Livv
Décisions

Conseil Conc., 30 novembre 2004, n° 04-D-62

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Respect de l'injonction prononcée à l'encontre de la société Sogec Gestion par le Conseil de la concurrence dans sa décision n° 02-D-33 en date du 10 juin 2002

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de M. Fontaine, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance ainsi que MM. Flichy, Gauron, Piot, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 04-D-62

30 novembre 2004

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 22 août 2003 sous le numéro 03/0055R, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence du non-respect des injonctions prononcées à l'encontre de la société Sogec Gestion par le Conseil de la concurrence dans sa décision du 10 juin 2002 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, ainsi que le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu la décision n° 02-D-33 en date du 10 juin 2002 ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, entendus au cours de la séance du 20 octobre 2004 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. En juillet 1999 et avril 2000, la société Scan Coupon a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Sogec Gestion estimées anticoncurrentielles. Dans sa décision n° 02-D-33 du 10 juin 2002, le Conseil a relevé, notamment, que la présence d'une clause d'exclusivité dans les contrats de Sogec Gestion, qui détient une position dominante sur le marché du traitement des coupons de réduction, constitue une " entrave considérable " à l'entrée sur le marché et au développement de nouveaux opérateurs. Il a également noté que Sogec Gestion, qui communique à ses clients un Code spécifique nécessaire au traitement des bons de réduction dans les centres de tri, avait suspendu la délivrance de ces codes à certains clients qui avaient, manifesté la volonté, soit de voir la clause d'exclusivité disparaître du prochain contrat, soit de recourir aux services de certains opérateurs sans pour autant rompre tous leurs liens commerciaux avec Sogec Gestion. De plus, des ristournes rétroactives et non contractuelles avaient été accordées à des clients en contrepartie du renouvellement du contrat avec la clause d'exclusivité, alors qu'ils contestaient cette clause. Le Conseil a considéré que ces comportements constituent un ensemble de pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-2 du Code de commerce obérant l'entrée " significative " sur le marché français des coupons de réduction de la société Scan Coupon ou d'autres sociétés concurrentes.

2. En conséquence, le Conseil a prononcé les injonctions suivantes :

* " Art. 3. - Il est enjoint à la société Sogec Gestion de suspendre sans délai la clause d'exclusivité contenue dans les contrats d'adhésion à la banque de coupons Sogec Gestion en cours, de cesser pendant 5 ans de proposer à ses clients des contrats contenant une clause d'exclusivité, de cesser de pratiquer la rétention des codes en cas de mention d'une autre banque de coupons et de ne plus exiger la suppression du double codage.

* Art. 5. - Dans un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision, la société Sogec Gestion procédera, à ses frais, à la publication de l'intégralité de la présente décision dans le magazine LSA Cette publication sera précédée de la mention : 'Décision du Conseil de la concurrence en date du... relative à des pratiques relevées dans le secteur du traitement des coupons de réduction'. "

3. Par un arrêt du 4 février 2003, la Cour d'appel de Paris a rejeté le recours formé par Sogec Gestion contre cette décision. Par ordonnance du 12 septembre 2002, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a rejeté la demande de sursis à exécution formée par cette même société.

4. La DGCCRF a effectué une enquête administrative afin de contrôler l'exécution des injonctions, conformément à l'article L. 464-8 du Code de commerce. Par lettre enregistrée le 22 août 2003 sous la référence 03/0055 R, le ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques afférentes au respect des injonctions édictées dans la décision n° 02-D-33 du Conseil de la concurrence.

5. L'enquête a porté sur la suspension de la clause d'exclusivité dans les contrats en cours de validité, sur la suppression de cette clause dans les contrats postérieurs à la décision 02-D-33, sur la cessation des pratiques relatives à la rétention des codes et à l'exigence de suppression du double codage ainsi que sur l'ouverture du marché depuis la décision du Conseil :

A. Sur la suspension de la clause d'exclusivité dans les contrats en cours de validité

6. Selon le rapport d'enquête : " M. X..., Président Directeur Général de Sogec Gestion, indique ne pas avoir informé ses clients, pris individuellement, de la suspension de la clause d'exclusivité contenue dans les contrats de Sogec Gestion, considérant que la publication de la décision du Conseil de la concurrence dans la presse suffit à les informer. Cette absence de communication de la part de Sogec Gestion est susceptible de rendre ineffective l'injonction du Conseil de la concurrence dans la mesure où les clients de Sogec Gestion ne sont informés (lorsqu'ils le sont) que de façon très indirecte de la suspension d'une disposition qui représente pour eux une obligation contractuelle. L'information générale par voie de presse (dans le magazine LSA, enjointe par le Conseil de la concurrence) est la seule réponse apportée par Sogec Gestion à l'injonction du Conseil de la concurrence de suspendre sans délai la clause d'exclusivité dans ses contrats. "

B. Sur la suppression de la clause d'exclusivité dans les contrats postérieurs à la décision n° 02-D-33

7. Le rapport d'enquête relève à cet égard que " [jusqu'à] la décision du Conseil de la concurrence, les contrats signés par Sogec Gestion contenaient la formule suivante : " la société susnommée confie en exclusivité, pour la durée de ce contrat, à la banque de coupons Sogec Gestion, la gestion de l'ensemble des coupons de réduction émis ". Désormais, selon la formulation retenue dans le contrat, le client de Sogec Gestion confie à la banque de coupons Sogec Gestion " la gestion de l'ensemble des coupons de réduction émis ". Toujours selon le rapport d'enquête, " Si Sogec Gestion a modifié son modèle-type de contrat afin de supprimer la référence explicite à une clause d'exclusivité, la formulation désormais utilisée est ambiguë : le client confie à Sogec Gestion " la gestion de l'ensemble des coupons de réduction émis ". Cette formulation pourrait être considérée comme contenant implicitement une exclusivité de gestion. ".

C. Sur l'injonction de cesser de pratiquer la rétention des codes d'identification des coupons en cas de mention d'une autre banque de coupons

8. Le rapport d'enquête relève: " L'existence d'une rétention de codes de la part de Sogec Gestion en cas de mention d'une autre banque de coupons (...) [n'est pas établie]. (...) " (...) Sogec Gestion accepte désormais de participer à un système généralisé d'échange de coupons de réduction. ".

D. Sur l'injonction de ne plus exiger la suppression du double codage

9. Selon le rapport d'enquête, l'exigence, par Sogec gestion, de suppression du double codage n'avait de sens que dans le cadre d'une relation d'exclusivité. En outre, " l'exigence d'une suppression du double codage [n'est pas établie]. (...) Il n'en reste pas moins que M. X... affirme toujours s'opposer au principe de l'apposition, non pas du double codage (Code Sogec Gestion + Code non propriétaire EAN 13), mais au double codage avec mention de deux centres de traitement de coupons de réduction. En revanche, les éléments de l'enquête ne permettent pas d'établir (...) que Sogec Gestion exige de ses clients qu'ils suppriment le double codage. ".

E. Sur l'ouverture du marché

10. Selon le rapport d'enquête : " (...) Pour M. Olivier Y..., Directeur Général de Scan Coupon, la décision du Conseil de la Concurrence n'a pas eu l'impact escompté sur le segment des coupons émis par les industriels (...) : " Je souhaiterais souligner que, suite à la décision exécutoire du 10 juin 2002, le marché du traitement du coupon de réduction n'a pas évolué, alors même qu'il s'agit d'une procédure qui dure depuis 1999. Nous espérions que la décision ait un impact, débloque notre situation. " Au vu de ces remarques, il convient de noter que, certes, Scan Coupon continue son développement sur le segment des coupons de réduction émis par les distributeurs (segment " mono enseigne " ou " trade-marketing "). Mais, le Conseil de la concurrence avait déjà établi dans sa décision que cette activité représente un segment émergent du marché du traitement des coupons, plus ouvert à la concurrence que le segment du traitement des coupons émis par les industriels.

11. Sur la base de ces éléments, un non-lieu à poursuivre la procédure a été notifiée au ministre de l'Economie et des Finances, le 30 juin 2004.

II. Discussion

A. Sur la compétence

12. Il ressort d'une jurisprudence constante que le Conseil de la concurrence ne peut, dans la procédure prévue à l'article L. 464-3 du Code de commerce, sanctionner d'autres pratiques que celles qui résultent du défaut de respect d'injonction (voir, notamment, les arrêts rendus par la Cour d'appel de Paris, le 19 novembre 1992 sur recours contre la décision du Conseil n° 92-D-25, et le 26 avril 1994 sur recours contre la décision n° 93-D-26). Ainsi, le Conseil n'est pas compétent pour connaître des conclusions de la saisine en ce qu'elle porte sur le degré d'ouverture du secteur à la concurrence, postérieurement à la décision du Conseil.

B. Sur le respect des injonctions

13. En application de l'article L. 464-3 du Code de commerce, il appartient au Conseil de vérifier si les injonctions prises en application de l'article L. 464-2 de ce Code ont été respectées et de prononcer, le cas échéant, une sanction pécuniaire dans les limites fixées à l'article L. 464-2 du Code de commerce. Le Conseil a enjoint la société Sogec Gestion de " suspendre sans délai la clause d'exclusivité contenue dans les contrats d'adhésion à la banque de coupons Sogec Gestion en cours, de cesser pendant 5 ans de proposer à ses clients des contrats contenant une clause d'exclusivité, de cesser de pratiquer la rétention des codes en cas de mention d'une autre banque de coupons et de ne plus exiger la suppression du double codage." (article 3 de la décision) et de procéder " [dans] un délai maximum de deux mois à compter de la notification de la présente décision, (...) à la publication de l'intégralité de la présente décision dans le magazine LSA ".

14. Il résulte de l'instruction, en premier lieu, que la société Sogec Gestion s'est conformée à l'injonction de faire publier l'intégralité de la décision du Conseil dans le magazine LSA, publication que le Conseil a considérée comme suffisante pour faire connaître aux professionnels concernés la suspension immédiate des clauses d'exclusivité. Sogec Gestion ne peut donc pas se voir reprocher de n'avoir pas eu recours à une information individuelle de ses clients.

15. En second lieu, conformément à l'injonction donnée par le Conseil, l'entreprise a supprimé la clause d'exclusivité dans les contrats de traitement des coupons, conclus postérieurement à la décision du Conseil. La mention dans ces contrats indiquant que Sogec Gestion se voit confier " la gestion de l'ensemble des coupons émis " doit être interprétée à la lumière du procès-verbal d'audition du président de cette société du 9 décembre 2003 et de la lettre adressée par lui au rapporteur, le 6 janvier 2004, précisant qu'il ne s'agit pas pour un client de confier tous les bons de réduction émis à la même société de gestion mais seulement, les bons émis pour une campagne ou une opération déterminée.

16. En troisième lieu, il est établi que Sogec Gestion ne refuse plus de communiquer ses codes d'identification des coupons en cas de traitement par une autre banque de coupons et accepte de participer à un échange généralisé des coupons de réduction.

17. Enfin, la persistance de l'entreprise dans son refus du double codage n'a pas été constatée, cette exigence de la part de Sogec Gestion ayant d'ailleurs, selon le rapport d'enquête, perdu son intérêt avec la suppression de la clause d'exclusivité. Le commissaire du Gouvernement a fait remarquer, en outre, que les émetteurs de bons de réduction utilisent désormais un Code à norme internationale.

18. En conséquence, aucun des éléments du dossier ne fait apparaître que Sogec Gestion n'aurait pas respecté les injonctions imposées par la décision n° 02-D-33 du 10 juin 2002.

Décision

Article 1er. - Il n'est pas établi que la société Sogec Gestion n'a pas respecté les injonctions prononcées par le Conseil de la concurrence dans la décision n° 02-D-33 du 10 juin 2002.