapport à la société saisissante;
Que l'indépendance de l'expert choisi ne peut être mise en cause du seul fait qu'il soit intervenu dans un dépôt de marque au profit de la société I-Tek ni du fait qu'il soit rétribué pour son assistance dans une opération de saisie-contrefaçon;
Qu'il en résulte que la présence pour assister l'huissier d'un membre du cabinet de conseil en propriété industrielle Le Guen & Maillet, fut-il le conseil habituel du requérant, ne viole pas les prescriptions impératives de l'article 6-1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme relatif au procès équitable;
2 - Sur l'action en contrefaçon de marque et l'action en concurrence déloyale
Considérant en l'espèce que la société I-Tek a déposé le 7 mars 1997 la marque Gevitop pour désigner des "cases métalliques pour porcs, caillebotis métallique"; Qu'elle a fait procéder à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société STSM, sous-traitante de la société Socobati qui par ailleurs exerce sous la dénomination commerciale Calimat;
Que cette saisie a porté sur un classeur noir portant l'inscription Calimat dont il n'est pas nié par la société Socobati qu'elle concerne son établissement secondaire situé à "La Rabine" en Yvignac sur la commune de Canines;
Que ce classeur contenait outre des paiements par traite, des plans de case métallique pour animaux et notamment un plan sur lequel apparaît en bas à droite la mention "Portes Gevitop";
Considérant que la société Socobati soutient que le plan portant la marque Gevitop comportant des adjonctions chiffrées manuscrites aurait été déposé chez son sous-traitant par erreur et ne serait qu'un original distribué par I-Tek;
Considérant que la contrefaçon s'entend de l'usage de la marque d'autrui sans autorisation de son propriétaire, et vise tous ceux qui portent atteinte à la marque sous quelque forme et quelque manière que ce soit, et ce même en l'absence de préjudice pour le titulaire de la marque ou en l'absence de profit pour le contrefacteur;
Que toutefois il n'est pas prouvé en l'espèce que le plan portant la marque Gevitop soit un original fabriqué par Socobati et non pas une copie distribuée par I-Tek dans le public ; que dès lors la contrefaçon de marque ne saurait être caractérisée ;
Considérant par ailleurs que la société Socobati a fourni à son sous-traitant les plans portant la mention "Portes Gevitop";qu'en s'appropriant ces plans et dessins elle a failli au règles de loyauté commerciale ; que ce fait constitue à lui seul un manquement constitutif de concurrence déloyale ;qu'en effet en agissant ainsi, la société Socobati se place dans le sillage de la société I-Tek pour bénéficier sans le moindre effort du succès commercial de cette dernière et contribue à créer un risque de confusion entre les entreprises concurrentes;
Que ces actes déloyaux ont engendré pour la société intimée un préjudice commercial qui sera conformément à la décision du tribunal évalué forfaitairement à la somme de 16 000 euro;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société I-Tek les frais irrépétibles qu'elle a exposés à l'occasion de la présente procédure ; qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Socobati à lui verser la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
Que succombant elle sera également condamnée aux dépens d'instance et d'appel;
Décision
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Réformant la décision déférée, Déclare l'action en contrefaçon de la société I-Tek infondée, Déclare la société Socobati coupable de faits de concurrence déloyale et la condamne à payer à la société I-Tek la somme de 16 000 euro au titre du préjudice subi, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la société Socobati à payer à la société I-Tek la somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Socobati aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.