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Décisions

CJCE, 26 février 1991, n° C-119/89

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume d'Espagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, O'Higgins, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco

Avocat général :

M. Darmon.

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Grévisse, Zuleeg

CJCE n° C-119/89

26 février 1991

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 avril 1989, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater que le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité en n'adoptant pas les dispositions nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après "TVA ") qui importent dans cet État membre des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation.

2 La Commission soutient que le défaut d'adoption par le Royaume d'Espagne de dispositions ouvrant ce droit à déduction aux non-assujettis, conformément à la jurisprudence de la Cour, engendre une situation de fait ambiguë contraire au principe de sécurité juridique et permet une double imposition incompatible avec l'interdiction des discriminations fiscales, principe directement applicable consacré par l'article 95, tel qu'interprété par la Cour, dans la mesure où les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire espagnol ne sont pas soumises à la TVA. Ni l'existence de la proposition de seizième directive du Conseil visant à établir un régime commun applicable à certains biens définitivement grevés de taxe sur la valeur ajoutée, importés par un consommateur final d'un État membre en provenance d'un autre État membre (JO 1986, C 96, p. 5), ni les disparités entre les régimes fiscaux des États membres dont l'article 99 poursuit l'élimination ne dispenseraient le Royaume d'Espagne de respecter les dispositions de l'article 95.

3 Le Royaume d'Espagne objecte que les dispositions de son droit national sont conformes à l'article 95, précité. Le droit à déduction dans l'État membre d'importation serait contraire à la nature d'impôt de consommation inhérente à la TVA et à une répartition équilibrée des recettes fiscales entre l'État membre d'exportation et celui d'importation. Les biens devraient plutôt être détaxés à l'exportation et taxés à l'importation sur leur valeur au moment du passage de la frontière. Enfin, la Commission ne tiendrait pas compte de l'existence d'autres types d'impositions indirectes, provoquant ainsi des distorsions de concurrence au détriment des États membres qui, comme le Royaume d'Espagne, n'ont pas institué ces impositions.

4 Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

5 Il convient de rappeler au préalable que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l'article 95 énonce une interdiction de discrimination fiscale des produits importés qui produit des effets directs et crée pour les particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir, notamment, arrêt du 5 mai 1982, Gaston Schul I, point 46, 15-81, Rec. p. 1409).

6 Selon une jurisprudence également constante (voir arrêts du 21 mai 1985, Gaston Schul II, 47-84, Rec. p. 1491, et du 25 février 1988, Drexl, 299-86, Rec. p. 1213), l'article 95, précité, doit être interprété en ce sens que la TVA perçue par un État membre lors de l'importation, en provenance d'un autre État membre, d'un produit livré par un non-assujetti, alors que cette taxe n'est pas perçue lors de la livraison par un particulier de produits similaires à l'intérieur de l'État membre d'importation, doit être calculée compte tenu du montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation qui est encore incorporé dans la valeur du produit au moment de son importation, de manière telle que ce montant ne fasse pas partie de la base d'imposition et soit en outre déduit de la TVA due à l'importation.

7 Il est constant que les dispositions nationales en cause prévoient la perception de la TVA sur l'importation par les non-assujettis de biens déjà grevés de la TVA dans l'État membre d'exportation, sans permettre aux intéressés de déduire la TVA résiduelle du montant de la TVA perçue à l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire espagnol ne sont pas soumises à la TVA.

8 De telles dispositions sont incompatibles avec l'interdiction des discriminations fiscales des produits importés en ce que, en dépit de l'effet direct de l'article 95, elles maintiennent les importateurs non assujettis dans un état d'incertitude quant à leur droit d'invoquer cet article et sont susceptibles d'inciter les agents de l'administration nationale chargés de la perception de la TVA à ne pas mettre en œuvre le principe de déduction de la TVA résiduelle.

9 En effet, la faculté offerte aux justiciables d'invoquer devant les juridictions nationales les dispositions directement applicables du traité ne constitue qu'une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l'application pleine et complète du traité (voir arrêt du 15 octobre 1986, Commission/Italie, point 11, 168-85, Rec. p. 2945).

10 Par ailleurs, les principes de sécurité juridique et de protection des particuliers exigent que, dans les domaines couverts par le droit communautaire, les règles de droit des États membres soient formulées d'une manière non équivoque qui permette aux personnes concernées de connaître leurs droits et obligations d'une manière claire et précise et aux juridictions nationales d'en assurer le respect (voir arrêt du 21 juin 1988, Commission/Italie, 257-86, Rec. p. 3249).

11 Les moyens de défense tirés par le Royaume d'Espagne de la nature de la TVA et de la répartition des recettes fiscales entre États membres doivent être rejetés.

12 D'une part, la déduction dans l'État membre d'importation du montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporée dans la valeur des biens au moment de l'importation ne met nullement en cause la nature d'impôt de consommation inhérente à la TVA dans la mesure où une telle qualification est indépendante de la répartition de la charge fiscale entre l'État membre d'exportation et celui d'importation.

13 D'autre part, si la mise en place d'un régime commun de TVA comportant une parfaite neutralité concurrentielle, le dégrèvement complet, dans le pays d'exportation, des importations en cause ainsi qu'une répartition équitable des recettes fiscales entre États membres appartient au législateur communautaire, l'article 95, précité, s'oppose, aussi longtemps qu'un tel régime n'est pas instauré, à ce qu'un État membre puisse appliquer son régime de TVA aux produits importés d'une manière contraire au principe de non-discrimination fiscale (voir arrêt Gaston Schul I, précité).

14 En effet, la mise en œuvre de l'harmonisation des législations fiscales conformément à l'article 99 du traité ne saurait être érigée en préalable de l'application de l'article 95, qui impose aux États membres, avec effet immédiat, l'obligation d'appliquer de manière non discriminatoire leur législation fiscale dès avant toute harmonisation (voir arrêt du 27 février 1980, Commission/Danemark, 171-78, Rec. p. 447).

15 Il convient également de rejeter le moyen du Royaume d'Espagne tiré de l'existence d'autres types d'impositions indirectes dans certains États membres.

16 Une telle circonstance ne saurait justifier un manquement par un État membre à ses obligations au regard de l'article 95, précité.

17 Il s'ensuit que les arguments du Royaume d'Espagne ne sauraient être accueillis.

18 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la TVA qui importent sur le territoire espagnol des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire espagnol ne sont pas soumises à la TVA.

Sur les dépens

19 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Royaume d'Espagne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) Le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 95 du traité CEE en n'adoptant pas les mesures nécessaires pour permettre aux non-assujettis à la TVA qui importent sur le territoire espagnol des biens déjà grevés de cette taxe dans un autre État membre, sans avoir pu en obtenir le remboursement, de déduire de la TVA due à l'importation le montant de la TVA acquittée dans l'État membre d'exportation encore incorporé dans la valeur des biens au moment de l'importation, alors que les livraisons de produits similaires effectuées par des non-assujettis à l'intérieur du territoire espagnol ne sont pas soumises à la TVA.

2) Le Royaume d'Espagne est condamné aux dépens.