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Décisions

CJCE, 5e ch., 24 septembre 1998, n° C-35/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République française

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Juges :

MM. Wathelet, Moitinho de Almeida, Edward (rapporteur), Puissochet

Avocat général :

M. Alber.

CJCE n° C-35/97

24 septembre 1998

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 24 janvier 1997, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en excluant les travailleurs frontaliers résidant en Belgique du bénéfice de l'attribution des points de retraite complémentaire, après qu'ils ont été placés en cessation d'activité anticipée, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48, paragraphe 2, du traité CE et 7 du règlement (CEE) n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

Sur le cadre juridique communautaire

2 Les troisième et quatrième considérants du règlement n° 1612-68 énoncent, d'une part, qu'"il convient d'affirmer le droit de tous les travailleurs des États membres d'exercer l'activité de leur choix à l'intérieur de la Communauté" et, d'autre part, que "ce droit doit être reconnu indifféremment aux travailleurs `permanents', saisonniers, frontaliers ou qui exercent leur activité à l'occasion d'une prestation de services".

3 L'article 7, paragraphes 1 et 4, de ce même règlement prévoit:

"1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

...

4. Toute clause de convention collective ou individuelle ou d'autre réglementation collective portant sur l'accès à l'emploi, l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail et de licenciement, est nulle de plein droit dans la mesure où elle prévoit ou autorise des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres."

4 Selon l'article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68, ce dernier "ne porte pas atteinte aux dispositions prises conformément à l'article 51 du traité".

5 L'article 1er, sous j), premier alinéa, du règlement (CEE) n° 1408-71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2), dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118-97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le "règlement n° 1408-71"), prévoit que le terme "législation" désigne "les lois, les règlements, les dispositions statutaires et toutes les autres mesures d'application, existants ou futurs, qui concernent les branches et les régimes de sécurité sociale visés à l'article 4, paragraphes 1 et 2, ou les prestations spéciales à caractère non contributif visées à l'article 4, paragraphe 2 bis". Toutefois, selon le deuxième alinéa de cette disposition, "Ce terme exclut les dispositions conventionnelles existantes ou futures, qu'elles aient fait ou non l'objet d'une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoires ou étendant leur champ d'application".

6 En vertu de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408-71:

"le travailleur frontalier qui est en chômage complet bénéficie des prestations selon les dispositions de la législation de l'État membre sur le territoire duquel il réside, comme s'il avait été soumis à cette législation au cours de son dernier emploi; ces prestations sont servies par l'institution du lieu de résidence et à sa charge".

Sur le cadre juridique national

7 Il existe, en France, en complément du régime général de l'assurance vieillesse, des régimes complémentaires de retraite qui sont le résultat de conventions collectives entre les partenaires sociaux (employeurs et syndicats). Ces régimes sont financés par des cotisations payées, tant par les employeurs que par les employés, à l'institution qui gère le régime. L'affiliation des employés à l'un des régimes complémentaires a été rendue obligatoire par l'article L 731-5 du Code de la sécurité sociale.

8 Le titre IV de la convention générale de protection sociale pour le personnel des sociétés sidérurgiques de l'est et du nord concernées par les restructurations, du 24 juillet 1979 (ci-après la "convention"), prévoit, en ses articles 18 à 27, le régime de protection applicable aux "agents mis en cessation anticipée d'activité à partir de l'âge de 55 ans".

9 L'article 18 de la convention énonce que "La mise en cessation anticipée d'activité des frontaliers domiciliés en Belgique, âgés de 55 ans et plus, s'opérera dans les conditions prévues à l'annexe VI".

10 En vertu de l'article 21, les autres agents mis en cessation anticipée d'activité à partir de l'âge de 55 ans perçoivent, jusqu'à l'âge de la retraite normale, les allocations de chômage prévues par le règlement annexé à la convention du 27 mars 1979, fixant le régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi. Jusqu'à l'âge de 60 ans, ces allocations sont complétées, en tant que de besoin, par un complément financé par le budget de l'État, de manière que les intéressés bénéficient au moins d'une ressource mensuelle égale à 70 % de la rémunération antérieure brute.

11 L'article 22 de la convention prévoit que les agents partant en cessation anticipée d'activité à partir de l'âge de 55 ans et jusqu'à l'âge de 59 ans bénéficient d'un autre complément de ressources, également financé par le budget de l'État. Le montant du complément dépend de l'âge auquel l'agent part en cessation anticipée d'activité.

12 L'article 23 de la convention établit le montant minimal de la ressource garantie aux intéressés.

13 En vertu de l'article 27 de la convention, les intéressés bénéficient de certaines garanties sociales, parmi lesquelles figure l'attribution de points gratuits de retraite complémentaire (ci-après les "points gratuits") jusqu'à l'âge de départ en retraite normale. Le Gouvernement français a précisé, au cours de la procédure précontentieuse, que cet avantage est financé "au moyen du versement, par le régime d'assurance chômage, au profit des institutions de retraite complémentaire (AGIRC - Association générale des institutions de retraite des cadres et Arrco - Association des régimes de retraite complémentaire), de sommes correspondant aux cotisations qui auraient été versées par les employeurs et les salariés si ces derniers avaient été maintenus en activité".

14 Selon l'article 2 de l'annexe VI de la convention, les agents frontaliers résidant en Belgique mis en cessation anticipée d'activité perçoivent des allocations, différentes de celles prévues pour les agents résidant en France, qui ont pour objet de leur garantir "une ressource mensuelle d'un montant identique à celui prévu à l'article 21 et à l'article 22" de la convention. En tout état de cause, ce montant ne peut être inférieur à celui garanti à l'article 23 de la convention.

15 Les autorités belges ayant accepté d'assimiler les agents frontaliers résidant en Belgique aux salariés de la sidérurgie belge relevant du régime de la prépension, ces agents ont perçu les allocations de chômage attribuées auxdits salariés belges. Ces allocations sont complétées, aux termes de l'article 2 de l'annexe VI de la convention, par "une allocation complémentaire financée par le budget de l'État français", dont l'objet est de garantir le paiement de la ressource minimale.

16 En plus de cette ressource, les agents résidant en Belgique bénéficient, en vertu de l'article 4 de l'annexe VI, de certaines des garanties sociales mentionnées à l'article 27 de la convention. Les garanties reconnues aux agents résidant en Belgique incluent la perception, à partir de l'âge de la retraite normale, des allocations de retraite complémentaire. Toutefois, les agents résidant en Belgique ne bénéficient pas de points gratuits, tels que ceux accordés, en application de l'article 27, paragraphe 2, sous 1), de la convention, aux agents résidant en France.

Sur la procédure précontentieuse

17 La Commission a été informée de l'existence des dispositions de la convention par des plaintes émanant de travailleurs frontaliers belges, mis en cessation anticipée d'activité, qui estimaient que la convention comportait une discrimination à leur encontre.

18 La Commission a, par lettre du 5 octobre 1993, mis le Gouvernement français en demeure de présenter, dans un délai de deux mois, ses observations sur l'éventuelle incompatibilité de la convention avec les articles 48, paragraphe 2, du traité et 7 du règlement n° 1612-68.

19 N'ayant pas été convaincue par la réponse qui lui avait été apportée par communication du 5 août 1994, la Commission a adressé, le 28 août 1995, un avis motivé au Gouvernement français l'invitant à s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

20 Le Gouvernement français a répondu à l'avis motivé par communication du 19 décembre 1995, réaffirmant sont point de vue selon lequel les dispositions de la convention sont compatibles avec le droit communautaire.

21 C'est dans ces conditions que la Commission a décidé de saisir la Cour du présent recours.

Sur le recours

22 La Commission estime que la convention comporte, en violation des articles 48, paragraphe 2, du traité et 7, paragraphe 1, du règlement n° 1612-68, un traitement différent entre les travailleurs nationaux et les travailleurs frontaliers résidant en Belgique en ce qui concerne les conditions de leur licenciement. Alors que les personnes mises en cessation anticipée d'activité à partir de 55 ans qui résident en France bénéficient, jusqu'à l'âge de la retraite normale, de l'attribution de points gratuits, cet avantage n'est pas accordé aux personnes dans la même situation qui résident en Belgique.

23 Les conditions de licenciement des travailleurs résidant en France seraient donc plus favorables que celles applicables aux travailleurs frontaliers résidant en Belgique. Or, selon la jurisprudence de la Cour, l'emploi du critère de la résidence serait susceptible d'engendrer une discrimination dissimulée fondée sur la nationalité (arrêts du 8 mai 1990, Biehl, C-175-88, Rec. p. I-1779, et du 26 octobre 1995, Commission/Luxembourg, C-151-94, Rec. p. I-3685).

24 La Commission considère que la République française est responsable de l'incompatibilité des dispositions de la convention avec le droit communautaire. En effet, si le système des régimes de retraite complémentaire repose sur des conventions collectives, c'est la République française qui les a rendus obligatoires par l'article L 731-5 du Code de la sécurité sociale. En outre, les autorités publiques interviendraient activement dans la gestion de ce système, notamment en ce qui concerne la sauvegarde de son équilibre financier. D'ailleurs, le Gouvernement français n'aurait, à aucun moment de la procédure précontentieuse, contesté sa responsabilité en ce qui concerne le non-respect éventuel de la convention par rapport au droit communautaire.

25 Le Gouvernement français souligne que la Cour a, dans l'arrêt du 16 janvier 1992, Commission/France (C-57-90, Rec. p. I-75, point 20), considéré que les régimes de retraite complémentaire français, mis en place par voie de conventions collectives, ne constituent pas des législations au sens de l'article 1er, sous j), premier alinéa, du règlement n° 1408-71, en sorte qu'ils sont exclus du champ d'application matériel de ce règlement.

26 Ce Gouvernement explique que le financement de l'attribution des points gratuits est à la charge de l'Unedic, le régime français d'assurance chômage. Or, en vertu de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408-71, les travailleurs résidant en Belgique mis en cessation anticipée d'activité bénéficient des prestations de chômage accordées par la législation de leur État membre de résidence. Dans ces circonstances, l'Unedic ne saurait être appelée à financer une contribution qui, en fait, est une contribution en faveur de personnes qui relèvent de la législation d'un autre État membre.

27 Selon lui, c'est donc le règlement n° 1408-71 qui a permis que des travailleurs, bien que se trouvant dans la même situation, se voient appliquer deux régimes d'indemnisation différents selon qu'ils résident en France ou en Belgique.

28 Par ailleurs, le Gouvernement français fait valoir que les travailleurs frontaliers en chômage complet ne peuvent en aucun cas prétendre à bénéficier des avantages sociaux accordés tant en France qu'en Belgique. En effet, le règlement n° 1612-68 ne prévoit pas la possibilité de faire "exporter" les avantages sociaux qu'il vise, seules les prestations de sécurité sociale visées par le règlement n° 1408-71 étant exportables.

29 En outre, en vertu de l'article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68, les dispositions du règlement n° 1408-71 prévaudraient sur celles du règlement n° 1612-68. Cette primauté s'exprimerait, en l'espèce, par le régime différent d'indemnisation du chômage applicable aux travailleurs frontaliers par rapport aux travailleurs nationaux.

30 En tout état de cause, le Gouvernement français estime que les bénéficiaires de la convention ne peuvent être qualifiés de "travailleurs frontaliers" parce que leur contrat de travail a été rompu.

31 Enfin, il fait valoir que le principe de la confiance légitime s'oppose à ce que les points gratuits soient reconnus aux travailleurs frontaliers résidant en Belgique. En effet, une telle reconnaissance imposerait, près de 20 ans après la signature de la convention, une charge financière lourde aux autorités françaises. Par ailleurs, le principe de sécurité juridique exigerait que la situation en cause soit appréciée selon les règles de droit applicables à l'époque où la convention a été signée.

32 Il convient, à titre liminaire, de relever que le présent recours ne vise que les dispositions de la convention relatives aux points gratuits dont l'attribution entraîne pour ses bénéficiaires la perception d'une allocation de retraite complémentaire plus importante. Le système de l'attribution de points gratuits, faisant partie intégrante d'un régime de retraite complémentaire, doit être apprécié selon les dispositions applicables à ce type de régime.

33 Le Gouvernement français ne conteste pas être responsable de l'éventuelle incompatibilité de la convention avec le droit communautaire. D'ailleurs, il explique lui-même que l'octroi des points gratuits est financé, par l'intermédiaire de l'Unedic, par des fonds publics. En outre, ainsi que la Commission l'a relevé, les régimes de retraite complémentaire ont été rendus obligatoires par l'article L. 731-5 du Code de la sécurité sociale. La République française a donc assumé la responsabilité de garantir la conformité de ces régimes avec le droit communautaire.

34 Comme le Gouvernement français et la Commission l'ont relevé, la Cour a déjà jugé, dans l'arrêt Commission/France, précité, points 19 et 20, que les régimes de retraite complémentaire, adoptés par voie de conventions conclues par les autorités compétentes avec les organismes professionnels ou interprofessionnels, les organisations syndicales ou les entreprises, ou par voie de conventions collectives signées par les partenaires sociaux, et rendus obligatoires par l'article L 731-5 du Code de la sécurité sociale, ne constituent pas des législations au sens de l'article 1er, sous j), premier alinéa, du règlement n° 1408-71.

35 Il en résulte que ces régimes - ainsi que le système de validation des points gratuits qui en fait partie - ne relèvent pas du champ d'application matériel du règlement n° 1408-71, en sorte qu'ils ne peuvent pas être appréciés au regard des dispositions de ce règlement.

36 En revanche, ce système de validation, faisant partie intégrante des avantages accordés aux travailleurs du secteur concerné lorsqu'ils sont mis en cessation anticipée d'activité, constitue l'une des conditions de licenciement, au sens de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1612-68, qui leur sont applicables. A cet égard, le paragraphe 4 de cette disposition énonce la nullité de toute clause d'une convention collective, relative aux conditions de licenciement, qui comporte des conditions discriminatoires à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres.

37 Selon la jurisprudence constante de la Cour, la règle de l'égalité de traitement inscrite tant à l'article 48 du traité qu'à l'article 7 du règlement n° 1612-68 prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152-73, Rec. p. 153, point 11, et du 27 novembre 1997, Meints, C-57-96, Rec. p. I-6689, point 44).

38 A moins qu'elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire dès lors qu'elle est susceptible, par sa nature même, d'affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu'elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers (arrêt Meints, précité, point 45).

39 Tel est le cas de la condition de résidence requise par la convention pour l'octroi des points gratuits, qui est plus facilement remplie par les travailleurs français - dont la plupart résident dans cet État membre - que par ceux des autres États membres.

40 D'ailleurs, contrairement à l'argumentation du Gouvernement français, les travailleurs frontaliers peuvent se prévaloir des dispositions de l'article 7 du règlement n° 1612-68 au même titre que tout autre travailleur visé par cette disposition. En effet, le quatrième considérant de ce règlement prévoit, de manière expresse, que le droit de libre circulation doit être reconnu "indifféremment aux travailleurs `permanents', saisonniers, frontaliers ou qui exercent leur activité à l'occasion d'une prestation de services", et son article 7 se réfère, sans réserve, au "travailleur ressortissant d'un État membre" (voir, en ce sens, arrêt Meints, précité, points 49 et 50).

41 Il ne saurait être opposé à l'application de l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1612-68 aux circonstances d'espèce le fait que le système de l'attribution des points gratuits bénéficie à des personnes dont le contrat de travail a pris fin. En effet, certains droits liés à la qualité de travailleur, dont ceux énoncés à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1612-68, relatifs aux conditions de licenciement, sont garantis aux travailleurs même s'ils ne se trouvent plus engagés dans un rapport de travail (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 1988, Lair, 39-86, Rec. p. 3161, point 36).

42 De même, l'applicabilité de l'article 7 du règlement n° 1612-68 aux circonstances d'espèce ne saurait être contestée au motif que, selon le Gouvernement français, l'Unedic ne peut être appelée à financer une contribution en faveur de personnes résidant en Belgique parce qu'une telle contribution constituerait, en fait, une prestation qui relèverait, en vertu de l'article 71, paragraphe 1, sous a), ii), du règlement n° 1408-71, de la législation de l'État membre de résidence.

43 Cet argument suppose en effet que l'attribution des points gratuits prévue par la convention constitue une prestation de chômage relevant du règlement n° 1408-71 et que les points gratuits doivent donc être accordés conformément aux dispositions de ce règlement relatives aux prestations de chômage. Or, ainsi qu'il l'a été indiqué au point 35 du présent arrêt, l'attribution des points gratuits ne relève pas de ce règlement.

44 Dans ces circonstances, conformément à l'article 42, paragraphe 2, du règlement n° 1612-68, l'application des dispositions du règlement n° 1408-71 n'est pas remise en question.

45 Quant au principe de confiance légitime, le fait que la convention a été signée il y a près de 20 ans, que les autorités françaises ont considéré depuis que le traitement différencié des travailleurs frontaliers résidant en Belgique était compatible avec le droit communautaire et que le présent arrêt pourra avoir des conséquences financières importantes pour la République française n'ôte pas son caractère discriminatoire au système de l'attribution des points gratuits établi par la convention.

46 En ce qui concerne le principe de sécurité juridique, il convient de relever que les dispositions en cause du règlement n° 1612-68 sont entrées en vigueur plus de 10 ans avant la conclusion de la convention. L'interprétation que la Cour donne d'une disposition de droit communautaire se limite à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle-ci, telle qu'elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 11 août 1995, Roders e.a., C-367-93 à C-377-93, Rec. p. I-2229, point 42).

47 Lors de l'audience, le Gouvernement français a demandé à la Cour, eu égard au doute juridique sérieux qui lui paraît caractériser la situation en cause à l'époque, de limiter les effets dans le temps du présent arrêt au cas où elle estimerait que les dispositions de la convention ne sont pas compatibles avec le droit communautaire. Il insiste sur le fait qu'un arrêt constatant un manquement imposerait aux autorités françaises, près de 20 ans après la conclusion de la convention, une charge financière importante, pouvant s'élever à 192 millions de FF.

48 La Commission a précisé que les plaintes qu'elle avait reçues avaient été déposées auprès d'elle par des travailleurs frontaliers ayant été licenciés, conformément aux conditions prévues par la convention, à l'âge de 55 ans. Toutefois, ces personnes n'ont commencé à percevoir leur pension de retraite complémentaire que 10 ans plus tard et n'ont ressenti la différence de traitement qu'à ce moment-là.

49 Il convient de relever que ce n'est qu'à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d'un principe général de sécurité juridique inhérent à l'ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d'invoquer une disposition qu'elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Cette limitation ne peut être admise, selon la jurisprudence constante de la Cour, que dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163-90, Rec. p. I-4625, point 30).

50 En l'espèce, il n'existe aucun élément de nature à justifier une dérogation au principe de rétroactivité des arrêts d'interprétation.

51 Le présent recours concerne l'application du principe de non-discrimination inscrit tant à l'article 48 du traité qu'à l'article 7 du règlement n° 1612-68. A l'époque où la convention a été signée, il existait déjà une jurisprudence claire qui ne laissait subsister aucun doute que ce principe prohibait toutes formes dissimulées de discrimination (voir point 37 du présent arrêt) et qu'il n'était donc pas exclu que des critères tels que le lieu d'origine ou le domicile d'un travailleur puissent, selon les circonstances, constituer, dans leur effet pratique, l'équivalent d'une discrimination interdite fondée sur la nationalité (voir, en ce sens, arrêt Sotgiu, précité, point 11).

52 Par ailleurs, les conséquences financières qui pourraient découler pour un État d'un arrêt de la Cour n'ont jamais justifié, par elles-mêmes, la limitation des effets d'un arrêt de la Cour. Limiter les effets d'un arrêt en s'appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les particuliers tirent du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt Roders e.a., précité, point 48).

53 Au vu de l'ensemble de ce qui précède et la République française n'ayant invoqué aucun autre élément de nature à justifier objectivement le traitement discriminatoire des travailleurs frontaliers dénoncé par la Commission, il y a lieu de constater que, en excluant les travailleurs frontaliers résidant en Belgique du bénéfice de l'attribution des points de retraite complémentaire, après qu'ils ont été placés en cessation d'activité anticipée, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48, paragraphe 2, du traité et 7 du règlement n° 1612-68.

Sur les dépens

54 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République française ayant succombé et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la première aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête:

55 En excluant les travailleurs frontaliers résidant en Belgique du bénéfice de l'attribution des points de retraite complémentaire, après qu'ils ont été placés en cessation d'activité anticipée, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48, paragraphe 2, du traité CE et 7 du règlement (CEE) n° 1612-68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.

56 La République française est condamnée aux dépens.