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Décisions

CJCE, 5 juillet 1994, n° C-432/92

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

The Queen

Défendeur :

Minister of Agriculture, Fisheries and Food, ex parte S. P. Anastasiou (Pissouri) Ltd, Cypfruvex (UK) Ltd, Cyprus Fruit and Vegetable Entreprises Ltd (Cypfruvex)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Due

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Diez de Velasco (rapporteur), Edward

Avocat général :

M. Gulmann

Juges :

MM. Kakouris, Joliet, Schockweiler, Rodríguez Iglesias, Grévisse, Zuleeg, Kapteyn, Murray

Avocats :

Mes Vaughan, Clough, Allen & Overy, Roth, Janney, Watson, Richards, Aston

CJCE n° C-432/92

5 juillet 1994

LA COUR,

1 Par ordonnance du 2 décembre 1992, parvenue à la Cour le 24 décembre suivant, la High Court of Justice (Queen's Bench Division) a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, cinq questions préjudicielles sur l'interprétation de l'accord du 19 décembre 1972 créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Chypre, annexé au règlement (CEE) n° 1246-73 du Conseil, du 14 mai 1973 (JO L 133, p. 1, ci-après l'"accord d'association"), ainsi que de la directive 77-93-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les États membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux (JO 1977, L 26, p. 20).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant des producteurs et des exportateurs d'agrumes établis dans la partie de Chypre située au sud de la zone tampon des Nations unies ainsi que l'Office national de régularisation des ventes de pommes de terre à Chypre au Minister for Agriculture, Fisheries and Food (ministre compétent en Angleterre pour l'Agriculture, la Pêche et l'Alimentation), à propos de l'importation au Royaume-Uni d'agrumes et de pommes de terre en provenance de la partie de Chypre située au nord de cette zone (ci-après la "partie nord de Chypre").

3 Le commerce d'agrumes et de pommes de terre entre la République de Chypre et la Communauté est régi par l'accord d'association ainsi que par les protocoles y afférents, tels que modifiés ou remplacés.

4 L'article 3, paragraphe 3, de l'accord d'association dispose:

"Les parties contractantes prennent toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant de l'accord. Elles s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts de l'accord."

5 L'article 5 de l'accord énonce:

"Le régime des échanges entre les parties contractantes ne peut donner lieu à aucune discrimination ... entre les ressortissants ou sociétés de Chypre."

6 Les agrumes et les pommes de terre originaires de Chypre bénéficient d'un régime préférentiel en vertu de l'accord et de ses protocoles. Aux termes de l'article 7 de l'accord, les règles d'origine applicables sont celles figurant au protocole. Le protocole actuellement applicable est le protocole relatif à la définition de la notion de "produits originaires" et aux méthodes de coopération administrative de 1977 (ci-après le "protocole de 1977"), annexé au protocole additionnel à l'accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Chypre, lui-même annexé au règlement (CEE) n° 2907-77 du Conseil, du 20 décembre 1977 (JO L 339, p. 1).

7 L'article 6, paragraphe 1, du protocole de 1977 prévoit que la preuve du caractère originaire des produits est apportée par un certificat de circulation des marchandises EUR.1 (ci-après le "certificat de circulation"). Les articles 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, dudit protocole précisent que le certificat de circulation est délivré par les autorités douanières de l'État d'exportation. L'article 8, paragraphe 3, prévoit qu'il incombe en particulier aux autorités douanières de l'État d'exportation de veiller à ce que les formules visées à l'article 9 (certificats de circulation dont le modèle figure à l'annexe V du protocole de 1977) soient dûment remplies.

8 En vertu de l'article 24 du protocole de 1977, le contrôle a posteriori des certificats de circulation est effectué à titre de sondage et chaque fois que les autorités douanières de l'État d'importation ont des doutes fondés quant à l'authenticité du document ou quant à l'exactitude des renseignements relatifs à l'origine réelle de la marchandise en cause. A cet effet, les autorités douanières de l'État d'importation renvoient le certificat de circulation, ou une photocopie de ce certificat, aux autorités douanières de l'État d'exportation, en indiquant les motifs de fond ou de forme qui justifient une enquête. Les résultats du contrôle sont portés dans les meilleurs délais à la connaissance des autorités douanières de l'État d'importation. Ils doivent permettre de déterminer si le certificat contesté est applicable aux marchandises réellement exportées et si celles-ci peuvent effectivement donner lieu à l'application du régime préférentiel. En outre, les contestations qui n'ont pu être réglées entre les autorités douanières ou qui soulèvent un problème d'interprétation du protocole sont soumises au Comité de coopération douanière institué en vertu de l'accord d'association.

9 La directive 77-93, précitée, contient certaines règles de délivrance des certificats phytosanitaires. Son article 12, paragraphe 1, sous b), tel que modifié par les directives 80-392-CEE du Conseil, du 18 mars 1980 (JO L 100, p. 32), et 85-574-CEE du Conseil, du 19 décembre 1985 (JO L 372, p. 25), exige que les certificats soient délivrés par des services autorisés à ces fins dans le cadre de la convention internationale pour la protection des végétaux ou, dans le cas des pays non contractants, telle la République de Chypre, sur la base de dispositions législatives ou réglementaires du pays. Les agrumes et les tubercules de pommes de terre font partie des produits énumérés à l'annexe V qui, conformément à l'article 12, doivent être accompagnés pour leur importation d'un certificat phytosanitaire.

10 Le 24 octobre 1991, les demandeurs au principal ont adressé une lettre au défendeur au principal, lui demandant de confirmer que les autorités britanniques compétentes n'autoriseraient plus l'importation au Royaume-Uni d'agrumes ou de pommes de terre produits à Chypre, qui ne seraient pas accompagnés de certificats de circulation ou de certificats phytosanitaires ad hoc délivrés par les autorités de la République de Chypre.

11 Par lettre du 3 décembre 1991, le défendeur a répondu que le Royaume-Uni n'acceptait pas les documents faisant référence à "la République turque de Chypre du Nord" (ci-après la "RTCN") et qu'il autorisait l'entrée d'agrumes et de pommes de terre en provenance de Chypre conformément à la législation communautaire pertinente. Les demandeurs au principal ayant sollicité des précisions, le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation a répondu, par courrier du 24 mars 1992, qu'à la connaissance des autorités britanniques, toutes les importations dans la Communauté de produits originaires de la partie septentrionale de Chypre avaient été effectuées conformément aux exigences communautaires.

12 Les demandeurs ont alors présenté à la High Court of Justice (Queen's Bench Division) une demande de contrôle judiciaire de la décision du défendeur contenue dans les lettres précitées ainsi que de la pratique des autorités britanniques consistant à autoriser les importations au Royaume-uni sans les documents nécessaires délivrés par les autorités compétentes de la République de Chypre.

13 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les parties au litige au principal s'accordent notamment sur les faits suivants:

a) La République de Chypre est un État souverain, reconnu par tous les États membres de la Communauté. Sa constitution a été adoptée en 1960 et son territoire comprend l'ensemble de l'île, à l'exception des zones des bases souveraines.

b) Le Royaume-Uni et les autres États membres ne reconnaissent pas la RTCN.

c) Une zone tampon des Nations unies traverse l'île de Chypre depuis 1974. La quasi-totalité de la communauté cypriote turque habite au nord de cette zone tampon. Des quantités importantes d'agrumes et de pommes de terre sont importées au Royaume-Uni de cette partie de Chypre.

d) Aucun des certificats de circulation ou des certificats phytosanitaires qui accompagnent les agrumes ou les pommes de terre importés au Royaume-Uni de la partie nord de Chypre n'est délivré par les autorités de la République de Chypre.

e) La direction britannique des douanes et accises, chargée de contrôler les certificats de circulation relatifs aux marchandises importées, a refusé les certificats délivrés par la RTCN ou revêtus d'une estampille de la douane visant la RTCN. Elle a continué d'accepter les certificats de circulation accompagnant des marchandises exportées de la partie nord de Chypre, estampillés au nom des "autorités douanières de Chypre", mais non délivrés par les autorités de la République de Chypre.

f) Pareillement, les autorités britanniques n'acceptent pas les certificats phytosanitaires délivrés au nom de la RTCN. Elles acceptent toutefois les certificats phytosanitaires délivrés dans la partie nord de Chypre, qui accompagnent les produits expédiés par les exportateurs de cette partie de l'île. Certains de ces certificats ont été délivrés au nom de la "République de Chypre - État fédéré turc de Chypre". En pratique, depuis 1991 au moins, les certificats phytosanitaires accompagnant les produits exportés de la partie nord de Chypre ont tous été délivrés au nom de la "République de Chypre - ministère de l'Agriculture".

14 La juridiction nationale estimant que le litige nécessite une interprétation du droit communautaire a, par ordonnance du 2 décembre 1992, décidé de surseoir à statuer et a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

"Eu égard, en particulier

i) à l'accord de 1972 créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Chypre, au protocole de 1977 relatif à la définition de la notion de produits originaires et aux méthodes de coopération administrative, et au protocole de 1987 définissant les conditions et modalités de la mise en œuvre de la seconde étape de l'accord de 1972 et portant adaptation de certaines dispositions dudit accord, et

ii) aux dispositions de la directive 77-93-CEE du Conseil concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les États membres d'organismes nuisibles aux végétaux et produits végétaux, telle que modifiée:

1) Lorsque les importations dans un État membre d'agrumes ou de pommes de terre originaires de Chypre sont accompagnées de certificats de circulation des marchandises EUR.1 délivrés par la communauté turque de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies, et non par des fonctionnaires autorisés par la République de Chypre, le droit communautaire:

a) empêche-t-il l'État membre d'autoriser ces importations?

b) exige-t-il que l'État membre accepte les certificats en question?

2) Lorsque les importations dans un État membre d'agrumes (à l'exclusion des citrons) et de pommes de terre originaires de Chypre sont accompagnées de certificats phytosanitaires délivrés par la communauté turque de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies, et non par des fonctionnaires dûment autorisés par la République de Chypre, le droit communautaire:

a) empêche-t-il l'État membre d'autoriser ces importations?

b) exige-t-il que l'État membre accepte les certificats en question?

3) Les réponses aux première et deuxième questions énoncées ci-dessus seraient-elles différentes:

a) s'il était impossible en pratique, pour les exportateurs de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies, d'obtenir de la République de Chypre les certificats destinés à accompagner leurs produits?

b) s'il existait de sérieuses entraves aux exportations de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies à travers la partie de Chypre se trouvant sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République de Chypre?

c) si les méthodes de délivrance et de contrôle des certificats en question dans la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies étaient aussi fiables que les méthodes appliquées dans la partie de Chypre se trouvant sous le contrôle effectif du Gouvernement de la République de Chypre?

4) La réponse à la deuxième question énoncée ci-dessus serait-elle différente si l'expérience des contrôles effectués dans l'État membre devait démontrer qu'il n'existe pas de différence entre le niveau de salubrité de tels produits importés de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies et celui des produits importés de la partie de Chypre se trouvant sous le contrôle effectif de la République de Chypre?

5) Est-il important, pour les réponses aux questions 3 a) ou 3 b), de déterminer si, et dans quelle mesure, une impossibilité ou des entraves ont été créées par la communauté turque de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies et/ou par la République de Chypre et, si tel est le cas, quelle différence cela fait-il?"

15 Par ces questions préjudicielles, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction nationale vise en substance à savoir, d'une part, si l'accord d'association et la directive 77-93 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'acceptation par les autorités nationales d'un État membre, lors de l'importation d'agrumes ou de pommes de terre en provenance de la partie nord de Chypre, de certificats de circulation et de certificats phytosanitaires délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre ou qu'au contraire ils imposent cette acceptation, et, d'autre part, s'il en irait différemment au cas où certaines circonstances liées à la situation particulière de l'île de Chypre seraient ou non réputées établies.

16 Les questions préjudicielles concernent deux types de certificats exigés lors de l'importation dans la Communauté d'agrumes ou de pommes de terre en provenance de Chypre:

- les certificats de circulation exigés comme preuve du caractère originaire des produits au sens du protocole de 1977;

- les certificats phytosanitaires exigés en vertu de la directive 77-93.

17 Selon les demandeurs au principal et le Gouvernement hellénique, est entachée d'illégalité la pratique d'autorités nationales consistant à accepter des certificats délivrés par les autorités de la communauté turque établie dans la partie nord de Chypre et non par les fonctionnaires dûment autorisés par la République de Chypre. En effet, une telle pratique enfreint les obligations imposées par les articles 6, paragraphe 1, 7, paragraphe 1, 8, paragraphes 1 et 3, et 9 du protocole de 1977 en ce qui concerne les certificats de circulation, et les obligations imposées par l'article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive 77-93 en ce qui concerne les certificats phytosanitaires.

18 S'agissant plus particulièrement des certificats de circulation, les demandeurs au principal et le Gouvernement hellénique font valoir qu'en vertu de dispositions expresses du protocole de 1977, seuls les certificats délivrés par les autorités douanières de la République de Chypre peuvent apporter la preuve du caractère originaire des produits de Chypre.

19 Le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ne contestent pas que dans une situation normale, la pratique en question devrait être considérée comme incompatible avec le droit communautaire. Ils soutiennent toutefois que, étant donné la situation particulière de Chypre, il faut interpréter le protocole de 1977 et la directive 77-93 de manière que les autorités des États membres soient tenues d'accepter, pour les produits en provenance de la partie nord de Chypre, des certificats délivrés par l'entité établie dans cette partie de l'île, et non par les fonctionnaires autorisés par la République de Chypre, afin d'éviter des discriminations entre les ressortissants ou sociétés de Chypre.

20 Ils font valoir que sur le plan factuel, on doit tenir pour établi qu'il est pratiquement impossible ou à tout le moins très difficile pour les exportateurs de la partie nord de Chypre d'obtenir pour les produits qu'ils exportent des certificats autres que ceux délivrés par la communauté turque de cette partie de l'île. Ils ajoutent que les procédures de contrôle tant de l'origine des marchandises que de la salubrité des produits présentent en pratique toutes les garanties nécessaires.

21 Ils affirment en outre que les dispositions du protocole de 1977 invoquées par les demandeurs au principal sont dépourvues d'effet direct. Selon le Gouvernement du Royaume-Uni, elles ont pour objet d'instituer un système administratif de vérification de l'origine des produits et une coopération administrative effective entre les autorités de l'État d'exportation et celles de l'État d'importation. Eu égard à leur formulation et à leur contexte, ces dispositions ne devraient pas être considérées comme étant d'application directe devant les juridictions nationales.

22 La question de l'applicabilité directe des dispositions pertinentes du protocole de 1977 étant ainsi soulevée, il convient de l'examiner au préalable.

23 Selon une jurisprudence constante de la Cour, une disposition d'un accord conclu par la Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise, qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur (voir notamment arrêt du 30 septembre 1987, Demirel, 12-86, Rec. p. 3719, point 14).

24 L'accord d'association en cause a pour objet d'éliminer progressivement les obstacles aux échanges commerciaux entre la Communauté et Chypre. Aux termes de l'accord, certains produits déterminés originaires de Chypre doivent bénéficier de tarifs préférentiels lors de leur importation dans la Communauté.

25 Les règles pertinentes du protocole de 1977 relatives à l'origine des produits jouent un rôle essentiel pour la détermination des produits qui sont susceptibles de relever de l'accord et de bénéficier ainsi d'un traitement préférentiel. A cet égard, elles prévoient des obligations claires, précises et inconditionnelles.

26 Il convient de constater, au surplus, que la Cour a déjà considéré implicitement dans les arrêts du 12 juillet 1984, Les Rapides Savoyards e.a. (218-83, Rec. p. 3105), et du 7 décembre 1993, Huygen e.a. (C-12-92, Rec. p. I-6381), que des dispositions concernant des certificats de circulation figurant dans des accords commerciaux conclus par la Communauté avec des pays tiers, analogues aux dispositions en cause dans l'affaire au principal, peuvent être appliquées par les juridictions nationales.

27 Il résulte de ces considérations que les dispositions pertinentes du protocole de 1977 sont d'application directe et peuvent être invoquées devant une juridiction nationale.

28 Il convient donc d'examiner si elles s'opposent à l'acceptation par les autorités nationales d'un État membre, lors d'une importation d'agrumes ou de pommes de terre en provenance de la partie nord de Chypre, des certificats de circulation délivrés par des autorités autres que celles de la République de Chypre.

29 Le régime préférentiel prévu par l'accord d'association s'applique aux produits en provenance de Chypre dans la mesure où ils sont accompagnés d'un certificat de circulation attestant leur origine cypriote (article 6, paragraphe 1, du protocole de 1977). Ce certificat est délivré lors de l'exportation des produits auxquels il se rapporte par les autorités douanières de l'État d'exportation, si les marchandises peuvent être considérées comme produits originaires au sens du protocole de 1977 (articles 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1). La République de Chypre et la Communauté se prêtent mutuellement assistance, par l'entremise de leurs administrations douanières respectives, pour le contrôle de l'authenticité desdits certificats (article 22 du protocole de 1977). Les autorités douanières de l'État d'importation peuvent procéder à des contrôles a posteriori de ces certificats si elles ont des doutes quant à l'authenticité du document ou quant à l'exactitude des renseignements qu'ils contiennent, les résultats de ces contrôles étant portés à la connaissance des autorités douanières de l'État d'exportation; lorsque des contestations n'ont pu être réglées entre les autorités douanières de ces deux États ou lorsqu'elles soulèvent un problème d'interprétation du protocole, elles sont soumises au Comité de coopération douanière (article 24 du protocole de 1977).

30 Selon les demandeurs au principal et le Gouvernement hellénique, il ressort des termes précis et inconditionnels des dispositions susmentionnées concernant la preuve et le contrôle du caractère originaire des produits que seules les autorités douanières de la République de Chypre sont compétentes pour délivrer les certificats de circulation et mettre en œuvre la coopération administrative avec les autorités douanières de l'État d'importation. En conséquence, ces dispositions interdisent l'acceptation de certificats délivrés par d'autres autorités.

31 Le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent en revanche que les dispositions en cause, interprétées à la lumière de l'article 5 de l'accord d'association et en tenant compte de la situation particulière de l'île, permettent à un État membre d'accepter les certificats délivrés par la communauté turque de la partie nord de Chypre.

32 Ils font remarquer que l'accord d'association s'applique à l'ensemble du territoire cypriote à l'exception des zones des bases souveraines, mais y compris la partie nord de Chypre, et qu'il a pour objectif global d'éliminer progressivement les obstacles aux échanges commerciaux entre la Communauté et Chypre. Ce régime d'échanges, précisent-ils, ne peut donner lieu, selon l'article 5 de l'accord, à aucune discrimination entre les ressortissants ou sociétés de Chypre, de sorte que les avantages commerciaux découlant de l'accord doivent bénéficier à l'ensemble de la population de Chypre.

33 Dans ces conditions, si le régime préférentiel devait être consenti aux produits en provenance de la partie sud de Chypre et refusé à ceux provenant de la partie nord de Chypre, il y aurait selon eux une discrimination contraire à l'article 5, précité. Il en irait de même si les Cypriotes résidant dans la partie nord de Chypre devaient se voir opposer une entrave sérieuse dans l'obtention des certificats requis, alors que tel ne serait pas le cas des Cypriotes résidant dans la partie sud de l'île.

34 Compte tenu de la situation particulière de Chypre, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission soutiennent qu'une acceptation de fait des certificats en question délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre ne signifie absolument pas une reconnaissance en tant qu'État de la RTCN, mais représente le corollaire nécessaire et justifiable de la prise en compte des intérêts de l'ensemble de la population de Chypre.

35 Selon la Commission, cette approche juridique s'inscrit clairement dans la ligne interprétative définie par la Cour internationale de justice dans son avis consultatif sur la Namibie [avis sur les conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Rec. CIJ, 1971, p. 16], ligne en vertu de laquelle une politique de non-reconnaissance ne peut aller jusqu'à dénier à la population cypriote des avantages accordés par un traité. La même approche juridique aurait inspiré le Conseil et la Commission dans leur interprétation et leur application de l'accord d'association lui-même et des protocoles financiers.

36 La thèse défendue par le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ne saurait être retenue.

37 S'il est vrai que la partition de fait du territoire cypriote, conséquence de l'intervention de l'armée turque en 1974, en une zone où les autorités de la République de Chypre continuent à exercer la plénitude de leurs compétences et une zone où elles ne peuvent pas de facto les exercer, soulève des problèmes difficiles à résoudre dans le cadre de l'application de l'accord d'association à l'ensemble de Chypre, il ne s'ensuit pas pour autant que l'on doive s'écarter des dispositions claires, précises et inconditionnelles du protocole de 1977 sur l'origine des produits et la coopération administrative.

38 Il importe de relever que le système des certificats de circulation en tant que moyens de preuve de l'origine des produits repose sur le principe de la confiance institutionnelle et la coopération entre les autorités compétentes de l'État d'exportation et celles de l'État d'importation (arrêts Les Rapides Savoyards et Huygen e.a., précités).

39 L'acceptation des certificats par les autorités douanières de l'État d'importation montre que celles-ci ont une entière confiance dans le système de contrôle de l'origine des produits, tel qu'il est mis en œuvre par les autorités compétentes de l'État d'exportation. Elle montre également que l'État d'importation ne doute pas que le contrôle a posteriori, les consultations et la solution d'éventuels litiges sur l'origine des produits ou sur l'existence de fraudes pourront intervenir de manière efficace grâce à la coopération des administrations intéressées.

40 Un tel système ne peut donc fonctionner que si les procédures de coopération administrative sont strictement respectées. Or, une telle coopération est exclue avec les autorités d'une entité telle que celle établie dans la partie nord de Chypre, qui n'est reconnue ni par la Communauté ni par les États membres, ceux-ci ne reconnaissant d'autre État cypriote que la République de Chypre.

41 Dans ces conditions, l'admission de certificats de circulation non délivrés par la République de Chypre constituerait, en l'absence d'une possibilité de contrôle et de coopération, la négation même de l'objet et de la finalité du système établi par le protocole de 1977.

42 Cette constatation ne saurait être infirmée ni par le principe selon lequel l'accord d'association doit s'appliquer, aux termes de son article 5, de manière non discriminatoire à l'ensemble de la population cypriote, ni par la pratique de la Commission qui, inspirée de ce principe, aurait communiqué aux États membres des spécimens de timbres et de signatures autorisés, utilisés par la communauté turque de la partie nord de Chypre pour l'établissement des certificats en cause, et acceptés par certains États membres.

43 En effet, si en conformité avec les règles d'interprétation des traités (voir article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, ci-après la "convention de Vienne"), il est légitime d'accorder une grande importance à l'objet et au but d'un traité, ainsi qu'à toute pratique ultérieurement suivie dans son application, il importe de relever que l'article 5 de l'accord d'association ne traduit que l'un des objectifs de celui-ci et doit être concilié avec les autres buts généraux de l'accord comme avec les dispositions mêmes qui sont interprétées. Il en va d'autant plus ainsi que les dispositions pertinentes du protocole de 1977 ne constituent pas de simples arrangements administratifs mais des dispositions nécessaires au bon fonctionnement du régime des échanges prévu par l'accord d'association.

44 Dans ce contexte, la non-discrimination entre ressortissants ou sociétés de Chypre, imposée par l'article 5 de l'accord d'association, ne peut avoir pour effet d'écarter des règles essentielles dudit accord, qui en conditionnent le fonctionnement dans le sens voulu par les parties contractantes. Les efforts tendant à faire bénéficier l'ensemble de la population cypriote des avantages de l'accord d'association doivent être déployés, ainsi que l'avocat général l'a souligné à juste titre au point 53 de ses conclusions, dans le cadre même de l'accord et en tenant compte des intérêts légitimes de l'autre partie contractante.

45 A cet égard, l'examen du dossier révèle que, plusieurs fois, les avantages découlant de l'accord d'association ont été accessibles à l'ensemble de la population cypriote. Ainsi, les protocoles financiers conclus en application dudit accord sont administrés de telle manière que les moyens mis à disposition par la Communauté sont affectés à des fins bénéficiant également à la population établie dans la partie nord de Chypre. Tel serait le cas, par exemple, des fonds destinés à financer la réalisation des projets concernant "le plan unifié d'aménagement de Nicosie" et "le plan de déversement de Nicosie", dont une partie s'étend au territoire de la partie nord de Chypre.

46 Il y a lieu de souligner ensuite que, l'article 5 en cause figurant dans un accord international, la Communauté doit prendre des égards particuliers vis-à-vis de son partenaire à l'accord, à l'occasion de l'interprétation et de l'application de celui-ci. A ce sujet, l'obligation conventionnelle de la Communauté, de ne pas mettre en péril la réalisation des buts de l'accord (article 3 de l'accord d'association), implique qu'un moyen de preuve de l'origine des produits différent de celui expressément prévu par le protocole de 1977 ne peut être adopté unilatéralement par la Communauté. Tout moyen de preuve alternatif doit être discuté et décidé par la Communauté et la République de Chypre dans le cadre des institutions établies en vertu de l'accord d'association, puis appliqué de manière uniforme par les deux parties contractantes.

47 L'article 5, précité, ne peut en toute hypothèse conférer à la Communauté le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de Chypre. En effet, les problèmes résultant de la partition de fait de l'île relèvent exclusivement de la République de Chypre, seul État internationalement reconnu.

48 Il ressort d'ailleurs clairement du dossier que la Communauté n'a pas jusqu'à présent allégué que les événements survenus dans l'île de Chypre empêchent le bon fonctionnement de l'accord ni soutenu que la République de Chypre a violé les dispositions de l'accord d'association en agissant de manière discriminatoire vis-à-vis des exportateurs cypriotes turcs établis dans la partie nord de Chypre.

49 En ce qui concerne, en outre, l'interprétation que la Commission extrait de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la Namibie, précité, et qui aurait inspiré l'application par celle-ci de l'accord d'association, il suffit de constater, ainsi qu'il a été relevé à juste titre par l'avocat général aux points 57 à 59 de ses conclusions, que les situations particulières concernant la Namibie et Chypre ne sont comparables ni d'un point de vue juridique ni d'un point de vue factuel. Par conséquent, toute interprétation fondée sur l'analogie desdites situations est exclue.

50 Il convient d'observer, par ailleurs, que la pratique suivie dans l'application de l'accord postérieurement aux événements ne permet pas d'établir sans équivoque, au sens de l'article 31 de la convention de Vienne, l'existence d'un accord des parties sur l'interprétation à donner aux dispositions pertinentes du protocole de 1977.

51 En effet, à la pratique de la Commission s'oppose nettement la position officielle du Gouvernement de la République de Chypre contenue dans une note verbale adressée à la Commission en 1983, dans laquelle il a été précisé que seules les marchandises accompagnées de certificats de circulation établis par le gouvernement officiel, et exportées par la voie maritime ou aérienne sous le contrôle de celui-ci, satisfont aux conditions de l'accord d'association.

52 En outre, la pratique suivie postérieurement aux événements, ainsi que cela ressort du dossier, reflète l'absence d'une analyse uniforme des États membres. Si certains États membres ont accepté les certificats délivrés par des autorités autres que celles de la République de Chypre, d'autres les ont refusés.

53 L'existence de pratiques différentes des États membres crée ainsi une situation d'incertitude de nature à compromettre l'existence d'une politique commerciale commune ainsi que l'exécution par la Communauté de ses obligations découlant de l'accord d'association.

54 Devant une telle situation, les règles pertinentes du protocole de 1977 doivent être interprétées de façon stricte afin d'assurer une application uniforme de l'accord d'association dans tous les États membres. Il s'ensuit que l'expression "autorités douanières de l'État d'exportation", figurant aux articles 7, paragraphe 1, et 8, paragraphe 1, dudit protocole, doit être comprise comme se référant exclusivement aux autorités compétentes de la République de Chypre, lorsque sont en cause des exportations à destination de la Communauté.

55 L'accord d'association s'oppose donc à l'acceptation par les autorités compétentes d'un État membre, lors d'une importation d'agrumes ou de pommes de terre en provenance de Chypre, de certificats de circulation délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre.

56 En ce qui concerne les certificats phytosanitaires, il convient de relever à titre préliminaire que la directive 77-93 a pour objet d'harmoniser les dispositions légales et réglementaires à prendre par les États membres à titre de mesures de protection contre l'introduction dans la Communauté d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux. A cet effet, la directive institue un régime commun visant à empêcher l'introduction sur le territoire des États membres de végétaux ou de produits végétaux en provenance de pays tiers lorsque certaines conditions ne sont pas remplies.

57 Une de ces conditions est que le végétal ou le produit végétal en cause soit accompagné d'un certificat phytosanitaire établi au moyen d'un formulaire déterminé, à la suite d'un examen permettant de garantir l'absence de toute maladie et de tout parasite.

58 L'article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive, tel que modifié, exige que les certificats phytosanitaires soient délivrés par les services autorisés sur la base des dispositions législatives ou réglementaires du pays exportateur.

59 Les demandeurs et le Gouvernement hellénique font valoir que dans le cas des produits originaires de Chypre, les certificats phytosanitaires ne peuvent être délivrés que sur la base des dispositions législatives ou réglementaires de la République de Chypre.

60 Le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission considèrent que l'interprétation et l'application des dispositions en cause de la directive 77-93 ne doivent pas entraîner des discriminations arbitraires entre les groupes de population de Chypre. A cet égard, ils font valoir que, dans la pratique, les certificats délivrés par l'entité de la partie nord de Chypre sont aussi fiables que ceux délivrés par la République de Chypre et que la fiabilité de tels certificats peut toujours être contrôlée à la frontière par les autorités de l'État membre d'importation. En conséquence, un refus des certificats phytosanitaires délivrés par la communauté turque de la partie nord de Chypre constituerait une discrimination arbitraire à l'encontre de la population de cette partie de l'île.

61 Il convient de constater que le régime commun de protection contre l'introduction d'organismes nuisibles dans les produits importés de pays tiers, prévu par la directive 77-93, repose essentiellement sur un système de contrôles effectués par des experts légalement autorisés par le gouvernement du pays exportateur, et garantis par la délivrance du certificat phytosanitaire correspondant. Les conditions d'admission desdits certificats en tant que moyen de preuve uniforme doivent en conséquence être rigoureusement identiques dans tous les États membres.

62 Dans le cadre de l'application de la directive 77-93, les États membres d'importation peuvent certes effectuer des contrôles à la frontière sur les produits en provenance de pays tiers. Cependant, dans la pratique, ainsi que la Commission l'a reconnu dans ses observations écrites, ce contrôle connaît d'importantes limites et, en tout état de cause, ne peut se substituer aux certificats phytosanitaires.

63 En outre, toute difficulté et tout doute concernant un certificat doivent être portés à la connaissance des autorités de l'État d'exportation par l'État membre d'importation. Or, cette collaboration nécessaire pour atteindre les buts de la directive ne peut pas être établie avec des autorités qui ne sont reconnues ni par la Communauté ni par ses États membres. En effet, il serait impossible qu'un État d'importation s'adresse à des services ou des fonctionnaires d'une entité non reconnue, par exemple à propos de produits contaminés ou de certificats non conformes ou falsifiés. A l'évidence, seules les autorités de la République de Chypre sont en mesure d'agir à la suite de plaintes liées à une contamination des produits végétaux exportés de Chypre.

64 Il convient par conséquent d'interpréter les termes "services autorisés" figurant à l'article 12, paragraphe 1, sous b), de la directive 77-93 comme visant exclusivement, en ce qui concerne les importations de produits en provenance de Chypre, les services désignés par la République de Chypre à l'effet de délivrer des certificats phytosanitaires.

65 La directive 77-93 s'oppose donc à l'acceptation par les autorités d'un État membre, lors d'une importation d'agrumes ou de pommes de terre en provenance de Chypre, de certificats phytosanitaires délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre.

66 La situation particulière de Chypre, qui est liée à sa partition de fait et éclaire les hypothèses envisagées par les troisième, quatrième et cinquième questions préjudicielles, n'est pas de nature à modifier, à l'égard des exportations de produits en provenance de sa partie nord, les interprétations finalement dégagées en ce qui concerne tant les certificats de circulation que les certificats phytosanitaires.

67 Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction nationale que l'accord d'association et la directive 77-93 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'acceptation par les autorités nationales d'un État membre, lors de l'importation d'agrumes et de pommes de terre en provenance de la partie nord de Chypre, de certificats de circulation et de certificats phytosanitaires délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre.

Sur les dépens

68 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, hellénique et irlandais, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la High Court of Justice (Queen's Bench Division), par ordonnance du 2 décembre 1992, dit pour droit:

L'accord du 19 décembre 1972 créant une association entre la Communauté économique européenne et la République de Chypre, annexé au règlement (CEE) nº 1246-73 du Conseil, du 14 mai 1973, ainsi que la directive 77-93-CEE du Conseil, du 21 décembre 1976, concernant les mesures de protection contre l'introduction dans les États membres d'organismes nuisibles aux végétaux ou produits végétaux, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à l'acceptation par les autorités nationales d'un État membre, lors de l'importation d'agrumes et de pommes de terre en provenance de la partie de Chypre située au nord de la zone tampon des Nations unies, de certificats de circulation et de certificats phytosanitaires délivrés par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre.